108 [7 décembre lT90.j [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M-Voidel répond que l’Assemblée l’a ainsi ordonné dans sa séance d’hier. M. le Président. L’Assemblée passe maintenant à la discussion de l'affaire de Nancy. M. Du Châtelet (1). Messieurs, personne n’a été plus altligé que moi des désordres d’un corps que j’ai eu l'honneur de commander pendant vingt années, et qui, jusqu’au moment où je l’ai quitlé, avait été l'objet de ma plus douce satisfaction ; aucune de ces punitions humiliantes n’y avait jamais été nécessaire pour le maintien de la discipline la plus exacte. Le zèle et l’in-telligt nce des officiers et des sous-officiers, lex-cellent esprit des soldats, des établissements qui leur étaient utiles, des soins paternels qui leur étaient prodigués, excitaient leur reconnaissance. Le régiment du roi ne formait qu’une grande famille, et les sentiments d'un attachement réciproque unissaient les officiers aux soldats, et les soldats aux officiers. Comment l’esprit d’indépendance et d’insubordination a-t-il pu égarer ces mêmes soldats? Ce n’est point dans des circonstances particulières à la ville de Nancy et étrangères au régiment du roi, ce n’est pas dans une multitude de petits faits incertains ou dénaturés, dans d’autres isolés ou insignifiants, Ions dénués de preuves, qu’il faut en chercher les véritables causes : c’est dans l’aveu même des soldats les plus coupables, les seuls que MM. les commissaires du roi aient pu interroger dans les prisons de Nancy ; vous l’avez entendu hier, Messieurs, ils sont tous convenus qn’à l’epoque de h ur première insurrection, ils n’avaient eu qu’à se louer de la conduite de leurs officiers à leur égard, et ils ont avoué qu’on ne pouvait attribuer ces désordres « qu’au désir, ré-« pandu depuis quelque temps dans le cœur de « chacun d’eux, d’essayer les fruits de cette li-« berlé assurée à tous les Français» (2), et dont ils ne connaissaient ni la mesure ni les bornes dans leur rapport avec la discipline militaire. Ce sont en effet, Messieurs, ces premières idées confuses, fomentées par plusieurs causes extérieures, et propagées par quelques esprits turbulents et intérêts à la licence, qui n’ont cessé d’entretenir depuis ce temps dans le régiment du roi une fermentation sourde, étouffée souvent par la vigilance des chefs et des officiers particuliers, mais toujours subsistante, et qui n’avait besoin que du plus léger prétexte pour produire une nouvelle explosion. La première qui eut lieu au régiment du roi, au mois de septembre de l’année dernière, se manifesta comme un torrent qui renverse à la fois et dans un instant toutes ces digues; rien ne l’avait annoncé, et cependant les soldats passèrent rapidement des prières à ia désobéissance, et de Ja désobéissance aux menaces, elles eurent pour principal objet le major du régiment, officier du mérite le plus distingue, sans autre motif que celui de son attachement connu au maintien de ia règle et de la discipline, et sur le simple soupçon d’avoir été un des plus opposés au succès de leur demande. Cependant tous les officiers partagaient tous ces sentiments, ils sentaient le danger d’une première condescendance, ils demandaient tous (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. Pu Châtelet. (2) Page 8 du rapport de MM. les commissaires du roi . à périr, s’il le fallait, pour le rétablissement de l’ordre, et toute la prépondérance du commandant de la province et les exhortations les plus pressantes d’un officier général (1) qu’on n’accusera sûrement pas de faiblesse, furent nécessaires pour les engager à se calmer-, mais les soldats paraissaient moins agités, ils promettaient l’obéissance la plus absolue sur tous les autres points de la discipline, et les gens les plus sensés crurent cette première condescendance indispensable. On en a fait hier le sujet d’un reproche contre l’officier qui, pour lors, commandait le régiment du roi, mars on n’a peut-être pas asst-z réfléchi que, si les moyens violents qu’il eût fallu employer avaient produit quelqueévénement funeste, ce même commandant aurait été accusé d’avoir commis une grande imprudence. Je ne m’arrêterai point sur la discussion de plusieurs circonstances très légères qui sont consignées dans le rapport qui vous a été fait et qu’on a cru pouvoir vous indiquer comme le fondement de quelques conjectures défavorables à la prudence de plusieurs jeunes g xige la sévérité des lois. Le département a aussi commis de grandes fautes. Je ne conçois pas pourquoi cette députation àM. de Bouille, dont l’objet public était de le sommer de retirer ses troupes ; pourquoi cette 313 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 décembre 1790.) même réquisition envoyée aux troupes, et qui a produit son effet sur un de ces corps ; pourquoi une autre réquisition aux carabiniers pour qu’ils se joignissent à la garnison de Nancy. Pour ce qui concerne les ofticiers du régiment du roi, je rappellerai les combats provoqués par les jeunes ofticiers, le peu de respect qu’ils portaient à l’Assemblée nationale, à ses décisions, à ses lois; le mépris public du décret qui donne la préséance aux gardes nationales; les obslacles des officiers du régiment du roi à la fédération ; l’histoire d’un soldat nommé Roussière, qui, provoquant au combat des citoyens, est arrêté, et donne, par le fait et par ses réponses, la plus forte conviction d’un complot formé par les officiers. J’engagerai l’Assemblée à jeter les yeux sur l’événement du 4 août, cause première de l’insurrection... Du moment où elle est devenue générale, il n’y a plus de reproches à faire aux ofticiers. Nous avons suffisamment indiqué qu’avant cette époque ils n’en étaient pas exempts. L âge et le rang des coupables ne nous attendrissent pas ; lorsqu’on se croit digne de commander, il faut être sûr de ne le faire que suivant la loi. 11 est temps de s’occuper des soldats du régiment du roi. Je vois une première insurrection sur la désobéissance de Bourguignon, et dans ce moment même tous les esprits sont tournés à l’indiscipline : les officiers sont enfermés aux casernes sous le prétexte de rendre des comptes, qu’ils ne doivent pas, et, sans attend œ ces comptes, les soldats se font délivrer 150,000 livres. Dans cette circonstance c’est M. Pomier qui porte la parole. Les soldats, interrogés par une députation de la municipalité sur la détention de leurs officiers, répondent qu’ils seront bientôt libres. Deux Suisses, après avoir été cruellement passés par les banderoles, sont mis en prison. Les prisons sont bientôt forcées, et ceux quVlles renferment en sont arrachés. Les inquiétudes augmentent parmi les soldats et les mouvements se dirigent contre les officiers. On met des sentinelles aux portes deceux qu’on peu t rencontrer. M. Dénoué est forcé, sur un propos qu’il atenu, devenir faire des excuses dans la place publique en présence du régiment du roi. C’est M. Pomier qui l’interpelle. Depuis cette époque les violences exercées parles soldats augmentent; ils font distribuer cent louis aux Suisses qui avaient été passés par les banderoles. Les cavaliers de Mestre-de-camp et les soldats de Châteauvieux se font distribuer de l’argent ; l’indiscipline est générale ; elle devient terrible. Les soldats du régiment du roi s’emparent de leur caisse ; les cavaliers de Mestre-de-camp se jettent à la poursuite de M. deMalseigne lorsqu’il quitte Nancy, et engagent un combat avec les carabiniers. Les lettres sont saisies et lues, par la volonté des soldats, en présence de la municipalité. Une nouvelle insurrection a lieu dans un quartier de la ville; c’est encore les soldats qui s’en rendent coupables; ils forcent le magasin à poudre et l’arsenal. Un assassinat est commis dans la personne de l’adjudant des carabiniers; diverses violences sont exercées sur M. de Malseigne pour le faire revenir à Nancy. Un détachement rie Lunéville est attaqué par des soldats de Nancy, M. de Malseigne est saisi et conduit dans cette garnison. Un soldat, avec le sabre nu, monte derrière la voiture et menace sa vie s’il descend à la municipalité. Un cavalier de Mestre-de-camp [impose de le pendre sans différer; et au même instant les soldats de la garnison se font délivrer 50,000 livres, c’est-à-dire un louis à chacun. Les jours de M. de Malseigne sont encore menacés dans sa prison. Les corps administratifs se plaignent que les soldats exercent sur eux toutes sortes de violences, qui les réduisent à prendre des mesures coupables. Les soldats font des préparatifs hostiles à l’annonce de l’arrivée de M. de Bouillé; ils se disposent à défendre les portes de Stain ville et de Stmislas, et refusent d’écouter la voix de leurs officiers qui leur crient de se retirer. Enfin ils tirent le coup de canon terrible qui a été le signal de la guerre et des scènes d’horreurs qui ont eu lieu à Nancy. Tous ces faits sont énoncés dans le rapport des commissaires, de la page 20 jusqu’à la page 70. Je demande, à cette occasion, si l’on a remis à M. le rapnorteur une lettre qui prouve que M. de Malseigne avait ordre de ne s’occuper que de la garnison française, et non des comptes du régiment de Ghâteauvieux. M. Brûlart (ci-devant de Sillery). Je n’ai pas connaissance de cette lettre. M. de IWoailles. Nous aurons peut-être à reprocher à M. de Bouillé d’avoir laissé approcher l’avant-garde de sa colonne trop près du poste qui gardait l’entrée de la ville, et de l’avoir ainsi compromise contre sa propre intention. Un moment a fait couler le sang qui a été répandu; nous ne dirons nas qu’un instant aurait pu compromettre le succès de cette journée, car nous regarderons sans cesse comme un jour de deuil le jour où tant de citoyens ont été sacrifiés. Je pense encore que M. de Lafayette a outrepassé les bornes de ses fonctions qifand il a invité les gardes nationales des départements de la Meurthe et de la Moselle à obéir à vos décrets. (On applaudit.) De ces observations rapides et incomplètes il ne résulte qu’une seule vérité : c’est que le rapport qui vous a été fait ne vous a pas suffisamment éclairés. Et cependant du parti que vous allez prendre dépend le destin de la France. Jamais nos annales n’ont rapporté des faits pareils, et j’oserai le dire, s’ils se renouvelaient à l’avenir, ce serait une preuve certaine que vous auriez porté sur ceux-ci un jugement trop vague. Certes, ce serait un singulier système que celui qui tendrait à établir que, là où il parait y avoir des coupables de tout rang, il n’y a plus d’autre parti à prendre que celui de l’indulgence. Je conclus à ce que l’Assemblée se fasse présenter un nouveau rapport, et, ce qui doit en être la suite, un décret pins conforme aux principes que celui qui lui a été soumis à la séance d’hier. M. de Cabales. Je ne vous retracerai pas le tableau des malheurs de Nancy, et quoique les détails de ces funestes événements ne vous soient parvenus qu’à travers l’intidélité et L’exagération de l’esprit de parti, il en résulte, pour tout homme sans esprit de parti, que tout le crime de la municipalité est d’avoir été faible et craintive; que le corps des officiers du régiment du roi est-irréprochable ..... (Il s'élève de violents murmures) ; qu’à l’exception de l’étourderie de quatre jeunes officiers, le corps des officiers du régiment, dn roi est irréprochable dans sa conduite. Il en résulte que les excès auxquels se sont portes les soldats ne peuvent être excusés. Rien ne saurait excuser ces hommes affreux qui ont suscité, payé peut-être une insurrection qui, sans la fermeté de l’héroïque de Bouillé (Il s’élève beaucoup de murmures ; on entend quelques applaudissements), commençait la guerre civile et 314 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 décembre 1790.] couvrait cet Empire de meurtres et de pillage. Si je voulais défendre les officiers, s’ils avaient besoin d’être défendus, je vous ferais observer que le rapport de vos comités semble avoir pour but unique d’atténuer les torts des soldats et de faire suspecter les officiers !... M. Babey. Un rapporteur qui atténuerait des faits mériterait d’être puni ; mais plus il aurait encouru une peine sévère, moins l’Assemblée doit souffrir qu’on l’inculpe gravement. M. de Gazalès doit être rappelé à l’ordre. M. de Cazalès. On a parlé des privilèges dont jouissait le régiment, comme s’il y avait quelque rapport entre les privilèges des officiers et les crimes des soldats. Le rapporteur a blâmé l’indulgence des chefs quand ils ont pardonné une faute de discipline ; il a blâmé M. Dénoué d’avoir, pour une faute grave, privé les grena-nadiers du service de la place ; il l’a blâmé encore d’avoir appelé la conduite des soldats un brigandage. Eh ! quel nom méritent donc des soldats qui ont assassiné leurs officiers, pillé la caisse du régiment?... ( Plusieurs voix s'élèvent : Gela est faux !) M. le président a entendu le propos indécent qui vient de m’être adressé ; je le prie de faire renaître l’ordre... J’avoue que ce n’est pas sans scandale que j’ai vn le rapporteur chercher à persuader que des soldats coupables de pareils excès, que des soldats qui faisaient retentir ce vil cri : De l'argent ! de V argent ! ont été égarés par le patriotisme. Si c’est là du patriotisme, cette application très neuve de ce mot m’explique pourquoi, dans Ja liste des patriotes, on trouve le nom de tous les usuriers, de tous les agioteurs de Paris, de toutes ces sangsues qui, après avoir sucé longtemps le sang du peuple, s’en disent les défenseurs ; pourquoi on y trouve aussi des hommes qui ont sacrifié les avantages que leur naissance et leur rang leur donnaient dans le monde à l’appât d’un gain sordide et aux profits hasardeux d’un vil métier... Je vais m’attacher aux trois dispositions principales du projet de décret, et j’essayerai de démontrer leur vérité ou leur injustice. Par la première disposition le comité propose de blâmer la municipalité ( Plusieurs voix: Gela n’est pas vrai!); la seconde consiste à licencier le régiment du roi et celui de Mestre-de-camp ; la troisième, à annuler l’instruction criminelle et à la regarder comme un abus. Quant à la première proposition, je rappelle une chose prouvée par les faits: c’est que le crime de la municipalité n’existe que dans la faiblesse. (Plusieurs voix: Mais il n’est pas question de la municipalité dans le projet de décret.) Je reçois cet avis très à propos, et je supprime cette partie de ma discussion. La première disposition est donc le licenciement du régiment du roi et celui de Mestre-de-camp. Tous les faits prouvent que le corps des officiers du régiment du roi a tenu une conduite irréprochable ; que, placé dans des circonstances périlleuses, il a donné l’exemple du courage difficile de se laisser insulter sans se défendre. Les mêmes faits démontrent que les soldats sont profondément coupables, et on propose de les récompenser ! car c’est une récompense que de recevoir gratuitement un congé qui souvent coûtait fort cher; car c’est une récompense que d’obtenir une gratification de trois mois de solde, quand les soldais qui reçoivent leurs congés et qui ont bien servi pendant huit années n'ont d’autre gratification que leur masse et l’argent nécessaire pour se rendre à leur domicile. Ces réflexions suffisent pour montrer comb en l’article dont il s’agit est ridicule et improposable. Je me hâte d’arriver à la seconde proposition : elle consiste à annuler la procédure instruite et à la regarder comme un abus. Je pourrais ran-peler que cette procédure a élé ordonnée par vos propres décrets et observer qu’on veut faire tomber dans une étrange contradiction. Je pourrais dire que si, il y a quelques mois, ce fut une mesure sage et prudente , je ne conçois pas comment cette même mesure est devenue injuste et impolitique , sans que les circonstances aient changé. Je pourrais faire craindre que cette mesure, ne soit attaquée que par l’esprit de parti, que parce qu’ou s’effraie d’en voir jaillir une lumière redoutable. Mais je néglige ces moyens et je rappelle l’Assemblée aux premières idées de justice. Refuser d’instruire une procédure, c’est un délit public; empêcher de suivre une procédure commencée, c’est un acte de despotisme ; car s’il est vrai que le but de toute instituiion sociale est la défense de l’honneur et de la propriété de tous les citoyens, comment serait-il possible de jeter un voile sur un crime public, d’épaissir les ténèbres qui enveloppent d’un même soupçon le coupable et l’innocent, le crime et la vertu? Il n’est pas un citoyen de Nancy, il n’est pas un officier, pas un soldat qui n’ait le droit devons dire : « De grands crimes ont été commis ; ils pèsent sur notre ville, sur notre régiment; je demande à être jugé, afin que personne ne puisse me confondre avec les scélérats coupables de ces crimes ou avec leurs complices. » Si quelqu’un élevait la voix et vous tenait ce langage, sa juste, son honorable réclamation serait-elle rejetée? ühbien! les soldats demandent qu’on les juge; je le demande, moi, en leur nom, en celui de leurs officiers, en celui des citoyens de Nancy. Quelle est la circonstance où l’on vous propose d’ensevelir dans les ténèbres les complots tramés à Nancy ? C’est dans le moment où la nation est divisée en deux partis qui s’accusent mutuellement des crimes dont nous gémissons , qui attendent l’occasion de discerner, au milieu de cette agitation universelle, les auteurs de ces désordres affreux. Eh bien! cette occasion est trouvée : ceux-là seuls soat des hommes exécrables qui ont excité, qui ont conseillé les crimes commis à Nancy. Que la nation entière les connaisse et les juge par les émissaires qu’ils avaient envoyés. Lu lumière la plus vive doit être portée dans cette œuvre d’iniquité : la nation a intérêt à le vouloir, elle le veut; et vous supprimeriez la procédure commencée 1 La suppression d’une procédure est un acte de tyrannie. Qu’il me soit permis de rappeler à ces Bretons qui siègent dans cette Assemblée quelle fut leur juste indignation quand le feu roi fit enlever du greffe du parlement de Paris la procédure dirigée contre M. d’Aiguillon. Cette indignation fut juste, la France la partagea; il n’y eut pas un bon citoyen qui ne fut profondément affligé de voir le vertueux La Ghalotais rester sous le coup d’une accusation calomnieuse quand le coupable d’Aiguillon jouissait en paix des crimes qu’il avait commis dans cette province. {Il s'élève beaucoup de murmures.) M. Cottïn. Si le père eut des torts, les vertus du lils les ont fait oublier. M. de Cazalès. L’acte d’autorité qu’on vous [7 décembre 1790.] 315 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. propose est le même. Est-ce (pie ce qui fut injuste autrefois est devenu légitime? Est-ce que les changements opérés dans notre gouvernement ont changé les principes ? Est-ce que les premières notions que nous avons reçus du Créateur ne sont pas invariables comme celui qui nous a formés? Ce n’est pas que je prétende m’opposer à l’esprit d’indulgence qui règne dans cette Assemblée ; mais je voudrais allier la justice avec la clémence ; mais je voudrais que la procédure fût achevée, sauf à surseoir à l’exécution. Alors je monterai à cette tribune ; je prierai l’Assemblée de porter aux pieds du roi, qui seul a droit défaire grâce... (Il s'élève beaucoup de murmures), je [trierai l’Assemblée de demander au roi la grâce de presque tous les coupables. Je dis presque tous ; car peut-être trouverez-vous difficile de pardonner à ceux qui avaient rassemblé ces aventuriers, ces hommes sans aven, dont la ville deNancy est remplie; peut-être trouverez-vous difficile de pardon ner aux assassins du héros de Nancy, à ce jeune Desille, dont l’action immortelle honore et le siècle et l’ordre dans lequel il était né. (Ou entend un murmure presque général. — ■ M. Barnave demande la parole. — Il se passe quelques moments dans une grande agitation.) M. de Cazalès. Quoiquejamais je n’aie interrompu M. Barnave, je demande que la parole lui soit accordée. M. Barnave. Je dis, monsieur le président, que J'Assemblée ne peut laisser continuer l’orateur et passer sous silence son discours sans le caractériser :un discours où l’esprit de parti, après avo r osé remué la cendre des morts pour soulager la haine d’un parti ennemi de la Révolution ( Une grande partie de V Assemblée applaudit), où la malignité la plus acérée a cherché, pour le déchirer, dans le cœur d’un homme qui n’a d’autres torts aux yeux de l’opinant que de différer avec lui de principes, tout ce que la nature a de plus cher; un discours qui a commencé ainsi par un ral finement de cruautés, et qui finit par l’oubli des principes de la Révolution, par quelque chose de plus odieux encore, par une imulte à l’humanité ; car c’est insulter l’humanité que de faire renaître les distinctions, que de vouloir se faire une gloire et une vertu de la possession de privilèges qui, pour la gloire de la nation et de l’humanité, sont heureusement détruits. Je ne veux point prolonger la discussion. L’opinant a manqué à ce qu’il devait à son collègue ; car jamais la diversité des opinions ne peut justilier des moyens aussi barbares. 11 a manqué, quelle que soit son opinion intérieure, aux principes immuables delà Constitution. Je demande donc qu'à ces deux titres il soit rappelé à l’ordre, et que le le procès-verbal porte ces deux motifs : « pour avoir manqué à son collègue et pour avoir manqué à l’Assemblée. « M. d’Aiguillou. J’aurais plus tôt demandé la parole pour solliciter de l’Assemblée une justice éclatante des injures et des calomnies que M. de Cazalès s’est permises contre la mémoire de mon père, si je n’avais considéré combien l’opinant et les principes de M. de Cazalès ont peu d’influence sur l’Assemblée nationale et sur la nation { Une grande partie de V Assemblée applaudit), si je n’avais pensé que je devais les outrageantes personnalités de M. de Cazalès à la différence d’opinions qui existe entre nous. D’ailleurs, les applaudissements que l’Assemblée a bien voulu me donner vengent assez et moi et la mémoire de mon père. Je demande donc que, pour ce qui me regarde personnellement, M. de Cazalès ne soit pas rappelé à l’ordre. ( Les applaudissements redoublent.) M. «le Cazalès. Je commence par attester sur mon honneur (Il s'élève de grands murmures) , et M. d’Aiguillou m’en croira, que je n’ai pas eu le projet de le désobliger ; que, quand j’ai cité un fait qui arrivait très naturellement à ce que je disais, je voulais seulement inviter l’Assemblée... (Les murmures augmentent.) J’atteste qu’après l’avoir cité j’ai aperçu M. (l’Aiguillon, et j’en ai eu du regret. (Nouveaux murmures.) A la manière dont M. Barnave a empoisonné ce que j’ai dit, je demande que l’Assemblée décide dans lequel des deux discours a existé le ton de l’esprit de parti le ton de la faction. (Plusieurs personnes : Aux voix! aux voix !) Je désirerais que l’Assemblée déterminât la nature du respect qu’on lui doit. Je crois qu’avec l’amour effréné de la liberté nous ignorons celle qui doit régner dans les corps délibérants. On doit pouvoir fronder l’opinion de la majorité, invectiver même la majorité. (On murmure.) Apprenez que, chez un peuple plus expérimenté que vous dans la science des délibérations politiques, on attaque les opinions et les décrets. « Jamais, disait Fox, il n’v aura d’alliance entre l’o p position et la majorité, pan e qu’il ne peut y avoir d’alliance entre l’injustice et la probité. » (On applaudit.) Et nous aussi nous sommes le parti de l’opposition ; nous voulons bien que la nation sache que, soumis à vos lois cumme citoyens, nous avons voté contre elles comme législateurs : le temps viendra où elle jugera entre vous et nous. Apprenez qu’il n’y a pas de liberté quand l’opposition n’a pas la liberté de la parole; que le parti de l’opposition, quelle que soit l’opinion qu’il professe, est toujours le parti du peuple. (On murmure.) Le parti qui s’oppose à l’autorité dominante, quelque nom qu’elle porte, que ce soit celle du roi, des ministres, du peuple, de l’Assemblée nationale, ce parti est le plus indépendant, il est le défenseur du peuple. Son devoir est de lui dénoncer cette même majorité si elle devenait jamais infidèle ou corrompue. Apprenez, législateurs d’un jour, que c’est ce parti qui conserve la liberté publique. Si vos décrets sont justes, l’opposition ne poussera que de vaines clameurs ; s’ils ne sont pas justes, ce parti deviendra la majorité de la nation, et alors il sera bien près d’être la majorité de l’Assemblée nationale. Tels sont les principes que ne contestera personne; tels sont les principes sur lesquels repose la liberté .mblique; car si l’opposinon n’avait pas le droit d’éclairer la nation, la nation serait immolée. Je crois avoir professé les principes d’un homme libre; soit que l’Assemblée donne suite à la motion qui a été faite, soit qu’elle passe à l’ordre du jour, je prie le parti de l’opposition de garder le p'us profond silence. Quelle que soit jamais l’opinion de ma conscience, je la prononcerai sans craindre la punition qui pourrait la suivre, car toute punition est douce pour l’homme de bien qui a fait son devoir. M. Barnave. Je suis, autant que le préopinant, partisan d’une grande liberté dans l’expression de la pensée; mais dans aucun pays il ne sera permis de méconnaître les droits de l’humanité; mais jamais en France il ne sera permis d’attaquer les lois constitutionnelles, et il est constitutionnel qu’il n’y a plus d’ordres. Nui opinant ne peut* 316 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 décembre 1790.] sans attaquer la Constitution, parler de la distinction des ordres, et si l’Assemblée veut qu’on obéisse aux lois, il faut qu'elle en empêche la profanation dans leur sanctuaire. Quant à la seconde partie de ma motion, c’est à vos cœurs, c’est à votre délicatesse à juger. Vous sentez assez que le motif odieux dont on s’est servi dans l’opinion qu’on vous a débitée était surabondant et entièrement personnel. M. de Cazalès. L’Assemblée sera surprise peut-être que M. Barnave regarde comme une infraction à la loi la phrase où j’ai dit que M. Desille honore le siècle et l’ordre dans lequel il est né. S’il fallait argutier avec M. Barnave, je lui dirais que les ordres existaient quand M. Desille est né. Mais, en vérité, je n’ai pas beson de justification. et je demande à l’Assemblée de juger gravement ce délit et d'en déterminer l’importance. (On demande à passer à l’ordre du jour.) M. Alexandre de Lametli. On demande maintenant, par lassitude peut-être, l’ordre du jour-, je prie l’Assemblée d’examiner que l’opinant a pour objet de faire douter que l’ouinion amie de la Révolution domine dans cette Assemblée; je prie d’observer qu’il s’érige en chef de parti, qu’il commande à ses soldats de faire silence. Dans le moment même où l’on demande dans cette Assemblée l’observation des lois, quand on est choqué de voir un membre attribuer à un ordre, à une caste, des vertus qui appartiennent à tous les citoyens, l’opinant dit que la nation n’a pas encore jugé entre son parti et nous, qu’elle décidera bientôt; c’est au moment où l’on sait qu’il y a encore dans le royaume un reste d’opposition qu’on veut ramener l’espérance dans le cœur des mauvais citoyens ...... M. de Cazalès. Quels sont les mauvais citoyens ? Un grand nombre de voix : Vous, vous ! M. Alexandre de Lameth. Ce sont ceux qui s’opposent aux décrets par des protestations, par des déclarations; ce sont ceux qui voudraient créer des factions et se mettre à leur tête; ce sont ceux-là qu’il faut décourager; c’est à eux qu’il faut imposer silence partout; c’est à eux qu’il faut imposer silence dans l’Assemblée nationale. . . M. de llurînais. Je parlerai, et vous ne m’in-poserez pas silence. M. de Folleville. M. de Lameth a trouvé la pierre philosophale. M. Alexandre de ILanieth. On nous parle du courage, des vertus, des services d’un parti de l’opposition. Oui, il a de la vertu, ce parti, quand il est destiné à résister au despotisme. ( La droite murmure.) M. de Folleville. Je demande qu’on laisse M. de Lameth faire notre éloge. M. Alexandre de Lameth. Quand il est destiné comme en Angleterre à contenir l’autorité dans ses véritables bornes, quand il s’oppose aux progrès que cette autorité veut faire sur les droits du peuple, certes alors il mérite l’estime publique. J’en suis tellement convaincu que si jamais, malgré la courte durée de nos législatures et la supériorité de notre représentation, la majorité pouvait être dévouée à des ministres qui, au mépris de la Constitution, voulussent étendre la prérogative royale; dans ce cas, si la confiance de nos concitoyens nous rappelle dans cette Assemblée, on nous verra, je puis l’annoncer, on nous verra mettre notre gloire à être comptés dans la minorité qui leur résisterait. Voilà, je Je répète, un parti d’opposition qui a des droits à l’estime; mais un parti qui ne présente d’opposition qu’à la volonté générale, qui ne résiste qu’aux lois de l’Etat, dont les efforts tendent sans cesse à ralentir les travaux de l’Assemblée et à empêcher l’exécution de ses décrets, c’est-à-dire à prolonger, autant qu’il est en son pouvoir, l’état de malaise inséparable d’une Révolution, une telle opposition est désastreuse, elle est sacrilège; c’est celle-là que nous ne cessons de combattre, et qu’il est important pour le salut public de réduire au silence... Vous avez entendu qu’on voudrait faire revivre des distinctions que vous avez détruites, attribuer à une caste particulière des vertus qui appartiennent à tous les hommes... J’invite tous les membres de cette Assemblée à ne pas regarder comme tellement légère la délibération que l’on va prendre, quand U importe à la tranquillité du royaume, à l’achèvement de la Révolution, que tout le monde sache combien vous improuvez l’opinion de M. de Gazalès. Je demande qu’il soit rappelé à l’ordre. ( Une grande partie de l'Assemblée applaudit.) (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la proposition de passer à l’ordre du jour.) M. Stanislas de Clermont-Tonnerre. Je ne suis certainement pas le seul qui ait souffert, comme homme et comme citoyen, de la longue et scandaleuse discussion que vous venez d’entendre; j’ai des raisons personnelles de m’affliger de ce qui a été dit dans cette tribune; mais je ne parle pas pour les hommes, c’est pour les principes. Je soutiens qu’il n’y a pas de liberté dans cette Assemblée si l’on ne peut rappeler les torts, les crimes même d’un individu. Je prétends que la conduite publique, que la mémoire de tous les hommes appartient à chaque opinant. Il s'agissait d’un délit public; on a cru pouvoir le présenter comme le moyen d’une opinion; je ne crois pas qu’on puisse rappeler uu membre à l’ordre pour cela. Je demande donc la division de ce reproche. Quant à l’autre, je ne m’oppose pas à ce que la motion soit adoptée. On a' dans cette tribune outragé ia mémoire de Henri IV, et l’opinant n’a pas été rappelé à l’ordre. M. d’Estourmel. On joue Charles IX, et l’on ne rappelle pas à l’ordre. (La division est adoptée.) M. le Président rappelle M. de Cazalès à l’ordre pour avoir manqué aux lois constitutionnelles du royaume. M. de Cazalès. Je n’ai pas le droit d’abuser de la patience de l’Assemblée nationale, et je résume mon opinion. Le décret proposé présente deux dispositions principales : l’une est dérisoire et injuste en ce qu’elle punit ceux dont la conduite est irréprochable et qu’elle récompense les coupables. Je propose à cet égard deux amendements : « 1° Conserver aux officiers du régiment du roi [7 décembre 1790.] 317 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. leur activité de service et leurs appointements jusqu’à leur replacement, qui doit être assuré dans les premiers emplois vacants de l’armée... » (Il s' élève des murmures.) Que l’Assemblée dise si elle ne veut entendre aucun membre du côté droit; ordonnez, on vous obéira : ordonnez, ou écoutez... « 2° Ne pas accorder une gratification de trois mois aux soldats; leur donner seulement les secours nécessaires pour se rendre à leur domicile, et prier le pouvoir exécutif de veiller à ce qu’ils ne commettent point de désordre sur leur passage. » L’autre proposition, qui tend à anéantir la procédure, ne me paraît propre qu’à cacher le nom et la personne des coupables. Je demande que l’instruction soit continuée, en arrêtant l’exécution jusqu’à ce que le roi et l’Assemblée nationale en aient décidé autrement. M. I*rugnon. Nancy a été le théâtre d’événements madieureux; on ne peut trop répéter : Excidat ilia diesl Mais faut-il ajouter malheurs à malheurs? Pourquoi ne pas adopter l’avis du comité? Je commence par répondre à M. de Cazalès, qui demande la continuation de la procédure. Eu ordonnant cette continuation, vous ranimez les passions, vous rallumez l’incendie, vous soulevez les familles contre les familles. Ce premier de nos besoins c’est le calme, surtout dans les départements qui bordent nos frontières. En adoptant l’avis de M. de Cazalès, vous iriez directement contre ce but. Quel serait le terme d’une procédure où des milliers de témoins ont été entendus? Voudriez-vous tenir encore une grande cité dans les liens d’une pareille information? Avec l’optique de la haine on voit tout ce que l’on veut, et on réalise tout ce que l’on voit. Si l’information était continuée, il en résu 11 erait une grande lenteur dans la perception de l’impôt, dans la vente des domaines nationaux, et il y en a beaucoup dans ce département; il en résulterait des haines héréditaires. Il est des circonstances où le législateur peut voir autrement que le juge ; il peut comparer la peine avec le résultat de la punition, et, suivant l’expression de Montesquieu, « couvrir la loi d’un voile. » Imitez la condui te de cet empereur romain qui, ayant trop de crimes à punir, dit : Frangatur potiùs legum veneranda maj estas. Le même motif veut que le législateur cherche à éteindre les passions pour les confondre en une seule, l’amour de la patrie. Je pense donc que l’amnistie générale proposée par le comité est le seul parti que nous ayons à prendre. Permettez-moi ici une question relative à la municipalité et aux corps administratifs. Depuis le 26 août, je puis le dire, on avait perdu la tête à Nancy; chaque corps administratif doutait de son autorité et de ses fonctions. Les événements se succédaient avec rapidité; on délibérait d’un sens, point de l’autre : ce qui convient à la minute qui passe ne convient pas à celle qui doit suivre. Peut-être aussi les officiers municipaux ont-ils eu peur, et en pareille circonstance ce n’était pas un crime. Quand on examine d’un œil impartial, on voit que les corps a iministratifs ont été entraînés par le torrent des événements. Le martyre était, dit-on, un devoir. Us vieuneut de naître ces corps, et vous leur demandez toute l’énergie de l’âge viril ! J'ajouterai qu’il faut plutôt les soutenir que les mortifier. Je finis en parlant du brave Desille. Son buste doit être placé dans cette salle. Si nous voulons des âmes antiques, il faut procéder comme les anciens ; il faut que la nation dotesa famille. Heureuse la. nation qui peut avoir beaucoup de pareils créanciers. Dans ce moment, ce héros attend sous sa tombe le jugement de la nation ! M. Itegnïer demande la parole. (La discussion est fermée.) M. de Crillon (le jeune). Avant qu’on aille aux voix sur le décret, je demande à justifier un de nos collègues absents. On a dit qu’il avait outrepassé ses pouvoirs en écrivant aux gardes nationales du dépaitement de la Meurthe ; je dois avertir l’Assemblée qu’il avait auparavant prévenu les comités des rapports, des recherches et militaire, dont l’opinant qui l’a blâmé est membre. (On applaudit dans une partie du côté gauche .) Plusieurs membres des mêmes comités se lèvent pour affirmer que le fait leur est connu. M. de Moailles. Plusieurs des membres qui m’entourent disent que le comité militaire n’a pas été prévenu; quant à moi, je n’en ai eu aucune connaissance. M. lîdederer fait lecture du projet de décret présenté la veille par M. Brûlart. M. de Menou. Je demande la question préalable sur le préambule du décret. (Le préambule est rejeté.) (On fait lecture de l’article 1er.) M. de Cazalès. Je demande la question préalable sur cet article. (La question préalable est rejetée.) M. d’Estourmel. Je demande la division de l’article, et voici mes motifs. On lit dans le rapport des commissaires : « L’attention de l’Assemblée nationale et du roi doit encore êtr e appelée sur un objet important, sur les deux procédures qui s’instruisent à Nancy : la première, en exécution du décret du 16, contre les instigateurs des troubles de la garnison, et la seconde contre les excès commis dans la journée du 31. Dans la première, cent cinquante témoins ont été entendus et quinze décrets ont été décernés; mais les plus graves ne paraissent pas décernés sur des preuves d’instigation. Des délits d'un autre genre ont pu être dénoncés par l’information. La seconde est établie sur la plainte rendue le 2 septembre par le procureur du roi contre les assassinats commis sur les troupes de M. de Bouillé ». Plusieurs voix : Lisez votre amendement. M. d’Estourinel. Voici mon amendement : Je demande que la procédure soit suivie, mais qu’il soit sursis à l’exécution du jugement. — Vous ne pouvez pas revenir sur un décret rendu à l’unanimité. (L’amendement de M. d’Estourmel est écarté par la question préalable.) M. Etumery. Il y a deux procédures très distinctes. On a informé en vertu de votre décret contre les auteurs de la sédition du régiment du roi, ensuite contre les auteurs des excès qui ont eu lieu le 31. Mon amendement est de ne donner aucune suite à toute procédure relative à ces malheureux événements. 318 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (L’amendement de M. Emmery, joint à l’article 1er, est décrété.) (On fait lecture de l’article 2.) M. de Noailles. J’observe qu’il n’y a pas un seul régiment où les officiers soient aussi amis de la Révolution que dans celui de Mestre-de-camp, cavalerie. Une des dispositions de l’article 2 porte qu’il sera accorde trois mois de solde aux soldats; vous accorderez probablement le même avautage aux officiers. Vous avez décrété qu’il ne serait fait aucun licenciement dans l’armée sans accorder une demi-solde aux militaires licenciés; il en coûtera donc autant que si vous réduisiez à moitié les régiments. Si les sous-oftieiers et les officiers demandent à être incorporés dans les autres régiments, cela influera sur l’avancement que vous leur avez fait espérer. Je pense donc que l’on pourrait réduire le régiment du roi à deux bataillons, changer son uniforme et l’appeler le 23® régiment. Quant à Mestre-de-camp, dont les officiers n’ont pas démérité, il faudrait incorporer le premier escadron dans le premier régiment de cavale-rieet le seconddarts le troisième. Quant à Château-vieux, il faut en renvoyer moitié aux Suisses et entamer une négociation, afin que, d’après les traités, ils nous rendent un nombre d’hommes égal à celui que nous leur renvoyons. Je demande donc le renvoi de l’article au comité mi-litane, qui se concertera avec le ministre pour, ensuite, présenter à l’Assemblée le résultat de sou travail. M. de Cazalès. On n’accorde point une demi-solde à un régiment qu’on punit. M. Barnave. Le licenciement des deux régiments est indispensable. Comment peut-on proposer de laisser continuer le service à des soldats et à des officiers qui ont respectivement porté les uns contre les autres les inculpations les plus graves, et qui, par conséquent, ont étouffé tout sentiment de bienveillance? Si vous les licenciez, abstraction faite de tout détail militaire, il sera facile, en donnant de l’emploi à ceux qui n’out pas commis de faute, de rendre à chacun ce qui lui appartient; tandis qu’en adoptant les mesures présentées par M. de Nouilles, vous confondez tout le monde et vous metiez ces corps dans un chaos nuisible et à la nation et à l'armée. (L’amendement de M. de Noailles est rejeté.) M. de Eirleu. Le licenciement est nécessaire; mais, par respect pour les principes monarchiques, il faut en renvoyer au rot les dispositions. Je uemande donc qu’il soit dit que le président se retirera partie vers le roi pour le supplier d’ordonner le licenciement. (Cette disposition est adoptée, et l'article 2 décrété sauf rédaction.) L’article 3 est rejeté par la question préalable. Les articles 4 et 5 sont décrétés. On fait fecture de l’article 6. M. Emmery. Cet article, tel qu’il est rédigé, préjuge une très grande question, celle de savoir si nous sommes obligés de négocier avec les puissances étrangères pour traiter de telle ou telle manière des personnes qui sont à notre solde. Notre traité avec la Suisse expire: lorsqu’on le renouvellera, on en écartera sans doute des stipulations qui blessent la souveraineté de [7 décembre 1790.] | la nation. Nous n’en sommes pas encore là; il j faut laisser la question vierge. Je ne conçois pas J comment on ne nous propose pas le licenciement de Cliâteauvieux; tout le mal est venu de son insubordination. C’est le tort des officiers de ce régiment, qui, pour une prétendue faute de discipline, ont condamné aux courroies des soldats qui étaient dans les termes de vos décrets. En une heure, le jugement fut rendu et exécuté; en une heure aussi, la fureur s’alluma dans toute la ville de Nancy. M. de Alenon. D’ici à peu de temps on s’occupera du renouvellement du traité avec la Suisse, et nous savons d’avance que son intention est de licencier le régiment de Ctiâteauvieux. M. Emmery. Je demande que le régiment de Cliâteauvieux soit renvoyé à M. l’évêque de Bâle, qu’il ne soit plus à la solde de la France, et qu’il ne soit pas mieux traité que des régiments français. M. Eavie. Cela regarde M. l’évêque de Bâle; on peut lui renvoyer un régiment qui en très grande partie est composé de déserteurs. (L’article 6 est renvoyé au comité diplomatique.) Un fait lecture de l’article 7. M. Rœderer. J’ai un amendement à faire : c’est que l’Assemblée révoque les applaudissements donnés à la municipalité de Nancy. Je ne développe pas mes motifs, l’Assemblée les comprend. Qu’on compare sa conduite avec celle des officiers municipaux de Metz. Le roi a chargé M. de Bouillé de donner une croix de Saint-Louis a la garde naiionile de cette ville; M. de Bouillé a convoqué la garde nationale, et lui a abandonné le choix du sujet qu’elle jugerait avoir mieux mérité cette distinction. La garde nationale pénétrée des principes de l’égalité constitutionnelle, veillant sur elle-même, n’a pas voulu délibérer, et s'en est référée à la municipalité, qui a unanimement délibéré que la croix serait refusée. Le motif de son refus est que toute distinction pour un service auquel tous sont également disposés blessait l’égalité. {On applaudit.) Elle n’a pas voulu qu’uue victoire remportée sur des frères égarés pût jamais êlre séparée des larmes et du sang qu’elle a coûtés. {Les applaudissements recommencent.) M. Babey. Je demande aussi qu’on retire les approbations données au directoire du département siégeant à Nancy, qui ne vaut pas mieux que la municipalité de cette ville. {On applaudit .) M. de Eirieu. Je m’oppose à ce qu’on retire les approbations qu’on a données tant à la municipalité qu’au directoire du département ; il faudrait du moins les avoir entendus. M. Régnier. Le directoire ne doit pas être confondu avec la munie. palité ; il n’est pas coupable ; je puis dire qu'il n’a cédé qu’à la violence. (On demande la question préalable sur la révocation des témoignages d’approbation.) M. Barnave. Il est impossible d’appuyer cette demande. M. Duquesnoy. Vous voulez donc mettre le feu dans le département ? [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 décembre 1790. J 319 M. Barnave. Ce n’est pas la crainie, ce n'est pas la violence qui ont pu porter à remettre entre les mains de M. de Bouille une dictature absolue. Le moyen de faire respecter la loi, c’est de traiter avec sévérité ceux qui s’en éloignent, Non seulement j’aurais proposé de retirer les applaudissements donnés à la municipalité, mais encore de la casser, lorsqu’on m’a dit que moitié de ses membres avaient été remplacés et que l’autre moitié a donné sa démission. (On demande la division de la proposition et qu’on rie retire que les applaudissements donnés à la municipalité.) (La question préalable est réclamée sur la division.) (Deux épreuves paraissent douteuses.) M. Barnave. Je demande que ceux qui opinent pour que les remerciements ne soient pas ôtés au directoire expliquent sur quoi ce directoire doit être remercié. (On applaudit.) On ne peut alléguer qu’il a été nul : il a agi puur le rassemblement des forces ; il a agi de concert avec la municipalité, pour demander l’attribution en dernier ressort au tribunal de Nancy des événements malheureux qui s’étaient passés dans cette ville. Pourquoi n’a-t-il pas employé la même activité quand il a fallu donner de là notoriété aux décrets de l’As-semblee nationale, à la proclamation de M. de Bouil é, en un mot, à tout ce qui pouvait prévenir les voies de rigueur? Je dis qu’il n’est pas trop tard de retirer les applaudismments qu’on lui a donnés. C’est, dit-on, le décourager. Un tel argument généralisé nous conduirait à l’anéantissement de la Constitution. N’avez-vuus pas déjà, pour des faits moins graves, improuvé la conduite des corps administratifs ? Le seul moyen pour que la confiance soit là où elle doit être, c’est la justice : nous avons commis une erreur en votant des remerciements au d rectoire et à la municipalité ; rétractons ces remerciements : c’est le seul parti qui nous reste. (On applaudit.) M. l’abbé Grégoire . Le directoire n’a pas partagé les erreurs de la municipalité; il a cédé à la violence, parce qu’il a pensé qu’il en résulterait un grand bien. M. de Menou. Je demande à l’opinant si les membres du directoire sont morts dans leurs places ; c’est le devoir de tout fonctionnaire public. M. Bégnier. Je demande la parole pour... (La q .estion préalable sur la division est adoptée.) M. Barnave fait lecture de la rédaction suivante : « L’Assemblée nationale, instruite que la municipalité de Nancy n’est plus composée des mêmes membres, se" borne à révoquer les remerciements qu’elle lui avait donnés. L’Assemblée révoque pareillement les remerciements qui avaient été votés au directoire de département. » (Cette disposition est décrétée.) Divers membres font encore des motions. Enfin le décret est rendu ainsi qu’il suit : * L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de ses comités militaire, des rapports et des recherches, décrète 0e qui suit : Art. 1er. « L’Assemblée nationale abolit toutes les procédures commencées tant en exécution de son décret du 16 août dernier, qu’à l’occasion des événements qui ont eu lieu dans la ville de Nancy le 31 du même mois; en conséquence, tous citoyens et soldats détenus dans les (irisons en vertu des décrets décernés par les juges de Nancy, ou autrement, à raison desdits événements, seront remis en liberté immédiatement après la publication du présent décret. Art. 2. « Charge son président de se retirer par-devers le roi, pour le prier de donner des ordres à l’effet du licenciement des régiments du roi et de Mestre-de-camp. Art. 3. « Elle charge son comité militaire de lui présenter ses vues, dans le pus court délai, sur les moyens de remplacer ceux des officiers, sous-offic ers, soldats, cavaliers et vétérans des régiments du roi et Mestre-de-camp, qui, par leur conduite et leurs services, seraient jugés susceptibles de remplacement. Art. 4. « L’Assemblée nationale, instruite que les membres de la municipalité de Nancy, qui existait à l’époque du mois d’août, ne sont pas ceux qui composent la nouvelle, se borne à révoquer l’approbation qu’elle avait donnée à la conduite de l’ancienne municipalité. Elle révoque également l’approbation qu’elle avait donnée au directoire du département de la Meurthe ; elle approuve le zèle et le courage énergique que la municipalité et les gardes nationales de Metz ont montrés pour l’exécution de la loi dans l’affaire de Nancy, ainsi que dans les diverses autres occasions où l’ordre public a exigé leur intervention. « Elle approuve particulièrement les principes d’égalité constitutionnelle et de fraternité civique d’après lesquels ils ont refusé la décoration destinée au membre du détachement envoyé à Nancy, qui serait désigné par la garde nationale de Metz pour la recevoir. » L’Assemblée vote ensuite des remerciements à MM. Duvevrier et Gabier, commissaires du roi ; MM. Gaillard et Leroy, citoyens de Paris, qui les ont volontairement accompagnés, pour leur zèle patriotique dans le rétablissement de la paix à Nancy, et pour le succès de l’importante commission dont ils ont été chargés. 11 est voté pareillement des remerciements à MM. Hocau, Nicolas et Mm0 Lambert, citoyens de Nancy, pour leur courage et leur zèle patriotique. (La séance est levée à minuit et demi.)