436 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, i î1 f�'Pair® an ” 4 ) 1er décembre li93 ne pouvons pas toujours, nous voulons du moins toujours autant qu’eux le bonheur de l’huma¬ nité. « Vieilh, ex-président; Berthouy, président de la Société populaire de Bochefort; Bar-bault-Royer, Indien, secrétaire; Gué¬ rin, secrétaire; Gustave Charrier, secré¬ taire. » Bécit de la fête civique qui a eu lieu à Bochefort le dernier jour de la première décade du mois de brumaire de l’an II de la Bépublique, une et indivisible (1). Cette journée digne de faire époque dans l’histoire de la République française, a vu expi¬ rer à Rochefort le fanatisme religieux et les pré¬ jugés féodaux; elle a vu aussi le peuple recom¬ mander, de sa voix puissante, à la postérité, la mémoire de deux hommes morts en le défen¬ dant. Depuis leur arrivée dans cette commune, Lequinio et Laignelot, représentants du peuple, députés dans le département de la Charente-Inférieure, répandaient la lumière de cette phi¬ losophie devant laquelle tombent les rois et les prêtres, et qui rappelle au peuple qu’il est la source de tous les pouvoirs et que la vérité est son domaine. La conviction gagnait les esprits; les habi¬ tants de Rochefort, la foule de marins qui y attendaient l’ordre d’aller fondre sur l’ennemi, tous connaissaient enfin la liberté, tous se sen¬ taient animés des sentiments généreux qu’elle inspire. Le peuple, en un mot, se reconnaissait lui-même, il n’attendait que le moment de se prononcer. Le dernier jour de la première décade de bru¬ maire, les corps administratifs, la Société répu¬ blicaine, les habitants de la commune et des en¬ virons, précédés d’une musique militaire, se portent à la demeure des représentants du peuple, d’où ils les accompagnent sur la prin¬ cipale place de la commune. Au milieu s’élevait un autel, il était simple, mais la liberté debout y faisait briller son fer aux yeux des bataillons de la garde nationale et des soldats de la marine et de l’artillerie. Des citoyens se présentent, c’étaient de véri¬ tables républicains qui, humiliés de porter des noms odieux, demandent de les changer; leur vœu est accueilli avec transport, le premier qui avait Laignelot pour parrain, et la municipalité pour marraine, reçoit celui de La Montagne; le second, nommé par Lequinio, celui de La Vertu; ils se nommaient jadis Le Roi et Gentilhomme; ils sont régénérés, et le canon, comme aux Tui¬ leries, annonce une seconde fois aux Français que ces noms seront pour jamais proscrits. Lequinio et Bertouy, président de la Société, oélèbrent par un discours cet acte régénérateur. On voit paraître un sarcophage, il était sur¬ monté d’une urne enlacée de rubans tricolores. entourée de lauriers et de cyprès, des marins le portaient ; ils venaient offrir à la reconnaissance, (1) Archives nationales, carton G 285, dossier 831. aux regrets des cœurs français, le souvenir des braves Mulon et Tartu, capitaines de vaisseau, morts en défendant la patrie. Tous deux avaient combattu des bâtiments supérieurs en force, tous deux victimes de leur courage, furent frap¬ pés à mort. Le premier vit s’échapper avec sa vie la victoire qui s’était déclarée pour lui; le second, plus heureux, vit en mourant son ennemi vaincu prendre la fuite. « Vous n’êtes pas ou¬ bliés, braves marins, compagnons de leur gloire, vous aussi vous avez part à la reconnaissance et aux regrets de vos compatriotes; vous, dont les bras et la valeur décident du sort des com¬ bats, et soutiennent ou abattent les empires. Les mânes de Mulon et Tartu demandaient un sacrifice; on brûle devant le sarcophage un amas de commissions, brevets, actes et titres royaux, monuments de l’aristocratie qu’ils avaient si avantageusement combattue. La 2e régiment d’artillerie y joignit son ancien drapeau. » Cette amende honorable faite à la Raison, on marche en silence vers le temple de la Vérité. Un citoyen, membre de la Société populaire, monte à la tribune; il retrace aux marins les vertus de ces deux martyrs de la liberté; il fait passer tour à tour dans leurs cœurs, et le désir de les imiter, et la soif de les venger. Le fils de Tartu était présent; cet enfant qui avait vu jaillir sur lui le sang de son père, mêlait les accents de sa douleur à l’attendrissement de tout le peuple. « Je jure de le venger », s’écrie-t-il. Aussitôt la Société républicaine l’adopte et per¬ met au capitaine Leissegne de se charger de Son éducation. Dans cette journée à jamais mémorable pour la commune de Rochefort, des ci-devant curés et prêtres des cantons voisins avaienUapporté leurs brevets d’imposture; ils montent* dans la chaire, ils proclament enfin la vérité qui les oppresse. Les deux représentants rappellent avec énergie et sensibilité les bienfaits de la Constitution qui rend à la nature sa majesté et au peuple ses droits, et les lettres de prêtrise sont livrées aux flammes aux cris multipliés de : Vive la Bépublique ! Les patriotes du culte protestant qui n’atten¬ daient sans doute que cet exemple pour se mon¬ trer, s’élancent à leur tour à cette tribune et y abjurent solennellement leur erreur. Le juif ne se présente pas. Le peuple se tourne vers le tabernacle, il n’y voit plus ce Dieu multiplié à l’infini dans des morceaux de pain, l’objet de ses adorations ridi¬ cules tant qu’il fut dans l’erreur. Des souvenirs amers l’indignent, et les représentants du peuple, avec le maire, le procureur de la com¬ mune et le président de la Société, purifient le prétendu saint des saints, en y déposant l’Acte constitutionnel, au son des instruments et aux accents de l’hymne de la Liberté. Le peuple reconduit les pères de la patrie à leur demeure; ils ont la douce satisfaction de se convaincre qu’il connaissait la Révolution, qu’il la voulait et qu’il se sentait enfin né pour le bonheur auquel la raison peut le conduire. Puisse une pareille journée luire dans toutes les communes de la République ! Signé : Bertouy, président de la Société popu¬ laire de Bochefort, déporté de la Guadeloupe; Barbauet-Royer, Indien, H. Lambert, G. Charrier, secrétaires.