f Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1791.] 175 sent rien prétendre pour leur présence, pour la dresse desdits actes, transcription sur les deux registres, ni pour la copie affichée de la publication des promesses de mariage. La première expédition sera gratuite pour tous les citoyens non imposés aux rôles des contributions directes. Art. 10. Les déclarations de mariage, naissance et décès, mentionnées au présent décret, seront inscrites et signées sur lesdits registres en même temps qu’elles seront faites, sans retard ni interruption, et sans aucun blanc. Ces registres seront clos et arrêtés après la lin de chaque année, à commencer pour la première fois au 1er janvier 1791, par le président du tribunal du ' district ou autre juge à l’ordre de la liste, et les feuillets qui se trouveraient en blanc seront par lui barrés. Art. 11. Il est défendu d’écrire et de signer en aucun cas lesdites déclarations sur des feuilles volantes, à peine d’être procédé extraordinairement contre l’officier municipal et le greffier, lesquels seront condamnés en telle amende ou autre plus grande peine qu’il appartiendra, suivant l’exigence des cas; et à peine contre les contractants, de la déchéance des avantages et profits stipulés entre eux par le contrat de mariage ou autres actes. Art. 12. Il est défendu, à peine de 50 livres d’amende contre chacun des contrevenants, et de radiation à leurs frais, laquelle pourra être demandée par tout citoyen , d’insérer ou de souffrir qu’on insère dans lesdits actes et dans aucun acte public ou privé, soit à l’égard des parties, soit à l’égard de leurs pères et mères ou aïeux, aucune des qualités supprimées et proscrites par le décret constitutionnel du 19 juin dernier, quand même on y joindrait les mots ci-devant ou autres semblables. Art. 13. Les autres contraventions commises, soit par l’ofticier municipal, soit par le greffier, aux dispositions du présent titre et des 11 premiers articles du précédent, seront punies de 20 livres d’amende, sans préjudice des dépens, dommages et intérêts des parties, ainsi qu’il appartiendra ; et de plus grande peine , suivant l’exigence des cas, notamment s’il y a récidive. Art. 14. Les curés et tous autres ecclésiastiques, ci-devant chargés de constater les naissances, mariages et sépultures, en demeurent dispensés par la loi de l’Etat, et les officiers et greffiers municipaux en sont chargés, comme il est dit ci-dessus, à compter du jour de la publication du présent décret. Art. 15. Les registres de baptêmes, mariages et sépultures des paroisses actuellement existants, seront transférés aux archives de la municipalité, et ceux qui sont déposés aux greffes des anciens sièges royaux le seront aux greffes des tribunaux de districts ; le greffier de la municipalité et celui du district en délivreront des expéditions, comme il est dit pour les nouveaux registres, en l’article précédent. Art. 16. La connaissance de tout procès, concernant l’exécution de la présente loi, est exclusivement réservée aux juges de district. Art. 17. Toutes lois contraires aux dispositions de ce titre et des deux précédents demeurent abrogées et sera le présent décret incessamment porté à la sanction royale. Signé : DüRAND-MaILLANE, LaNJUINAIS, Commissaires du comité ecclésiastique. Décret additionnel proposé par M. Durand-Maillaiic . L’Assemblée nationale, considérant : Que, depuis le décret rendu par l’Assemblée nationale le 4 août 1789, il est arrivé que beau-. coup de personnes qui se trouvent dans les degrés de parenté ou d’affinité prohibés par le présent décret et dont on pourrait obtenir dispense, ont demandé vainement à Rome, soit la concession des dispenses de mariage dont ils avaient besoin, soit l’expédition de la concession déjà obtenue avant ledit décret du 4 août, ou sa publication ; Que d’autres, après avoir obtenu lesdites expéditions, n’ont pu les faire publier ou fulminer suivant l’usage pratiqué avant ladite époque ; Enfin que d’autres, fidèles à l’exécution dudit décret du 4 août 1789, se sont abstenues de s’adresser au pape, pour n’avoir recours qu’à leur évêque diocésain, qui leur a refusé toutes dispenses en aucune forme, ou en a exigé un payement excessif ; Déclare que le mariage de toutes les personnes ainsi empêchées involontairement, par le fait même de la loi, sera valable, quand il sera déclaré et constaié en la forme prescrite ci-dessus devant la municipalité, par les mêmes personnes, lesquelles seront tenues de justifier, soit des dispenses qu’elles ont obtenues et qu’elles n’ont pu faire publier ou fulminer, soit du refus qui leur en a été fait jusqu’à ce jour par le pape ou leur évêque diocésain ; le tout, sans conséquence pour l’avenir, et laissant aux parties la faculté de recourir, dans leurs diocèses, aux nouveaux évêques élus et consacrés, ou aux évêques actuellement siégeants et continuant leur exercice, pour en obtenir toutes les dispenses qu’elles jugeront convenables ou nécessaires à l’acquit de leur conscience. Suite ET défense DU rapport sur les empêchements , les dispenses et la forme des mariages, par M. Dsirand-Maillane (1). — (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Quand nous avons fait imprimer et distribuer à tous MM. les députés le projet de loi sur les empêchements, les dispenses et la forme des mariages, précédé et suivi de deux rapports, nous savions très bien que la discussion ne s’en ouvrirait pas sitôt dans l’Assemblée nationale; que nous recevrions sur cette publicité des avis et des critiques, qui serviraient à éclaircir et à mûrir la loi proposée sur une matière de cette importance. Ce que nous avions prévu est arrivé : les uns, animés du meilleur esprit, nous ont communiqué poliment leurs observations, sans y mettre d’autre intérêt que le plus grand bien; les autres ont accueilli avec reconnaissance les principes adoptés par les deux comités, et sur lesquels nous avons fondé ledit projet de loi. Plusieurs, et des plus éclairés d’entre ceux-ci, ont promis de les soutenir et de les défendre; mais deux autres, ou plus savants, ou moins bien intentionnés, ont cru devoir employer la voie de l’impression et de la distribution pour réfuter publiquement, tant (1) Ce document n’est pas publié au Moniteur. 176 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [n mai 1*791.| [Assemblée nationale.] ce projet de loi, que les rapports qui l'accompagnent (1). L’un de ces derniers (député et curé de Carcassonne) a exprimé sa censure ou plutôt ses complaintes avec amertume, mais de bonne foi, dans son zèle, contre ce qu’il appelle notre philosophisme impie et destructeur. Le second a pris, dans la forme d’une lettre anonyme, le ton avantageux d’un maître qui, tout en se jouant, redresse ses écoliers et sur les mots et sur le sens assez sérieux de leur thème ; il s’est principalement attaché à la première partie du premier rapport, sans épargner néanmoins le projet de loi qu’il s’est borné à amender, et de manière à nous réconcilier peut-être avi clui; car, après bien des faux et de vrais arguments, mêlés d’imputations et d’ironies, il linit charitablement par faire grâce à nos principes, en exigeant seulement un léger circuit dans la route qu’ils nous ont tracée, pour arriver à notre but, lequel est de mettre les deux puissances en cetie matière, dans une si juste mesure, pour les droits qui sont propres à chacune d’elles, qu’à l’avenir il n’y ait au civil, pour le mariage, ni empêchement inceriain ou équivoque, ni dispense nécessaire ou praticable. D’autre part, le même, un peu trop prévenu contre nous, a très mal interprélé nos vues; je pardonne cette calomnie à son zèle religieux, qui, s’il eût été plus modeste ou plus équitable, aurait moins choqué ou pu mieux convaincre. Mais tout cela n’est que dans l’ordre utile des discussions, dans la liberté de la pensée, ei dans la nécessité de son développement, où chacun porte sa manière d’écrire, comme la teinte de son âme, selon les sentiments qui la meuvent. Parla aussi se forme un concours de lumières qui produit un plus grand éclaircissement de la vérité, le seul objet de nos recherches, comme la seule règle de cette Assemblée, dans toutes ses délibérations. Ainsi ne prenant de toutes ces diverses observations, quelle que soit leur forme pour ou contre notre projet de loi, que ce qui peut le conduire à sa perfection, ou à l’état le moins imparfait, je vais répondre, pour mon compte, à ce qui a éié opposé particulièrement à mon rapport; bien persuadé que, si je parviens à le bien défendre, le projet de loi, qui n’en est que le résultat, en partagera nécessairement le succès. Tout le premier numéro de mon rapport, contre lequel on paraît avoir réuni, borné même les attaques, porte sur un seul principe, auquel je tiens toujours, quoiqu’on se soit montré contraire aux conséquences que j’en tire. Ce principe est, que le mariage est un contrat, comme tous les contrats passés entre les hommes, sans qu’il puisse cesser d’être tel, parce que la religion catholique en a fait un sacrement. Tout en convenant de cette vérité, les uns soutiennent que ce contrat ne peut être séparé du sacrement, et que le mariage entre catholiques, attache, lie nécessairement l’un à l’autre, de telle sorte que le mariage ne peut être un seul moment qu’un contrat, sans être en même temps un sacrement; comme il ne peut être un sacrement sans former en même temps un contrat, puisque le consentement des parties, qui fait seul le ma-(1) Ces deux brochures ne sont pas les seules que notre projet de loi et mes rapports aient fait naître; mais ce sont les seules qui ont été distribuées à MM. les députés, et les seules aussi auxquelles je réponds, auxquelles même il suffit de répondre pour les réfuter également outes riage, n’est autre chose entre elles qu’un contrat que la religion qu’ils professent, convertit nécessairement en sacrement. Voilà l’opinion de plusieurs qui ne vont peut-être pas jusqu’à dire que c’est un dogme, si c’est la doctrine la plus commune des théologiens. D’autre-, au contraire, disent que, dans le mariage, même des catholiques, le contrat est autre chose que le sacrement, dont il peut, dont il doit même être séparé, quant aux effets civils; et c’est l’opinion, qui, m’ayant paru la plus proore à tout concilier dans les" difficultés que nous avions à résoudre, a eu la préférence dans mon rapport; mais ce n’a pas été sans quelque peine, à cause des raisons sur lesquelles la précédente opinion est fondée; raisons assez triviales pour ne m’être point inconnues, avant que l’auteur de la lettre anonyme me les eût débitées du haut de son trépied, mais en même temps assez imposantes pour me causer cette sollicitude, dont le même critique a fait le sujet d’une très indécente raillerie. Ceux qui la soutiennent cette opinion que je respectais, et que je respecte encore, sans la suivre, disent donc que l’Eglise a toujours enseigné, d’après la doctrine de saint Paul, et comme par tradition apostolique1, que le mariage est un sacrement dans la loi nouvelle, comme il a été, dans tous les temps et chez tous les peuples, une union sainte, parce qu’elle est, dans son origine, d’institution divine, puisque c’est Dieu qui eu est le premier auteur, dans la création de l’homme et de la femme; ils ajoutent que l’on a, pour preuve de cette vérité, 1rs paroles mêmes de l’Evangile et l’exemple de l’Eglise, qui, pendant longtemps, a regardé, comme uu sacrement, le mariage conti acté hors de l’Eglise, par le seul consentement des parties : ce qui a cessé par le décret du concile de Trente, qui a exigé la présence du curé et de deux témoins. Les autres opposent à cette opinion les décrets de ce concile même qui, disent-ils, n’a fait que rétablir les anciens règlements ecclésiastiques qui déclaraient nuis les mariages non célébrés, non bénis dans l’Eglise, quoique d’ailleurs valables, selon les lois civiles; ils ajoutent que le contrat de mariage, en le faisant remonter à sa première institution divine, serait alors dans le même caractère, chez tous les peuples; et que s’il est nécessairement un sacrement pour les catholiques, bon gré, malgré eux, il répugne à l’idée simple et religieuse que l’on a des sacrements de l’Eglise, qu’on soit ainsi forcé de les recevoir, quoiqu’on ait tout lieu de s’en croire indigne, quoiqu’on soit très éloigné de vouloir en abuser. L’une et l’autre de ces opinions sont appuyées d’uu tas d’autorités et de faits contradictoires que je connaissais très bien, quand j’ai écrit mou rapport; et c’est parce que je les connaissais, que je n’ai pas voulu, ni ne veux pas plus ici en hérisser mes principes, pour ne les présenter à l’Assemblée que sous l’aspect naturel et plus lumineux de la raison, qui seule doit parler quand Dieu ne parie point; car il ne s’agit pas sans doute ici d’un dogme, ou de quelques-uni ci\ile, qui n’est faite ni pour les saints, ni pour les élus, mais pour les citoyens. Et voilà sous quelle distinction j’ai raisonné, sur laquelle on m’a accusé d’erreur, et même d’irreligiou ; mais j’en appelle aux bons esprits, au temps et à ma conscience. Ge ne sera pas, puisqu’on s’est permis de me faire de mes ouvrages un sujet de reproche, et comme d’insulte; ce ne sera pas, après avoir tant écrit sur les matières ecclésiastiques, que je confondrai en aveugle le dogme avec la discipline et avec la discipline extérieure, et politique et temporelle de l’Eglise, surtout quand elle touche à l’intérêt général de la société et à l’état, particulier de chaque citoyen, d’aussi près que dans la forme .et les effets du mariage. En franc catholique, je rendrai compte à chacun de ma foi, et plus encore à ceux qui en doutent, lors même que je la défends dans toute sa pureté; car c’est aux hommes instruits de l’abus qu’en font, ou des .torts que lui causent ceux qui la prêchent, à la dépouiller des nuages dont ils la couvrent : oui, je l’ai dit, et je le répète à mon dernier censeur; nous avons reconnu qu' autant la puissance civile avait à cet égard négligé ses droits, autant et plus .la puissance ecclésiastique en avait pris. Qui ne sait en effet les droits de la puissance civile en matière d’empêchement de mariage? Ges droits.souttels que, parmi les docteurs mêmes qui soutiennent que le contrat ne peut être séparé du sacrement dans le mariage, on en trouve qui n’accordeut qu’au seul prince temporel le 1™ Série. T. XXVI. EMENTAIRES. [17 mai 1791.] pouvoir de mettre des empêchements dirimants au mariage. Je tiens, dans mes mains, deux manuscrits qui m’ont été confiés par des membres honorables de l’Assemblée, et très bons catholiques, où ce principe m’a paru établi par d’excellents raisonnements et de très bonnes preuves. Ils ont accordé à l’Eglise les empêchements spirituels et relatifs au sacrement, ou à son administration; et à la puissance temporelle, les empêchements au contrat et à ses effets civils, u’où j’ai conclu et dû conclure que la séparation du contrat d’avec le sacrement, est, non pas seulement possible dans l’ordre et les vues sages d’un législateur, mais convenable, mais nécessaire. Le concile de Trente, ni aucun autre, n’a prononcé sur cette division, ni ne l’a défendue ; encore moins le double rapport des droits respectifs des deux puissances, à l’égard de ceux qui se marient et qui sont ciloyens, en même temps que chrétiens et fidèles. Saint Thomas lui-même semble indiquer, autoriser cette distinction dans le mariage ; il enseigne qu’on doit le considérer sous ces trois points de vue : 1° du droit purement naturel; 2° du droit civil; 3° du droit divin. Ou je me trompe bien, ou je ne vois là qu’une doctiine qui comporte la séparation du contrat d’avec le sacrement. Je vais plus loin : et, d’après ce passage même, quand j’admettrais que le mariage réunit nécessairement le contrat et le sacrement, de manière qu’il ne fût pas permis de les séparer; ce que j’admets sans raisonnement, si c’est la loi de l’Eglise; quand, dis-je, j’admettrais cette proposition comme une vérité dogma-mat que, je ne laisserais pas que de trouver le projet du comité très compatible avec toute l’au-iorité et les droits de l’Eglise, auxquels je suis autant éloigné de vouloir porier atteinte, que je désire de réintégrer la puissance civile dans les siens; quand donc encore une fois j’admettrais cela, j’aurais dans cela même toujours raison de dire que la puissance séculière ne peut être em* pêchée, dans sou indépendance, de régler l’état civil et conjugal de ses sujets, comme bon lui semble; de ne plus en exiger la preuve, comme par le passé, dans la forme d’un extrait des registres du curé, mais plutôt dans la forme des registres de la municipalité, sans entrer plus avant dans aucune autre explication, ni même dans aucune réserve des droits de l’Eglise, parce que leur exercice, en tont point, est d’un ordre surnaturel, qui ne regarde et ne peut regarder que le for intérieur et Je salut des âmes. Ainsi, dans cette nouvelle pratique que le comité propose, je ne vois rien que de conforme à la nature même des choses et du meilleur ordre, par la distinction la plus sage entre les droits des peuples chrétiens et ceux de la religion qu’ils professent. Nous y sommes en ce moment invités, et conduits par notre Constitution même; car, après avoir établi la liberté des opinions religieuses, après avoir admis à la qualité et aux droits de citoyens actifs tous les Français indistinctement, il est devenu plus nécessaire que jamais d’établir les règles les plus ceriaines dans ce qui doit servir à constater l’état civil de chacun d’eux. Or, dans cet esprit, rien qui m’est paru plus propre à remplir ce grand objet, que la distinction déjà tracée dans le mariage par la double espèce d’empêchement q,ue l’Eglise elle-même reconnaît de l’aveu de nos censeurs; ce qui est très concluant de leur part, quoique peut-être inexact dans la pratique : car, ni les mariages in extremis , ni ceux des enfants de famille con-12 178 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [17 mai 1791*] damnés par nos lois civiles, ne le sont jusqu’à la nullité du mariage par les lois ecclésiastiques, d’où vient cette manière commune de parler, qui signifie quelque chose dans notre question : les mariages sont bons quant au sacrement, et nuis quant au contrat ou aux effets civils. Eh 1 que sont toutes nos questions d’état? si ce n’est autant de discussions d’un mariage sous ces rapports avec la législation civile, ou plutôt avec le conirat civil qui seul détermine la condition légitime des enfants, parce que lui seul rend légitime, aux yeux de la loi, le mariage qui les à procréés. Faudrait-il donc une autre preuve des entreprises de la puissance ecclésiastique en cette matière? Eh! où est donc la réciprocité dont parle l’auteur de la lettre anonyme, page 27, et doit-on l’en croire ou le suivre dans sa profession conçue en ces termes? « 1° Le mariage, comme étant un contrat et « un acte civil, est soumis aux lois civiles, et le « souverain peut établir des empêchements di-« rimants. « 2° Les empêchements dirimants, établis par « le souverain, empêchent le sacrement, parce « qu’ils rendent le contrat nul, et qu’un mariage « nul ne peut être un sacrement. « 3° Dieu, comme l’instituteur et le premier « législateur du mariage, a pu le soumettre aux « lois de l’Eglise, à cause de ses rapports avec « la religion, comme il l’a soumis aux lois de « l’Etat, à cause de ses rapports avec la vie ci-« vile. « Jésus-Christ, en élevant le mariage à la di-« gnité de sacrement, l’a soumis, de quelque ma-« nière, aux lois de l’Eglise. » A cela, l’auteur a ajouté : « Et cette doctrine, Monsieur, est la vôtre, « puisque, loin de contester à l’Eglise le droit « d’établir des empêchements, vous voulez au « contraire qu’on la laisse libre dans sa législa-« tion. » Oui, sans doute, je veux laisser l’Eglise libre dans sa législation, mais seulement dans les objets de sa législation spirituelle, et non dans les objets de la législation civile, qui doit être tout aussi libre, et tout aussi indépendante dans sa partie, que l’Eglise dans la sienne, sans que l’une puisse être empêchée par l’autre, comme le suppose l’adversaire ; et c’est ainsi qu’on l’a entendu dans les deux comités, et dans la rédaction du projet de loi qui y a été arrêté. Nous avons entendu que les lois de l’Eglise, restant les mêmes pour le sacrement de mariage, le même usage des dispenses aura lieu, ou pourra avoir lieu dans l’ordre spirituel de son administration. Les parties qui eu auront besoin s’adresseront aux évêques pour les obtenir, jusqu’à ce que l’Eglise trouve bon de les rendre, ou superflues, ou moins néci s.-aires, en accommodant ses tègle-ments à ce-x que les comités proposent pour une plus gra* de facilité dans le< mariages, et le plus gra d bien dans la société : mais jusqu’alors chacun sera libre, de manière que, voulant se borner, non point à la bénédiction municipale, comme s'est énoncé peu décemment l’anonyme, mais à sa propre déclaration de volonté devant la municipalité, les effets civils seront toujours assurés et acquis au mariage, ainsi déclaré par les parties. A cela le même auteur a opposé, et c’est ici son amendement : il a dit que si l’on exigeait cette déclaration avant la bénédiction ecclésias-, tique, on gênerait la liberté même des catholiques qui, accoutumés à une pratique religieuse sur laquelle nous proposons un changement capable de scandaliser les faibles, d’ébranler même les forts, ne doivent pas être contraints dépasser par la municipalité, avant dé passer par l’Eglise, pourvu qu’ils satisfassent également après, à cette nouvelle formalité de la loi qui, seule, doit valider civilement leur mariage. Une autre considération m’avait frappé dès avant que cette lettre parût : j’avais réfléchi que renvoyer la bénédiction ecclésiastique à 8 jours après la déclaration devant la municipalité, c’était dans ce délai exposer les catholiques à la tentation de ne plus aller à l’église. J’en avais fait part à M. Lanjuinais, avec qui nous avons également conféré sur l’amendement proposé de faire la déclaration de mariage à la municipalité, avant ou après avoir reçu la bénédiction dans l’église; et sur l’un comme sur l’autre parti, nous n’avons rien vu que de plus conforme à la Constitution, ou à son esprit, qui est d’étendre plutôt que de restreindre la liberté de chacun, des catholiques, comme des non-catholiques, à qui il sera également permis de faire cette déclaration avant comme après leurs cérémonies respectives et religieuses. Nous supposons aussi, et nous devons môme supposer, d’après nos principes, que ce n’est pas l’esprit de l’Eglise de contraindre les citoyens à la participation d’aucun de ses sacrements, soit qu’ils ne s’en estiment pas assez dignes, ou pour d’autres causes. « La li-« herté, disent les théologiens eux-mêmes, est « une perfection de l’humanité, parce qu’elle « seule donne l’empire sur les actions (1), » sans parler de la profanation du sacrement que les moins religieux doivent craindre. Si nos lois civiles, auxquelles le clergé de France a toujours eu le plus de part quand elles ont eu pour objet les matières qui l’intéressaient, n’ont pas été assez réservées à cet égard, pour le sacrement de mariage, l’Assemblée nationale doit s’en faire un mérite, surtout depuis l’édit de novembre 1787, concernant le mariage des non-catholiques, qui a déjà frayé le chemin dont la nouvelle Constitution exige l’agrandissement. Ainsi, sans déroger à nos principes qui restent toujours les mêmes pour l’indépendance et les attributs propres à chacune des deux puissances en ces matières, et dans un ordre plus distinct, plus fixe et plus connu, ce qui nous a fait dire, avec une vérité qui répond à la mauvaise critique de l’anonyme, que nous avions, dans notre projet de loi, rectifié les lois anciennes sans les abroger, placé les lois civiles à côté des lois ecclésiastiques sans affaiblir l'autorité ni des unes ni des autres : sans, dis-je, altérer cette mutuelle indépendance, ni rien changer dans l’entière liberté des citoyens, nous avons cru pouvoir admettre que la déclaration de mariage devant la municipalité pourra se faire avant, comme après la bénédiction du mariage des catholiques dans l’eglise, en observant d’ailleurs les formalités qu’on prescrira dans une nouvelle rédaction, et d’après lesquelles seules la loi reconnaîtra la validité civile des mariages. Cet accommodement servira aussi très à propos à éluder, sans vaine discussion, une difficulté théologique sur ce que l’anonyme a appelé matière douteuse pour le sacrement, quand, après la déclaration des parties devant la municipalité, elles iraient à l’église pour le recevoir. Je ne suis point en état de raisonner sur cette (1) Dict. théol. verb. liberté de J.-C., par M. Alletz. [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [17 mai 1791. 179 question, nouvelle pour moi, et digne des anciennes écoles, qui, dans leur manière de traiter, de subtiliser les matières, en faisaient naître le doute et l’obscurité. Eh 1 pourquoi ne pas fixer les règles dans celle-ci, la plus importante pour la société; pourquoi dans ce qui regarde le mariage qui, de l’aveu de tous, est à la fois, parmi les catholiques, un contrat et un, sacrement, pourquoi ne pas convenir, à cet égard, d’une distinction précise, qui, en empêchant la confusion des deux pouvoirs, en réglât constamment et clairement leur double objet, comme leur double exercice? Pourquoi enfin cela ne s’est-il point fait? C’est que, je l’ai dit, et j’ai eu toute raison de le dire, l’un de ces pouvoirs a trop entrepris sur l’autre; et la puissance civile, pour avoir négligé ses droits, les a presque tous perdus : et, qu’on le remarque, la même exteusion, de la part du clergé, a eu lieu dans toutes les matières ecclésin stiques. Chacun sait à quel point les juges d’Egüse avaient autrefois poussé l’abus de leur juridiction; et singulièrement dans les matières concernant le mariage, où ils avaient compris les questions de la dot et des conventions matrimoniales : ils avaient été encore plus loin dans les matières testamentaires. Quand Pierre de Cug-miers voulut s’en plaindre, on le traita d’impie. On lui a fait, dans l’histoire, honneur de l’appel comme d’abus : mais il ne lit, dans les conférences de Vincennes, en 1329, que montrer faiblement le chemin pour y arriver: car l’on n’a pu ou su employer efficacement ce remède, que, lorsque plus de deux siècles après, en 1530, sous François Ier, on en vint à la distinction précise des objets spirituels et temporels, pour régler la compétence respective des deux juges ecclésiastique et séculier : encore a-t-on vu depuis, jusqu’à nos jours, un combat continuel, entre l’un et l’autre, par un reste de cette ancienne possession du clergé, dont les parlements s’efforçaient de réprimer les abus ou l’excès, mais au prolit de la leur, et nullement pour le bien du peuple, toujours dupe et victime de ces luttes scandaleuses. Nos monarques les toléraient; ils proté-geaint même quelquefois l’un ou l’autre de ces deux corps puissants, dans leur rivalité, pour maintenir l’équilibre d’une faible autorité, qui aurait fini par succomber sous l’empire de l’un des deux, ou de tous les deux ensemble, comme elle en était menacée après les édits du 8 mai 1788 : mais pour le bonheur du roi lui-même, qui va toujours avec celui de son peuple, l’Assemblée nationale est venue consolider à jamais sa puissance par sa Constitution. Oui, Messieurs, cette heureuse Constitution, en abolissant tous les corps, en organisant tous les pouvoirs et en réduisant à l’égalité tous les citoyens, a fortifié le sceptre du roi, par le glaive de la loi, que la nation a mis dans ses mains contre ses infracteurs. O le beau règne que celui de la loi ! (qu’on me pardonne ici l’éclat de mes sentiments contre nos calomniateurs), qu’il est grandi qu’il est fort le roi qui ne règne que par elle 1 c’est le règne même de la divinité! in jus-titiâ et in veritate. Nous devons nous-mêmes la vérité au roi, comme le roi nous doit la justice, c’est-à-dire la vérité dans la loi, et la justice dans son exécution, dans la forme aussi digne d’un peuple libre que la raison éclaire et que l’honneur conduit ; non point cet honneur factice et barbare qui égare par ses excès; mais cet honneur de sentiment qui élève l’âme du citoyen au-dessus de l’intérêt personnel, pour ne jamais lui sacrifier le bien général, qui, par la plus noble ambition, le dispose à tout pour le service et l’avantage de sa patrie qui le fait se rendre lui-même esclave de la loi, pour en faire le garant de ses propres droits et de sa liberié, qui lui fait enfin regarder comme déshonnête tout ce qui n’est pas juste, et comme impossible, tout ce que la loi défend! qu’il est beau, je le répète, un tel empire! quel bonheur pour celui qui l’exerce! le cœur de Louis XVI, il faut l’avouer, en était bien digne ! Exempt d’erreur et de séduction, de remords et de reproche dans les fonctions redoutables de la législation, fier de la volonté même de son peuple, il n’aura désormais pour s’en faire obéir; que dis-je! pour s’en faire aimer et craindre, qu’à lui montrer son propre ouvrage : les lois qu’il a choisies et qu’il a juré de suivre. Encore quelques jours, et ce bel ordre va s’offrir aux regards de tous les peuples; encore quelques jours, et la Constitution est finie. Malheur à ceux qui la combattent ou la traversent, qui la décrient surtout aux yeux du roi, dont elle assure tout à la fois, et le trône et la gloire! Le clergé, qui témoigne tant d’éloignement pour elle, doit aussi beaucoup se déüer de son zèle pour ce qu’il appelle la religion, et que nous aimons et respectons tous; qu’il prenne garde de ne point se rendre responsable devant Dieu et devant les hommes de l’inexécution de nos décrets, des peines, des pertes, des malheurs mêmes que cette inexécution peut causer ; qu’il cesse de calomnier l’Assemblée nationale et ses membres, ses comités mêmes; qu’il cesse de leur imputer, avec les sentiments de l’irréligion et de l’hérésie, un esprit de persécution plus odieux encore, et dont les infracteurs de nos décrets sont les seuls coupables envers nous. Ils couvrent leur infraction, leur résistance, leurs criminelles suggestions du vieux et toujours neuf manteau de la religion auprès du peuple crédule ; mais celui-ci ne s’y laissera pas tromper cette fois : il sait trop bien en qui il a placé sa confiance, et que tous les gens qui font aujourd’hui des déclarations, des protestations à l’honneur de la religion, n’ont pas été jusqu’ici les plus ardents pour elle; qu’ils n’ont jamais été tant dévorés du zèle de la maison de Dieu, ni du salut des âmes, et qu’enfin la piété, dont ils se font un beau prétexte, pourrait bien n’être au fond que le désir de leur rétablissement dans leurs possessions, peut-être même dans cette domination si contraire à la liberté des peuples, si funeste à la religion même, quand elle dépasse le cercle spirituel qu’elle a tracé, le terme de désintéressement et d’humilité ue lui a fixé l’Evangile. L’histoire, je l’ai déjà it, n’en offre que trop d’exemples; mais les peuples n’ont jamais été aussi instruits qu’ils le sont devenus à leurs dépens. Les rois eux-mêmes ne pouvaient à cet égard, tout ce qu’ils auraient voulu pour le bien de leurs sujets, pour leur propre indépendance; ou ils ont laissé agir et parler le ebrgé lui seul dans les matières qu’on appelait mixtes, et alors il s’en est fait trop; ou nos rois y ont concouru, et alors il ne s’en est pas assez fait; ou l’on a fait mal. De là tant de variations et d’incertitudes, tant d’obscurités et d’abus dans les matières ecclésiastiques. Il faut les avoir toutes parcourues comme j’ai fait dans un temps d’esclavage, pour se complaire, plus qu’un autre, dans ce temps de liberté, à leur réforme générale et encore (l). Il (1) Puisque l’on m’a sais dausle cas de parler de moi, 180 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [n mai 1791.] était réservé à l’Assemblée nationale de l’entreprendre, cette salutaire réforme, et de la finir avec succès, sans user de ces ménagements et de ces égards de mauvaise politique qui y ont toujours mis obstacle : il était temps que chaque pouvoir fût rendu dans notre gouvernement à son principe, à son caractère propre, aux seuls termes enfin de son institution, avec toute l’indépendance nécessaire dans son exercice; la nation n’a eu besoin pour cela que de transformer, en une pratique exacte et sincère, les démarcations tracées déjà tant de fois en belle et vaine théorie par nos meilleurs écrivains, par les ordonnances mêmes de nos rois ; car je ne voudrais pas employer d’autres pièces pour justifier tous nos décrets ; le règlement surtout du 24 mai 1766, que j’ai cité dans mon premier rapport; car certainement le ministère ecclésiastique une fois renfermé dans son objet tout spirituel et divin, pour lequel toute liberté comme toute protection lui sont dues, tout le reste appartient à la puissance séculière, sans en excepter la police extérieure de i’Egibe, qui est donnée par les canons mêmes à l'évêque du dehors et au vengeur des règles anciennes. je dirai, et peut-être d’une manière utile à la chose publique ; je dirai qu’à peine la liberté que nous avons acquise ou conquise fut annoncée ou entrevue par un certain arrêt du conseil rendu en juillet 1788, par lequel il fut permis à chacun d’exprimer et de publier et les causes, les remèdes des maux publics, que le sentiment le plus vif, et de la vérité et de l’oppression, me fit aussitôt offrir à ma patrie le tribut de mon zèle, par une brochure imprimée à Avignon, chez Joly, indtulée : la Noblimanie. C’est là où j’ai dénoncé aux états généraux, alors prochains, les plus criants abus politiques du gouvernement envers le ci-devant tiers état, les chaînes accablantes du régime féodal et les vexations ■des grandes corporations, civiles et ecclésiastiques, où • il n’entrait que des nobles et des anoblis; ce qui était soutenu et détendu même par un auteur beaucoup trop célèbre, M. de Montesquieu; je dénonçai de même à la nation assemblée son Esprit des Lois , qui a fait comme titre ou époque à la cour, pour tous ces excès de dons et de grâces qui ruinaient l’Etat, avilissaient et anéantissaient la nation entière. . Chargé dans l’assemblée électorale de ma députation (où, soit dit en passant, mon élection fut à l’unanimité de 120 électeurs) de coopérer à la rédaction des cahiers dont les bases nous furent données par un homme du plus grand mérite, M. Servan, on y trouve les demandes formelles : 1° de l’abolition du régime féodal; 2° d’un nouvel ordre dans la distribution des grâces publiques et de la noblesse même, eu la fondant uniquement sur le mérite parmi tous les Français, sans distinction de naissance, ni de profession; 3° des formes électives pour tous les emplois publics, civils et ecclésiastiques ; 4° la suppression de la dîme et la vente des biens du clergé, en y substituant des honoraires en argent; 5° la réforme de ce clergé et les suppressions nécessaires dans ses juridictions contentieuses, comme dans celles des tribunaux civils ; 6° la réforme et la suppression nécessaire des ordres religieux ; 7» enfin la demande préliminaire d’une Constitution, et singulièrement de la déclaration des droits de l’homme en société, avec un décret pour la faire connaître et publier, même dans les églises, au prône, deux fois dans l’année ; l’opinion par tète en faisait le premier article : c’est là, je pense, à peu près tout ce que l’Assemblée nationale a trouvé bon de faire, et qui n’a pas été, comme on l’a dit, comme on l’a cru et comme on le. croit encore, l’effet du hasard ou de l’avantage que les députés des communes ont eu sur les ordres privilégiés, par leur imprudence ou leur malentendu. Si tous les cahiers ne portaient pas le même vœu que le mien, il était dans le cœur de tous les Français depuis si longtemps, qu’ils ont saisi la première occasion pour l’exprimer, et d’une manière si générale, si vive et si éclatante, qu’il faut être entièrement ennemi du bien public et du bonheur commun pour l’improuver ou lo combattre. Loin donc de prétendre, comme l’anonyme, que les deux puissances doivent concourir daQs les formes du mariage; que l’une des .deux doit suivre les règlements de l’aulre sur Tes empêchements et les dispenses, ce qui n’est bon qu’à produire de l’embarras et des difficultés, ce qui même n’est pas observé par l’Eglise, comme je l’ai prouvé par l’exemple des mariages des tils de famille et de ceux in extremis, que l’Eglise reconnaît bons quand la loi civile les déclare nuis; loin, dis-je, de me rendre à cet avis, je ne trouve rien de plus sage que le règlement proposé par les comités, et qui tend à rendre les deux puissances plus libres encore, et plus indépendantes en cette matière de mariage qu’en toute autre ; et cela avec autant de fondement que de raison, parce que quelle que soit la doctrine, ou plutôt la pratique de l’Eglise à l’égard du mariage, il ne peut se faire qu’il ne soit toujours un contrat, un engagement passé entre des citoyens, sur l’état desquels la puissance civile a des droits très distincts de ceux que la puissance ecclésiastique a, ou peut avoir sur les fidèles, dans l’ordre surnaturel et divin de leur salut. C’est là, ce me semble, une conclusion évidemment juste, ou bien l’indépendance dont on est convenu, et dont on parle tan i, n’est qu’une chimère; j’en dis autant de la distinction ou de la différence dans la nature des deux puissances et de leurs objets ; si l’on confond te spirituel avec le temporel, l’ecclésiasiique avec le civil, on ne sait plus quel usage faire de ces paroles : Redde Gcesari , quod est Gœsaris, etc. Nous naissons citoyens avant d’êire chrétiens, et le baptême, qui nous régénère spirituellement, nous laisse encore citoyens. Le mariage est d’autre part un symbole, un mystère, mysterium , comme il est dit dans la Vulgate, qui signifie l’union de Jésus-Christ avec sou Eglise ; mais ce mystère, qui est en même temps un signe de la grâce sacramentelle, n’a de rapport qu’à l’état surnaturel des fidèles. L’Eglise est dans l’Etat, et non l’Etat dans l’Eglise; elle n’y a même été reçue que parce qu'elle a toujours annoncé que son royaume n’étant pas de ce monde, elle n’entendait préjudicier en rien à l’autorité, aux droits, aux luis et à la liberté des souverains et des peuples, en corps et en particulier, qui voulaient bieu la recevoir ; la nation française l’a reçue comme tant d’autres peuples, pour leur plus grand bonheur sans doute; mais iis seraient bien trompés si ses ministres, admis et traités comme des anges de paix, comme les apôtres delà charité, se changeaient, comme les louveleaux.de la fable, en ennemis, dans leurs maisons hospitalières. Cela est si vrai, que dans tous les temps les canons mêmes de l’Eglise, les règlements qui ne s’entendent pas ici des articles de foi sur lesquels il n’y a jamais eu que des déclarations à faire et point d’innovations ; les règlements, dis-je, de discipline, n’ont jamais reçu d’exécution en France que de l’agrement de nos rois, à qui tout pouvoir a toujours élé accordé pour les admetire comme pour les rejeter, même après les avoir admis, quod semel potui, semper possum ; pour faire aussi de leur propre chef, et sans le concours, ni du pape, ni des evêques, des lois et des lèglements sur les mêmes objets de police ecclésiastique ; nos livres en sont pleins, et l’on y en trouve de t ls dont peut-être l’Assemblée nationale, aussi éloignée de l’irrévérence que de la superstition, n’aurait pas voulu se mêler. Mais c’était le roi qui parlait ; le roi, bienfaiteur [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1T mai 1191.] des prélats dont la voix seule pouvait se faire entendre dans l’Eglise gallicane; et on l’entendait souvent contre des arrêts des parlements; elle éclate en ce moment contre les décrets de l’Assemblée nationale ; celle même des curés, qui n’avaient jamais rien dit dans leur ancien état d’avilissement d’où nous les avons tirés, se joint en quelques lieux à celle des évêques. Mais, je le répète, c’était ci-devant le roi qui parlait, et jamais aucun prélat, aucun curé, en aucun temps et en aucun cas, ne lui a reproché son incompétence en ces matières; ils lui portaient, au contraire, toutes leurs questions à résoudre. La déclaration de 1741, qui fixe à vingt-cinq ans l’âge des curés; l’édit de 1768, qui recule l’âge de la profession religieuse; l’édit de 1749, qui règle les acquisitions du clergé; l’édit de 1764, qui supprime la société des jésuites, et tant d’autres qui contrarient ou changent les décrets du concile de Trente, n’ont trouvé de leur part que la plus parfaite soumission. Le roi pouvait donc ce que la nation ne pourrait pas ; mais le roi donnait les prélatures qu’accompagnaient les richesses et les honneurs profanes dans toutes les provinces, dans toutes les villes du royaume, et la nation les a ôtées ou réduites ! La nation a fait les réformes que le clergé lui-même aurait dû lui proposer, que le peuple attendait, et dont nos commettants nous avaient fait un devoir. Ces réformes, tant désirées et si nécessaires, ne sont évidemment qu’un bien ; elles ne touchent point à la foi, qu’elles ont respectée avec le plus grand soin ; et cela seul doit rassurer tous les esprits et toutes les consciences dans l’Eglise catholique. Mais ces réformes ont été faites sur les évêques et contre leurs intérêts, ou plutôt contre les abus dont il3 profitaient (ne fût-ce que celui des commendes) et dont la foi même des fidèles était très pernicieusement scandalisée. Eh 1 voilà notre crime, voilà les torts de l’Assemblée nationale , le schisme, l’hérésie et l’impiété même dont on ne craint pas d’accuser publiquement ses décrets. Mais’ que le clergé ne se flatte pas; ce même peuple, que nous représentons et que nous suivons dans son propre vœu, ne les en croira pas sur des calomnies qui deviennent absurdes à force d’être atroces. Au surplus, tout cela n’est dit ici qu’acces-soirement à l’objet de notre rapport, et pour l’à-propos des circonstances; car en admettant que la déclaration de mariage puisse se faire après comme avant la bénédiction ecclésiastique, ainsi que l’ont proposé nos censeurs eux-mêmes, toutes leurs censures s’évanouissent relativement à notre principale fin; nous n’avons donc plus rien à en dire : mais, pour ne laisser sans réponse aucune de leurs imputations injurieuses aux comités mêmes, dans la personne du rapporteur, je crois pouvoir assurer, d’après mes précédentes explications, que nos censeurs ont eu le plus grand tort de nous accuser d’avoir proposé, dans notre projet de loi, un moyen pour peupler la société de concubinaires. D’abord notre idée n’a jamais été de rien changer dans l’ancienne forme ecclésiastique; et cela seul nous méritait au moins quelqu-s ménagements. Nous avions pensé, et nous pensons encore que très peu de catholiques se borneront à la déclaration de mariage devant la municipalité, d’autant que très peu d’entre eux ont trouvé jusqu’ici des difficultés pour être ou pour paraître dignes de la bénédiction nuptiale; ce qui n’est pas peut-être le moyen le plus heureux pour at-481 tirer sur les époux les bénédictions et les grâces du sacrement. Si d’autre part l’Assemblée nationale a jugé à propos, par les motifs les plus sages, de ne point déclarer formellement que la religion catholique est la religion de l’Etat, elle y domine dans le fait, son culte y est assuré, payé constitutionnellement par la nation, et certainement les moins religieux parmi ceux qui se marient ne voudraient pas plus à l’avenir s’afficher pour ne pas y croire ou la professer, par l’état même de leur mariage! Quant à la difficulté imprévue de la matière douteuse, il me paraît qu’elle n’avait pas même besoin d’être levée par l’amendement reçu ; car la puissance civile statuant sur l’état civil* de ses sujets, et ordonnant que désormais cet état civil sera reconnu à une forme plutôt qu’à une autre, ce'a ne conclut absolument rien relativement au for intérieur des parties, pour les droits de l’Eglise sur leurs dispositions religieuses, d’après même, comme nous l’avons dit, ses propres empêchements; d’autre part, les parties ne sont pas plus gênées elles-mêmes, puisqu’on les laisse dans une pleine liberté de conscience à cet égard, comme à l’égard de tous autres actes religieux dont la puissance civile déclare en même temps ne vouloir point se mêler, ni même y déroger en aucune sorte. Qu’il y ait dans ce système, ou dans cette pratique nécessitée par la nature même des choses, une contradiction entre les lois civiles et les lois ecclésiastiques dans leur double objet spirituel et temporel, le cas ou l’exemple n’en est pas nouveau, la prescription trentenaire met à couvert un usurpateur à qui l’Eglise ne fait pas pour cela grâce de la restitution. Alice leges papinianœ , alice leges ecclesice. Faut-il, ne faut-il pas la bénédiclion ecclésiastique pour la validité sacramentelle du mariage? Je ne dois plus entrer dans cette question (où les théologiens voudraient toujours avoir raison, même contre le bon sens), après avoir établi que, dans l’un comme dans l’autre cas, la puissance civile pourra toujours se borner à considérer comme mariés légalement ceux qui auront déclaré leur mariage en la forme prescrite devant la municipalité, après comme avant la bénédiction de l’Eglise. Il est à croire encore que les catholiques les moins scrupuleux iront se marier à l’église, et dans les termes, et avec les qualités qu’elle prescrit, avant d’aller remplir la formalité que la loi civile exigera d’eux pour les mettre au rang de ceux qu’elle reconnaît pour époux et leurs enfants pour légitimes; d’autres pourraient, comme ils en ont le droit, aller à la municipalité avant d’aller à l’église ; mais la loi ne faisant plus aucune défense aux curés de les marier sans qu’on leur rapporte la preuve de la déclaration devant les officiers municipaux, ils auront la prudence de ne pas même s’en enquérir et de bénir le mariage de tous ceux en qui ils ne reconnaîtront aucun empêchement ecclésiastique. Cette légère correction à notre projet de loi paraît tout concilier; mais je dois l’avouer, et l’on peut m’en croire, je ne voyais pas autre chose dans la forme même du premier projet ; il ne m’est pas seulement venu dans resprit, u’en séparant le contrat du sacrement dans la ouble législation ecclésias ique et civile sur le mariage, je pusse êtie dans l’erreur, encore moins, sans doute, dans l’hérésie, comme on a osé me le reprocher, si peu, que je dis à mon collègue, M. Lanjuinais, après avoir arrêté notre [Assemblée nationale.] ARCH1YES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1791.] 182 dernière rédaction, et conclu la question préalable sur l’affaire du sieur Talma, que nous assurions à l’Eglise ses droits spirituels de manière à lui en rendre l’exercice plus libre et plus indépendant que ci-devant, espérant aussi que l’Eglise ou ses ministres, dans le nouvel ordre de leurs fonctions, en useraient de leur côté sans aucun esprit de contrainte et de domination, mais qu’au contraire, se prêtant, et prudemment et charitablement, au vœu général de la nation, pour qui sont faits tous les établissements et civils et religieux, ils accommoderaient à l’avenir leurs rits et leurs usages, tant pour les empêchements et leurs dispenses, que pour le reste, aux formes civiles et politiques que sa nouvelle Constitution l’a mise dans le cas de prescrire sur le mariage en faveur de tous les citoyens de l’Empire français; ce qui doit se faire respectivement d’une manière si clairement déterminée, qu’il n’y ait plus désormais ni doute ni enjambement de droits et de pouvoirs en cette matière. Par là même, on répond à la futile objection que le curé, député de Carcassonne, a faite contre le nouveau dépôt proposé pour les registres des mariages, des naissances et des décès. Il en sera encore, à cet égard, comme des formes et ecclésiastiques et civiles pour le mariage même ; les curés tiendront toujours les mêmes registres pour les bénédictions des mariages, les baptêmes et les sépultures ecclésiastiques. Les fidèles iront toujours à l’église, comme on y a été jusqu’ici pour tous les actes de religion, sans que ie peuple s’aperçoive seulement de la différence que la loi veut mettre désormais dans la forme des preuves pour les naissances et les décès; à l’égard des mariages, il y aura quelque chose de plus sensible à cause de la publication et de la déclaration de mariage devant les officiers municipaux ; mais qu’importe cela aux curés, à leurs fonctions, à la tenue même des registres où ils en déposent la mémoire et les preuves? Ils continueront, je le répète, de tenir les mêmes registres, ils le doivent pour le bon ordre et leur propre devoir dans le gouvernement spirituel de leurs paruisses; mais ce ne sera plus sur ces registres ni sur leurs extraits, que les citoyens auront à établir les preuves de leur état civil, et de tous leurs autres droits temporels et politiques dans la société ; la preuve du baptême n’est pas souvent celle de la naissance ou de son époque précise, non plus que la sépulture ecclésiastique, celle du décès, surtout dans un état où par la nouvelle Constitution, tous les non-catholiques français sont citoyens actifs. D’autre part, on a eu lieu de reconnaître plus d’une fois dans l’ancienne pratique que l’état politique des citoyens ne devait pas être dans une dépendance si absolue des formes de l’Eglise, ou des fonctions de ses ministres. Je ne citerai ici aucun abus en preuve, quoique j’en connaisse plusieurs et de divers genres; mais je me bornerai à dire qu’il est plus régulier et plus convenable que l’état civil des sujets d’un Empire, et ses preuves, ne soient pas à la disposition et dans la dépendance des ecclésiastiques. Or, si jamais il a été permis et juste de secouer ce joug pour un meilleur ordre dans la société, c'est en cette occasion où notre Constitution a fait des municipalités source mère de la souveraineté nationale, le foyer de tous les droits et de toutes les qualités civiles et politiques. Que dans l’état actuel il y ait des municipalités de campagne où cette nouvelle forme de registre ne puisse être établie et exercée avec l’exactitude que demande l’importance de son objet, cela changera avec le nouvel ordre que l’on se propose d’y établir par les réunions que l’intérêt même de ces petites municipalités exige pour leur propre administration, et en attendant on pourrait y pourvoir pour les registres dont il s’agit; mais que les curés ne s’inquiètent de rien, si la perte de leur domination paroissiale, dans celte partie de leurs fonctions, ne cause pas elle seule toute leur peine; on pourvoira à tout, à cet égard, ne fût-ce qu’en continuant de leur faire un devoir détenir leurs propres registres en bonne forme, pour assurer toujours d’autant plus l’état des citoyens, parle contrôle, et sa plus grande preuve par doubles registres. Répondrai-je à la critique maligne qu’on s’est permise contre mes expressions mêmes ? Quand l’esprit est mal disposé, son jugement ne peut être bien juste. J’ai dit dans mon premier rapport « qu’il n’est pas de séduction dangereuse ni au-« trement funeûe à la société quand elle n’a que « le mariage pour terme et pour objet, c’est alors « un bien, et pour le public et pour la personne « même que l’on aurait séduite à si bonne fin ». Cette phrase est précédée d’une autre qui aurait dû prévenir l’abus étrange qu’on en a fait; je parle dans la première, de la séduction qui combat les droits des père et mère, lorsqu'ils s’en servent pour retarder le mariage de leur fille. Il ne s'agit pas là d’une séduction criminelle, et certainement je n’avais pas alors dans mon esprit le succès du vice contre l’innocence, mais la victoire de l’innocence même sur l’injustice des pères et mères, à qui toutes les lois font un devoir étroit de pourvoir à l’éiablissement de leurs filles. Le mot de séduction présente, à la vérité, un mauvais sens dans sa lettre, par la signification la plus commune qu’on lui donne dans l’usage, surtout en cette matière, quoiqu’on l’emploie également à l’égard des filles que leurs propres parents séduisent pour les faire religieuses ou pour les engager autrement au célibat; ce mot présentait aussi par là-même un bon sens relativement à mon objet, il voulait dire autant que persuasion : mais si absolument le mot de séduction ne peut signifier dans tous les lieux, dans tous les cas, que le très mauvais sens que mes censeurs ont affecté de lui donner, je !e désavoue. Enfin, dans la conviction intime où j’étais et où je suis encore, que l’Assemblée nationale n’a fait et ne fera, ni par ses décrets, déjà rendus sur les matières ecclésiastiques, ni par ceux qu’on lui propose de rendre, aucune altération à la foi catholique, j’ai été on ne peut plus étonné rie voir mon rapport affaibli par des ecclésiastiques, qui, les uns par ignorance et de bonne foi, les autres par malice ou par ressentiment, n’ont pas gardé, je ne dis point les règles delà charité, mais les bienséances les plus communes que l’on se doit et que l’on est en droit d’attendre plus particulièrement des ministres des autels. Le sieur Gour-dan, ancien curé d’Auvergne, a été jusqu’à m’accuser, dans sa brochure, d’avoir reçu de l’argent des protestants. Les qualifications ie*s plus odieuses m'ont été prodiguées par lui et par les autres. Cependant, revenu un peu de ma première surprise, et pénétrant dans les causes de cette explosion, j’ai dit : C’est le clergé qui se plaint, qui s’exhale; les évêques, les prêtres sont des hommes comme nous, plus sensibles que nous, parce que dans leur célibat ils n’ont point à par- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [n mai 1791.] 183 tager comme nous leurs affections dans des familles. Or, le clergé était ci-devant corps, ci-devant ordre et premier ordre, ci-devant très puissant aux Augustins, ci-devant opulent, tenancier, seigneur, Monseigneur, grandeur, juge avec officia-lité, bras sécu lier, etc., < te. Et tout cela n’est plus, tout cela a été renvoyé par l’Assemblé nationale au pied de la montagne de dessus laquelle l’état, les devoirs et les fonctions des prêtres ont été tracés en caractères divins, imprescriptibles et ineffaçables. (Fos estis sal terræ. Matth. c. 5.) Il y a loin de ce pays au nôtre, et on les a pressés, pris comme au dépourvu pour faire ce long et pénible voyage. Ils étaient des prélats, et l’on veut qu’ils soient des apôtres. Le passage est certainement heureux, et les bons évêques en seront ravis; mais ce n’est pas en ce moment le plus grand nombre, et il faut pardonner à ceux-ci leur mauvaise humeur et leurs injures; elles ne seront probablement que passagères, et le bien que nous faisons restera. Quoiqu’ils en aient dit, un peuple est toujours compétent pour faire ce bien, et pour le faire lui seul dans l’ordre même de la religion; car la véritable Eglise est dans le corps des fidèles, pour qui ses ministres sont faits, et de qui notre sainte religion ne veut que le salut spirituel, sans rien prétendre, ni sur les biens, ni sur les droits des peuples, encore moins sur leur souveraineté, la même que celle de César ou du peuple Romain, à qui Jésus-Christ lui-même ordonna de la laisser tout entière. Eh 1 qu’il me soit permis de le dire ! Le clergé lui-même aurait dù le prévenir, ce bien ; il devrait au moins y concourir, au lieu de le traverser et de le combattre. Ce n’est pas ici le lieu de faire l’apologie des sages décrets qui l’ont produit : mais, relativement à notre sujet, je finirai par dire que ceux qui les improuvent ou leur insultent, manquent, ou de jugement solide, ou de zèle véritable. D’abord, à l’égard de nos réformes bénéficiales, elles se défendent par elles-mêmes. On crie après nos suppressions; mais c’est sans examiner ni les causes ni les effets, car elles n’opèrent que le bien en faisant cesser les plus grands maux. On a parlé du mariage des prêtres. (Je ne dirai rien du divorce sur lequel je ne puis avoir encore une opinion bien décidée avant les effets de nos principes sur le mariage.) Ici, on s’est bouché les oreilles. Cependant, Saint-Paphnuce, qui avait passé 70 ans dans le célibat et dans le désert, opina pour ce mariage dans le concile de Nicée. Eli depuis! que nous apprend l’histoire, que nous ont appris nos yeux sur le parti contraire? J’avais proposé, dans un premier plan de rapport imprimé, que l’on mît à une plus longue épreuve la continence des clercs, qui est un pur don de Dieu (1), en ne les élevant à la prêtrise qu’à 30 ans, et supprimant le célibat forcé des diacres et des sous-diacres, dont plusieurs ne se feraient plus promouvoir au sacerdoce, s’il leur était libre, après ce premier engagement, d’y renoncer. Peut-être que cela vaudrait mieux que le mariage, ou la continuation du célibat dans un âge et des fonctions qui font redouter aux pères et mères la confession pour leurs filles, aux maris pour leurs femmes, qui doivent la rendre plus redoutable encore aux jeunes confesseurs eux-mêmes. Car enfin il faut s’en expliquer ici contre ceux qui nous accusent d’impiété, lors même (1) Lib. Sap.t e. 8, u® îl. que nous parlons et que nous agissons pour 1 honneur même de la religion, pour les intérêts de l'innocence et de la vraie piété. Qui d’entre nous n’est pas, à cet égard, beaucoup trop instruit? Je dis donc que le premier de ces moyens, la plus longue épreuve que j’ai proposée, et que le clergé lui-même pè-era dans ses prochains synodes, vaudrait peut-être mieux maintenant que les ecclésiastiques sont réduits à leur juste nécessaire, et pour leur traitement, et pour leur travail! C’est une triste vérité qu’il y a d’autant moins de bons prêtres, que leur nombre est plus grand. Les SS. Pères eux-mêmes nous l’ont appris : Multi sacerdotes , pauci sacerdotes , S. Jérôme. Le mauvais exemple est entre eux plus puissant que le bon, et cela est bien plus vrai des prêtres eux-mêmes vis-à-vis du peuple. Le scandale d’un seul fait plus de mal dans le monde, que la bonne conduite de plusieurs n’y fait de bien. Nous voilà donc par là même lavés de tous les reproches qu’on s’est permis contre nous au sujet de nos décrets concernant les religieux. On ne voyait pas les plus saints de ceux-ci dans les sociétés, et la mort civile des antres qui s’y rencontraient quoique, d’ailleurs estimables, les rendaient comme difformes à notre imagination. D’autre part, la contrainte des vœux eu faisait quelquefois des désespérés, et c’était la loi même qui s’opposait à leur liberté, qui en autorisait le sacrifice et la perte à jamais. Or, c’était chez les Romains une maxime, qu’il valait mieux sauver un citoyen que tuer miile ennemis. N’y eût-il donc qu’un seul religieux dans les regrets sans retour et sans remède, après ses vœux solennels, c’était un citoyen égorgé par le glaive même de la loi et de la loi civile, uniquement faite pour défendre et sauver ses droits et sa liberté. Cela s’est fait vivement sentir dans l’Assemblée nationale, où parmi tous les droits des citoyens celui de la liberté qui est inappréciable, libertas res inœstimabilis, de regul, jur ., a fait le principe et la fin de sa Constitution. Ce n’est pas à dire pour cela que cette'Assem-blée, toute autant religieuse qu’elle doit l’être, méconnaisse le prix de la grâce, qu’elle im-prouve ou condamne la perfection des conseils évangéliques, l’exercice enfin de la pénitence et de la piété; mais voulant que tout tourne au profit commun de la société et de la patrie, dans tous les établissements religieux, qui sont tous de leur nature des établissements publics, elle a voulu aussi en bannir la contrainte pour n’y voir cjue des gens de bonne et franche volonté, toujours maîtres d’en sortir avec une liberté qui, en les rendant plus dignes de notre confiance et même de notre estime, peut seule s’allier avec l'esprit et le caractère de notre nouvelle Constitution. C’est ainsi que je réponds à ceux qui auraient désiré une exception pour les monastères� de filles, auxquels on n’a pas à reprocher le même relâchement ou les memes désordres qu’à certains monastères d’hommes. Il y eu avait aussi parmi les derniers de bien dignes de notre vénération. Sans faire injure à aucun, et en en ré-' grettant même un très grand nombre, je citerai de nouveau la Trappe, et l’établissement isolé de Saint-Bruno, dans les montagnes du Dauphiné. L’Assemblée nationale les conservera pour la même destination; je l’espère, ou je le désire, pour le bien de la religion et l’honneur même du monarchisme français autrefois si célèbre, et cela, dans l’idée rassurante de la Jiherté qu’au- 184 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1791. J ront désormais tous ceux qui s’y rendront de leur plein gré, pour en sortir de même. . Il en serait autant pour quelques monastères de filles que Dieu appelle sensiblement à la retraite ou mêit e aux austérités de la pénitence, mais avec la même liberté et tous leurs droits civils que la loi ne permet plus à personne de perdre par la profession religieuse. Eh! à ce sujet, après la distinction que j’avais faite dans mon rapport entre les effets intérieurs et spirituels des vœux émis et à émettre devant Dieu, et les effets extérieurs et civils, mes censeurs auraient bien dû m’épargner sur cet article! Ce n’est pas le premier exemple de monastères et même d’ordres religieux supprimés dans le royaume; et l’on n’osera pas peut-être, à cet égard, contester à la nation un droit que nos rois ont exercé de leur chef, et qu’ils avaient déclaré eux-mêmes avoir essentiellement dans leur puissance (1). Il en sera donc aujourd’hui des religieux, en général, comme il en a été des religieux de ces monastères et ordres particuliers ci-devant supprimés. Le pape sYst toujours prêté à tous ces changements, à toutes les suppressions désirées ou ordonnées par les rois de France, en donnant toutes les huiles et tous les brefs de dispenses et sécularisations nécessaires aux religieux de ces monastères et ordres religieux supprimés. Eh! pourquoi ne s’y prêierait-ü pas sur le vœu, sur la loi même de la nation entière, qui n’a pu procéder autrement que comme elle l’a fait, en se conliant, pour tout ce qui peut intéresser la tranquillité et la liberté de conscience, dans la charité paternelle et la prudence du souverain pontife? La nation en a fait autant en faveur de nos évêques; elle s’est également confiée en leur bienveillance pastorale pour l’exécution de tous les décrets concernant les matières ecclésiastiques ; elle a cru et dû croire qu’animés du véritable esprit de leur état, ne voyant, dansious les décrets acceptés ou sanctionnés par le roi, rien contre la foi, et qued s réformes très sages, ilsse feraient un mérited’obéiràcesloisnouvelles pour en donner l’exemple aux peuples ; elle a pensé que les premiers pasteurs s’oublieraient eux-mêmes, leurs dommages particuliers, pour s’accommoder au vœu général de la nation, ou plutôt à la dévotion louable du corps entier des fidèles, qui fot me proprement lui seul, en France, ce qu’on y appelle l’Eglise gallicane; car c’est pour lui,” et pour lui seul, que sont faits les miuistres (2) ; ils n’ont été envoyés du ciel que (1) Arrêt du conseil d’État du roi du 24 mai 1766. (2) Neque enirn Episcopi propter nos sumus, sed propter eos quibus verbum et sacramentum Dominicutn ministremus. (Saint August. contr. Creseon. I. b. 2. c. I.) C’est sur ce fondement que les canons ont fait un devoir, une obligation étroite aux pasteurs les plus vertueux de quitter leurs diocèses quand ils ont le malheur de n’être pas agréables à leurs peuples : quem mala plebs odit. cap. nisi de renunt. Ce n’est pas ici une nation méchante qui mette les évêques ou les curés mécontents dans le cas et la nécessité de la démission ou de la retraite; mais un peuple religieux qui, comme nous le disons, se trouve nécessité lui-même d’en agir ainsi, pour un meilleur ordre, et dans l’Etat et dans l’-Eglise. Ne serait-ce donc pas bien le temps ou le cas que le clergé abjurât des maximes ou des principes qui n’ont pour eux que la possession comme celle qui était restée au pape, à la suite des fausses décrétales, et que l’Assemblée nationale a sagement rendu vaine par ses decrets du 4 août 1789 ? Si nos évêques sont véritablement Français et bous citoyens, s’ils sont amis de la pour nous, que pour notre salut. Ainsi donc, qu’à l’exemple de Saint-Paul, ils se fassent tout paix et occupés dans leur profession, comme ils doivent l’être, de notre bonheur on l’autre monde, ils doivent aussi, dans le même esprit, se prêter à une Révolution qui nous l’assure en celui-ci; enfin leur unique objet comme leur unique ambition doivent être de régner sur nos âmes par l’attrait irrésistible de cette douce et humble charité qui distingue notre religion de toutes les autres, et sans laquelle toutes les œuvres sont vaines ou peu fructueuses dans l’apostolat. Par cette même charité puissante et agissante, les évêques conservés étendront leur sollicitude pastorale dans les diocèses dont les sièges n’ont pas été compris dans le nombre de ceux que la nation a jugés suffisants pour elle. Personne n’ignore que les évêques se sont toujours prêté mutuellement leurs secours dans l’Eglise. Il ne leur faut, pour cela, qu’un simple agrément de bienséance ou de police par l’évêque dans le diocèse duquel un autre fait des fonctions épiscopales. Dans le cas même de nécessité, cette légère formalité de permission ne s’observe point. Or, cet évêque étranger pourrait-il ainsi faire ses fondions ailleurs que dans son diocèse, avec ou sans permission de l’évêque diocésain, s’il n’avait radicalement et essentiellement ce pouvoir dans le caractère universel et solidaire de son épiscopat, tel que l’a défini saint Cyprien, dans des termes qui n’ont rien d’équivoque et que nos prélats ont bien tort de méconnaître? Hoc erant utique et cœteri apostoli quod fuit et Petrus, pari consortio præditi et honoris et potestatis, sed exordium ab unitate proficiscitur, ut una ecclesia monstretur. C’est aussi ce qui a fait dire et enseigner que l’épiscopat était un ordre général : ordo generalis , et son exercice solidaire et commun entre les évêques : epis-copatus unus est, cujus à sinyulis in sotidum pars te-netur. Je vois moins clair qu’un autre à la théologie, par l’éloignement extrême que j’ai toujours eu de m’en mêler dans ma soumission entière aux enseignements dogmatiques de l’Eglise ; mais je ne puis ne pas reconnaître, dans cette doctrine de saint Cyprien, affirmée et développée par saint Jérôme, ad Evagr. Epist. 85, une égalité, une solidarité de pouvoir entre les évêques, que de simples limites territoriales ne peuvent ni leur ôter, ni leur restreindre, si ce n’est par des règlements de convenance qui, sans déroger à la substance du pouvoir, en règlent l’exercice pour un meilleur ordre, ou dans des vues toutes dépendantes des temps et des lieux ; ainsi, quand la nation française a trouvé bon de réduire les diocèses du royaume au nombre et à l’étendue des 83 départements, elle n’a rien fait qu’elle n’ait pu faire ; et les évêques, qui ne sont, dans le sens le plus vrai de leur caractère, que ses serviteurs, non veni ministrari, sed ministrare, doivent s’y accommoder; c’est alors une nécessité, et une nécessité plus grande que celle d’un cas particulier, où un évêque peut faire ses fonctions dans le diocèse d’un autre. Par cette nouvelle forme des diocèses, la nation n’a nullement touché au titre spirituel des fonctions ecclésiastiques ; les évêques dont les sièges sont devenus inutiles auraient pu, s’ils n’avaient été aussi mal disposés contre la Constitution, offrir encore leurs services, et l’Assemblée nationale n’aurait pas rendu le décret qu’elle a été obligée do rendre, pour empêcher qu’ils ne fassent ce service, dans le sens contraire de ses décrets, et pour les détruire plutôt que pour les exécuter. Au surplus, il est tout probable que le pape approuvera notre constitution civile du clergé, parce que, n’ayant rien de contraire à la foi catholique, elle a tout en faveur de la religion : mais il est très probable aussi que nos évêques ne se tiendront pas pour vaincus par cette approbation, après l’éclat et les défenses publiques cl raisonnées de leur opposition ; ils ont, dans la même égalité, dans la même solidarité de l’épiscopat, le droit de juger, chacun de leur chef, les bulles du pape, qui n’en conserve pas moins sa primauté de droit divin; c’est là une des grandes maximes des libertés de l’Eglise allicane et la disposition formelle de l’article 4 de la éclaration de 1682. Aussi quelques-uns d’entre eux s’en sont-ils déjà ouverts. De sorte qu’en l’état des choses, ou Rome ne parlera pas sans nos évêques, ou elle ne [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1791.] 185 à nous pour nous tous sauver; et qu’au lieu de chicane contre nos décrets par le faux et injuste moyen de l’incompétence, ce qui, dans ce siècle instruit, n’est bon qu’à faire soupçonner un esprit de domination devenu plus odieux aujourd’hui que jamais, que dis-je, au lieu de nous opposer, dans l’imprimé qui vient de paraître, untableau des règlesou des anciens usages, en place du tableau des abus multipliés, qu’on en a faits, ils fassent généreusement le sacrifice de leurs vaines prétentions, à la tranquillité générale et à la paix particulière des consciences. Ce n’est point ici un complot prémédité, c’est une révolution qui, comme un torrent, a soudain tout inondé pour tout laver ; c’est l'éveil terrible du tiers état , qui, sorti d’une longue et dure servitude, craint d’y retomber et s’en défend par tous les moyens, sans néanmoins qu’aucun ne blesse ni la justice, ni la religion; ce qui n’est qu’admirable! Et en effet, dans la première As-emblée nationale, le peuple français a formé comme un peuple nouveau, et il a voulu se constituer. L’a-t-ii pu solidement, heureusement, si ce n’est en se régénérant tout entier, c’est-à-dire en déracinant tous les abus et particulièrement ceux dont l’Eglise elle-même gémissait? Or, l’Assemblée nationale en a agi, à l’égard de ces derniers, avec la plus grande réserve pour tout ce qui était l’objet de notre culte et de notre croyance; elle n’a pas proposé de nouvelle profession de foi, VEcthese d’Heraclius, la condamnation des trois Chapitres, etc.; mais un plan de réforme économique et sage que lui a prescrit sa Constitution ; cçmme elle a.: exigé les formes électives et civiles et eccb siastiques où la nation n’institue ni ne confirme; ce qu’il faut bien remarquer, car tout le reste n’est proprement qu’une présentation de patronage qui remplace la nomination du roi pour les évêchés, et donne encore moins de pouvoir pour les curés, que n’en avaient ci-de-yant.de simples collateurs-laïcs ; de plus, ceux-ci faisaient leur choix pour les autres; tandis que le peuple n’élit des pasteurs que pour son compte, pour le grand intérêt qu’il a à leur gouvernement et à leur mérite. En vérité, je respecterai toujours le zèle de ceux qui craindront pour notre sainte religion, la seule bonne, la seule véritable ; maisjene saurais ne pointen condamner ici l’excès et l’aveuglement. Il n’est pas certainement, selon la science (1), car il est tel que nos adversaires ne veulent point absolument que nous ayons raison sur rien, pas même sur d’autres objets qui rie louchent point à leur profession ; et cela parce que, refusant d’y concourir, nous nous sommes passés d’eux. Il n’y a là ni justice, ni parlera que comme eux, et il est fort à désirer que ce ne soit qu’en faveur de nos décrets ; mais l’Assemblée nationale a très sagement fait de ne pas se mettre, sans nécessité, ni dans i’attente de cette approbation, ni dans la dépendance de ceux qui auraient déjà dû la donner. Par la même conséquence, le comité ecclésiastique, contre lequel on s’est permis tant de déclamations, n’a fait que son devoir en s’occupant de l’exécution des mêmes décrets, dont il a lui-même préparé et fourni les moyens. Ce sera aux évêques et à tous ceux qu’ils entraînent à s’imputer les troubles et les maux que peut causer leur désobéissance à des lois aussi réfléchies, aussi solennelles, à des décrets de l’Assemblée nationale, accueillis avee transport par toute la nation et acceptés ou sanctionnés par le roi. Væ illi per quem venient scandala. (1) Quod enim neque contra fidem catholicam, neque contra bonos mores esse convincitur , indifferenter est habendum , et pro eorum inter quos vivitur societale, servandum. C. Ilia dist. 12, ex. 3. Augustin. discrétion ; et puisque c’est visiblement un parti pris de leur part, il nous reste à en prendre un, celui de laisser mal parler et mal écrire tous ceux qui ne nous empêcheront pas de bien agir et de bien finir, comme nous avons bien avancé notre immortelle Constitution. Au surplus, je ne saurais finir cette cause, sans dire un mot en explication du concile de Trente, qu’on nous oppose sans cesse. Ce concile, assurément très respectable, a fixé notre croyance sur les objets de notre foi, qu’il a décrétés ou a déclarés dogmatiquement; mais ses décrets sur les objets de discipline sont restés soumis à toutes les dispositions de nos propres lois; et par ce mot de discipline, je n’entends pas les rits, ni les cérémonies de l’Eglise, ni même les règlements nouveaux et intérieurs des ecclésiastiques, relativement à leur ministère, à leurs devoirs et à leurs fonctions ; ce qui, quoique très mobile et très susceptible de modifications, selon les temps et les lieux, n’appartient qu’au gouvernement intérieur et spirituel de l’Eglise ; et c’est à quoi aussi l’Assemblée nationale n’a point touché;, elle a sagement renvoyé ces objets aux soins et à la sagesse des synodes (1), qui doivent avoir lieu d’après sa constitution, et où l’on espère que les évêques et les curés, en conservant dans la li-thurgie les points essentiels et communs avec l’église de Rome, centre de l’unité catholique, ils la ramèneront, autant que faire se pourra, à un mode uniforme, dans tous les diocèses français; et voilà la sorte de discipline, dont l’Assemblée nationale a cru ne devoir pas se mêler., Mais, cette discipline extérieure de l’Eglise, qui se trouve nécessairement liée à l’ordre civil, temporel et politique, c’est celle que l’Assemblée nationale a cru et dû croire de sa. compétence, du ressort même de la Constitution, dont elle fait une partie capitale et très conséquente. Nos rois, comme je l’ai dit, en ont dispose eux seuls par leurs ordonnances. Eli I quelle raison pour en accorder moins à la nation qui se constitue? Si certains points, réglés par le concile de Trente, ont été adoptés par les ordonnant s d’Orléans et de Blois, la nation n’est pas plus engagée pour cela à les maintenir; elle peut changer ou révo-querce qui a été ainsi disposé parcesordonnances, comme par toutes les autres; et elle le peut à la manière et sous le rapport de sa Constitution, de sa législation, sans le concours ni du pape, ni des évêques, à qui est toujours réservé l’enseignement doctrinal et le droit de statuer sur les objets purement spirituels et intérieurs de la discipline ecclésiastique. C’est là, Messieurs, une distinction ou une explication devenue nécessaire contre l’objection qu’on nous fait et qu’on nous répète vaguement de notre incompétence, en disant même que la simple discipline ecclésiastique est de la compétence exclusive de l’Église ou de ses ministres; ce qui n’a point de raison et n’aurait aucun terme. L’Assemblée nationale est trop éclairée, et en même temps trop instruite pour ne pas faire cesser ou pour ne pas prévenir, par des bornes fixes et justes, cette honteuse et funeste guerre d’autorités, qui a tant fait gémir nos pères et qui n’aurait jamais dû s’élever entre deux puis-(1) Tout le monde sait que depuis très longtemps les évêques demandaient en vain à nos rois la permission de s assembler en concile. Eb! quoi donc de si déraisonnable, quand l’Assemblée nationale leur refuse un concile, national, sur les dispositions dont ils ne se cachent pas contre ses déçrets et contre elle-même,?. 186 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 mai 1791.] fiances établies de Dieu, chacune selon sa fin, pour le bonheur des hommes. On regrette et on nous oppose l’antiquité de cette Église et de cette autre; mais est-ce de murs ou de mœurs, de la lettre ou de l’esprit, qu’il s’agit dans la loi de grâce ?Ces murs mêmes déposent contre le relâchement qui les a fait abattre ; ils dénoncent eux-mêmes les abus d’une nouveauté, qui seule devait exciter le zèle de nos prélats, et non l’heureuse nouveauté de la Constitution, qui, en réduisant les diocèses et le clergé, ne fait que rétablir l’ancien ordre ; car les anciens canons défendaient de multiplier les évêchés, d’ordonner des prêtres au delà dubesoin. Ce dernier usage s’est même conservé jusqu’au douzième siècle, où commencèrent les ordinations vagues et sans titre, dont M. Fleury a fait l’une des principales causes de la décadence dans les mœurs et dans la discipline de l’Église. Les laïques, dit ce judicieux historien, s’empressaient de se faire clercs, pour jouir des privilèges sans nombre attachés à la cléricature, et les évêques les ordonnaient pour étendre leur juridiction; il en fut bientôt autant et plus des ordres religieux par rapport au pape et à son autorité ; tandis que, sous nos anciens rois, il fallait leur permission pour se faire ecclésiastique; ce qui est ici très remarquable, ainsi que l’origine et l’ancienneté de serment de fidélité que prêtaient ci-devant les évêques à nos monarques ; ces deux choses très constantes servent à prouver que l’Assemblée nationale n’a rien fait qu’elle n’ait pu et dû faire pour s’assurer que désormais le gouvernement ne trouvera, dans les ecclésiastiques, que de bons citoyens, et les peuples que de bons pasteurs: talis pastor, talispopulus( 1). DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MARDI 17 MAI 1791, AU SOIR. Rapport (2) sur l'affaire du sieur Talma, comédien français , par M. Durand -Nflaillane (3). — (Imprimé par ordre del’Assemblée nationale.) Messieurs, après ce que nous venons d’exposer dans le précédent rapport, sur les empêchements et les dispenses de mariage, les comédiens, que l’Assemblée nationale a déclaré citoyens actifs, pourraient se borner à la forme civile de leur mariage; mais s’ils veulent le revêtir de la bénédiction ecclésiastique qui en fait un sacrement, c’est alors une question qui serait bientôt décidée, si on ne la jugeait que par la règle générale éta-(1) Tout ceci, qui est un peu étranger au mariage, ne l’est pas dans ce moment à la défense de l’Assemblée nationale et de ses comités, qu’on calomnie plus encore que les décrets qu’ils font rendre ; en sorte qu’en répondant à des censures, nous avons moins à réfuter les mauvaises critiques que le mauvais esprit de ceux qui les font. (2) Nota. Ce rapport a une liaison si intime avec le rapport sur les empêchements et dispenses de mariage, qu’on ne doit pas le séparer dans l’impression, encore moins les lire séparément, parce que la conclusion sur le rapport de l’affaire du sieur Talma est entièrement fondée sur les principes établis et développés dans le précédent. (Note du rapporteur). (3) Ce document n’est pas publié au Moniteur. blie et reçue en France; savoir que nulle censure spirituelle ne peut extérieurement frapper un citoyen, quand elle n’est pas prononcée contre lui par un jugement dans les formes requises, et c’est ce qui ne saurait être opposé au sieur Talma, dont la réclamation a été portée à l’Assemblée nationale, et renvoyée par elle à ses deux comités réunis de Constitution et ecclésiastique, pour lui en faire le rapport. Le curé de Saint-Sulpice, qui a refusé de publier les bans du mariage du sieur Talma, se fonde, sans doute, sur les défenses portées par les lois de l’Eglise, d’admettre à la participation des sacrements ceux qui professent en général l’état de comédiens : il se fonde sur ce que le jugement particulier de chacun d’eux se trouve déjà prononcé par une loi commune àtous ceux qui se trouvent dans l’état qu’elle a désigné et prévu, c’est-à-dire qui exercent une profession dénommée dans la loi, où sont exclus de la participation aux sacrements, tous ceux qui l’exercent, ce qui, ajoutera-t-il, s’est toujours pratiqué et observé dans l’Eglise. Il faut convenir que, par une suite de la même distinction entre le contrat civil de mariage et la bénédiction ecclésiastique qui en fait un sacrement, la puissance spirituelle qu’on a admise dans l’Etat, et qu’on n’a pu admettre qu’avec l’indépendance de son exercice dans l’objet principal et divin de son institution, cette puissance doit être aussi libre dans la dispensation des sacrements pour le bien particulier et spirituel des fidèles, que la puissance temporelle dans les effets civils du contrat de mariage, pour le bien général et particulier des citoyens : sous ce double rapport, le curé de Saint-Sulpice n’aurait fait qu’user de son droit, n’aurait même fait que son devoir en refusant ae bénir le mariage du sieur Talma, comme comédien. Si celui-ci est citoyen actif, si son état est autorisé par la loi civile; par la protection et les faveurs mêmes du souverain, tout cela n’est que civil, et ne saurait lui donner l’aptitude qu’il n’a pas pour les sacrements de l’Eglise, dont ses ministressont les gardiens, et doivent être les dispensateurs fidèles. Sur ces principes les plus simples, et les seuls que l’on puisse mettre en avant pour ne pas s’engager dans une discussion théologique, la question du sieur Talma se réduit à ce seul point : s’il faut que la censure par laquelle le curé de Saint-Sulpice veut l’exclure de la participation aux sacrements, ait été prononcée contre lui par un jugement particulier; ou bien s’il suffit que, par sa profession, il se trouve évidemment dans le cas général de prohibition prévu et exprimé par la loi. Cette question de forme a besoin de quelques réflexions sur le fond. C’est bien une vérité de fait, et assez convenue, que les comédiens sur qui l’Eglise a fait tomber en général ses censures, et qu’elle n’a plus révoquées, ne sont pas ceux de notre Théâtre-Français ; ces derniers ne sont pas ces histrions, ces farceurs que les conciles d’Arles et d’Elvire, et d’autres après eux, ont excommuniés : car ceux-là ne donnaient sur leur théâtre que des scènes très funestes aux bonnes mœurs, et peut-être à la religion; tandis que sur notre Théâtre-Français, ce n’est, depuis longtemps, que, ou le triomphé de la vertu, ou le malheur des passions, ou enfin la honte ou la peine du ridicule; ce qui fait comme l’école du monde, où l’on va s’instruire agréablement, et rire quelquefois de soi sous l’image d’un autre. •