310 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE fait. Je demande si l’Assemblée ne considérera pas cette circonstance, à la fois heureuse et cruelle pour cet homme, comme une expiation suffisante de ce qu’il avait fait auparavant; la nature a voulu le rendre à la vie : c’est à la Convention à le rendre à la liberté {Applaudissements). Cette proposition est renvoyée aux comités de Sûreté générale et de Législation, pour en faire le rapport dans deux jours (48). La Convention nationale renvoie au comité de Législation la demande faite de la mise en liberté du nommé Julien Leroy, qui, ayant été condamné à quatre années de prison, s’est trouvé englobé dans les mesures générales prises par le comité révolutionnaire de Nantes, et n’a échappé à la mort que par un miracle. Le comité est chargé de faire le rapport de cette affaire dans deux fois vingt-quatre heures ; les pièces relatives seront remises au comité de Législation par l’accusateur public du tribunal révolutionnaire (49). 21 André DUMONT : Par un décret du 11 de ce mois, vous avez chargé le comité de Sûreté générale de recevoir de l’accusateur public près le tribunal révolutionnaire les renseignements relatifs à des représentants du peuple qui pourraient être inculpés dans quelques procédures, et de vous proposer les mesures que la justice exigerait. C’est sur ma proposition que ce décret fut rendu; depuis on m’a fait voir qu’un décret antérieur avait chargé les trois comités réunis de présenter leurs vues à cet égard. Je vous propose en conséquence d’adjoindre au comité de Sûreté générale les comités de Législation et de Salut public. Cette proposition est adoptée (50). [André Dumont rappelle à la Convention qu’elle a rendu un décret par lequel elle enjoint au tribunal révolutionnaire de poursuivre sans délai le comité révolutionnaire de Nantes, et tous ceux qui sont prévenus des délits et cruautés commis dans cette commune. Cette affaire, par les suites de l’instruction, présente des rapports avec la représentation nationale, à cause des ordres qui ont pu être donnés par un représentant du peuple. Il demande que la Convention ordonne aux comités de Salut public et de Législation de se réunir au comité de Sûreté générale pour qu’il soit fait sur cet objet un rapport à la Convention.] (51) (48) Moniteur, XXII, 297 ; Débats, n“ 758, 437. (49) P.V., XLVII, 278-279. C 321, pl. 1337, p. 58, minute de la main de Dubois-Crancé, rapporteur. Ann. R.F., n" 29; C. Eg., n” 793; F. de la Républ., n" 30; Gazette Fr., n° 1023; J. Mont., n° 8; J. Paris, n 30; J. Perlet, n' 757; Mess. Soir, n’ 793; M. U., XLIV, 458-459; Rép., n” 30. (50) Moniteur, XXII, 297 ; Débats, n“ 758, 436. (51) J. Paris, n° 30. La Convention nationale décrète l’adjonction des comités de Salut public et de Législation à celui de Sûreté générale, pour l’exécution de la loi du 22 de ce mois, relative aux Nantais traduits au tribunal révolutionnaire, et à tous ceux qui ont pris part aux atrocités commises en la commune de Nantes et environs (52). 22 TALLIEN : Depuis plusieurs jours le tribunal révolutionnaire poursuit avec chaleur une procédure dans laquelle un représentant du peuple se trouve gravement inculpé ; je ne sais pourquoi on vous demande la réunion des trois comités pour la suite de cette affaire. Lorsque ce ne sont que de simples individus qui sont accusés, c’est au comité de Sûreté générale à veiller à ce qu’ils soient traduits au tribunal révolutionnaire ; mais, lorsqu’il s’agit d’un représentant de la nation, je soutiens qu’aucun comité n’a le droit de s’immiscer dans la poursuite d’une pareille affaire; c’est à la représentation nationale seule à s’en occuper. Les comités n’ont pas de rapport à faire; ils n’ont qu’à transmettre à la Convention la lettre du tribunal, qui indique qu’un représentant du peuple est compromis dans une procédure. Le temps est passé où les comités avaient le droit de décimer la Convention, où ils pouvaient venir désigner ici les têtes qu’ils voulaient envoyer à l’échafaud (53). [Depuis plusieurs jours le tribunal instruit la procédure des prévenus du comité révolutionnaire de Nantes : tout le monde prête à cette grande cause un intérêt égal à son importance, parce qu’elle intéresse les moeurs et l’humanité. Je viens en parler à la Convention parce qu’elle a des rapports essentiels avec la représentation nationale.] (54) [Depuis plusieurs jours, le tribunal révolutionnaire instruit l’affaire du comité révolutionnaire de Nantes; le peuple est dans une grande attente ; cette affaire intéresse vivement la chose publique ; elle intéresse aussi la Convention nationale. Tous les citoyens savent qu’un représentant a été inculpé grièvement : je né sais au reste pourquoi le comité de Sûreté générale demande l’adjonction de deux autres comités. Le comité de Sûreté générale a le droit de statuer sur ce qui concerne les citoyens, et de les faire traduire devant la justice ; mais quand il s’agit d’un représentant du peuple, aucun comité ne doit avoir le droit d’initiative ; non, aucun comité ne doit pouvoir (52) P.-V., XLVII, 279. C 321, pl. 1337, p. 59, minute de la main de A. Dumont, rapporteur. Ann. R.F., n” 29; C. Eg., n° 793; F. de la Républ., n° 30; J. Mont., n“ 8; J. Perlet, n 757; J. Univ., n° 1790; Mess. Soir, n° 793; M. U., XLIV, 458; Rép., n 30. (53) Moniteur, XXII, 297. Pour ce débat, nous suivons le Moniteur, les variantes sont données entre crochets. (54) J. Paris, n° 30. SÉANCE DU 29 VENDÉMIAIRE AN III (20 OCTOBRE 1794) - N° 22 311 même faire un rapport : c’est au tribunal à faire parvenir les pièces à la charge du représentant, et à la Convention, à la Convention seule de statuer ( On applaudit). Le temps est passé où un comité osoit décimer la Convention : le tems est passé où un comité s’étoit arrogé le droit de venir ici désigner des têtes à l’échafaud ( Vifs applaudissemens ).] (55) On n’a déjà que trop porté atteinte à la représentation nationale; il est temps qu’elle se dégage des entraves qui pourraient lui faire courir de nouveaux dangers ; il ne faut pas qu’elle souffre qu’aucun comité prenne l’initiative sur elle. Il y a quelques temps que, dans un discours que Cambacérès nous fit, au nom du comité de Législation, il nous proposa des mesures propres à assurer la garantie de la législation nationale ; c’est ici le moment de les appliquer. Je demande que Cambacérès reproduise son idée ; je demande que, lorsqu’il s’agira d’une accusation portée contre un représentant du peuple, la Convention, après en avoir été instruite par le tribunal révolutionnaire, nomme une commission de douze membres, sur lesquels le prévenu pourra en récuser six C Murmures ). Ces membres seront chargés de faire l’analyse des pièces produites contre lui, et d’en faire à la Convention le rapport, d’après lequel elle prendra une décision, à l’appel nominal. Je crois ces mesures conservatrices de la liberté et de la représentation nationale; je consens à ce qu’elles soient renvoyées, si l’on veut, à l’examen des trois comités, afin qu’ils nous présentent un mode qui ne laisse rien à l’arbitraire, et assure l’intégrité de la représentation nationale. GOUPILLEAU (de Fontenay) : Le préopinant n’a point à reprocher aux comités établis depuis le 10 thermidor de s’être arrogé aucune initiative sur la Convention, et elle ne craint pas que jamais ils abusent de leurs pouvoirs. [Le préopinant n’a pas à reprocher au comité de Sûreté générale quelque précipitation dans l’affaire qui se discute. Il a senti que s’il falloit pour les citoyens une garantie, elle devoit être bien plus grande pour un représentant du peuple. S’il n’a pas voulu prendre l’initiative sans l’adjonction des comités, c’est parce qu’il a senti toute l’importance de l’objet. Le tems est venu d’aborder avec loyauté cette question. Je demande que la Convention charge ses trois comités réunis de lui faire un rapport.] (56) D’après le décret du 22, le comité de Sûreté générale a dû recevoir les renseignements qui lui ont été transmis par le tribunal révolutionnaire; il a senti en même temps qu’il fallait donner une garantie à chaque représentant du peuple, lorsqu’il s’agissait de juger la conduite qu’il avait tenue dans une mission; il a pensé, comme Tallien, que nul des comités ne devait avoir l’initiative sur la Convention; il a pensé enfin qu’il ne fallait pas qu’un représentant du (55) Débats, n 758, 437. (56) J. Paris, n° 30. peuple pût voir dans les membres d’un de ces comités des hommes sans cesse en droit de l’accuser; c’est pour cela qu’il vous a proposé la réunion des trois comités de gouvernement, afin de concerter la marche à tenir en pareille circonstance, et ne rien laisser à l’arbitraire (57). [C’est le désir de faire en sorte qu’aucun représentant, ainsi que Cambacérès l’a proposé, ne puisse voir dans aucun comité des hommes investis du droit d’accuser; le désir enfin de proposer à la Convention une loi qui fixe sa marche d’une manière sûre et juste quand il s’agit d’accusations intentées contre un de ses membres, qui a fait demander au comité de Sûreté générale l’adjonction de deux autres comités ( On applaudit ).] (58) LEJEUNE : Le temps est venu d’aborder la question que Tallien a présentée à la discussion. Depuis trop longtemps le glaive de la loi et le poids de l’ignominie pèsent sur la tête des représentants du peuple ; s’il y a dans cette enceinte des hommes criminels, je veux qu’ils soient frappés ; mais aussi je veux que la Convention ne prononce contre eux que lorsqu’elle sera bien instruite; il ne s’agit pas ici de rendre un décret d’enthousiasme ; c’est la sagesse seule qui peut sauver le peuple et nous. [C’est la liberté et la Convention que je défends. Et moi aussi je veux que les conspirateurs et les coupables soient punis, même dans le sein de la Convention; mais je ne veux point prononcer sans être instruit. Voilà où gît votre sûreté et le salut de la République. Mais pourquoi une commission ? Les comités peuvent vous lire les pièces qu’ils ont, c’est à vous ensuite de les examiner et à prononcer.] (59) Tallien vous propose l’établissement d’une commission ; je ne sais pourquoi on ôterait aux comités la connaissance de ces sortes d’affaires. Cette commission me paraît être une espèce de Chambre ardente, qui pourrait se débarrasser des représentants dont l’énergie lui serait importune. Tallien demande à rétablir sa proposition. LEJEUNE : Lisez les annales de la monarchie, et vous verrez que tous les tyrans qui ont voulu gouverner au gré de leurs caprices ont établi de pareilles commissions. Veut-on renouveler ces institutions exécrables, si favorables au crime, si fatales à l’innocence? Prenez garde que l’Angleterre veut vous amener à détruire la représentation nationale par vos propres mains; c’est ainsi qu’elle prétend vous donner des fers. La proposition de Tallien tendrait à transmettre au tribunal révolutionnaire l’initiative qu’il ne veut pas laisser aux comités, et qui n’appartient qu’à la représentation nationale seule. Si vous adoptiez ce système, vous mettriez votre existence politique, qui est la sauvegarde de la liberté du peuple, dans les mains d’un tribunal, qui pourrait peut-être de-(57) Moniteur, XXII, 297-298. (58) Débats, n“ 758, 438. (59) J. Fr., n" 755. 312 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE venir l’instrument de l’Angleterre et des puissances coalisées. Je le répète : l’initiative sur vous-mêmes n’appartient qu’à vous seuls ; aussi aviez-vous commis la plus grande erreur en accordant autrefois à vos comités le droit de faire arrêter les représentants du peuple. Je demande l’ordre du jour sur la proposition de Tal-lien. [Quatre comités ont notre confiance, qu’ils se réunissent, et qu’ils éclairent par un rapport bien mûri notre conscience ; il y a longtems que le projet de dissoudre la Convention nationale, même par le glaive des loix, a été mis à l’ordre du jour dans les cabinets de la coalition ; il n’y a que les hommes aveugles, passionnés ou ignorants, qui ne l’ont pas senti. Les propositions faites donnent au tribunal une initiative que la prudence, la politique et l’honneur de la représentation nationale réprouvent. J’appuye la proposition de Goupilleau.] (60) [Je demande l’ordre du jour sur la proposition de Tallien ; que les trois comités examinent les pièces, qu’ils les lisent à la tribune, et que vous ne prononciez qu’après avoir examiné.] (61) PELET : [La France entière, et Paris en particulier, a les yeux fixés sur ce qui se passe au tribunal révolutionnaire en ce moment. La question qui nous occupe intéresse bien vivement le salut de la patrie.] (62) Il est temps que la Convention aborde cette question, qui doit sauver la patrie, car la Convention ne peut la sauver qu’autant qu’elle sera pure, et qu’elle réunira la confiance et le respect du peuple. Lejeune a dit une grande vérité ; l’infâme coalition veut détruire la Convention, parce qu’elle n’a pas pu détruire nos armées. Le premier moyen qu’elle a employé pour y parvenir a été de faire croire qu’il se formait successivement des factions dans la Convention, afin de nous tuer en détail; elle a ajouté un second moyen à ce premier. « Dans le cas où celui-ci ne nous réussirait pas, a-t-elle dit, il faudra faire planer sur la représentation nationale les soupçons des crimes les plus atroces, des actions les plus abominables, afin de lui ôter la confiance du peuple. » La révolution du 9 thermidor a déjoué la première partie du plan de l’Angleterre; elle lui a fait voir que si un système atroce d’oppression avait pu peser pendant quelque temps sur la Convention nationale, ceux qui en avaient été les auteurs avaient payé ce crime de leurs têtes. [Il ne lui reste plus qu’à faire planer les soupçons sur toutes les têtes, qu’à aigrir la rage de l’aristocratie, la haine des factions, les passions des malveillans, la jalousie même de l’orgueil et de l’ambition, et tout nous prouve qu’elle le tente. Tous les pamphlets qui circulent sont son ouvrage, ou sont payés par les tyrans coalisés. Qu’avez-vous à faire? les déjouer par votre sagesse.] (63) (60) J. Paris, n” 30. (61) AT. U., XLIV, 459. (62) Débats, n' 758, 438. (63) J. Paris, n° 30. Nous ne devons plus craindre les partis; il pourra s’élever ici des opinions contraires, mais jamais de factions ; nous leur avons donné une trop forte leçon le 9 thermidor. Nous ne pouvons redouter que le second moyen employé par nos ennemis; nous n’avons à craindre que la calomnie, la dénigration, et c’est là ce qu’il faut rendre inutile. Tout Paris connaît les forfaits exécrables qui sont reprochés à un membre de cette Assemblée : il ne faut rien préjuger ; mais il est pressant d’éclairer le peuple qui, depuis trois jours, vient dans cette enceinte pour savoir à quoi il doit s’attendre ( Applaudissements). Les trois comités ont toute ma confiance, et je m’attendais qu’ils feraient aujourd’hui ce rapport ; je n’entre point dans les raisons particulières qui les en ont empêchés ; mais je demande qu’après-demain à midi il nous soit fait, que la Convention entende la lecture des pièces et prenne une détermination dans sa sagesse ; car, je le répète, l’opinion publique nous presse (Applaudissements ). GOUPILLEAU : Je demande que ce rapport ne consiste que dans la lecture des pièces. Ces propositions sont adoptées. André DUMONT : Si le comité de Sûreté générale a demandé l’adjonction des deux autres comités, c’était d’abord pour obéir à une loi qui l’ordonnait, et ensuite vous présenter un décret qui assurât l’intégrité de la représentation nationale; déjà il y a eu dans les trois comités une discussion fraternelle à ce sujet, et, d’après le renvoi que vous venez de leur faire, vous devez espérer que le rapport vous en sera fait sous peu. [Les comités ont agité hier la proposition de Tallien; ils y ont trouvé des inconvéniens ; ils en ont pareillement trouvé à la réunion des trois comités : mais ils présenteront un projet de loi qui parera à tout.] (64) Quant à l’affaire particulière, les pièces qui ont été remises au comité ne sont pas de nature à être lues à la Convention ; jamais nous n’accuserons un représentant du peuple que sur des pièces écrites, et non sur des dénonciations, qui souvent ne sont faites que par des criminels pour se sauver. Si l’on admettait des accusations trop légères contre les membres de la Convention, il n’est aucun intrigant qui ne se permît d’accuser tous les députés, et vous verriez que bientôt toute la Convention serait renouvelée (65). [Le comité a pour principe de ne vous entretenir d’une affaire de ce genre, qu’autant qu’il est muni de pièces officielles, et qui contiennent une inculpation grave et précise. Autrement, et s’il venoit interrompre vos travaux importans, sur une simple dénonciation, on pourroit renouveler la Convention entière; et je ne vois pas de raison pour que tous ses membres, les uns après les autres, n’allassent pas au tribunal révolutionnaire. Il faut à votre (64) M. U., XLIV, 460. (65) Moniteur, XXII, 298. SÉANCE DU 29 VENDÉMIAIRE AN III (20 OCTOBRE 1794) - N° 22 313 comité des preuves écrites, et non des inculpations vagues, surtout contre un représentant du peuple.] (66) CAMBACÉRÈS : Ce n’est pas encore le moment de discuter les précautions que la sagesse commande pour donner à la Convention la garantie qui lui est nécessaire; c’est à vos comités à vous présenter des vues réfléchies à cet égard ; mais il importe, dans ce moment, de relever les erreurs qui ont pu échapper à quelques-uns d’entre nous : Lejeune en a commis une grande; Tallien a rappelé une proposition que j’avais faite, et qui, dans le temps, obtint un assentiment général. [Citoyens, les trois comités ont délibéré cette importante question; mais, s’il est essentiel de prendre les plus scrupuleuses attentions pour faire sortir du sein de la représentation nationale un membre inculpé, il n’est pas moins essentiel de relever les erreurs qu’il commet parce qu’elles peuvent tirer une grande importance de son influence sur l’opinion publique, et Lejeune vient d’en commettre une que je crois utile de relever. Tallien vous a rappelé dans son discours, une proposition que je vous fis, et qui alors obtint, à ce qu’il me parut, un assentiment général (On applaudit). Je ne la présentai point comme un article de loi, mais comme une conséquence naturelle des principes éternels de justice que vous avez proclamés. Je pensai qu’aucun de vos comités ne devoit avoir l’initiative de la désorganisation du corps représentatif.] (67) J’avais senti combien la tyrannie des anciens comités avait pesé sur nos têtes ; je me disais : Quoi! un simple citoyen trouve toujours dans les habitudes de la vie un homme de qui il peut dire : Ce sera lui qui me défendra, qui mettra le tribunal à même de prononcer sur mon sort ; et nous, en voyant les membres des comités de Sûreté générale et de Salut public, nous devions dire : Voilà les hommes qui peuvent à chaque instant nous priver de la hberté ! C’est pour cela que j’avais pensé qu’on ne devait accorder à aucun comité le droit de faire un rapport, ni de dresser un acte d’accusation contre les membres de la Convention ; c’est pour cela que j’avais proposé la formation, par appel nominal, d’une commission instantanée pour examiner l’accusation qui pourrait être portée contre un représentant du peuple, et en faire le rapport. Je demande si c’est là une de ces Chambres ardentes créées par le cardinal de Richelieu, et si l’on peut supposer à un représentant du peuple dont les principes sont connus l’idée de faire juger ses collègues par une pareille institution. Le peuple nous écoute, et il ne faut pas qu’il puisse prendre le change sur nos intentions. Il est impossible de considérer la commission que j’ai proposée autrement que comme une commission nommée pour examiner une affaire passagère. (66) Débats, n 758, 440. (67) Débats, n“ 758, 440. Je me réunis à mes collègues pour demander que les trois comités présentent les mesures qu’ils sont chargés de méditer. [Telle est l’erreur dans laquelle Lejeune est tombé. La Convention sait sur quels principes j’établis alors la proposition que je lui fis : je crois devoir à la Convention, au public, à moi-même, les observations que je fais. Au reste, je me réunis à mes collègues pour demander un prompt rapport des trois comités sur l’intéressante question qui vous occupe {On applaudit ).] (68) THURIOT : Il n’est pas de question qui exige plus d’attention que celle-ci. On ne peut se dissimuler qu’il existait un pacte criminel entre les puissances coalisées pour assassiner successivement la Convention nationale : les ennemis de l’intérieur étaient liés à ce plan; il était impossible d’avoir combattu longtemps pour la liberté sans s’être attiré l’inimitié de beaucoup d’hommes, d’avoir rempli une mission délicate sans être dénoncé. Je ne veux cependant point assurer l’impunité à des représentants coupables, s’il en existe; mais je veux convaincre le peuple qu’il suffit souvent qu’un homme combatte pour lui, pour qu’on veuille le traduire au tribunal révolutionnaire. Voyez, citoyens, tout le parti que l’étranger peut tirer de ces avantages pour organiser la calomnie et lui prêter des forces. En révolution, il est des malheurs individuels, inséparables de l’action vigoureuse du gouvernement. Au milieu des passions terribles qui ont tour à tour agité les partis, le gouvernement, souvent égaré par l’intrigue, a froissé dans l’obscurité l’innocent pour le coupable, et quelquefois tous deux ensemble. Je veux soumettre aux réflexions de mes collègues les propositions qui ont été faites dans les trois comités, afin qu’ils puissent les méditer. Nous avons pensé que, lorsqu’il s’agissait d’accuser un représentant du peuple, il valait mieux regarder trente fois qu’une; nous avons pensé qu’il fallait que ce fussent d’abord les trois comités qui fissent l’examen de la dénonciation, dans la crainte que la passion n’influençât la détermination d’un seul. Ces inconvénients disparaissent devant la réunion des trois comités, qui sont composés de cinquante membres. Ceux des comités de Salut public et de Sûreté générale envisagent la dénonciation sous le rapport pobtique et sous celui de la sûreté de l’État; le comité de Législation voit si la loi doit avoir son application dans la circonstance particulière. Si les trois comités sont convaincus que l’intérêt national et que la gravité du délit exigent que la Convention en soit instruite, ils viennent lui dire qu’il y a Heu à examiner. La Convention nomme une commission particulière qui vérifie les faits et les présente à l’Assemblée, avec les réflexions politiques, morales et légales qui doivent opérer sa détermination. Voilà les idées qui ont été discutées dans les comités, et que j’invite mes (68) Débats, n* 758, 441. 314 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE collègues à mûrir, afin que nous puissions faire une loi sage, qui nous mette à l’abri de toute espèce de tyrannie. [Ce n’est pas pour soustraire au glaive de la loi les représentans du peuple prévaricateurs que je parle ainsi ; mais nous devons au peuple cette vérité que la rage de ses ennemis se dirige surtout contre les fondateurs de sa liberté. La question qui vous occupe a été agitée hier au soir par vos trois comités, et elle l’a été avec sagesse. Une commission n’a pas paru une garantie suffisante. Vous avez trois comités qui ont des rapports plus directs avec la sûreté publique et les mesures de législation. Lorsqu’un représentant du peuple est accusé, les faits doivent leur être soumis, lorsqu’ils ont été examinés sous tous les rapports de la morale, de la justice et de la politique, ils doivent être rapportés à la Convention s’il y a lieu à examiner. Lorsque la Convention juge qu’il y a lieu à l’examen, une commission peut être nommée, et alors vous n’aurez pas à craindre de servir la rage de vos ennemis, et de compromettre le sort de la liberté. Thuriot demande que la proposition de Dumont soit maintenue.] (69) [Citoyens, tel fut le résultat de la conférence fraternelle des 3 comités, je le soumets à votre décision ; je vous invite à le mûrir et à prendre une détermination telle que la sagesse vous la dictera. Il est temps de prendre les plus promptes mesures pour empêcher la tyrannie de Robespierre de renaître sous quelque forme que ce soit. Ce discours a souvent été applaudi. La Convention qui avoit décrété le renvoi des différentes propositions, ne prend aucune détermination.] (70) [Après quelques nouveaux débats, l’Assemblée ajourne le tout à primidi, et maintient son décret de la réunion des trois comités, pour présenter des mesures générales lorsqu’il s’agira d’accusation contre un député.] (71) Un membre : C’est dans le moment où l’on invoque les grands principes de justice pour la sûreté de la Convention que j’appelle son attention sur un objet urgent, dont elle a témoigné le désir de s’occuper. Je ne rappellerai pas des souvenirs amers ; mais je sms forcé de dire que les principes qu’on a invoqués aujourd’hui ne sont pas ceux qu’on a toujours suivis dans cette Assemblée ( Applaudissements ). [J’applaudis aux principes professés aujourd’hui par la Convention, mais certes ces principes, n’étoient point professés au mois d’octobre de l’année dernière.] (72) Lorsque, l’année dernière, l’Assemblée décréta l’arrestation de plus de soixante de ses membres, sans qu’ils eussent été entendus, sans qu’ils aient eu aucune connaissance des pièces à leur charge, alors elle ne suivait pas les prin-(69) J. Paris, n° 30. (70) Débats, n“ 758, 441-442. (71) M. U., XLIV, 460; J. Fr., n” 755. (72) M. U., XLIV, 460. cipes qu’elle professe aujourd’hui. Il faut donc que la vérité triomphe, et la justice avec elle ; je crois que le moment est venu de la rendre à nos collègues. On avait ordonné que le rapport qui les concerne serait fait avant le 1er brumaire; il ne l’est pas encore. De quoi les ac-cuse-t-on? qu’on s’élève contre eux! Je veux que les formes soient sévères, mais justes, à l’égard des représentants du peuple, de quelque chose qu’ils soient accusés, et c’est pour cela que je dis que ceux-ci ne sont coupables que d’avoir dit la vérité dans un temps où il n’était pas permis de la dire ( Murmures et applaudissements). [Si la Convention ne veut pas priver de sa liberté un représentant que l’opinion publique dénonce fortement, elle ne voudra pas laisser dans les fers Blaux, représentant, contre lequel il n’existe qu’un crime imaginaire, ou plutôt qui a eu le courage de dire la vérité lorsqu’il étoit dangereux de la dire.] (73) Je demande que la Convention décrète que ceux de ses membres qui ont été mis en arrestation avant le 9 thermidor soient mis en liberté, et rappelés dans son sein {Applaudissements) (74). MERLIN (de Thionville) : Moi aussi je déclare que je veux la sévérité des principes, et que je ne souffrirai jamais qu’on nous ramène à la tyrannie par la persécution. On vient de préjuger l’innocence de nos collègues ; j’aime à y croire; mais vous avez décrété qu’il vous serait fait un rapport sur leur compte, vous devez l’attendre. C’est parce que vous voulez qu’on examine sévèrement la conduite actuelle des représentants du peuple qu’il faut aussi examiner celle de ceux-là. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait; je combattais alors à Mayence; mais je sais qu’ils sont accusés d’avoir protesté contre les décrets de la Convention. Cette accusation est assez importante pour mériter d’être examinée. Vous avez fixé le délai dans lequel ce rapport vous serait fait ; je demande que vous passiez à l’ordre du jour, motivé sur ce décret. Un membre [LEFRANC (75)] : Moi aussi je veux que mes collègues détenus soient jugés, mais je veux que leurs crimes prétendus soient dévoilés à la tribune. La Convention avait décrété que les pièces à leur charge seraient imprimées, et depuis quinze mois elles ne le sont pas encore; depuis quinze mois la prétendue protestation pour laquelle ils ont été enfermés n’a point encore paru, quoiqu’un décret ait ordonné qu’elle serait imprimée quelques jours après. On ne peut attribuer qu’à la calomnie et à la mauvaise foi qui les persécutaient l’inexécution de ce décret. Je demande qu’enfin on lui obéisse, et que cette pièce soit imprimée avant le rapport. Un membre : Je demande aussi l’exécution du décret, car il y a longtemps que nos collègues (73) Ann. R.F., n° 29. (74) Moniteur, XXII, 298-299. (75) M. U., XLIV, 460. SÉANCE DU 29 VENDÉMIAIRE AN III (20 OCTOBRE 1794) - N° 22 315 eux-mêmes sollicitent un rapport, et ils le provoqueraient pour établir leur innocence d’une manière solennelle, quand bien même la Convention voudrait les dispenser de toute justification, et déclarerait n’en pas avoir besoin. Mais ce qui fera l’objet de ma réclamation, c’est que vous avez décrété que la pièce qui a servi de base à l’arrestation serait imprimée; vous l’aviez décrété lorsque l’arrestation eut lieu; vous l’avez encore décrété récemment; cependant cette prétendue protestation ne voit pas le jour; en supposant que le rapport ne doive être fait que le 1er et non avant le 1er brumaire, n’eût-il pas été néanmoins désirable qu’elle fût connue de la Convention avant le jour du rapport, afin que chacun pût l’apprécier avec réflexion? Par quelle fatalité votre volonté a-t-elle été déçue à cet égard? Tout me porte à croire que l’accusation a été enfantée par la calomnie et la mauvaise foi. Je demande que la Convention décrète l’impression dans un délai fixé. PÉNIÈRES : Je demande que la Convention sache pourquoi son décret relatif à l’impression des pièces n’a point été exécuté. LE COINTRE (de Versailles) : Je viens d’entendre dire à Bentabole que le comité de Sûreté générale n’avait point la pièce. Amar doit l’avoir; il était rapporteur; c’est lui qui nous a certifié son existence. Je demande qu’il soit tenu de la présenter. AMAR : La pièce dont on parle a été envoyée au tribunal révolutionnaire avec d’autres, parmi lesquelles se trouvaient des lettres de Barbaroux. Elles ont servi de conviction ou de renseignements dans la procédure contre les députés. Les pièces dont je parle avaient été trouvées dans les papiers de Duperret. L’inventaire et le dépouillement en fut fait en présence de Duperret, et le procès-verbal, ainsi qu’un grand nombre de ces pièces, ont été contresignées par lui. C’est donc au tribunal révolutionnaire qu’il faut chercher ces pièces, dont il ne me reste entre les mains qu’un extrait que je fis alors. Un membre : D’après la déclaration d’Amar, il y a un parti à prendre; ce ne sera pas sans doute celui de faire usage de l’extrait d’Amar, mais bien de faire ordonner la remise de la pièce par le tribunal révolutionnaire, dans le plus court délai. Il faut bien que cette pièce soit produite, puisqu’elle a été l’unique fondement de l’arrestation et de l’accusation. Je dois dire cependant que je connais un de nos collègues détenu sans l’avoir signée ; et j’adjure ici un représentant du peuple, sur la dénonciation duquel Richou a été arrêté, de faire un acte solennel de justice et de rendre hommage à l’innocence. Du Roy a fait comprendre Richou dans la liste des députés arrêtés, en disant qu’il avait écrit dans le département de l’Eure une lettre contre Marat, et dans laquelle il annonçait peu d’amour pour le gouvernement républicain. Du Roy s’engageait à produire cette lettre ; il ne l’a point fait, et depuis cette époque Richou est dans les fers. Du Roy sait aujourd’hui que la lettre qu’il a prêtée à Richou n’a jamais existé ; il l’a dit à la femme de ce dernier; et lorsque celle-ci lui a représenté qu’il devait donc proclamer hautement l’innocence de son mari, il a répondu : « Cela pourrait me compromettre ; je sais que votre mari a de bons principes, mais il se mettait du mauvais côté...» {Murmures). Du Roy demande vivement la parole. MERLIN (de Thionville) : Je demande le maintien du décret et l’ordre du jour. Notre collègue peut faire part aux trois comités du fait qu’il vient de citer ; mais la Convention ne doit s’occuper de cette affaire, dans ses détails comme dans son ensemble, qu’après le rapport qu’elle a demandé; c’est le voeu de son décret. BENTABOLE : Je prends la parole pour le comité de Sûreté générale. Il est possible que la pièce ne puisse se trouver rapidement, et on imputerait ce retard à sa lenteur. Pour éviter cet inconvénient, je demande que le greffier du tribunal révolutionnaire soit tenu de remettre les pièces dans les vingt-quatre heures (76). [Le décret de la Convention porte que le comité de Sûreté générale fera imprimer les pièces. Amar vient de vous dire que la protestation étoit au tribunal; je demande que la Convention décrète que le tribunal révolutionnaire remettra dans les 24 heures au comité de Sûreté générale, la pièce dont il est question.] (77) La proposition de Bentabole est décrétée, ainsi que l’impression sans délai. La Convention passe à l’ordre du jour sur les autres propositions (78). La Convention nationale décrète que le greffier du tribunal révolutionnaire remettra, dans les vingt-quatre heures, au comité de Sûreté générale l’acte signé par les représentans du peuple détenus, qui a servi de motif à leur arrestation, et que le comité de Sûreté générale le fera imprimer sur-le-champ pour être distribué. Renvoie la proposition de mise en liberté du représentant du peuple Richou à l’examen de ses trois comités, et sur toutes les autres propositions, passe à l’ordre du jour motivé sur le décret qui ordonne aux trois comités de faire un rapport sur les représentans du peuple détenus (79). Le président annonce que les députés devant se réunir demain, à 9 heures, à l’Ecole Mili-(76) Moniteur, XXII, 299-300. (77) J. Paris, n 30. (78) Sur tout le débat : Moniteur, XXII, 297-300 ; Débats, n° 758, 437-444 ; Ann. Patr., n° 658; Ann. R.F., n° 29; C. Eg., n° 793; F. de la Républ., n° 30; Gazette Fr., n° 1023; J. Fr., n“ 755; J. Paris, n° 30; J. Mont., n° 8; J. Perlet, n° 757; J. Univ., n 1790; Mess. Soir, n” 793; M. U., XLIV, 458-461; Rép., n° 30. (79) P. V., XLVII, 279. C 321, pl. 1337, p. 60, minute de la main de Eschasseriaux le jeune; Merlin (de Thionville), rapporteur, selon C’ II 21, p. 14.