SÉANCE DU 16 BRUMAIRE AN III (6 NOVEMBRE 1794) - N° 18 445 Un secrétaire lit la lettre suivante (30) : Le représentant du peuple Berlier, envoyé dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, au président de la Convention nationale. Citoyens président, les administrateurs du district de Boulogne viennent de me transmettre un trait de bravoure et d’humanité de plusieurs marins, qui n’ont pas craint d’exposer leur vie pour sauver du naufrage quatre hommes prêts à périr, et qui montaient un navire qui vint échouer sur leurs côtes. Ils m’invitent à mettre ce trait sous les yeux de la Convention nationale. Sachant combien de pareils actes honorent l’humanité et appellent les imitateurs, je m’empresse de répondre au voeu des administrateurs du district de Boulogne en te faisant passer les détails de cette affaire, certifiés par le secrétaire adjoint du district de Boulogne. Salut et fraternité. Signé, Berlier. Voici les détails donnés par l’agent national de Boulogne-sur-Mer. Le 17 vendémiaire, vers les onze heures du matin, ils aperçurent un bâtiment à trois mâts, qui, en remorquant un autre plus petit sans mâture et sans voiles, semblait entrainé ves la côte des Dunes, et il était prêt à échouer. S’étant trouvé, vers les onze heures du matin, à trois quarts de lieue de la batterie de Saint-Frieux, cette batterie lui tira un coup de canon. Alors, au lieu de pavillon national qu’il portait, il hissa pavillon anglais. Sur le coup de canon, il coupa la remorque, abandonna l’autre bâtiment et cingla à toutes voiles dans la partie ouest-sud-ouest. Ce bâtiment abandonné était emporté vers la côte par le vent, et ne pouvait tarder à atterrir; il n’a pas tardé à échouer : il était de construction hollandaise, mâté à galiote, ne lui restant que le petit mât. Nous y aperçûmes quatre personnes agitées sur le pont, cherchant à se procurer, par le moyen d’une planche attachée à des bouts de cordage, les moyens de se sauver. Nous leurs fîmes les signaux pour les empêcher de se hasarder ; la mer étant au plus bas, et craignant l’impétuosité de son retour, on se détermina à prendre toutes les précautions nécessaires pour les sauver. Deux d’entre eux s’élancèrent sur une pièce de bois qui tenait à la chaine que nous avions établie pour les secourir. Cette manoeuvre réussit. Un troisième pensa être la victime de sa faiblesse et disparut sous l’eau ; trois marins s’exposèrent à périr, et parvinrent à sauver ce malheureux, qui reparut : il n’est âgé que de quatorze ans. Le quatrième a été également sauvé. Nous devons les plus grands éloges aux marins, presque tous attachés aux équipages des canonnières La Surprise, La Méchante, et au lougre commandé par le capitaine Bellet, mais particulièrement (30) Moniteur, XXII, 466 ; Bull., 19 brum. aux citoyens J. -J. Fourmentin, J. -Augustin Huret, et J.-P. Huret. Les marins du bâtiment échoué, quoiqu’ils soient nos ennemis, ont été traités avec beaucoup d’humanité. Nous présumons que le chargement sera conservé. 18 Le même [BERLIER] écrit de Lille, le 13, qu’avant l’Adresse au peuple français le peuple des deux départemens professoient déjà et proclamoient hautement les principes qui y sont énoncés; plus de tyrannie, plus d’arbitraire, guerre aux aristocrates et aux fripons; voila l’esprit dont on est animé; il déclare que l’esprit est essentiellement bon, et que si dans la partie maritime du département du Nord, on étoit plus dégagé de l’esprit de superstition, il diroit que tout va bien, mais qu’on ne tardera pas à le dire. Insertion au bulletin, renvoyé au comité de Sûreté générale (31). Le représentant du peuple envoyé dans les départemens du Nord et du Pas-de-Calais, au président de la Convention (32). A Lille, le 13 brumaire, l’an troisième de la république une et indivisible. Citoyen Président, Depuis ma lettre du 4 vendémiaire dernier, l’esprit public n’a rien perdu de son énergie dans ces deux départemens. Avant la sublime adresse de la Convention nationale aux Français, le peuple de ces deux départemens professoit déjà et proclamoit hautement les principes qui y sont énoncés. Egalement ennemis de la domination des Capet et de celle des Robespierre; adversaires implacables des partisans des rois, et de cette autre espèce d’hommes qui, tyrans par essence, croyoient qu’il leur étoit permis d’asservir tous les autres au nom même du patriotisme, les citoyens de ces deux départemens ne sont pas disposés à souffrir qu’il s’élève parmi eux quelques nouveaux dominateurs, au grand scandale de la vraie liberté. Le temps n’est plus, où, à la faveur de quelques images chéries, des orateurs perfides faisoient embrasser au peuple un vain fantôme, lorsqu’ils le dépouilloient de la réalité. Plus de tyrannie, plus d’arbitraire, guerre aux aristocrates reconnus et aux fripons, voilà l’esprit dont on est ici universellement animé. A l’égard de ceux qui voulurent dominer, ils sont renvoyés au noviciat de l’égalité ; et si l’on en excepte ceux qui se rendirent les plus coupables, on les croit par là même assez punis. (31) P.-V., XLIX, 6. (32) Débats, n° 775, 668-669. Bull., 16 brum.; J. Fr., n° 773 ; M. U., XLV, 290.