[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (2 avril 1790*1 525 Le privilège peut donc être supprimé très justement, par cela même qu’on a commis une injustice en l’accordant ; et parce que, comme acte d’administration, il n’est pas consacré par les formes légales. 11 doit être supprimé sans indemnité, car, de quel front les administrateurs de la compagnie demanderaient-ils une indemnité à raison de l'abrogation d’un privilège qu’ils n’auraient jamais dù demander, qu’on n’eût jamais dû leur accorder? A-t-on accordé des indemnités aux négociants de tous les ports du royaume lorsque, tout à coup, on leur a défendu d’em-plover, dans cette branche de commerce, leurs capitaux et leur industrie, par la concession du privilège? Lorsqu’on a, par là, rendu inutiles, dans leurs mains, un grand nombre de navires qui n’étaient propres qu’à ce commerce, et qu’on les a ainsi forcés à vendre à vil prix, d'où résultait une double perte, celle de l’Etat et celle des particuliers vexés par cet acte arbitraire d’une administration égarée ou surprise ! Mais la propriété des actionnaires est entière ; rien n’a périclité et ne périclite pour eux. Cette propriété consiste dans leurs actions. Ceux qui ont acheté ces actions ne peuvent se plaindre de la suppression du privilège ; car ils n’ont pu ignorer ce danger, vu la réclamation constante et universelle des places de commerce. Ils ont joui, depuis cinq ans, des effets de ce privilège; ils ont joui de tous les avantages et de toutes les faveurs de plusieurs genres prodigués à la compagnie. Quel tort leur fait-on de les faire rentrer aujourd’hui dans la loi commune et de leur dire qu’ils sont les maîtres de continuer leurs opérations de commerce, mais sans aucun avantage particulier, sans aucun privilège, ou de demander la liquidation de la Compagnie ? Il n’y a, Messieurs, nulle induction à tirer du mode de commerce adopté par l’Angleterre, la Hollande, le Danemarck. Les compagnies d’Angleterre et de Hollande sont propriétaires et souveraines. C’est la nécessité, la pénurie des moyens qui a forcé de réunir à Copenhague tous les fonds dans une expédition collective. La France se trouve placée entre ces deux extrémités. Elle n’est pas propriétaire comme l’Angleterre et la Hollande. Elle ne manque pas de capitaux et d’industrie comme le Danemarck. Par toutes ces raisons, j’appuie entièrement le projet de décret qui vous est proposé par votre comité d’agriculture et de commerce. Je demande seulement à y ajouter, et j’en fais la motion expresse,, que ce comité soit chargé par vous, Messieurs, de préparer et de vous proposer, le plus tôt possible, un plan qui tende à faire reverser en encouragement pour les manufactures nationales de toiles de coton, la totalité du droit d’induit qui sera désormais supporté par le commerce libre de l’Inde, et même des droits de traite, qui seront perçus sur les marchandises des Indes. Par ce moyen, Messieurs, vous concilierez vos intérêts les plus précieux. Vous conserverez votre commerce de l’Inde, parce que vous ne pouvez y renoncer sans devenir tributaires des compagnies étrangères, et vous le forcerez, contre sa propre nature, à concourir aux succès et à la prospérité de nos manufactures. M. le Président. Je dois interrompre un moment la discussion qui nous4 occupe pour savoir si l’Assemblée entend avoir demain une ou deux séances. M. de Virieu. Je propose de n’avoir qu’une seule séance à partir de quatre heures du soir, afin que chacun ait la liberté de consacrer la matinée aux actes de religion. (Cette proposition est mise aux voix et adoptée.) La discussion est reprise sur le privilège de la Compagnie des Indes. Plusieurs membres réclament la clôture de la discussion. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide que la discussion continuera. M. de Cazalès. Beaucoup d’orateurs ont parlé dans cette question, et personne n’a éclairé mon esprit. L’importance et l’obscurité de la matière exigent un examen longuement et mûrement approfondi. Je me bornerai à combattre une assertion hasardée de M. l’abbé Maury. Il a regardé en général la sortie du numéraire commme un mal : je pense, moi, que son extraction est quelquefois nécessaire ; sans doute, la pénurie où nous nous trouvons maintenant est un mal bien réel, que le commerce de l’Inde ne ferait qu’augmenter ; mais elle tient à des circonstances particulières et cet état est passager. Pour raisonner juste, isolons-nous de ces circonstances : la grande quantité du numéraire fait augmenter le prix des denrées et la main-d’œuvre; elle ruine donc les manufactures. H y a deux ans, le commerce de France était très florissant, parce qu’il existait entre notre numéraire et nos marchandises une proportion nécessaire : sans le commerce de l’Inde, le numéraire aurait été plus considérable, la proportion aurait été détruite. Le défaut de confiance a seul, en ce moment, fait disparaître le numéraire ; si la confiance venait, le numéraire reparaîtrait ; mais il faut pour qu’elle reuaisse, que la Constitution soit faite, que la Révolution soit assurée. C’est seulement à celte époque que nous pourrons déterminer le rapport qui doit exister entre le commerce et la quantité du numéraire. L’Assemblée nationale n’a donc rien de mieux à faire que de s’occuper de la Constitution, et de renvoyer aux législatures suivantes toutes les discussions relatives au commerce ; rendre maintenant un décret, ce serait jouer à pair ou non. M. Duval «l’Eprémesnil (1). C’est une grande question de commerce qui se présente en ce moment à votre décision; c’est une importante question d’Etat que vous avez à examiner. Ecartons d’abord toute passion, tout intérêt personnel ; délibérons sur la question d’Etat en homme d’Etat, sur la question de commerce en calculateur : défions-nous des maximes tranchantes; les maximes tranchantes sont aussi dangereuses qu’elles sont commodes ; elles dispensent de tout examen ; elles plaisent àdeux genres d’esprits qui se tiennent toujours aux extrémités de toutes les questions, aux esprits emportés, aux esprits paresseux. Des maximes modérées, une grande circonspection, une vigilance infatigable dans l’application, voilà ce qui distingue des législateurs sages et de vrais administrateurs. Nous avons à résoudre deux questions : l’une générale et l’autre particulière : question générale, le commerce de l’Inde ; question particulière, le privilège de la compagnie actuelle. (1) Le Moniteur ne dorme qu’une analyse du discours de M. Duval d’Eprémesnil.