g|0 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 novembre 1790.] La pensée qui m’occupe en les quittant, n’est ni moins grave ni moins imposante : non, quelque sentiment qu’on ait de son zèle, on n’est pas maître de s’acquitter envers sa patrie quand elle a fait autant pour vous. Obtenir l’honneurd’un tel choix, c’est contracter l’engagement de dévouer sa vie entière à le justifier-, et malheur à celui qui n’emporterait pas dans son cœur, avec le souvenir d’une époque aussi glorieuse, l’orgueil civique qui doit conserver la pureté de son zèle et élever ses pensées au-dessus de tous les calculs et de toutes les ambitions! » M. Chasset prend ensuite le fauteuil et parle en ces termes : « Messieurs, vous m’avez élevé à la plus belle dignité de l’Empire; je suis infiniment sensible à cette marque de bienveillance : cependant je ne me dissimule pas l’étendue des devoirs que vous m’avez imposés. S’il ne fallait que du zèle, del’ac-tivité et du travail, je pourrais me flatter d’atteindre le but marqué au bout de ma carrière; mais je n’ignore pas qu’il faut encore des talents au-dessus des miens, pour être l’organe de cette auguste Assemblée. L’honorable représentant dont je prends la place, l’a remplie de manière à ne pas me laisser l’espérance de l’imiter. U nous a prouvé que, avec les grâces de la jeunesse et la sagesse de l’âge mûr, il était dans cet emploi aussi supérieur qu’à la tribune. Ce serait une témérité d’oser lui succéder, si, dans un tableau, les ombres n’avaient pas toujours un mérite. Cette idée me rassure donc; je marcherai même avec une pleine sécurité, persuadé que vous aurez de l’indulgence pour votre ouvrage et que vous m’accorderez tout votre appui. » (L’Assemblée vote des remerciements à M. Bar-nave.) Quelques membres demandent la parole sur la lettre du sieur Guignard; d’autres veulent que la discussion soit remise à deux heures. L’Assemblée passe à l’ordre du jour. M. le Président annonce qu’avant l’ordre du jour, on demande, au nom de quelques comités, à faire quelques observations à l’Assemblée. M. Eanjufnaîs s'y opDose et demande que, dorénavant, on ne puisse s’écarter de l’ordre qui a été prescrit et annoncé la veille. L’Assemblée, décrète de nouveau, qu’on passera immédiatement à l’ordre du jour. M. le Président. Le comité des domaines a la parole pour un rapport sur la léqislation domaniale (1). M. Enjubault de Ea Roche,1 rapporteur. Messieurs, c’est un principe de droit public qui ne peut plus être contesté, que ces immenses et riches possessions, dont nos rous disposaient comme de leurs domaines et dont ils n’étaient que les administrateurs, ont de tout temps formé le véritable patrimoine de la nation ; mais ce principe lumineux et simple a longtemps été méconnu : de là toutes les variations, ies incertitudes, les contradictions mêmes que j résenient nos lois et notre histoire sur cette matière importante. Votre comité des domaines, pour simplifier son travail et assurer sa marche, a consacré ses premiers travaux à réu-(1) Le rapport de M. Enjubault de La Roche est incomplet au Moniteur. ni r, sous le même point de vue, les principes élémentaires de cette partie essentielle de notre législation. Dès l’année dernière, il vous en présenta l’aperçu dans uu premier rapport, qui fut bientôt suivi d’un projet de décret que des circonstances particulières l’ont empêché jusqu’ici de soumettre à votre délibération. Depuis ce temps, vous avez décrété successivement et d’une manière isolée plusieurs articles essentiels détachés de ce premier projet; de ce nombre sont ceux qui consacrent les grands principes de la réunion domaniale; ceux qui soumettent à des règles fixes l’aliénabilité des biens nationaux; ceux enfin qui déterminent la nature des apanages. Votre comité n’a cependant pas cru devoir les retrancher de la nouvelle rédaction qu’il vous propose, et que divers changements ont rendus nécessaires ; il se flatte que vous ne désapprouverez pas les motifs qui l’ont déterminé à les y conserver. Il est, dans toutes les parties de la législation, des principes généraux, des maximes fondamentales d’où découlent, comme autant de conséquences plus ou moins directes, toutes les lois dont les dispositions descendent aux détails. Ces principes et leurs corollaires forment un ensemble dont toutes les parties liées les unes aux autres n�ont de force que par leur enchaînement. Vos occupations, toujours trop urgentes, vous ont souvent forcés de rompre cette série, de couper votre travail, de prendre et de quitter successivement la même matière pour la reprendre ensuite, et la quitter encore souvent à de grands intervalles. Par cette forme de procéder, vos lois se trouvent éparses et partiellement isolées dans le grand code universel, dont l’Assemblée nationale va donner le premier exemple. Cette espèce d’incohérence physique, causée par des circonstances impérieuses, sera corrigée. Un ordre plus méthodique, dont plusieurs comités ont déjà essayé de se rapprocher, achèvera de perfectionner votre ouvrage. C’est à ce but désirable que vos commissaires ont désiré d’atteind re ; c’est pour y parvenir plus promptement que l’Assemblée nationale vient d’établir un comité central. Au reste, la simple lecture d’un article déjà décrété ne prendra rien sur vos moments, puisqu’il ne sera pas permis de le discuter de nouveau. Ce rapprochement pourra accélérer le travail, en faisant apercevoir des rapports nécessaires entre ies dispositions déjà érigées en loi, et celles qui nous seront présentées de nouveau. En proposant des lois sur le domaine, voire comité a cru devoir commencer par le définir. Comme cette expression a une grande latitude, et qu’elle se trouve employée par les auteurs, et même dans le texte des lois, sous des acceptions différentes, il n’a pu se dispenser de déterminer la nature de l’objet dont il voulait fixer les principes. Un autre motif encore lui a fait regarder cette précaution comme nécessaire. L’ordonnance de 1566 et celle de 1667 ont défini le domaine celui qui est expressément consacré , uni et incorporé à la couronne , ou qui a été régi et administré pendant dix ans par les receveurs et officiers du domaine , et est entré en ligne de compte. Gette définition ne nous a pas paru présenter toute la clarté et la précision désirables. Elle pourrait même donner lieu à quelques conséquences dangereuses, ea ce qu’elle sembleexiger uaeunion et une incorporation expresse, ou bien une jouissance confuse pendant un laps de temps déterminé, tandis que dans la pureté des maximes cette union s’opère de plein droit, et à l’instant même, sans terme ni délai. Votre comité a cru devoir prévenir les abus [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [8 novembre 1790.] des mots par une définition plus simple et plus exacte. Vous verrez, Messieurs, que ce n’est que du domaine proprement dit, des terres et droits réels que votre comité a eu dessein de s’occuper jusqu’ici, soit que ces terres et ces droits soient dans la main de la nation, soit qu’ils y soient seulement réversibles. Les autres branches de l’administration domaniale, dans sa consistance actuelle, lui ont sembléd’une nature absolument différente ; la plupart sont de véritables impôts indirects qui doivent entrer dans le plan général des finances, et dont, en effet, le comité des impositions s’est déjà emparé, sans avoir éprouvé, de notre part, aucune réclamation. Les articles suivants assurent et déterminent les droits de la couronne; ou, pour s’exprimer plus exactement, les droits de la nation sur toutes les parties de son territoire qui n’appartiennent à ersonne, soit parce' qu’elles ne sont pas suscepti-ies d’une propriété privée, ou bien parce qu’elles se trouvent actuellement sans maître. Votre comité vous doit compte des motifs qui l’ont déterminé dans la rédaction de ces articles. Il a considéré, d’après les publicistes, tels que Grotius (l),LeBret, Chopin, etc., que toute nation a le souverain domaine de l’universalité du territoire qu’elle occupe. Ce domaine éminent, qui ne diffère de la puissance publique, que comme la cause diffère de son effet, lui assure la propriété directe de toutes les portions de ce territoire, qui, parleur nature ou leur distination, ne peuvent appartenir à personne en particulier, et de celles encore qui demeurent vacantes et sans maître. Les grands chemins, les fleuves, les rivages de la mer, etc., sont delà première classe: les biens vacants et les successions délaissées faute d’hoirs, sont compris dans la seconde. L’effet naturel de la propriété publique sur tous ces objets, est d’attirer et de confondre eu elle-même la propriété privée. Notre code législatif a adopté ces maximes. L’ordonnance de 1669 déclare le roi propriétaire des fleuves et des rivières navigables; celle de la marine, de 1681, et l’édit de 1710, lui adjugent les rivages et relais de la nier; et, avant vos décrets, iesimple haut-justicier jouissait de plusieurs prérogatives de même nature dans l’étendue de sa haute justice, parce qu’il était dépositaire d’une portion de la puissance publique sur ce territoire. Il exerçait, à ce titre, des droits de propriété sur les chemins publics, les petites rivières et les terres vaines et vagues; c’était par la même raison qu’il avait le droit d’épaves réelles et mobilières. A la vérité, Loyseau et quelques autres jurisconsultes ont prétendu que les grands chemins, les fleuves, les lieux inaccessibles n’étaient pas susceptibles d’une véritable propriété; mais l’objection dégénère évidemment dans une dispute de mots, puisque ceux-ci conviennent avec ies autres que les fruits que ces choses produisent appartiennent à la nation, et qu’elle exerce incontes; tablementsur elles ies droits de souveraineté qui dérivent de la suprématie territoriale; et tel est l’avis du savant éditeur du Traité des Domaines, de Le Fèvre de La Planche. On a objecté qu’en plaçant les fleuves et les rivières dans la classe des objets domaniaux, il en pourrait résulter des prétentions contraires aux droits et aux intérêts des propriétaires riverains. Je réponds, au nom du comité, que ces objets sont domaniaux par leur nature, et en vertu des lois sous l’empire desquelles nous avons vécu jusqu’ici. L’article qu’il vous propose, Messieurs, n’est fl) De Jure beîli et pacis, lib. II, cap. 2. 317 point introductif d’un droit nouveau, et ces objets appartiendraient à la nation, quand le décret garderait à cet égard un silence absolu. 11 ne peut donc y avoir d’inconvénient à énoncer une vérité qui existe par elle-même. La prudence au contraire exige de commencer par la reconnaître etde prendre des précautions pour empêcher qu’on n’en abuse. Ainsi, en déclarant que les fleuves et les .rivières appartiennent à la nation, on peut en excepter, par une disposition formelle, les allu-vions, les atterrissements, les îles mêmes, si on le juge convenable, et en général tous les objets sur lesquels il serait injuste ou dangereux que le domaine formât des prétentions. On peut également réserver aux communautés les droits d’usage dont elles sont en possession sur les biens appelés communaux, dont elles n’ont pas la propriété. Un article particulier a pour objet les murs et les fortifications des villes. Votre comité ne craint pas d’avouer qu’à cet égard il s’est un peu écarté des idées généralement reçues. Les lois romaines mettaient les murs et les fossés des villes au nombre des choses publiques, qui n’appartiennent à personne, et sur lesquelles les particuliers ne peuvent exercer aucun droit de propriété. Elles les appelaient des choses saintes , non dans le sens que nous donnons à ce mot, mais parce qu’il y avait une peine capitale contre ceux qui osaient former sur elles quelque entreprise, et que la partie des lois qui statue des peines, s’appelait sanction : Sanctœ vocabantur à sanctione pcenæ. La législation française présente sur cet objet des principes un peu différents. Elle considère les murs et fossés comme des choses publiques : mais elle les suppose susceptibles de propriété, et c’est au roi qu’elle l’attribue d’une manière exclusive. L’édit du mois de décembre 1681 décide cette question de la manière la plus positive. Il porte qu’il ne peut être contesté que les places des remparts, murs et fossés appartiennent au roi sans que qui que ce soit y puisse prétendre aucun droit de propriété, seigneurie directe, ni aucuns droits seigneuriaux. La déclaration du 20 février 1696 rappelle et confirme les mêmes principes, et celle du 27 septembre 1707 assujettit les concessionnaires des murs et fossés aux mêmes obligations que ies autres détenteurs des biens domaniaux, et notamment à l’enregistrement prescrit par l’édit d’octobre 1706. De ces différentes lois il résulte d’abord que, sous l’ancien régime, les fortifications des villes et leurs emplacements étaient considérés comme des biens domaniaux; 2° qu’au moyen de l’imprescriptibilité dont jouissait le domaine, aucune possession, même immémoriale, ne pouvait en faire acquérir la propriété. Il nous reste à examiner si ces anciens règlements sont conformes à l’équité; car le Corps législatif peut et doit les réformer s’ils s’en écartent. Dans l’état actuel des choses, le monarque aurait seul le droit d’ordonner de nouvelles fortifications. Un particulier serait coupable s’il se permettait d’en construire de son autorité privée. Le terrain sur lequel ces nouvelles fortifications seraient élevées par une autorité légitime, deviendrait, par cela même, une portion du domaine national; mais cette unité de pouvoirs n’a pas toujours subsisté. Les seigneurs et les villes, après avoir obtenu le droit de commune, ont longtemps joui du fatal privilège de se faire la guerre; ils osaient même souvent la déclarer au chef suprême de la monarchie, et alors iis construisaient à leurs frais, et sur leurs propres terrains, les fortifica- glfe jAgsèélfiiée ARCHIVÉS PÀftjÆMENÎAlRBS. [8 novembre 1*790.) tionà Qu’ils jüge&ieht tlëèessâifes à lôüfé projets hostiles. De là cette multitude d’anciennes forteresses dont la France a été longtemps hérissée; et les châteaux des anciens seigneurs, monuments terribles de la tyrannie féodale, ont néanmoins souvent protégé les habitants du territoire contre lés incursions de ledrs voisins. Un grand nombre de villes, devehues depuis très florissantes, leur doivent leur origine et une partie de leur accroissement. Le gouvernement monarchique a enfin prévalu sur le régime féodal. Les seigneurs ont été désarmés. Les villes, malgré leurs privilèges, se sont livrées aüx manufactures et aux arts; elles ont perdu le droit et l’envie de quitter ces occupations utiles pour aller attaquer leurs voisins. Dès lors, leurs Fortifications sont devenues sans usage. Presque partout les communautés les ont détruites pour s’agrandir, se décorer ou pour se procurer un air plus salubre: mais il est difticile de penser qüe cet heureux changement leur en ait fait perdre la propriété, et qu’il l’ait fait passer de plein droit dans les mains du souverain. 11 n’a point la présomption en sa faveur, puisque la plupart de ces constructions remontent bien plus haut que l’époque de la réunion de ces villes (t) à la couronne. 11 ne les a point acquises à l’instant de cette réunion, puisqu’une partie de ces fortifications étaient déjà inutile et tombée en ruine; qu’il a laissé aüx anciens possesseurs le soin dé les faire réparer, et que les règlements qui les lui adjugent sont d’une date très récente. Les édits qu’on vient de citer doivent donc être relégués dâUs la classe des lois purement bursa-les, dictées par la cupidité financière, ou par la rapacité ministérielle : aussi, dans la plupart des villes, elles sont demeurées sans exécution ; le fisc n’a point joui, n’a point réparé, n’a point concédé, et plusieurs arrêts des cours ont proscrit ces prétentions nouvelles. Nous connaissons înême des aveux de grands fiefs à la couronne, où les fortifications sont employées sans que cet emploi ait été soumis au blâme. D’après ces réflexions, le comité a pensé qüe tout ce qu’on peut accorder au domaine est de le présumer propriétaire, lorsqu’on ne peut lui opposer ni titre valable, ni possession suffisante. La loi fondamentale, qui unit irrévocablement et de plein droit au domaine public les propriétés particulières du chef de la nation, ne peut plus être méconnue, depuis que Henri IV, après l’avoir longtemps Combattue, a fini par la consacrer de la manière la plus expresse. Nous ne pouvons nous empêcher de répéter ici que c’est à cette loi conservatrice que la monarchie française doit son intégrité; sans elle, ce beau royaume aurait successivement perdu ses plus riches provinces. Nous nous contenterons d’ajouter qu’aussitôt que la propagation des lumières en a fait apercevoir les principes, la nation et le monarque s’y sont attachés comme à des vérités éternelles dont l’ignorance des peuples n’avait pu affaiblir l’énergie ni altérer la pureté. On abjura, comme autant (1) 11 n’est pas de ville dans le royaume qui semble plus fondée à revendiquer la propriété de ses fortifications, que fcelle de Montpellier. Ses députés citent une Suite de titres qui remontent jusqu’au douzième siècle, par lesquels ils prétendent justifier que ses anciens seigneurs avaient laissé à cette importante cité le soin de construire, d’entretenir et de défendre ses murs. Les rois de France ont, disent-ils, suivi cet exemple ; et la première entreprise de l’administration des domaines, sur cette antique propriété, paraît n’être que de l’année 1764. d'erreurs* tout ce que la tradition pouvait opposer de contraire; et l’édit de 1607, en la Sanctionnant, ne s’exprima pas comme établissant une loi nouvelle: il la présenta comme une vérité préexistante* et il lui attribua expressément un effet rétroactif. Nous n’abuserons point des instants que voüs voulez bien nous accorder; pour vous prouver* par les faits, que nos pères obéissaient à cette maxime fondamentale, longtemps avant qu’elle fût érigée en loi, et aux époques mêmes où ils semblaient s’en écarter davantage. Votre comité, plein de respect pour le grand principe de l’Union domaniale, n’a cependant cru devoir le consacrer qu’avec une exception que la rigueur de la loi semble réprouver ; mais il a cédé à l’empire des circonstances. 11 a pensé que si un monarque, dispensateur absolu des deniers publics, était dans l’impossibilité d’acquérir pour lui-même, l’admission dé la liste civile pouvait aujourd’hui faire fléchir le principe, et suspendre momentanément l’effet de la réunion. Il a même cru qu’un monarque écouome pourrait user de cette faculté à l’avantage de ses puînés que la loi prive aujourd’hui de toute possession foncière. En vous rendant compte, Messieurs, de ce que nous avons fait, il nous reste à nous disculper des omissions qui pourraient nous être reprochées. Les îles et les îlots qui se forment dans les grands fleuves peuvent être regardés comme des dépendances du domaine national, puisqu’il est naturel de penser que la propriéié de ces objets, dont l’existence est souvent accidentelle et variable, doit suivre le sort du sol sur lequel ils reposent, à moins que des titres valables ou une possession suffisante ne détruisent cette présomption légale. L’édit du mois d’août 1717 classe même expressément les îles au nombre des petits domaines : ce qui indique que malgré la rigueur des lois domaniales, elles pouvaient être valablement concédées par bail à cens ou à rente ; mais nous sommes instruits qu’un autre comité a pris cette matière en considération, et qu’il s’en occupe sérieusement. Nous l’abandonnonsavec con-fiauce à sa prudence et à ses lumières. Nous n’avons pas cru devoir nous occuper aussi du droit exercé sur les mines. Plusieurs publicistes ont pensé que les métaux que la nature a cachés dans les entrailles de la terre, n’appartenaient à personne, et qu’à ce titre le domaine avait droit d’en réclamer la propriété. Nous avons approfondi cette question, et votre comité a reconnu que les rois de France ne s’étaient jamais regardés comme propriétaires des mines. Le droit de dixième qu’ils ont fait percevoir sur les substances métalliques est plutôt le prix de la protection qu’ils ont accordée pour en favoriser l’extraction, qu’une part dans la propriété qu’ils aient voulu se réserver. L’ordonnance de Charles IX, du mois de mai 1563, en déclarant que le dixième des mines appartient au roi, ordonne que les propriétaires et autres prétendants-droit seront contraints au payement. Ces expressions annoncent un dépôt, et excluent toute idée de domanialité. Le second paragraphe du décret que nous avons l'honneur de vous proposer a pour objet de déterminer comment et à quelles conditions le domaine de la couronne peut être aliéné. Les monarques français se sont regardés pendant longtemps comme les vrais propriétaires du domaine public, dont ils n’étaient que les administrateurs. C’est à cette erreur vraiment funeste qu’il faut attribuer les concessions multipliées, les prodigalités ruineuses dont les deux premières dyaas- (Assemblée nationale.] ARGHiVËSflPARLEMEiYTÀlRES* (8 ÉfctMftbM im) Mâ tiea furent les victimes. Les Capétiens profitèrent de cette malheureuse expérience, et s’appliquèrent à conserver et à étendre leurs propriétés foncières, qui, dans ces temps reculés, faisaient toute la force de l’Etat. Dans le quatorzième siècle, ils rendirent plusieurs ordonnances pour s’interdire à eux-mêmes la faculté d’aliéner, dont ils abusaient souvent encore; et la nation française, souvent extrême dans ses opinions, alla jusqu’à croire que le domaine public, attaché à Ja couronne par un lien indissoluble, n’avait jamais pu en être distrait ni versé dans le commerce : de là cette idée assez généralement admise d’un tidéi-commis légal, perpétuel, masculin* qui détère le domaine de la couronne d’aîné en aîné, de mâle en mâle, sans que rien puisse s’opposer à cette transmission; de là l’inaliénabilité absolue du domaine, et son impartialité méconnue pendant plusieurs siècles, et enfin élevée, a-t-on dit, par la force des principes, au rang d'une des maximes fondamentales de l’Etat. Telles sont les expressions de la plupart de nos publicistes, et elles se retrouvent dans des ouvrages d’une date très moderne, et d’ailleurs infiniment estimables. (V. la préf. à la nouv. édit, du Traité du domaine , de Le Fèvre de La Planche). Hâtons-nous , Messieurs, de renfermer dans leur véritable sens ces expressions visiblement exagérées, et de prévenir les erreurs dont elles pourraient être la source. Le domaine de la couronne a été jusqu’ici vraiment inaliénable en ce sens, que nos rois n’ont pu disposer de ce dont ils n’ont que la simple administration : mais la nation, réunie par ses représentants, a la propriété pleine et entière du domaine public. Cette propriété serait imparfaite, si elle ne pouvait la transférer quand les besoins de l’Etat l’exigent ; il en résulterait même qu’elle ne pourrait l’affecter à la dette publique, ce qui serait absurde. Concluons de ces observations, que les lois qui ont prononcé l’inaliénabilité du domaine (1), l’ordonnance même de 1579, rendue sur les doléances des Etats de Blois, sont ici sans application, et que la nation, dont le droit de propriété est plus parfait que celui des individus qui la composent, peut, comme eux, disposer de son patrimoine, et en appliquer le prix à ses besoins. Vous avez déjà, Messieurs, consacré le principe par différents décrets ; mais la loi générale que nous vous proposons serait incomplète, si cette maxime importante et fondamentale ne s’y trouvait pas expressément établie. Quoiqu’en général les domaines et les droits réels qui en dépendent puissent être aliénés par la nation, et qu’elle jouisse à cet égard d’une autorité à laquelle elle seule peut mettre des bornes, il est cependant un domaine sacré, inaliénable, imprescriptible, dont elle ne peut jamais se dépouiller. C’est, pour me servir de i’ex pression d’un auteur connu, tout ce qui est compris dans l’idée de la couronne, comme étant attaché à cette idée par la raison même; ce sont les droits régaliens qui émanent directement de la souveraineté, et notamment ceux qui participent de la nature de l’impôt. En parcourant les aliénations faites sous les règnes précédents, votre comité a vu avec surprise, disons mieux, avec scandale, que ces droits n’avaient pas été (1) Les Etats de Tours, en 1474, demandèrent la réunion du domaine, et représentèrent que ce domaine ne devait pas être aliéné. Déclaration conforme à, Montargis, le 27 décembre de la même année. plus respectés qüe les domaines corporels eux-mêmes; que plusieurs avaient été cédés à titre d’engagement ou même de concession gratuite; et que de simples particuliers exerçaient sur leurs concitoyens des droits qui cessent d’être légitimes dès qu’ils sont passés dans mains privées. Votre comité vous propose de déclarer toutes ces concessions radicalement nulles; de faire défenses à tous ceux qui les ont obtenues, de s’en prévaloir à l’avenir et d’en continuer la perception; et, comme plusieurs concessionnaires ont déjà rétrocédé ces droits à des conditions onéreuses, il a demandé la révocation des sacrifices qu’ils avaient extorqués pour se faire payer chèrement l’ahaddon de ce qui ne leur avait jamais appartenu. Les maximes rassemblées sous ce paragraphe ne sont que dés conséquences du grand principe qui assure à la nation la propriété des biens domaniaux. Toute aliénation à laquelle elle n’a pas participé est nulle ou révocable, et le laps de temps ne peut suppléer au vice du titre, parce qu’on ne prescrit point contre le droit public. Plusieurs questions intéressantes ont cependant été agitées dans votre comité. On a d’abord examiné s’il convenait d’annuler, par un décret général, toutes les aliénations irrégulières, ou bien de décréter simplement le principe, pour l’appliquer, selon les circonstances, aux différentes espèces qui se présenteraient. Votre comité* Messieurs, s’est déterminé pour ce dernier parti, parce qu’il est le moins rigoureux, et qu’une révocation générale aurait jeté un grand trouble dans la société, en faisant naître tout à coup une foüle de prétentions et d’actions récursoires, capables de renverser, d’ébranler du moins les fortunes les mieux assurées. Il a reconnu d’ailleurs qu’au nombre de ces aliénations irrégulières, il eu est quelques-unes qu’il serait très désavantageux d’annuler, surtout depuis l’abolition totale du système féodal ; il a considéré qu’en révoquant tous les engagements par une disposition générale, l’État se trouverait tout d'un coup débiteur de toutes les finances qu’il a reçues, ce qui accroîtrait énormément la dette publique. Enfin, il s’est assuré, par un examen approfondi, qu’il existe des échanges dont les formes ne sont pas remplies, et qu’il serait très impolitique d’annuler. Une autre question a été de savoir à quel terme il conviendrait d’arrêter ces recherches. En jetant les yeux sur l’origine de la monarchie, on reconnaît qu’une très grande partie des propriétés privées ont été successivement démembrées delà propriété publique; c’est à ces démembrements graduels que se rapporte l’origine des fiefs. Sous les rois de la troisième race, ces distractions du domaine public sont devenues moins fréquentes, mais elles n’étaient encore que trop multipliées : notre histoire et nos lois en fournissent ia preuve. Ge n’est qu’en 1566, ou,> tout au plus tôt, en 1539, que le domaine de la couronne a été déclaré vraiment inaliénable. Si donc l’Assemblée nationale ne déterminait pas Une époque au delà de laquelle il ne fût pas permis de remonter, toutes les propriétés particulières seraient ébranlées, et nous nous éloignerions du vrai but de tout bon gouvernement, qui doit être de maintenir les propriétés. Par ces considérations, nous avons cru que l’édit de 1566, connu sous le nom. de V ordonnance des domaines , était, dans la plus grande rigueur , ce terme fatal qu’il ne nous était pas permis de franchir ; et nous vous avons proposé d’en faire une loi; Nous ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (8 novembre 1790.J 320 (Assemblée nationale.] en ayons excepté néanmoins encore les aliénations antérieures faites avec clause de retour, parce que nous n’avons pas cru qu’aucun détenteur pût jamais prescrire contre son propre titre. Nous avons été plus indulgents pour les échanges faits et consommés, sans lésion ni fraude, avant la convocation de l’Assemblée nationale. Nous nous réservons de vous en indiquer les motifs, lorsque nous serons parvenus au paragraphe qui le concerne. Un article du projet que nous avons l’honneur de vous présenter écarte les exceptions et les fins de non-recevoir, qui pourraient se tirer du laps de temps et de l’autorité de la chose jugée. Les dispositions de cet article pourront paraître bien rigoureuses et même un peu fiscales. Pour les justifier, votre comité ne se bornera point à vous mettre sous les yeux les anciennes ordonnances dont il ne fait que rappeler les dispositions ; il ne vous citera point l’autorité imposante du chancelier d’Aguesseau, qui, dans toutes les questions domaniales qu’il a discutées, étant procureur général, s’est constamment attaché aux mêmes principes : nous irons plus loin, et nous tâcherons de prouver que cet article est conforme aux règles essentielles de la justice et de la raison. Il établit d’abord que le laps de temps ne peut couvrir te vice des aliénations où Us formes légales n’auront pas été observées. Cette règle a toujours été suivie dans h s tribunaux, lorsqu’il s’est agi de biens dont l’aliénation était assujettie à certaines formalités, tels que ceux des mineurs et de l'ancien clergé. Tout le monde connaît cette règle triviale, qui dit qu’il vaut mieux ne point avoir de titre que d’avoir un titre vicieux ; elle est fondée sur ce qu’un titre vicieux exclut la bonne foi et que, sans elle, il ne peut y avoir de prescription juste. L’article décide, en second lieu, que le vice de ces aliénations pourra être opposé, malgré les arrêts et jugements en dernier ressort que le détenteur pourrait avoir obtenus. Cette disposition est encore conforme aux règles de la jurisprudence et à celle de l’équité : c’est ce qu’il nous est facile de prouver. Un arrêt est sans force, s’il n’a pas été rendu avec un contradicteur légitime ; et il ne peut être opposé à celui qui y a le principal intérêt, s’il n’y a pas été partie ou dûment appelé. Or, tous les arrêts rendus jusqu’ici en matière domaniale sont infectés de ce vice. Le nation, qui ne s’assemblait pas, qui n’était pas représentée, ne pouvait y défendre ; elle était toujours condamnée sans être entendue. Ceux qui veillaient à ses intérêts n’étaient nullement ses délégués ; c’était par le roi qu’ils étaient choisis ; c’était te roi seul qu’ils représentaient. Le vrai propriétaire était donc évincé sans avoir été défendu et sans avoir été mis à portée de se défendre. Conséquemment ces jugements irréguliers sont nuis à son égard et ne peuvent lui être opposés. Si l’Assemblée nationale trouve cette loi trop dure; si elle craint les troubles qu’elle pourrait jeter dans les familles, elle la modifiera dans sa sagesse; mais son comité la supplie d’observer que si elle confirmait, par un décret général, toutes les acquittions couvertes par des arrêts, elle légitimerait tout d’un coup bien des usurpations. Il conviendrait peut-être de borner au passé la rigueur de ce principe. Si on en fait l’amendement, votre comité déclare d’avance qu’il est disposé à l’adopter. Dans la première rédaction, telle qu’elle a été distribuée, l’article déclarait le domaine national imprescriptible. Le comité a jugé à propos de retrancher cette disposition et de renvoyer cette question à l’article pénultième où elle semble se placer plus naturellement. Nous voici parvenus au paragraphe dont les apanages sont l’objet. Nous avons établi, dans un premier rapport, qu’il ne devait plus être concédé, à l’avenir, d’apanages réels, et que les anciens devaient être supprimés. Nous nous garderons bien de répéter ici les preuves que nous avons données de ces deux grandes vérités; il n’est plus permis d’examiner une question que vous avez résolue. Nous nous contenterons d’ajouter ici quelques observatious que le prix du temps, qui nous est bien connu, nous avait engagés à supprimer. Nos pères ont cru, pendant longtemps, que les fils puînés des rois avaient la propriété des portions du domaine public qu’ils obtenaient en apanage; tout concourait à les entretenir dans cette erreur. Tant que les monarques français se sont permis de disposer arbitrairement de leurs domaines, il était naturel de croire que les dons qu’ils faisaient à leurs enfants étaient affranchis de tout espoir de retour à la couronne. La condition d’un fils de France était au moins aussi favorable; son titre était sûrement plus sacré que celui d’un acquéreur à deniers comptants ou à titre gratuit. Mais quand nos rois ont mieux connu leurs propres intérêts; quand ils ont été assez instruits des grandes raaximesdu droit publie, pour reconnaître qu’ils n’avaient pas droit d’aliéner le domaine de la couronne; lorsque enfin le progrès des lumières leur a fait adopter le grand principe qui confond et incorpore leur patrimoine avec celui de la nation, pour n’en faire qu’au touiindivisible, la loi des apanages s’est établie d’elle-mème, par une progression insensible. Chartes Y la consacra bientôt après d’une manière solennelle et elle se retrouve clairement énoncée dans l’article 1er de l’ordonnance de 1566. Une loi si sage, qui n’est qu’un corollaire des règles fondamentales du droit social, aurait même dû obtenir un effet rétroactif; mais de longs préjugés ne se dissipent que lentement; et Louis XI, qui se piquait d’uue politique profonde, n’hésita pas de s’emparer de la Bourgogne à la mort de Charles le Téméraire, et il abandonna l’Artois à la maison d’Autriche. Ces deux provinces avaient cependant été détachées de la France, au même titre : l’une pour Robert d’Artois, fils de Saint-Louis; l’autre par le roi Jean, en faveur de Philippe, le dernier de ses fils. Cette distinction ne fut qu’une inconséquence ou une preuve de faiblesse. La monarchie est indivisible par essence, et cette vérité, une fois reconnue, n’avait pas besoin d’ôtre énoncée dans une loi, ou consignée dans une charte, pour produire tout son effet. La loi qui déclare les apanages réversibles, à défaut d’hoirs mâles, a, dans quelques occasions, reçu une interprétation trop stricte, que votre comité n’a pas cru devoir adopter, en vous proposant les règles de transmission de la rente qui les remplace. On a prétendu que l’apanage ne pouvait jamais se recueillir en ligne collatérale, quoiqu’il existât des mâles descendus nu premier apanagiste. De grands exemples ont même favorisé cetie opinion rigoureuse. A la mort de René, roi de Sicile et duc d’Anjou, cette province fut réunie à la couronne, au préjudice de Charles, comte du Maine, son neveu. La même règle fut observée à la mort de Charles de Bourgogne, 1 Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 novembre 1790.) gâi puisque la branche de'Nevers, descendue, comme lui, du premier duc Philippe, existait encore; mais, en politique, ou s’écarte souvent des principes d’une justice exacte; et cette opinion, défendue autrefois par un magistrat célèbre de la chambre des comptes, est aujourd’hui abandonnée. Le quatrième paragraphe traite des échanges. Ce mot, Messieurs, excite vos murmures ; il se présente à votre imagination sous un aspect bien défavorable; et dans la thèse générale, votre indignation n’est que trop fondée. Votre comité ne vous rappellera point les basses intrigues, les manœuvres odieuses que des courtisans corrupteurs et des ministres corrompus ont souvent employées, pour couvrir du voile de l’échange les déprédations les plus condamnables. Pour faire de bonnes lois, le législateur doit être impassible, et son premier devoir est d’écarter les préjugés. Tâchons donc d’envisager ce contrat d’nn œil tranquille, et d’en analyser de sang-froid la nature et les effets. Les règles que vous allez élablir conduiront à de grandes consé-uences ; il faut que rieu n’en altère la pureté. n s’élevant à la hauteur des principes, on reconnaît que l’échange est une véritable aliénation ; qu’il excède conséquemment les pouvoirs d’un simple administrateur, et que la nation, rentrée dans ses droits, peut l’annuler ou le confirmer arbitrairement, comme un pupille, parvenu à sa majorité, peut rentrer dans les héritages échangés par son tuteur. Ces conséquences dérivent nécessairement des principes du droit naturel et social, et elles ne sont susceptibles d’aucune objection raisonnable. Mais votre comité a fait davantage. Des lois immuables qui forment le droit public, il n'a pas craint de descendre à l’examen de nos lois civiles ; et en parlant de principes opposés, il est encore parvenu à des résultats peu différents. C’est ce que je vous demande la permission de développer avec quelque détail. � Depuis le commencement du quatorzième siècle, les lois civiles ont déclaré que le domaine de la couronne était inaliénable ; elles ont excepté le cas de l’échange, parce qu’elles ne l’ont pas regardé comme une véritable aliénation. En effet, dans un échange juste et loyal la masse des biens domaniaux n’est pas diminuée, puisque l’opération se réduit à remplacer un fonds par un autre de valeur égale. On peut même dire que le domaine en est accrû, parce que le motif de l’échange doit toujours être un avantage mutuel, résultant d’une réciprocité de convenances; mais s’il y a de la fiction, si cette convenance supposée n’existe pas, la convention se trouve sans cause et elle doit être annulée. Elle le doit être également s’il y a du dol, parce que le dol est destructif de toute convention. Enfin, elle ne peut subsister s’il y a lésion, parce que pour la faire cesser il faudrait que l’échangiste donnât de l’argent ou d’autres fonds. S’il donnait de l’argent, le contrat dégénérerait en une aliénation prohibée, jusqu'à concurrence de la somme donnée ; s’il livrait d’autres fonds, on ne pourrait pas dire, qu’en procédant au contrat d’échange, on s’est déterminé par des motifs de convenance réciproque, puisqu’on n’avait pas ces fonds en vue en traitant : le premier contrat est donc encore vicieux et nul clans son principe, et cette nullité ne pourrait être couverte que par une convention nouvelle. En cas de vente, la lésion peut être réparée en suppléant le juste prix, parce que le vendeur a eu dessein de donner son fonds pour de l’argent. En cas d’échange, le supplément ne peut avoir 4ro Série. T. XX-lieu, même en donnant d’autres fond s, parcs que la convenance est une affaire d’opinion. Toutes nos lois s’accordent entre elles pour consolider ce système. Les anciennes ordonnances disent que l’échange sera nul s’il y a fraude, fiction, ou lésion énorme; et l’édit de 1667 porte expressément, que, dans tous ces cas, le roi peut rentrer dans les domaines échangés, en rendant les fonds qu’il a reçus. Or, ces lois ont dû être connues aux échangistes, ils ont traité sur ce pied-là; ils ne peuvent se soustraire à leur disposition. La conservation du domaine de la couronne a paru mériter, de tout temps, les plus grandes précautions. De tout temps, les échanges ont été soumis à des formes rigoureuses, dontTinobservation entraîne la nullité du contrat. C’est encore la disposition textuelle de l’ordonnance de 1667 : elle dit que le roi pourra rentrer dans les biens échangés en rendant les fonds qu’il a reçus, si les formalités requises n’ont pas été remplies. Cette loi n’a point fixé de terme fatal; elle n’a pas même distingué le cas où le défaut d’évaluation ne pourrait être imputé à l’échangiste. Son but et son esprit ont été de suspendre la translation de propriété jusqu’à l’entier accomplissement des formes, et de faire dépendre de la volonté du roi la concession ou le refus des lettres de ratification. La forme rétrograde qu’on suit dans ces opérations, en ne procédant aux évaluations qu’après la signature du contrat, donne toujours à la nation le droit de ne le regarder que comme un simple projet. La jurisprudence des cours s’est conformée à cette législation, et la chambre des comptes en a développé tous les principes dans son arrêt du 2 avril 1776, par lequel elle a fait défense à M. de Bouillon et aux autres échangistes, qui n’ont point fait enregistrer des lettres de ratification, de recevoir les fois et hommages des vassaux relevant des fiefs à eux cédés. 11 est essentiel, Messieurs, de vous faire connaître les motifs de ce jugement, tels qu’ils sont consignés dans le réquisitoire sur lequel il est intervenu. Il est de principe, a dit M. le procureur général, que la propriété des échangistes n’est que précaire, ou jouissance provisionnelle, tant que l'échange est imparfait ; que le laps de temps écoulé depuis l’époque du projet d’échange, ni la longue possession, ne peuvent altérer les droits du roi ; qu’en aucun cas, l’échangiste, qui n’a pas observé les formes, n’a le droit de prétendre ou d’exercer les droits du propriétaire incommutable ; qu’on ne peut assimiler les échanges faits avec le roi avec ceux qui peuvent avoir lieu entre particuliers ; que ces derniers acquièrent leur perfection, par la signature de l’acte qui annonce ia volonté des parties, tandis que les échanges avec Je roi ne sont que projetés par la signature du contrat, -et qu’ils deviennent alors sujets à des formalités qui sont tellement essentielles, que l’omission des iois intervenues sur le fait des échanges compromet à toujours la propriété. Le contrat d’échange ne fait qu’un seul tout avec les opérations qui doivent le suivre. Sans elles il n’a pas son complément ; et tout acte incomplet, même entre particuliers, n’est pas obligatoire. Ces formalités subséquentes peuvent seules donner l’être à l’échange et consomme, l’opération : tant qu’elles ne sont pas remplies, le droit de l’échangiste est suspendu, son titre est conditionnel et la propriété n’ëst point transmise; il a un droit commencé et non un droit acquis. 21 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (8 novembre 1790.] 322 (Assemblée nationale.] Tels sont, Messieurs, les motifs qui nous ont dicté les quatre premiers articles de ce paragraphe. S’ils obtiennent votre approbation, la plupart des contestations de ce genre sont préjugées. Votre comité aura la gloire d’avoir, d’un Seul coup, tranché le nœud gordien. Nous avons pensé d’ailleurs que les échanges, faits et consommés de bonne foi, avant la convocation de l’Assemblée nationale, devaient être respectés. Les motifs eD sont développés dans une note qui se trouve à la fin de notre premier projet de décret ; nous y renvoyons. Le cinquième paragraphe a pour objet les engagements, les dons et concessions, et les baux à rente ou à cens des objets détachés et de peu de valeur, compris sous le titre de petits domaines. Ces genres d’aliénations n’ont pas donné lieu à des difficultés bien sérieuses. Nous avons pensé que toutes distractions du domaine, antérieures à l’année 1566, temps auquel l’inaliénabilité a été érigée en loi civile, pouvaient être confirmées ; nous avons sacrifié les principes du droit public à l’intérêt des particuliers et au repos des familles ; nous avons excepté de cet acte de bienfaisance, de cette espèce d’amnistie tous les actes où la clause de retour à la couronne a été insérée. Elle a dû continuellement avertir les acquéreurs que leur titre n’était que précaire; nous ravons considérée comme une réclamation perpétuelle, qui, à chaque instant, a interrompu la prescription. Les concessions à titre gratuit ou rémunéra-toire ne peuvent avoir un effet perpétuel en quelques termes qu’elles soient conçues ; elles sont toujours essentiellement résolubles; et dans les cas les plus favorables, jamais elles ne devraient se transmettre au delà de la postérité masculine du premier concessionnaire. Votre comité aurait pu vous proposer d’en faire une loi précise, mais il a craint qu’on n’en tirât de fausses conséquences. Le paragraphe sixième, qui termine le long projet qui va vous être proposé, renferme plusieurs maximes applicables à tous les genres d’aliénations ; presque toutes ont un même but : c’est de prévenir les usurpations totales ou partielles et de remédier aux abus d’une administration vicieuse ou négligée. L’article 33 oblige les détenteurs des domaines à des déclarations auxquelles ils ont toujours été assujettis, quoiqu’ils s’y soient souvent soustraits. Son exécution doit être surveillée par les assemblées administratives, et elle aura les suites les plus heureuses; elle fournira à l’administration toutes les instructions qu’il lui est si difficile de se procurer. Le domaine national, appelé alors domaine de la couronne , n’était autrefois sujet à aucune prescription. Comme nos lois l'avaient frappé depuis longtemps d’une inaliénabilité absolue, elles l’avaient, par cela même, rendu imprescriptible : le détenteur d’un objet domanial était toujours censé ne le posséder qu’à titre précaire essentiellement résoluble, et cette présomption le rendait incapable d’en acquérir la propriété; il était même assujetti à des déclarations réitérées qui interrompaient sa possession ; et s’il négligeait d’y satisfaire, l’omission de ces déclarations le constituait tellement en mauvaise foi que sa cause en devenait encore plus défavorable. D’ailleurs, la nation était alors très rarement convoquée, et dans ces assemblées connues sous le nom d 'Etats généraux , elle n’était représentée que d’une manière imparfaite : il était donc juste alors de la comparer à un mineur destitué de défenseurs, et dans cet état de faiblesse et d’inertie, on ne pouvait lui opposer une possession valable. Ces motifs ne subsistent plus aujourd’hui. Yos décrets ont rendu le domaine national au commerce : il pourra désormais être acquis et possédé à titre perpétuel et incoinmutable, et rien n’empêche qu’une possession longue, paisible et non clandestine ne puisse faire présumer le titre. La nation sera à l’avenir perpétuellement représentée. Une foule d’administrateurs distribués dans les différents départements, et sagement subordonnés les uns aux autres, veilleront au maintien et à la conservation de ses droits ; les usurpations deviendront bien difficiles dans ce nouvel ordre de choses; et ce qui semble mériter une grande considération, c’est que si le laps de temps ne pouvait jamais suppléer au titre, bien des gens craindraient d’acquérir un genre de propriété exposé à d’éternelles recherches ; il n’existe donc plus aucun motif qui puisse faire affranchir le domaine national des lois de la prescription : mais comme il ne pourra être aliéné qu’en vertu de décrets formels et authentiques ; que les aliénations seront assujetties à de grandes formalités ; que la perte du titre primitif ne pourra aisément se supposer, il est également juste et raisonnable d’exiger un temps plus long que pour les prescriptions ordinaires. Ces motifs ont déterminé votre comité à vous proposer l’article qui termine son projet de décret. Je finirai, Messieurs, ce trop long exposé par vous faire remarquer qu’en matière domaniale, il est bien plus aisé de fixer les principes et d’en tirer les conséquences, que d’en assurer l’application. Votre comité a rassemblé avec beaucoup de soins et de peines toutes les instructions qu’il a pu se procurer pour connaître les différentes distractions que le domaine avait souffertes, et les justes indemnités qu’il avait droit de réclamer: il a consulté les bureaux des finances, les chambres des comptes, les tribunaux des eaux et forêts, etc., et partout il a trouvé du zèle et du patriotisme; mais c’est sur les échanges qu’il a fait les découvertes les plus suivies. L’abus avait été poussé si loin en ce genre, que les ministres eux-mêmes avaient senti la nécessité d’y apporter un prompt remède. Ce projet sage avait occasionné un travail auquel un premier commis des finances s’est livré avec beaucoup de zèle, d’intelligence et de succès. Ses recherches ont produit sur les échanges un ouvrage considérable, qui forme un manuscrit in-4° de près de 800 pages, et qui fournit tou3 les détails désirables sur 102 échanges dont un grand nombre n’ont pas été consommés. Il commence à l’année 1647, et il ne finit qu’en 1786. M. de Villers du Terrage, auteur de ce recueil vraiment précieux, en a fait hommage à l’Assemblée nationale ; il Ta déposé au comité des domaines et il consent qu’il y reste à perpétuité pour notre utilité et pour celle ue nos successeurs. Après ces réflexions, ces développements et ces détails, il reste à vous soumettre le projet de décret : PROJET Dü DÉCRET (1). L’Assemblée nationale considérant : 1* que le domaine public a formé, pendant plusieurs siècles, la principale et presque Tunique source de (L Les articles 6, 7,8, 9, 10, 12, 16, 17 et 18 ont fait l’objet de decrets spéciaux anterieurs au 8 novembre 1790. Ils ont été intercalés dans ce projet de décret d’ensemble, dans l’ordre où ils doivent être classés.