15 avril 1791. J g02 [Assemblée nationale j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. porteur. J’adopte l’amendement et je rédige comme suit le projet de décret : « L'Assemblée nationale décrète ce qui suit : Art. lor. « Les rentes sur les biens nationaux, dont jouissaient les hôpitaux, maisons de charité et fondations pour les pauvres, en vertu de titres authentiques et constatés, continueront à être payées à ces divers établissements, aux époques ordinaires où ils les touchaient, dans les formes et d’après les conditions indiquées ci-après, et ce, provisoirement jusqu’au 1er janvier 1792. Art. 2. « Il eu sera de même à l’égard des dîmes dont jouissaient ces établissements et dont la valeur leur sera payée conformément aux baux antécé-demment faits, et sous la déduction des charges dont elles étaient grevées. Art. 3. « Ceux de ces divers établissements qui étaient dans l’usage d’adjuger les dîmes annuellement à la criée ou autrement, recevront, pour l’année 1791 , la valeur d’une année commune, prise sur les 14 dernières années, en retranchant les deux plus fortes et les deux plus faibles. Ceux de ces établissements, dont les baux portaient la valeur des dîmes, indistinctement réunie avec celle d’autres biens, recevront la valeur d’une année de leurs dîmes, d’après la ventilation qui sera faite en conséquence. Art. 4. « Cette ventilation sera faite par les préposés des directoires des districts où sont situés ces biens, revue par h s directoires eux-mêmes, approuvée et certifiée par les directoires de département. Art. 5. « Les hôpitaux, maisons de charité et fondations pour les pauvres, recevront également, aux mêmes titres, et toujours provisoirement, pour l’année 1791 seulement, l’équivalent des pertes annuelles qu’ils éprouvent par la suppression des droits de havage, minage, brassage sur les boissons, des droits de contrôle, des droits de péage. Art. 6. « La valeur de ceux de ces droits payés en nature sera estimée, par les ordres du directoire, sur une année commune évaluée comme il est dit à l’article 31, et pavée, en compensation, en espèces courantes. Art. 7. « Les états qui constateront les indemnités dues aux hôpitaux, maisons de charité, fondations pour les pauvres, en conséquence des articles précédents, seront présentés aux districts parles municipalités, certifiés par les directoires des districts, visés par ceux des départements, et envoyés par eux au ministre de l’intérieur, qui en fera présenter la demande à l’Assemblée nationale, par un ou plusieurs états. L’Assemblée nationale décrétera les sommes nécessaires, qui seront en conséquence fournies par le Trésor public au trésorier des districts chargé des pavements. Art. 8. « Le comité de trésorerie sera autorisé, sous sa responsabilité , d’ordonner provisoirement , et avant le décret de l’Assemblée, l’avance pour les hôpitaux, de la moitié des sommes reconnues, d’après les délibérations des municipalités, districts et départements, dues en indemnité à ces établissements. » (Ce décret est adopté.) M. Sallé de Choux. J’observe à l’Assemblée qu’il existe dans le royaume des hôpitaux dont les revenus sont au-dessous des besoins, tel, par exemple, que l'hôpital de Bourges. Je prie l’Assemblée de charger son comité de lui présenter un projet à ce sujet. Plusieurs membres : L’ordre du jour 1 M. Démeunier. Au préalable, il faudrait avoir l’avis des directoires de département. Plusieurs membres: L’ordre du jour ! (L’Assemblée décrète l’ordre du jour.) M. de Lia Rochefoucauld-Liancourt, rapporteur. demande que l’Assemblée veuille bien charger son comité ecclésiastique de présenter incessamment ses vues sur les congrégations religieuses consacrées à l’assistance" des pauvres. (Cette motion est décrétée.) M. le Président. Je reçois une lettre du ministre de l’intérieur dont je vais vous donner communication : « Paris, 3 avril 1791. « Monsieur le Président, « J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint une instruction relative aux travaux publics, laquelle vient d’être approuvée par Sa Majesté. Aussitôt quelle sera imprimée, j’en ferai remettre des exemplaires à l’Assemblée. « J’espère qu’elle y trouvera les principes qui ont été la base de la loi sur les ponts et chaussées, et qu’elle honorera en même temps de son suffrage les mesures qui ont été adoptées et qui semblent devoir assurer le plus grand bien du service. ( Applaudissements .) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur les successions (1). M. Robespierre(2). Vous avez décrété que l’égalité serait la base du partage des citoyens. Per-mettrezTvous aux citoyens de la troubler par des dispositions particulières? On, en d’autres terme-, conserverez-vous la faculté de tester? Et, dans le cas de i’aftirmative, quelles seront les bornes que vous croirez devoir y mettre? Avant d’examiner les principes qui doivent décider celte importante question, il est bon de jeter un coup d’œil sur l’état actuel de notre législation sur ce point. D’un côté, vous voyez une partie de la France où la faculté de tester est admise dans la plus grande étendue; dans une autre partie, il est rigoureusement interdit aux citoyens de favoriser aucun de leurs héritiers au préjudice des autres. C’est vous dire assez que vous avez à choisir entre ces deux principes différents; car votre intention n’est pas de conserver deux lois pour un même (1) Voy. ci-dessus séance du 4 avril 1791, page 544. (2) Le discours do M. Robespierre est fort écourté au Moniteur. [Assemblée muiunale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [5 avril 1 7ü I.J empire qui a pour premier principe le bien public. Quel sera donc le principe de votre choix et de voue décision? Le premier qui se présente à l’esprit, le plus frappant peut-être au premier coup d’œil, et j’ajoute encore le seul qui ait été proposé, a été le vœu de la nature qui semble exiger Légalité entre les enfants d’un même père; j’ose dire que ce n’est point là le principe fondamental de cette question; il en est un supérieur et plus étendu, qui ne s’applique point seulement aux successions directes, mais aux successions collatérales; c’est ce principe politique qui dit que la base de la liberté, la base clu bonheur social, c’est l’égalité. Je sais qu’il est impossible d’établir l’égalité parfaite ; je sais que plusieurs causes différentes tendent sans cesse à déranger l’égalité des fortunes; mais il n’en est pas moins vrai que les lois doivent toujours tendre à la maintenir, autant que la nature des choses peut le permettre, et qu’elles iront directement contre leur but, contre le but de toute société, lorsqu’elles tendront à la violer. L’égalité est la source de tous les biens et l’inégalité des fortunes, la source de tous les maux politiques; c’est par celle-ci que l’homme avilit l’homme et fait de sou semblable l'instrument de son orgueil, le jouet deses passions et souvent même le complice de ses crimes. Les grandes richesses enfantent les défauts du luxe et des voluptés, qui corrompent à la fois et ceux qui en jouissent et ceux qui les envient; alors la vertu est aux prises avec le vice, l’opulence seule est un honneur, les talents mêmes sont moins estimés comme des moyens d’être utile à sa patrie que comme moyens de fortune ; les lois ne sont plus que des instruments entre les mains des hommes puissants, pour opprimer les faibles. Dans un tel état de choses, c’est en vain que la raison et la nature disent sans cesse aux hommes qu’ils sont égaux ; une expérienc > funeste semble les démentir, à chaque instant. L’homme a perdu la dignité de ses droits et la dignité de son être; et les lois éternelles de la justice et de la raison ne sont plus regardées que comme une vaine théorie. Si quelque citoyen ose encore les réclamer, il est traité comme un insensé, s’il n’est point traité comme un séditieux. Vous n’avez donc rien fait pour le bonheur public, pour la régénération des mœurs, si vos lois ne tendent à empêcher, par les lois douces et efficaces, l’extrême disproportion des fortunes. Déjà vous en avez senti la nécessité par le premier décret par laquelle vous avez statué que les successions ab intestat seraient partagées également. Permettrez-vous au caprice de chaque individu de déranger cet ordre établi par la sagesse de la loi. La loi tombera-t-elle dans une contradiction funeste avec elle-même en disant, d’un côté: l’égalité sera le principe du partage des successions, et en disant, de l’autre, à chaque citoyen : Vous dérangerez, vous troublerez cette égalité à votre goût. Voyez, Messieurs, ce qui se passe dans les pays de droit écrit; là règne depuis longtemps cette même loi de Légalité que vous avez portée; mais là règne aussi la loi qui permet au testateur d’y déroger ; et la loi est nulle. La volonté du testateur règne et elle ne se plaît qu’à troubler et à anéantir les salutaires dispositions de la loi de l’égalité. Il faut donc que vous adoptiez le pnn-563 cipe tout entier, ou bien que vous consentiez à regarder comme nul le décret que votre sagesse et votre justice vous ont dicté, ou bien que vous défendiez aux citoyens de la troubler. Et quel serait le motif si puissant de tomber dans c •tte contradiction? La propriété de l’homme peut-elle s’étendre au delà de la vie? Peut-il donner des lois à sa postérité, lorsqu'il n’est plus? Peut-il disposer de cette terre qu’il a cultivée, lorsqu’il est lui-même réduit en poussière? Non, la propriété de l’homme, après sa mort, doit retourner au domaine public de la société. Ce n’e-H que pour l’intérêt public qu’elle transmet ses biens à la postérité du premier propriétaire : or, l’intérêt public est celui de Légalité. Il faut donc que dan-tous les cas l’égalité soit établie dans les successions. Quel motif encore pour préférer la sagesse du testateur à la sagesse de la loi? Consultez la nature des choses, et les circonstances où se trouvent ceux qui font des testaments. N’est-il pas dans la nature de l’homme d’être toujours disposé à éloigner dans son imagination le terme de son existence? Son testamentlui rappelle l’heure delà mort, et il ne se détermine à le faire que lorsqu’il est affaibli par l’âge, absorbé par la maladie; mais dans tout temps la cupidité, l’intrigue lui tendent des pièges. Les testaments sont l’écueil de ia faiblesse et cle la crédulité, le signal de la discorde dans les familles. Ajoutez que presque toujours à la faiblesse se joint le préjugé, cette habitude des chimères qui a encore ses racines sous les débris de la féodalité, cette vanité qui porte l’homme à favoriser l’un de ses enfants pour soutenir la gloire de son nom. Mais, dit-on, l’autorité paternelle sera anéantie. Non, qu’on ne se persuade pas que la piété liliale puisse reposer sur d'autres bases que sur la nature, sur les soins, la tendresse, les mœurs et les vertus des pères. Croit-on que la plus belle des vertus puisse être entée sur l’intérêt personnel et la cupidité? Celui qui ne respecte ton père que parce qu’il espère une plus forte part de sa succession, celui-là est bien près d’attendre avec impatience le moment de recueillir, celui-là est bien près de haïr son père. Voyez ces procès éternels, voyez ces manœuvres et ces artifices par lesquels la cupidité abusait de la faiblesse des pères : voyez l’opulence d’un frère insultant à la misère d’un autre frère. Cette loi, qui produit d’aussi funestes effets, qui tend à anéantir les mœurs privées, et par conséquent les mœurs publiques, je ne vous rappellerai pas que le hasard seul l’a transplantée chez nous. Je ne vous l'appellerai pas que chez les Romains la puissance d’un père sur ses enfants représentait celle d’un maître sur ses esclaves ; que cette puissance était marquée par le pouvoir atroce de vie et de mort. Cette puissance était si révoltante, que toutes les lois de Rome se sont par suite appliquées à la modifier, parce qu’en effet elle était l’opprobre des lois sociales, et qu’elle n’eût jamais été admise chez une nation policée. Je ne vous dirai pas de quels maux cette funeste faculté de tester est la source. Elle est la mère des haines, des jalousies, des dissensions dans les familles, du scandale de la société et d’une grande partie des vices qui y régnent. Je sais tout ce que l’on peut m’opposer en faveur de l’autorité paternelle. Ici je me contenterai d’observer qui! n’y a de beau et de sacré dans ia puissance paternelle que ce que la nature y a mis et non ce que des systèmes exagérés y ont ajouté. 564 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S avril E791.J Je dirai que la nature elle-même et la raison en ont mesuré la durée et l’étendue sur l’intérêt et le besoin de ceux qu’elle doit protéger et non sur l’utilité de ceux qui l’exercent; que c’est une erreur de la législation qui a franchi les bornes sacrées lorsqu’elle a prolongé la tutelle, lorsqu’elle a prolongé l’ent'ance de l’homme jusqu’à sa décrépitude, lorsqu’elle a dépouillé les citoyens du droit de propriété, lorsqu'elle a fait dépendre le long exercice de leurs facultés naturelles et réelles, non de leur âge et de leur raison, mais de la longévité de leur père, c’est-à-dire lorsqu’elle les a enlevés, par le plus absurde de tous les systèmes, et à eux-mêmes et à la patrie. Non, ce n’est pas en violant les droits de la raison et de la nature qu’on établit les fondements de l’ordre social; c’est en les consultant avec soin. Il ne faut donc pas justifier la liberté de tester par la puissance paternelle, lorsqu’il est évident que la puissance paternelle a elle-même tant besoin d’apologie, ou plutôt qu’elle doit tomber par les décrets des législateurs. Revenons donc au principe de l’égalité et de l’ordre public que vous avez consacré; et certes, il faut convenir que ces idées ne sont point puisées dans les principes d’une philosophie hardie, lorsqu’ils sont consacrés, mêmes par les usages et les lois d’une partie des pays que vous appelez coutumiers. Il ne s’agit que de choisir ici entre ces lois arbitraires et ces lois absurdes que vous avez empruntées d’un peuple barbare, et de faire tomber tous ces préjugés et toutes ces lois funestes par le même principe. Je conclus de tout cela que l’égalité introduite par la loi dans les successions, ne peut pas être dérangée entre les hommes, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale, par les dispositions particulières de l’homme. Mais je n’en conclus pas que la faculté de tester doive être entièrement anéantie, parce que le principe même que j’ai posé n’exige point cette conséquence. Le citoyen peut être le maître de disposer d’une portion bornée de sa fortune, pourvu qu’il ne dérange pas ce principe de l’égalité envers ses héritiers et qu’il en dispose seulement suivant sa sagesse à l’égard des étrangers. Mon avis donc est que l’Assemblée nationale décrète que nul ne pourra favoriser aucun de ses héritiers au préjudice de l’autre, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale. (Murmures.) Pour l’éclaircissement parfait de la question et pour le bien de la vérité, je demande que l’on veuille bien me permettre de répondre aux honorables membres auxquels les principes sur lesquels se fonde mon opinion paraissent, à plusieurs égards, trop étendus. M. le Président. L’ordre de la parole n’ayant pas encore appelé M. Tronchet à la tribune et l’Assemblée ayant provoqué hier ses lumières sur cette matière, je demande si elle veut l’entendre. Un grand nombre de membres : Oui 1 oui ! M. Troncliet monte à la tribune. ( Vifs applaudissements.) Messieurs, si les représentants de la nation pouvaient être soupçonnés de n’être conduits à cette tribune que par un puéril mouvement d’amour-propre, j’aurais plus qu’un autre à redouter la sévérité d’un jugement que provoquerait un pareil mouvement. Je ne puis me dissimuler combien il m’est impossible de répoudre à l’intérêt que quelques membres de cette Assemblée ont témoigné de connaître mon opinion ; mais ne faisant qu’obéir à vos ordres, j’ai droit à votre indulgence. L’homme en société, et qui y jouit sous l’aus-pice des lois, du droit de propriété, s’avise rarement de réfléchir sur la source et le principe de ce droit et d’en rechercher la cause primitive. Cette recherche, purement philosophique, est inutile pour son bonheur ; il lui suffit de connaître les lois qui lui garantissent sa propriété et d’en réclamer les dispositions. Le magistrat et le jurisconsulte, dont les fonctions se bornent à maintenir et à faire l’application des lois, n’ont pas même rigoureusement besoin de remonter jusqu’aux causes premières dont elles sont dérivées. 11 n’en est pas de même du législateur, qui le premier donne des lois à une société naissante, ou qui entreprend de réformer des lois qui ont longtemps régi une société existante. Il risque de s’égarer s’il ne commence point par saisir l’homme dans son état de nature et si, distinguant ses droits primitifs et naturels de ceux que les institutions humaines y ont ajoutés, il ne scrute point avec profondeur les causes et les motifs qui ont forcé la loi d’ajouter aux droits primitifs de l’homme ou de les limiter. Telle est, Messieurs, la position dans laquelle vous vous trouvez aujourd’hui : vous vous proposez de réformer les lois qui ont jusqu’ici gouverné la France sur le droit qui peut appartenir à l’homme de disposer de ses biens, et que nos lois ont si diversement, je pourrais dire si bizarrement réglé. Vous ne pouvez le faire avec sagesse, si vous ne commencez point par examiner ce que c’est que le droit de propriété, et quel en est le vrai principe ; si vous ne commencez point par distinguer ce qui est de son essence d’avec ce qui n’en est qu’un accessoire; enlin, par rechercher avec attention les motifs qui en ont fait étendre les effets au delà de ses bornes naturelles, ou restreindre ces mêmes effets dans des limites plus resserrées que celles de la nature. Je pense donc que c’est de cette recherche que doit sortir la solution des deux questions que vous vous êtes proposé de discuter, en vous mettant à portée de poser quelques principes généraux qui puissent servir de bases fondamentales aux lois réglementaires qui en découleront. Le droit de propriété est celui qu’un individu peut avoir d’appliquer exclusivement à son bien-être personnel, une telle portion du sol, une telle portion des fruits qu’il produit naturellement ou artificiellement, tel ou tel effet mobilier que la nature a créé ou reproduit, ou que l’industrie de l’homme a elle-même formé avec les matériaux que la nature avait mis à sa disposition. Si l’on considère l’homme dans le pur état de nature, il est difficile de concevoir un véritable droit de propriété, et plus encore un droit perpétuel et transmissible après le décès du premier possesseur. La nature a donné en commun la terre et ses dons à tous les hommes qu’elle y place successivement ; elle a mis sur la terre et dans son sein le germe de toutes les productions qui peuvent entretenir l’existence de l’homme et procurer son bien-être ; elle a donné à l’homme toutes les facultés nécessaires pour jouir de ses dons; mais elle n’a donné à aucun homme tel ou tel don particulièrement; elle n’a assigné à aucun homme telle ou telle portion de la terre. En le jetant comme au hasard sur telle partie de la surface, elle ne lui donne pas un droit particulier sur cette portion du globe; et elle ne l’y ren-