[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 juillet 1789.] 193 des farines d’Angleterre qui ont suppléé aux besoins de la capitale, et les blés extraits en grande partie de Pologne et emmagasinés ensuite en Hollande, ayant fait un grand trajet de mer, ne sont pas aussi bons et aussi frais que des blés nationaux, et je craindrais qu’en les convertissant en farines bises, les habitants de Paris n’éprouvassent de deux manières une différence dans le pain auquel ils sont accoutumés. Quant à la circulation intérieure, elle a été constamment ordonnée et protégée par Sa Majesté, ét tous les arrêts du Conseil rendus depuis quelque temps ont confirmé cette sage disposition ; mafsdë parlement de Bourgogne, et ensuite, à n son imitation, celui de Franche-Comté et celui dey: Nancy, ont défendu la sortie des grains de l’étendue de leur ressort. Les administrations particulières de quelques provinces, de plusieurs villes qt de plusieurs districts, ont adopté en partie les mêmes dispositions, et elles ont été soutenues par effervescence du peuple ; en sorte qu’on a été qbligé d’employer beaucoup de précautions pour qéfendrela liberté de la circulation: ij_ a , fallu, pour la sûreté des convois, placer des troupes le long de la Seine; il a fallu en disperser dans p ne infinité de marchés pour la tranquillité des fermiers et des autres marchands de grains ; enfin, Jl a fallu être partout, tantôt avec des suppléments.�, blé, .tantôt, avec des. "froupes et de la maréchaussée, afin de maintenir la tranquilité. ; Les accaparements sont la première cause à la-, quelle la multitude attribue la cherté des grains/' et en effet, on a souvent eu lieu de se plaindre dje la cupidité des spéculateurs; mais il est aisé de juger qu’à une époque si peu éloignée des Î nivelles moissons, à une époque où le prix de denrée est excessif, et oùles greniers abondants 3 seraient pas eu sûreté, il est peu croyable l’il y ait nulle part des réserves importantes de és, et le résultat des recherches faites par ordre î Rui s’accorde avec ces vraisemblances. 11 est une multitude de précautions et d’in for-1 ations prises par l’administration, dontonn’aja-j ais eu connaissance, parce que les ménagements j nécessaires pour éloigner les inquiétudes, exi-! gent de garder le secret de ses propres peines ; et' le Roi ne permet la publicité de ce mémoire que ', parce que chacun est instruit maintenant de la/ situation des choses. Ti ! La longueur et la rigueur du dernier hiver avaient déjà exigé les soins les plus actifs de la: part de Sa Majesté; il a fallu faire de grandes dépenses pour avoir une quantité de farines suffisante pour nourrir Paris, parce que les moulins à ; eau, à cause de la gelée, et les moulins à vent, par le défaut de mouvement dans l’air, étaient la plupart sans activité; et l’inquiétude a été si -grande, que le Roi 'crut de sa prudence de faire construire des moulins à bras, lesquels seuls auraient pu procurer les moutures indispensables, ' si la gelée eût duré quelques jours de plus. . Je ne dois pas négliger de dire que le Roi a multiplié cette année les secours d’argent, pour adoucir le sort de la classe la plus indigente du s peuple. Enfin, au milieu de la disette et de la i cherté, le Roi a fait tout ce qui était humainement ; possible, et tout ce qu’on pouvait espérer d’un monarque et d’un père. Le pain, déjà fort cher à Paris, serait considérablement monté de prix, sans les indemnités que le Roi a accordées aux boulangers, et qu’il continue à leur payer. Le Roi, de plus, soit à Paris, soit dans d’autres lieux, a fait vendre les blés qu’il a tirés de l’étranger, à des prix qui lui occasionnent une perte immense, 1** Série, T. VIII, et ces ventes ont contribué à modérer les préten-< tions des autres vendeurs. Les actes de la bienfaisance du Roi, dans ces malheureuses circonstances, sont innombrables; mais j’en ai dit assez, je pense, pour exciter la reconnaissance envers Sa Majesté; ce sont les ministres, témoins de ses tendres sollicitudes pour le sort de ses peuples, qui reconnaissent le plus sensiblement combien il est digne de leur amour, et ce sont eux encore qui le 'voient avec douleur agité par des peines de tout genre, tandis qu’aucun prince, par la conscience de ses bonnes intentions, n’eût eu plus de droits à jouir de cette tranquillité d’âme sans laquelle il n’est point de bonheur. M. Mupont de Nemours, après avoir terminé la lecture de ce mémoire, continue son rapport en ces termes : Vos commissaires n’ont négligé l’examen d’au-* cune des considérations qu’ils pouvaient avoir à mettre sous vos yeux, et ils ont conclu que vous ne pouviez, dans ce moment, avoir que trois choses à faire : 1° Favoriser la circulation de province à province, et de canton à canton dans l’intérieur du royaume; 2° Porter des secours ou denrées dans les lieux où elles peuvent manquer réellement ; 3° Répandre des salaires et même des aumônes dans ceux ou la denrée ne manque pas, mais où les moyens du peuple sont insuffisants pour se la procurer. C’est l’opinion de votre comité, que l’on ne peut aller trop vite pour les œuvres de bienfaisance, et trop mûrir les actes de législation qui doivent porter l’empreinte de la raison sociale, et s’appuyer sur les principes reconnus par l’opinion publique, sans le concours de laquelle la raison elle-même et les lois seraient dénuées de pouvoir. Les besoins sont si urgents dans quelques cantons et en même temps la récolte si prochaine, que ce ne sont point des lois qu’on attend de vous, ce sont des secours, qu’il faut donner à ceux dont le besoin les invoque. Sans doute il ne vous est pas permis par vos mandats de vous occuper ni d’emprunts ni d’impôts, avant d’avoir réglé ce qui concerne la constitution et la périodicité de l’Assemblée nationale; mais les trois moyens pour soulager la misère publique entraînent ou un emprunt, ou un impôt, ou une autorisation de dépense qui nécessitera l’impôt ou l’emprunt. Seriez-vous donc dans l’impuissance de secourir vos frères, qui vous implorent et la nation assemblée ne pourrait-elle que plaindre la nation? S’il s’agissait de perpétuer des dépenses ruineuses, de fournir à la prodigalité d’une cour, de rendre des ministres indépendants de la satisfaction publique, certainement alors il vous serait, il vous est défendu de vous prêter à aucun impôt, à aucune contribution, à aucun emprunt. Tel est l’esprit des mandats qui vous lient, et le seul article par rapport auquel ils puissent être impératifs sans danger. Vous ne pouvez douter que vos commettants n’aient dit que le salut public était la loi suprême ; qu’ils ne vous aient autorisés à mettre , obstacle aux ravages d’une inondation ou d’un incendie, à repousser l’ennemi si la patrie était attaquée, à secourir le pauvre, à l’arracher de la mort. Ce n’est pas aux pauvres qu’ils vous ont défendu d’accorder une rétribution ; et puisque vous êtes 13 194 ARCHIVES PARLEMENTAIRES ]6 juillet 1789.] [Assemblée nationale.] leurs représentants, vous devez faire ce que les représentés auraient fait eux-mêmes. Telle est l’opinion du comité des subsistances. 11 ne choisira pas entre les moyens qui vous ont été proposés; il se borneà les mettre sous vos yeux. M. le rapporteur présente six moyens que le comité a cru propres à remplir les vues de l’Assemblée. Il les expose dans les six propositions suivantes : 1° Ouvrir une souscription volontaire de secours pour la subsistance et le soulagement des peuples dans le sein de l’Assemblée, à Paris et dans les provinces; remettre aux Etats provinciaux, aux assemblées provinciales et aux municipalités, sous l’inspection de l’Assemblée nationale, l’emploi des fonds qui en proviendront ; , 2° Autoriser le gouvernement, les Etats provinciaux, les assemblées provinciales et les municipalités à faire les avances et les dépenses que la subsistance et le soulagement du peuple pourraient nécessiter, sous lu garantie de la nation et l’inspection de l’Assemblée nationale ; 3° Autoriser dans les provinces où la récolte n’est pas faite et ne serait pas au moment de se faire une contribution de vingt ou de dix sous par tête, ou de telle autre somme qui serait localement jugée suffisante, de laquelle l’avance serait faite dans chaque municipalité par les huit ou dix citoyens les plus riches et les plus hauts imposés des trois ordres, et partager en autant de payements qu’il y aurait de semaines à s’écouler jusqu’à la récolte, à l’effet d'être employés, selon la sagesse des assemblées municipales" en achats ou transports de subsistances, et au plus grand soulagement de la pauvreté, sous la condition qu’il sera rendu compte du tout aux assemblées supérieures d’administration, et par celles-ci à l’Assemblée nationale ; 4° Prendre le temps nécessaire pour rédiger avec le plus grand soin l’exposition des principes qui doivent assurer à tous les Français la Jiure et mutuelle communication des subsistances et la plus grande égalisation possible des approvisionnements et des prix, afin que le Roi y ayant ensuite donné sa sanction, cette équitable et utile répartition des subsistances ne puisse plus être interrompue par aucune autorité, et qu elle devienne une loi fondamentale et constitutionnelle de l’Etat ; 5° Remettre à s’occuper des autres questions que pourrait faire naître le commerce des grains et des farines, au temps où il deviendra nécessaire que vous preniez un parti à ce sujet ; 6° Sans attendre aucun éclaircissement ultérieur, prononcer dès aujourd’hui la prohibition de l’exportation des grains et des farines jusqu’en novembre 1790. Un membre objecte qu’il n’est pas permis par les mandats de s’occuper ni d’emprunts ni d’impôts avant que la constitution soit achevée. M. Dupont. Il serait fâcheux que la nation assemblée ne pût que plaindre la nation : s’il s’agissait de prodigalités, je suis persuadé qu’alors les mandats seraient impératifs; mais l’esprit des mandats est de soulager Je peuple et d’employer les moyens les plus prompts et les plus efficaces pour y parvenir. Le comité a été unanimement d’accord sur l’urgence. L’Assemblée ne se croit pas assez éclairée sur cet objet pour le soumettre d’abord à la discussion, Elle arrête que le projet du comité sera envoyé aux divers bureaux qui le discuteront séparément, et porteront à l’Assemblée générale, dans la séance prochaine, lu résultat de leurs discussions. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMP1GNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du lundi 6 juillet 1789. La séance est ouverte à 10 heures du matin. [ M. Hébrard, membre du comité de vérification, a fait le rapport de l’examen des pouvoirs de M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes; dki M. de Bethisv de Mezières, évêque d’Uzês, députés de la sénéchaussée de Nîmes ; de M. Papin, prieur-curé de Marly-la-Ville, nommé pour suppléant dje la prévôté de Paris, et quia remplacé M. Leguen, curé d’Argenteuil, décédé; de M. de Lafare, évêque de Nancy, député du bailliage de Nancy, Lunéville, Vezelise, Blamont, Rozières et Nomény ; de M. Clapier, député de la sénéchaussée d’Aix en Provence; de M. le marquis de Guilhem-Cler-mont-Lodève, député de la noblesse de la ville d’Arles ; de MM. Gonlier de Biran, Fournier de fa Gharmie; Lovset Paulhiac, députés des communes de Périgord. Leur nomination a été reconnuic régulière. j M. Hébrard a également fait le rapport de l’examen des pouvoirs de M. l’abbé Royer, député du clergé de la ville d’Arles, au sujet (lesquels se sont élevées plusieurs difficultés dans le comité de vérification, attendu que le clergé d’Arles, avant de nommer son représentant, avait pris part à l’élection du clergé de la sénéehausséé. M. Hébrard a cependant observé que la pluralité des opinions dans le comité avait été pour l’a démission de M. Royer ; qu’on s’était fondé sur un règlement fait par le Roi le 4 avril, qui donné une députation particulière à la ville d’Arles, en vertu de ses anciens privilèges ; qu’à la vérité, dans les précédentes Assemblées nationales, Je clergé de cette ville n’avait point de député, mais que les circonstances présentes et le règlement de Sa Majesté l’ont autorisé à en nommer un, et que lorsque le clergé de cette ville avait concouru à l’élection du député de la sénéchaussée, il ignorait l’existence du règlement. L’Assemblée a arrêté que M. Fabbé Royer serait admis comme député de la ville d’Arles, pour la présente session des Etats généraux, et sans tirer à conséquence pour l’avenir. On fait lecture du procès-verbal de la séance du 4. Après cette lecture, on ouvre la discussion sur le projet du comité des subsistances. M. Dlandin, curé de l'Orléanais , prend le premier la parole pour exposer le sentiment général de son bureau. Les moyens, dit-il, qui vous sont offerts par le comité des subsistances, ne nous présentent que des secours pour l'avenir, mais non pas pour le présent. Les besoins actuels sont urgents ; ils nous pressent de tous côtés ; les provinces éprouvent déjà les horreurs de la famine. Nous devons nous attacher aux deux grands