408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [9 septembre 1791.] potisme, la Bastille : à ces citoyens zélés pour leur patrie, qui ont voulu avoir leur roi parmi eux et qui l’ont conquis à Versailles! Si les amis de la liberté reçoivent des témoignages de bienveillance et de reconnaissance à Paris, à Marseille, à Lyon, à Nimes, pourquoi ceux du Gomtat seraient-ils improuvés en les imitant? Voudrait-on que des chaînes monstrueuses existassent au milieu d’un peuple qui a brisé les siennes? Voudrait-on entretenir un germe éternel de contre-révolution au milieu de l’Empire français? Non, Messieurs, votre justice, votresagesse, sont des motifs puissants de consolation pour nous ; elles répandent dans nos cœurs la douce espérance que vous allez nous déclarer Français. Si des coi sidérations particulières pouvaient retarder cet acte d’humanité de votre part, nous vous annonçons que nous sommes 10,000 qui avons juré, comme les Spartiates, de verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour défendre nos droits. Retirez alors le bienfait que vous nous avez accordé par votre médiation, laissez-nous entièrement livrés à notre courage et à notre énergie ; nous vaincrons, ou nous mourrons. (Applaudissements.) M. le Président répond : La nation a été vivement affligée des troubles qui se sont manifestés parmi vous; elle verra avec plaisir l’instant où elle pourra vous accueillir dans son sein et ne formera avec vous qu’une commune patrie, elle ne peut faire une réunion plus digne d’elle que celle d’un peuple qui connaît tout le mérite de sa Constitution, qui sait sentir tout le prix de la liberté, qui en a déjà toute l’énergie, et qui connaît tout l’avantage de devenir Français. Mais, comme une justice sévère doit régler toutes lesdémarches de l’Assemblée, sa décision dépendra uniquement du rapport qu’on doit lui faire et de la discussion approfondie qui doit suivre. ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète qu’il sera fait mention dans le procès-verbal des discours de la députation.) . M. de Vismes, au nom des comités diplomatique et des domaines , a la parole et continue son rapport sur l'affaire du prince de Monaco (Voir ci-après ce document aux annexes de la séance.) (Ce rapport est interrompu et la suite de la lecture en est renvoyée à la séance de demain soir). M. le Président lève la séance à neuf heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU VENDREDI 9 SEPTEMBRE 1791, AU SOIR. Rapport sur l’ affaire du prince de Monaco, fait au nom du comité diplomatique et des domaines, par M. de Vismes, député de Laon. — (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale) (1). Messieurs, Le prince de Monaco, à qui la suppression des droi s féodaux, des péages et des justices patrimoniales fait perdre une partie considérable des concessions faites à ses auu uis, en exécution du traité de Péronne du 14 septembre 1641, demande à la nation une indemnité de celte perte qu’il évalue à environ 200,000 livres de ren te. D’un autre côté, la commune des Raux, en Provence, soutenant que la maison de Monaco n’a pu conserver les biens qui lui ont été concédés, en France, depuis les restitutions qui ont dû lui être faites en Italie, en vertu de l’article 104 du traité des Pyré nées, a dénoncé à l’Assemblée nationale, comme illégitime, la possession actuelle du prince de Monaco. Vous avez renvoyé, Messieurs, à l’examen du comité des domaines, et la demande du prince de. Monaco, et la dénonciation de la commune des Raux. L’importance de cette affaire, qui se fait remarquer au premier coup-d’œil, l’a déterminé à s’adjoindre le comité diplomatique; tous deux l’ont discutée avec toute l’attention qu’elle mérite: le développement de l’opinion qu’ils m’ont chargé de vous présenter doit être préparé par un exposé fidèle des faits. HISTORIQUE DE L’ AFFAIRE. La principauté de Monaco est une petite souveraineté indépendante, placée enire le comté de Nice et l’Etat de Gènes, à peu de distance de la frontière ée France. La position géographique de la ville de Monaco, sa position sur une longue terre que la nature a pris soin de fortifier, t’étendue, la sûreté et la commodité de son port, font de cette place une des stations importantes de la Méditerranée. L’Espagne, qui en connaissait les avantages, ne fut pas scrupuleuse sur les moyens d’en devenir la maîtresse. En 1605, Hercule Ier, prince de Monaco, fut assassiné, li laissait pour héritier Honoré II, son fils, encore en bas âge. Horace Grimaldi, oncle et tuteur de ce jeune prince, gagné par la cour de Madrid, laissa introduire une garnison espagnole dans la ville de Monaco; et le roi d’Espagne, sous prétexte d’alliance et de protectio u , ne laissa b len tôt plus au prince qu’un e ombre de souveraineté. 11 paraît, Messieurs, que, dès 1636, la France avait formé le projet d’enlever Monaco aux Espagnols, et que l’on reconnut alors que cela ne pouvait guère s’effectuer que par surprise. Honoré, instruit du dessein de la cour de France, et brûlant du désir de se délivrer du joug de ses oppresseurs, entama à ce sujet avec elle une négo-(1) Voir ci-dessus, même sSance, page 403, et ci-après, séance du 10 septembre 1791. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] 409 dation secrète, dont le résultat fut le traité de Péronne du 14 septembre 1641. Ses principales clauses sont que le roi prendra sous sa protection le prince de Monaco et son Etat ; qu’il maintiendra et défendra sa liberté et sa souveraineté; qu’il y aura dans Monaco une garnison française de 500 hommes, et que le prince sera capitaine et gouverneur pour le roi de la place. L’article 9 étant le plus important pour cette affaire, il est essentiel d’en citer littéralement les dispositions : « Et d’autant que les Espagnols priveront ledit prince de tout ce qu’il possède dans le royaume de Naples, l’Etat de Milan et ailleurs dans leurs terres, ce qui importe audit prince de 25,000 écus ou ducatons de rente annuelle en fonds de terres féodales, Sa Majesté lui donnera autant de revenus annuels en France, en pareille nature de terres en fiefs, érigeant une partie d’icelles en titre de duché etpairiede France pour ledit prince, l’autre en titre de marquisat pour son fils, et une en titre de comté, lui faisant délivrer toutes lettres ou expéditions sur ce nécessaires ; et bonne partie desdits fiefs sera en Provence, et le reste où il plaira à Sa Majesté, pourvu que ce soit en France; et en ai tendant qu’on ait trouvé des terres propres audit prince, lesdites 75,000 livres lui seront payées effectivement par chacun an, dont le premier commencera à courir du jour que la garnison du roi entrera dans Monaco. Si, la paix se faisant , les Espagnols rendent audit prince les terres qui lui appartiennent dans leur pays, Sa Majesté demeurera déchargée, proportion de ce qu’ils lui restitueront , du remplacement qu’elle devait faire en terres; et au cas que, demeurant attaché au parti du roi, il soit contraint de vendre lesdites terres qu’il a dans le pays espagnol moins de ce qu’elles valent, le roi s’oblige de le dédommager raisonnablement, et de lui donner moyen d’employer son argent en d’autres terres en France. » Il était plus aisé de signer un tel traité que de chasser les Espagnols de Monaco ; aussi fut-il sans effet pendant quelque temps. Honoré, qui épiait le moment favorable, crut enfin l’avoir trouvé au mois de novembre. Ses mesures furent prises avec beaucoup de justesse, et il exécuta son entreprise avec autant de courage que de bonheur. Les Espagnols surpris se défendirent vaillamment; mais, après un combat sanglant, ils furent forcés de se rendre. Dès le lendemain, une compagnie de la garnison d’Antibes entra dans Monaco, dont la principauté est restée, depuis ce temps, sous la protection d’un royaume qui a toujours été le défenseur des nations opprimées, et l’asile des princes malheureux (1). (1) La manière dont les Espagnols ont été chassés de Monaco est peu connue ; l’histoire semble dédaigner les petits Etats, où néanmoins elle trouverait souvent la matière de grandes leçons. J’ai cru qu’on ne serait pas fâché de rencontrer ici quelques détail» sur un événement qui fait autant d’honneur à l’habileté qu’à la valeur du prince Honoré. Quelque mystère qu’il eût mis dans ses négociations avec la cour de France, il ne put échapper à tous les soupçons ; et des préparatifs secrets qui se firent à Marseille et à Toulon, vers le mois de novembre 1642, furent dénoncés aux Espagnols comme un mouvement qui ne pouvait regarder que Monaco, et qui devait les engager à une surveillance particulière. Honoré se voyant observé, sentit qu’il était suspect ; il se conduisit avec une extrême circonspection et dépêcha en düigence vers le comte d’Alais, pour l’engager à suspendre l’envoi de ses vaisseaux. Une lettre qu’il intercepta peu après lui apprit qu’il avait deviné Aussitôt que cet événement fut connu, les Espagnols sentirent l’influence fâcheuse qu’il allait avoir sur leurs affaires d’I'alie; ils voyaient particulièrement que Nice, déjà privée de tout secours du côté de la terre par la prise de Goni, se trouvait réduite encore à l’extrémité du côté de la mer par la perte de Monaco. Rien ne fut oublié de leur part pour ramener le prince Honoré à leur alliance; les mémoires du temps attestent que le cardinal Trivulce lui fît les offres les plus magnifiques (l), et qu’il les rejeta sans hésiter. Ce qui avait été prévu arriva. Le prince de Monaco fut privé de tous les biens qu’il possé-juste ; que la conduite mesurée avait inspiré de la sécurité au gouverneur de Monaco , mais qu’au moindre soupçon on se saisirait de lui et de son fils, et que tous deux seraient conduits dans le château de Milan. Le danger qu’il courait lui persuada qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour agir. Il ne pouvait espérer de réussir que par une surprise. Voici le stratagème auquel il eut recours : Des habitants de Manton et de Roquebrune avaient commis quelques excès contre la garnison de Monaco ; sous le prétexte de les punir, il en fit arrêter une trentaine des plus braves, et les fit conduire dans les prisons de Monaco. 11 invita en même temps le commandant espagnol à envoyer une partie de ses soldats vivre à discrétion chez les prétendus coupables. Le commandant donna dans le piège. Ce premier succès détermina Honoré à disposer tout pour exécuter son projet. La nuit du 17 au 18 novembre, il pria à souper tous les officiers de la garnison ; il ordonna en même temps que les soldats fussent régalés aussi dans la ville ; il voulait, disait-il, qu’ils se ressentissent de sa générosité, comme leurs camarades qui étaient allés faire bonne chère à Manton et à Roquebrune. Lors-qu’après un repas, où le vin n’avait pas été épargné, chacun se fut retiré chez soi, Honoré fit venir les 30 prisonniers; il leur apprit le véritable motif de leur emprisonnement; il leur parla avec force de la dureté du joug espagnol ; et il leur dit qu’il avait compté sur leur bravoure pour l’en délivrer. Tous applaudirent à cette harangue inattendue; tous promirent de seconder leur prince aux dépens de leur vie. Alors il leur fait distribuer des armes, ainsi qu’à ses domestiques et à plusieurs habitants dont il connaissait la fidélité. 100 hommes composaient toutes les forces avec lesquelles il allait conquérir son Etat. Il partage sa petite armée en 3 corps. 30 hommes sont mis sous le commandement de son fils Hercule ; 20 autres sont confiés à Jérôme Rei ; il réserve le surplus pour combattre près de sa personne ; 160 hommes avaient aussi été avertis de se trouver sous les murs de Monaco, et de les escalader, aussitôt qu’ils entendraient l’alarme, mais ils ne purent trouver le moyen de pénétrer dans la place pendant l’action. Le signal donné, Hercule attaque courageusement le poste du château; et il parvient bientôt à en déloger les Espagnols. De son côté, Jérôme Rei dissipe, avec la même facilité, la garde du palais. Mais le prince Honoré, qui s’était chargé de l’attaque plus importante de la place, éprouve une grande résistance; il est même repoussé 2 fois. Son courage augmentant à la vue du péril, il rallie tout son monde, il l’exhorte à un dernier effort et il tombe une troisième fois sur l’ennemi l’épée à la main, résolu de vaincre ou de périr. Ce dernier combat fut long et sanglant. Au bout de 4 heures, les Espagnols ayant perdu beaucoup de monde, sont forcés' de plier ; et leur commandant, après avoir fait des prodiges de valeur, est fait prisonnier. Honoré, devenu maître de la place, y introduit les 160 hommes qu’il avait placés en dehors, et il dépêche à l’inslanl à Antibes pour donner avis du succès de son entreprise et pour demander un prompt secours qui arriva le lendemain. Il serait difficile de citer une entreprise conduite avec plus d’adresse et mise à fin avec plus de résolution. (1) Le Mercure français dit que les offres furent de 200,000 livres pour le prince et d’une pension de 3,000 livres pour sa belle-fille. Vittorio-Siri dit que le cardinal Trivulce envoya offrir 60,000 écus et fit faire des offres plus magnifiques encore. 410 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre n91.] dait en Italie sous la domination espagnole, et le roi s’occupa de les lui remplacer en France de la manière convenue par le traité de Péronne. Par des lettres patentes du mois de mai 1642, qui rappellent la manière glorieuse dont les Espagnols avaient été chassés de Monaco par le prince Honoré, le roi lui fait don des terres et seigneuries du Grest, de Granc, Sauzetet Savasse, des domaines de Montélimar et de Romans, de la terre et baronnie du Buis, du sesterage de Valence et des péages de l’Etoile, Brom et Charman. Le tout, situé en Dauphiné, et faisant partie du dumaine public, est érigé en duché et pairie de France, sous la nomination de duché de Valenti-nois, pour en jouir par le prince Honoré et ses héritiers et successeurs mâles à perpétuité; il est dérogé en conséquence aux lois prohibitives de l’aliénation du domaine, attendu (dit le roi) les raisons qui nous obligent à en user ainsi dans cette occasion si importante pour la gloire et réputation de cette couronne et de nos affaires. D’autres lettres patentes de la même date contiennent la cession et l’érection du marquisat des Baux en Provence, au profit d’HercuIe, fils du prince de Monaco, de ses descendants mâles par ordre de progéniture, et des femelles au défaut d’hoirs mâles; elles lui permettent aussi de rembourser les officiers de la justice royale et d’en instituer d’autres pour administrer là justice en son nom; il y est au surplus dérogé, tant aux lois concernant l’aliénation du domaine, qu’à celles qui ordonnent la réunion des terres titrées à défaut de mâles. Les lettres de don et érection du duché de Valentinois furent présentées au parlement de Paris au mois de juillet 1642; elles y furent vérifiées le 18, à la charge que la justice serait exercée sous le nom et par les officiers du roi. Le parlement vérifia en même temps des lettres de naturalité pour le prince de Monaco, son fils, et leurs descendants; elles portaient cette clause particulière, qu’en résidant dans la principauté de Monaco, ils seraient réputés résider dans le royaume. Honoré vit avec peine, Messieurs, la clause apposée par le parlement de Paris à l’enregistrement de ses lettres concernant le duché de Valentinois. En lui refusant le droit d’y faire exercer la justice en son nom et par ses officiers, elle lui faisait une condition différente de celle des autres pairs du royaume. Il réfléchit en même temps sur la conséquence de cette autre clause des lettres elles-mêmes, qui limitait la transmission du duché à sa postérité masculine : par là, on ne lui rendait en France qu’une propriété plus restreinte que celle des biens qu’il avait perdus en Italie, et qui pouvaient être possédés par des femelles : par là on le traitait avec une rigueur dont on s’écartait communément à l’égard des possesseurs de duchés-pairies. Les représentations qu’il fit à la cour de France sur l’un et sur l’autre point furent écoutées ; il obtint les lettres patentes du mois de janvier 1643, qui portent que le duché de Valentinois sera transmissible aux héritiers et successeurs du prince de Monaco, tant mâles que femelles; que les femelles ne le recueilleront qu’à défaut de mâles; que dans ce cas la pairie sera éteinte, et que le duché seul subsistera; qu’enfin la justice sera administrée au nom et par les officiers du prince de Monaco, ainsi qu’il se pratique dans les autres duchés-pairies du royaume. Ces lettres furent envoyées au procureur général du parlement avec le traité de Péronne de 1641. Quelques mémoires de ce temps nous apprennent que les gens du roi furent d’abord embarrassés sur la conduite qu’ils devaient tenir dans cette conjoncture ; ils craignaient qu’on ne les accusât de concourir à une violation trop éclatante du principe de l’inaliénabilité du domaine; principe qui pouvait paraître sauvé, jusqu’à un certain point, par les deux clauses que les dernières lettres patentes détruisaient. Cette matière fut approfondie dans une conférence qu’ils eurent avec le chancelier Séguier : les raisons que celui-ci fit valoir, pour dissiper leurs scrupules, sont dignes de remarque. 1° Il s’agit, disait-il, de l’exécution d’un traité politique fait avec un prince étranger, et qui a procuré à la nation la disposition d’une place importante. Que devient la loyauté française, si l’on abuse de la confiance avec laquelle le prince de Monaco s’est jeté dans les bras du roi ? 2° Si tel doit être, dans tous les temps, le langage de l’honneur, tel doit être aussi celui de la prudence, surtout au milieu d’une guerre où il faut inspirer de l’attachement à ses alliés, surtout au commencement d’un règne dont il faut établir la réputation sur l’invariabilité des maximes et sur la fidélité aux engagements. 3° On a promis au prince de Monaco, on lui doit un dédommagement complet des sacrificas qu’il a faits en Italie, en préférant la protection de la France à celle de l’Espagne : ce serait donc une infidélité que de lui remplacer une propriété complète, absolue, incommutable, par une propriété imparfaite, limitée et résoluble. 4° Ce n’est point ici le cas d’invoquer la maxime de l’inaliénabilitô du domaine de la couronne ; il n’y avait que deux partis à choisir : ou détacher une portion de ce domaine, pour satisfaire à un engagement sacré ; ou acheter, aux dépens de l’Etat, pour le prince de Monaco, des propriétés particulières ; mais ce dernier expédient aurait occasionné une dépense de plus de 1,500,000 livres, que le vide du Trésor public aurait obligé d’imposer sur le peuple, déjà surchargé par les suites d’une guerre onéreuse. 5° Le chancelier finissait par faire observer que l’aliénation pourrait n’êtreque momentanée, si, comme on devait l’espérer, on parvenait, à la paix, à faire rétablir le prince de Monaco dans ses possessions d’Italie. Ces raisons persuadèrent les gens du roi ; ils ne firent plus difficulté de requérir l’enregistrement des dernières lettres patentes; elles furent vérifiées, ainsi que le traité dePéronne, par arrêt du 6 février 1643, aux conditions portéespar ce traité, et en outre à la charge que les officiers royaux ne pourraient être dépossédés qu’après avoir été indemnisés par le prince de Monaco. Les mêmes mémoires, où j’ai trouvé le détail de ce qui se passa dans cette occasion, disent que la tournure que prit cette affaire obtint l’approbation publique, et que l’on vit avec intérêt siéger parmi les pairs du royaume un prince recommandable par ses qualités personnelles. Deux nouvelles concessions lui furent faites dans ce même mois de février : l’une de la ville et seigneurie deSaint-Remy-en-Provence; l’autre de plusieurs terres situées en Auvergne, avec érection en comté, sous le titre de comté de Car-iadès. Les lettres de don portent la clause de transmissibilité aux femelles à défaut des mâles et elles autorisent le prince de Monaco à faire administrer la justice en son nom et par ses officiers, après avoir remboursé ceux du roi. Celles [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] 411 du comté de Carladès ont été vérifiées le 14 mars, et celles de Saint-Remy le 13 avril 1643. Vous vous rappelez, Messieurs, que les domaines promis par le traité de Péroone devaient être d’un revenu de 75,000 livres ; l’estimation des commissaires du roi ne porta qu’à 33,000 livres le produit annuel du duché de Valentinois, du marquisat des Baux, du comté de Carladès et de la terre de Saint-Remy ; il restait donc dûau prince de Monaco de quoi lui produire 42,000 livres, dont la jouissance, en attendant, lui avait été assignée sur la douane de Valence ; et il avait droit d’exiger qu'on le lui donnât en fonds de terre. Par des lettres patentes du mois d’août 1647, registrées au parlement de Paris le 31 du même mois, on mit la dernière main à l’exécution du traité de Péronne : il y est dit que le prince, convaincu de l’impossibilité de compléter son dédommagement en terres domaniales à cause de la nécessité où l’on s’était trouvé d’engager ce qui restait du domaine de la couronne, pour subvenir aux frais de la guerre, a consenti de recevoir une autre nature de revenus dans l'étendue de son duché de Valentinois : le roi lui accorde en conséquence les 2 sols anciens et nouveaux qui se lèvent sur les marchandises passant à Valence et à Vienne, avec les 2 sols pour livre de ce droit ; le pontonnage de Vienne ; les 2 sols pour livre des péages d’Estoiles et sesterage de Valence, Bron, Charmant, Montélimar, Bays et Anconne, le tout produisant 39,000 livres de revenu annuel : pour former les 3,000 liv. restantes, le roi lui donne en outre et incorpore à son duché de Valentinois les terres et domaines de Chabeuil et Sainte-Euphémie, avec les droits seigneuriaux et droits de greffe en dépendant ; le revenu des greffes et maîtres clercs du bailliage de la cour commune et de la cour supérieure de Vienne; le petit scel du bailliage de Layde et de la garderie de Vienne. La paix entre la France et l'Espagne a été conclue en 1659, par le traité des Pyrénées. Il importait à la cour de France de veiller dans ce traité aux intérêts du prince de Monaco; elle prit effectivement sa cause en main, et l’article 104 fut arrêté dans les termes suivants : « M. le prince de Monaco sera remis sans délai en la paisible possession de tous ses biens, droits et revenus qui lui appartiennent, et dont il jouissait avant la guerre dans le royaume de Naples, duché de Milan et autres pays de l’obéissance de Sa Majesté Catholique, avec liberté de les aliéner comme bon lui semblera, par vente, donation ou autrement, sans qu’il puisse être troublé ni inquiété en la jouissance d’iceux, pour s’être mis sous la protection de la couronne de France, ni pour quelque autre sujet ou prétexte que ce soit. » Il était important de savoir si cette clause du traité des Pyrénées a eu quelque exécution, et quelles sortes de démarches ont eu lieu pour l’obtenir. Des recherches fort étendues ont été faites, tant en France qu’en Italie. Je vais, Messieurs, en placer sous vos yeux le résultat, en parcourant avec rapidité les diverses époques auxquelles se rapportent les négociations dont je dois vous rendre compte. Les biens que possédait en Italie le prince Honoré, sous la domination espagnole, étaient situés, pour la majeure partie, dans le royaume de Naples. Ceux-là consistaient principalement dans les terres de Gampania, de Canosa, de Mon-teverde, de Rippa Candida, deTerlizzy, de Casali et de Caragnone. On prétend que l’empereur Charles-Quint avait, par un diplôme du 23 juillet 1532, concédé ces différents fiefs à Honoré Ier, prince de Monaco, à condition que lui et ses successeurs recevraient garnison espagnole dans Monaco, et qu’ils se tiendraient toujours dans un état de respect et de dévouement à l’égard des souverains de l’Espagne et des Deux-Siciles. Honoré II avait aussi, dans le duché de Milan, quelques possessions, dont la plus importante était celle de Turano. Enfin, ilavait des créances considérables à exercer contre le gouvernement espagnol. Tout avait été confisqué en 1641 ; les terres avaient été vendues, et (ce qui devait rendre la restitution plus difficile à obtenir) elles étaient passées dans les mains de personnes puissantes, telles que le prince de Cellamare, le duc de Saint-Georges, le baron Alfaitati, etc. La cour de France s’occupa, dès 1660, de réclamer l’exécution de l’article 104 du traité. Le soin de cette affaire fut spécialement confié à un abbé bénédictin, agent du cardinal Mazarin. H paraît que, dans le principe, la revendication se faisait au nom du roi, comme exerçant les droits du prince de Monaco, et qu’elle se poursuivit ensuite sur une procuration de celui-ci, parce que l’on opposa que nul ne pouvait acquérir dans le royaume de Naples sans un exequatur du souverain, et que Ÿexequatur devait être demandé par le vendeur et non par l’acquéreur. C’était là, Messieurs, ie prélude de beaucoup de difficultés qu’élevèrent les détenteurs des biens revendiqués. Tantôt ils prétendaient avoir payé des sommes au prince de Monaco; tantôt ils soutenaient avoir fait des améliorations considérables, dont le remboursement devait être effectué avant leur dépossession. Le vice-roi de Naples les appuyait secrètement, soit à raison du crédit que leur donnaient leur rang et leur naissance, soit parce qu’il croyait seconder en cela les intentions secrètes de la cour de Madrid; ce ne fut qu’au bout d’un certain temps, et après de pressantes sollicitations, que l’on parvint à les déposséder, mais sous la réserve expresse du remboursement des améliorations. Ceci se passait vers la fin de 1661. A peine l’éviction fut-elle consommée, qu’on s’occupa des moyens d’en anéantir l’effet; des demandes exorbitantes furent faites pour les améliorations par le prince de Cellamare et par le baron Alfaitati, acquéreurs des principales terres. Eu vain la cour de France fit représenter par ses ministres que la disposition du traité des Pyrénées étant pure et simple, le dédommagement, s’il en était dû aux acquéreurs, devait être à la charge du gouvernement espagnol; en vain elle opposa même le traité de Figuères, d’avril 1660, signé par les commissaires des 2 rois, et dont l’article 28 portait que « les possesseurs des biens accordés par Leurs Majestés ne pourraient demander aucun dédommagement pour augmentation de revenu, améliorations, détériorations, etc. , en cas de restitution de part et d’autre desdits biens ». Le cabinet de Madrid paraissait touché de ces représentations; il donnait des ordres dont ie vice-roi de Naples éludait l’exécution sous différents prétextes; et les tribunaux italiens, au milieu de toutes ces négociations infructueuses, prononçaient d’énormes condamnations au profit de Cellamare et d’Affaitati. Un des mémoires que nous avons eu sous les yeux assure qu’on adjugea au premier 23,000 ducats pour des dépenses qui n’en valaient pas 6,000; et il cite une déclaration authentique d'un des experts, qui a avoué n’avoir signé cette estima- 412 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] tion injuste que parce qu’il a été intimidé par les menaces du magistrat commissaire de la cause. Lorsque l’abbé Benedetti rendait compte à la cour de France de ces honteuses manœuvres, Colbert lui répondait : « Vous n’avez qu’à laisser faire les Espagnols, et ê re persuadé que Sa Majesté fera rendre au double ce qu’ils prennent par de si mauvaises voies. » Benedetti, gêné par ses instructions, fut donc coutiaint de laisser vendre, pour des hypothèques qu’il eût été facile d’acquitter, des domaines importants, qui rentrèrent par là dans les mains des premiers acquéreurs pour n’en plus ressortir. Quant aux autres terres que les Italiens ne purent reconquérir de celte manière, toutes les fois que des hostilités éclatèrent entre les 2 couronnes, on ne manquait pas d’en saisir et confisquer les revenus, et le gouvernement espagnol finit par les faire vendre à son profit durant la guerre de 1688. Le fisc allégua alors pour motif de ses poursuites le crime de félonie, plusieurs fois commis par le prince de Monaco : Stante notaria rebellatione iterum atque iterum commissa a principe Monaci;e t il fut dit dans les actes d’aliénation que la dévolution au domaine public s'émit opérée, non seulement pour cette cause, mais encore pour d’autres droits résultant des conventions stipulées lors de la concession des fiefs, et violées par le prince de Monaco. Après la paix de Riswirk, on négocia de nouveau pour recouvrer tout ce qui devait être rendu aux termes d a traité des Pyrénées : le cabinet de Madrid prit alors un ton plus décisif; il refusa ueitement la restitution. L’article 104 du traité des Pyrénées ne pouvait, suivant lui, s’entendre que de cette e-pèce de bie s comprise sous le nom de représailles; il n’était point applicable à ceux que les princes retiennent en vertu d’un droit particulier; or, telle était, ajoutait-il, la nature de ceux dont le prince do Monaco avait été dépouillé : il les tenait de la couronne d’Espagne, sous la condition de demeurer sous sa protection et sa dépendance, et il a dû les perdre en violant son engagement. Ce raisonnement était une véritable subtilité ; elle fut facilement détruite dans un mémoire que le marquis d’Harcourt, notre ambassadeur en Espagne, donna le 16 février 1700. il y observait que si l'intention des deux couronnes avait été que la restitution n’eût lieu que pour les biens de représailles, l’article 104 n’aurait pas été inséré dans le traité, qui à ce sujet contenait déjà des dispositions suffisantes dans les articles 28, 29 et 30. La cour d’Espagne e it Part de faire traîner l’affaire en longueur : de plus importants intérêts fixèrent bientôt toutel’attention decelledeFrance; elle se contenta de veiller pendant quelque temps à la conservation de ses droits, par des brevets de jouissance accordés successivement à deux seigneurs romains, les princes Lunti et Yaini ; elle finit par en perdre jusqu’au souvenir au milieu de la succession rapide des grands événements politiques qui n’ont cessé d’agiter l’Europe dans le cours de ce siècle, o i même par le seul elfet du temps qui, d’une main lente, couvre du voile de l’oubli les prétentions les mieux fondées. Ainsi, Messieurs, ne longues et fréquentes négociations n’ont eu à peu près aucun effet. Les biens que possédait en Italie la maison de Monaco sont encore aujourd'hui dans les mains des représentants de ceux à qui le gouvernement espagnol les a vendus ; votre comité a même les renseignements les plus exacts sur les mutations par lesquelles les fiefs de Naples sont parvenus aux possesseurs actuels. La cour de France n’a pu obtenir que quelques jouissances partielles et passagères, lesquelles, d’après un compte de l’abbé Benedetti, qui va jusqu’en 1681, ont produit 8,562 écus romains, dont la majeure partie a été absorbée en frais, et dont le surplus a été employé en commissions puurle comptedu roi. Quant aux deux brévetaires, il n’y eu a eu qu’un à qui la libéralisé du roi ait été de quelque utilité. Il paraît que le prince Lanti a touché, vers 1702, 5,000 ducats sur le revenu de l’une des terres, en vertu de mandements qui lui avaient été accordés par Philippe V. Durant le cours de tant d’inutiles tentatives pour obtenir l’exécution du traité des Pyrénées, la maison de Monaco avait joui paisiblement en F rame des biens qu’elle y avait obtenus en vertu du traité de Péronne. En 1715, le prince Antoine de Grtmaldi-Monaco, n’ayant que des filles, voulut perpétuer son nom et ses titres dans la descendance de i’aînée ; il lui destina pour époux François-Léonard de Matignon comte de Tho-rignÿ, et il obtint le 24 juillet un brevet par lequel Louis XIV consentit que le comte de Tbo-rig'ny prît le nom et les armes de la maison de Grimaldi, et qu’il fût fait eu sa faveur une nouvelle érection de la pairie de Valentinois. La mort de Louis XIV étant survenue avant l’accomplissement du mariage, les promesses contenues dans ce brevet furent réalisées par les lettres patentes de son successeur, données au mois de décembre 1715, et vérifiées le 2 septembre 1716. Le prince de Monaco actuel est le petit-fils de ce comte de Thorigny qui, par son alliance avec Louise-Hippolyte de Grimaldi, est devenu la tige de la nouvelle maison de Grimaldi-Matignon. Il est temps d’ouvrir la discussion; vous savez déjà, Messieurs, qu’elle se divise nécessairement en deux parties, dont la première doit être consacrée à l’examen de ce qui fait l’objet de la dénonciation de la commune des Baux ; car, avant de mettre en question si M. de Monaco a droit à une indemnité pour les suppressions faites dans les biens qu’il tient du domaine de l’Etat, il faut savoir si les concessions qui lui ont transmis ces biens, ne doivent pas être révoquées. PREMIÈRE PARTIE. La maison de Monaco peut-elle être dépossédée de tout ou de partie des biens qui lui ont été concédés en exécution du traité de 1641 ? § 1er. Nous sommes arrêtés, Messieurs, dès les premiers pas, par une objection du prince de Monaco. Il invoque l’autorité de la chose jugée, consacrée par l’article 13 de la loi du 1er décembre 1790, sur la législation domaniale ; il soutient que la question de propriété, qu’on élève aujourd’hui, se trouve décidée irrévocablement en sa faveur, par un arrêt du conseil du 29 mars 1779. Il peut paraître étonnant que, dans une affaire qu’il soutient être entièrement du ressort de la uiplomatie, M. de Monaco invoque comme une autorité irréfragable celle d’un jugement du conseil. Si ce jugement lui était contraire, il en aurait vraisemblablement une toute autre idée; et les raisons lui manqueraient pas pour éta- 413 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Jblir que, par rapport à l’exécution d’un traité politique, un prince étranger n’était pas justiciable d’un tribunal français. Voyons cependant quel peut être le mérite de l’objection, dans le point de vue sous lequel elle est présentée. Un arrêt rendu au parlement d'Aix, le 10 mai 1766, entre la ville de Saint-Remy et le juge seigneurial de cette ville, au sujet de l’étendue des prérogatives de ce juge, lit la maiière d’une instance de cassation, portée au conseil en la grande direction des finances. Le prince de Monaco devint partie dans cette instance, ainsi que l’inspecteur du domaine. Celui-ci, ayant pris communication des pièces du procès, attaqua la propriété du prince de Monaco. Il soutint que la restitution des biens d’Italie avait été faite en vertu du traité des Pyrénées, et il conclut à ce que les biens concédés en France à la maison de Monaco fussent réunis au domaine, en conséquence de la clause de restitution portée en l’article 9 du traité de Pérou ne. Le prince de Monaco nia qu’il fût rentré en possession de ses biens d’Italie; il offrit la cession de tous s s droiis à cet égard; il soutint qu’il ne pouvait être dépossédé de ses biens de France, tant que l’on ne prouverait pas que ceux d’Italie lui eussent été rendus. L’inspecteur, qui avait conclu à la réunion, perdit sa place clans le cours de l’instance; son successeur vit les choses sous un autre aspect ; au lieu d’insisb r sur la demande en restitution des biens de France, il l’abandonna, soit en déclarant qu’il s’en rapportait à cet égard à la prudence du conseil, soit en requérant acte, et de la déclaration du prince de Monaco qu’il ne possédait rien < n Italie, et de ses offres de céder tous ses droits. L’inspecteur demandait en même temps la réunion au domaine de tout ce que le prim e de Monaco possédait en France au delà de 75,000 livres de rente. Tel était, Messieurs, l’état du procès sur leqm l intervint l’arrêt du conseil du 29 mars 1779 : il déboute les habitants de Saint-Remy de leur demande en cassation de l’arrêt du parlement d’Aix ; et sur les autres demandes des parties, ensemble sur celles des inspecteurs généraux du domaine , il les met hors de cour. Si cet arrêt, Messieurs, était aussi décisif qu’il le paraît à M. le prince de Monaco, il serait nécessaire d’approfondir quelques questions importantes. Nous aurions alors à examiner si le conseil était une juridiction compétente pour prononcer irrévocablement sur le tonds du domaine; si l’inspecteur du domaine pouvait suppléer valablement le ministère du procureur général, défenseur né des droits de la couronne; si une grande question domaniale pouvait être jugée d’une manière définitive, incidemment à une instance de cassation qui n’avait pour objet que des intérêts assez étrangers, et d’une mince valeur; si enfin on a pu, par un simple hors de cour, prononcer péremptoirement sur une grande revendication territoriale exercée au nom de l’Etat : mais toutes ces discussions deviennent superflues, au moyen de ce qu’il est certain, ou que la question de propriété n’a point été jugée, ou que l’Etat n’a point été valablement défendu. Pour que la question de propriété eût pu être jugée, il faudrait qu’elle eût été soumise à la décision du conseil, au moment où 1 arrêt a été rendu; or, l’état de la procéiure prouve que le conseil n’a pas eu alors à prononcer sur ce point. Il est vtai que le premier inspecteur du domaine [9 septembre 1791.) avait conclu formellement à la réunion de tout ce qui avait été donné en vertu du traité des Pyrénées: mais le plan d’attaque avait é é absolument changé par son succe.-seur : au lieu de continuer à soutenir que l’article 104 du traité des Pyrénées donnait lieu à la revendication des bmns de France, il s’est désisté de la demande de son prédécesseur; car cette déclaration d’un plaideur qu’il s’en rapporte à la prudence de ses juges, quYst-elle autre chose qu’un désistement tacite? et ici le désistement est même devenu formel par deux autres circonstances. D’un côté, le nouvel inspecteur a demandé acte de la déclaration du prince de Monaco qu’il ne possédait rien en Italie, et qu’il y cédait tous ses droits; d’un autre côté, il a formé une nouvelle demande, dont l’objet n’était plus la réunion totale des biens de France, mais seulement leur réduction à un revenu de 75,000 livres. D’après ce dernier état de l’instance, il est clair que le conseil n’a pas eu à s’occuper de la question de propriété bien positivement abandonnée par le défenseur du domaine. Mais veut-on, Messieurs, par une application servile de la lettre, que le hors de cour prononcé sur la demande des inspecteurs généraux du domaine soit un jugement qui frappe même sur la demande du premier inspecteur? Yeut-on que les conclusions du second ne soient qu’une action purement subsidiaire, qui ne dispensait pas le conseil de délibérer sur une demande principale? On n’en sera pas plus avancé, il restera toujours un moyen infaillible de faire tomber l’arrêt du conseil ; car la conduite du second inspecteur prouve évidemment que l’Etat n’a point été valablement, c’est-à-dire suffisamment défendu. La défense de l’Eiat ne pouvait è re suffisante, qu’autant que les questions élevées par celle du prince de Monaco auraient été traitées. Ces questions étaient princi alement au nombre de deux : il fallait rechercher dans le point de fait, si la restitution des biens d’Italie avait eu lieu; il fallait examiner dans le point de droit, si, quel qu’ait été le sort de la clause du traité des Pyrénées, la revendication des biens de France n’était pas légitime. Rien de cela n,a été fait; d’où il suit que, considéré comme un jugement intervenu sur la que.-ti >n de propriété, l’arrêt de 1779 est nul, et susceptible d’être rétracté par les voies de droit. Faisons donc ce qu’aurait dû faire alors le défenseur du domaine, et reprenons l’examen de l’affaire sous les deux aspects que je viens d’indiquer. § 2. J’examine d’abord, Messieurs, si les biens d’Italie ont été rendus en tout ou en partie à la maison de Monaco ; et pour cela il est essentiel de placer ici quelques explications préliminaires sur un fait important; il consiste à savoir pour qui, de l’Etat ou de la maison de Monaco, l’exécution du traité des Pyrénées a été réclamée auprès de la cour de Madrid. 11 ne nous a pas paru douteux que cette affaire a toujours été celle de l’Etat, et que les princes de Monaco n’ont fait qu’y prêter leur nom. 1° Elle n’a jamais été traitée que par les ambassadeurs ou les agents de la cour de France. 2° Les poursuites judiciaires avaient même été entamées en son nom : elles n’ont été continuées depuis, sous le nom et avec la procura- 414 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [9 septembre 1791.] tion du prince de Monaco, que parce que le style particulier du royaume de Naples rendait cette forme indispensable. 3° Il existe plusieurs pièces dans lesquelles il est déclaré formellement que les biens d’Italie appartenaient à la couronne de France; qu’ils étaient réclamés pour elle, et non pour la maison de Monaco, je ne cite que les principales. Dans une instruction donnée le 10 juillet 1661 à l’archevêque d’Embrun, ambassadeur du roi en Espagne, il est dit : « Le principal point des rétablissements que Sa Majesté demande regarde le prince de Monaco, tant pour la qualité et la considération des biens, que parce qu'ils appartiennent aujourd'hui au roi, qui lui en a donné la récompense en son royaume. » En 1682, la cour de Madrid proposa à celle de France de renoncera ses répétitions, moyennant quelque équivalent. Ces offres sont rappelées dans une instruction de février 1683, et Louis XIV y dit qu'il en a fait rejeter la proposition. Une autre instruction du 23 décembre 1697 s’explique de la manière suivante : « Sa Majesté a joui, pendant le temps de la paix , des biens qui appartenaient autrefois au prince de Monaco dans le royaume de Naples , et elle Va fait en conséquence du dédommagement que le feu roi avait accordé en France à ce prince. » Le 18 février 1698, le cardinal de Bouillon, ambassadeur de France à Rome, exposa au roi son sentiment sur cette affaire, dans une dépêche qui commence ainsi : « Après avoir examiné le plus exactement qu’il m’a été possible, ce qui concerne l’affaire des terres et des revenus que Votre Majesté possède dans le royaume de Naples, sous le nom de M. le prince de Monaco , j’y trouve bien des difficultés. » 4° Louis XIV et Louis XV ont disposé de la jouissance des biens de Naples, le premier en faveur du duc de Lanti, par un brevet du 2 avril 1798; le second en faveur du prince Vaini, par uu brevet du 3 novembre 1716. Ces deux dispositions supposent la propriété domaniale ; et les brevets disent aussi que les biens doivent être restitués au roi en vertu des traités de paix. 5° Enfin, nous avons déjà cité un compte de l’abbé Benedetti, gui est rendu, non à la maison de Monaco, mais à la cour de France, et qui constate que les sommes reçues par lui, et qui n’ont pas été consommées en frais, ont été employées en commissions pour le roi. S’il est prouvé, Messieurs, que la revendication des biens d’Italie se faisait pour l'Etat, et non pour la maison de Monaco; si l’on fait attention que le motif en a été que l’Etat était subrogé aux droits de la maison de Monaco au moyen des dédommagements qu’elle avait obtenus dans le royaume; si, d’un autre côté, l’on remarque que la maison de Monaco n’a cessé de jouir des biens qui lui avaient été concédés en France, en vertu du traité de Péronne, et que sa possession, dont le conseil a eu souvent occasion d’examiner les titres, a toujours été, ou respectée, ou maintenue; ne résulte-t-il pas d’abord de ces différentes circonstances une forte présomption que les biens d’Italie ne sont point rentrés dans la maison de Manaco? Quelques considérations politiques donnent une nouvelle force à cette présomption, et les faits qui nous sont connus, loin de l’affaiblir, l’élèvent, au contraire, à un haut degré de certitude. En effet, Messieurs, des motifs différents donnaient à la cour de France et à la maison de Monaco un même intérêt dans cette affaire. Toutes deux devaient désirer qu’en cas de restitution, les bien d’Italie restassent au domaine de la couronne, au lieu d’être échangés contre les biens qui en avaient été détachés ; la maison de Monaco, parce qu’il lui était bien plus avantageux de posséder, sous la domination de l'Etat qui le protège, que sous celle de l’Etat qu’elle a abandonné, et dont l’usage est de confisquer, pendant la guerre, les possessions de ses ennemis et de leurs alliés ; la cour de France, parce que le prince de Monaco, restantpossessionnédansle royaume, lui offre, par cette circonstance, un gage particulier de son attachement. J’ajoute qu’une clause du traité de Péronne prévoit le cas où le prince de Monaco, rentrant en possession de ses biens d’Italie, à la paix, sera néanmoins dans le cas de les vendre ensuite à vil prix, à raison de son alliance avec nous, et qu’elle lui assure le dédommagement de cette perte. Pour éviter tout débat sur l’évaluation d’une telle indemnité, le prince de Monaco n’a-hil pas pu dire au roi, après la paix : Laissez-moi les biens de France, et acceptez pour votre couronne la cession de mes droits sur ceux d’Italie? Tout concourt à accréditer cette hypothèse, et quelques-uns des mémoires qui nous ont été transmis articulent même formellement la réalité de la cession. Voilà pour les considérations politiques ; voici pour les faits ; Vous vous rappelez d’abord, jMessieurs, que, par rapport aux fiefs de Naples, nous avons acquis la preuve positive que, restitués momentanément par. les détenteurs italiens, ils ont fini par être ou revendus pour des créances d’améliorations sur la poursuite des premiers acquéreurs, ou confisqués en 4692, par le gouvernement espagnol. On pourra demander qui a touché le prix des ventes ; car un tel payement fait à la maison de Monaco pourrait être considéré comme tenant lieu de la restitution des terres de Naples. Il est évident que cette question ne présente aucun motif par rapport aux ventes qui ont eu lieu en 1692, et que le gouvernement espagnol a adjugé à son profit ce qu’il avait contisqué pour lui-même ; mais le doute est plus plausible par rapport aux ventes qui ont été poursuivies pour des créances d’améliorations. Voici ce que nous avons recueilli des recherches qui ont été faites à cet égard. Vous avez vu, Messieurs, que la créance du prince de Cellamare avait été portée à 23,000 ducats. Terlizzy luiaété adjugé moyennant 63, 500 ducats; ainsi, compensation faite de sa créance, il restait débiteur de 40,500 ducats, qui devaient être touchés, soit par la cour de France, soit par la maison de Monaco. Mais la cour de France ne voulant acquiescer à aucune vente, les 40,500 ducats furent déposés à la banque de la Piété de Naples, et le ministère espagnol s’en empara en 1667, lorsque la guerre fut déclarée entre les deux couronnes. Nous n’avons pas des notions aussi précises sur Ganosa. Nous savons seulement que les améliorations du baron Affaitati furent liquidées à9,000 ducats, par un jugement du 7juillet 1664; qu’en 1671, cette créance, avec les intérêts à 8 0/0, s’élevait à plus de 13,000 ducats ; qu’alors la terre n’était pas encore vendue, et que les agents de la cour de France en croyaient déjà la valeur absorbée, qu’elle n’est sortie de la maison Affaitati que par une vente faite en 1705, sur la poursuite des créanciers de Philippe Affaitati, et que l’on prétend que celui-ci se l’était fait précédemment adjuger pour ce qui lui était dû ; or, comme , on ne trouve nulle trace d’aucun payement de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] 415 tout ou de partie du prix de cette terre : et comme c’était par rapport à elle que Colbert écrivait eu 1671 de laisser faire les Espagnols, et de ne consentir à aucune vente, on peut regarder comme certain que le prix de Canosa n’a pas plus été touché que celui de Terlizzy, soit par la cour de France, soit par le prince de Monaco. Outre les fiefs dont nous venons de parler, et dont les différentes mutations jusqu’à ce jour, nous sont parfaitement connues, la maison de Monaco possédait d’autres biens dans le royaume de Naples, de la nature de ceux que l’on y appelle Burgenfacitt; elle en possédait dans le duché de Milan. Il nous a été impossible de nous procurer sur ceux-là aucune espèce de détails, et vous n’aurez pas de peine à concevoir, Messieurs, quelle en était l’extrême difficulté : nous ne trouvons sur les biens du Milanais qu’une courte notice sous la date de 1670 ; elle porte que les ordres qui avaient été adressés aux gouverneurs de Milan pour leur restitution étaient demeurés sans effet : ce renseignement fugitif est un trait de lumière qui éclaire, en passant, l’obscurité dans laquelle les détails de cette partie de l’affaire sont restés ensevelis, et si l’on observe en même temps que l’attention de la cour de France et de ses agents a dù se porter principalement sur les plus importantes possessions, et que les réclamations qu’elle a fréquemment renouvelées jusqu’au commencement du règne de Louis XIV, ont toujours frappé sur l’universalité, et non pas seulement sur une partie des biens de la maison de Monaco, on demeurera convaincu qu’il n’en a rien été recouvré du tout. Enfin, il est constant que la maison de Monaco n’a même touché aucune partie des revenus perçus dans quelques-uns des fiefs de Naples, durant les jouissances momentanées et intermittentes qui ont eu lieu dans l’intervalle d’une guerre à l’autre; tout a été ou consommé en frais ou employé au service du roi, ou conservé par ses donataires. De toute cette discussion votre comité, Messieurs , s’est cru autorisé à conclure que l’article 104 du traité des Pyrénées n’a pas été exécuté, et que la maison de Monaco n’a point été remise en possession de ses biens d’Italie. C’est cependant sur la supposition du fait contraire, qu’est fondée la dénonciation de la commune des Baux, dénonciation par laquelle elle n’a fait que renouveler le plan d’attaque, déjà formé et exécuté par la ville de Saint-Remy et par un inspecteur du domaine, dans l’instance jugée au conseil en 1779 ; aucun d’eux n’a pu croire qu’un traité aussi solennel que celui des Pyrénées fût demeuré sans effet, et il faut avouer qu’une grande probabilité recommandait cette opinion : mais aujourd’hui que nos recherches ont manifesté des particularités très peu connues, aujourd’hui que la vraisemblance doit céder à la vérité, ce n’est plus de cette manière qu’il est possible de justifier une revendication nationale. Voyons, maintenant, Messieurs, si, malgré l’inexécution du traité des Pyrénées, la maison de Monaco peut être dépouillée en tout ou partie des biens qui ont été cédés en France. § 3. Ici se représente une autre objection faite aussi dans le procès jugé en 1779. Sous quel point de vue (disait la ville de Saint-Remy) faut-il considérer la concession faite à la maison de Monaco, en vertu du traité de Péronne? Ce n’est point un échange : car l’Etat n’a obtenu aucun domaine en compensation de ceux qu’il a donnés. Ce n’est point un don rémunératoire : car le prince de Monaco n’avait alors rendu aucun service à la France, de qui il recevait au contraire celui de le protéger contre ses anciens oppresseurs ; c’est donc, ou un contrat d’engagement, ou une donation pure et simple, c’est-à-dire un titre perpétuellement révocable, et ce titre au surplus ne serait pas plus incomrautable, quand il serait une donation rémunératoire, puisqu’il est constant que le domaine de la couronne ne peut par cette voie s’aliéner à perpétuité. Il est évident, Messieurs, que le principe sur lequel cette objection s’appuie, est celui de l’ina-liénabilité du domaine public. 11 importe donc d’examiner avant tout s’il est applicable à cette affaire. « Les nations, a dit Montesquieu, qui sont à l’égard de l’univers ce que les particuliers sont dans un Etat, se gouvernent comme eux par le droit naturel et par les lois qu’elles se sont faites.» Cette vérité est incontestable. Entreprendre de la démontrer, ce serait vouloir prouver l’évidence. Tenons donc pour cerlain que les peuples ne sont liés les uns à l'égard des autres, que par deux espèces de lois ; par celles auxquelles ils ont donné leur consentement, et qui forment leur code diplomatique, et par celles qui, indépendantes de la volonté de l’homme, sont gravées en caractères ineffaçables dans le livre de la nature. De celles-là seulement se compose le droit des gens que Montesquieu a défini : Le droit civil de l'univers, dans le sens que chaque peuple en est un citoyen. Il faut bien se garder de confondre jamais ce droit des gens qu’on peut appeler encore droit extérieur, avec celui qui gouverne les membres de chaque société politique, et que je nommerai intérieur. Une telle confusion deviendrait la source de beaucoup d’erreurs graves : elle nous exposerait à décider souvent par les principes de l’un ce qui ne doit se juger que par les règles de l’autre. Auquel de ces deux droits appartient la loi de l’inaliénabilité du domaine? 11 ne nous paraît pas douteux qu’elle est étrangère au droit des gens, puisque, d’une part, elle ne dérive point de la nature; et que, d’autre part, il n’existe aucune convention par laquelle les peuples se soient réciproquement interdit l’aliénation de leur territoire (1). (1) Il est vrai qu’un jurisconsulte anglais qui a écrit, sous le règne d’Edouard I, un livre de jurisprudence, connu sous le titre de Fleta, indique, vers l’année 1280, une assemblée solennelle tenue à Montpellier, où, suivant lui, tous les princes chrétiens convinrent, par eux ou leurs ambassadeurs, que le domaine de leurs couronnes serait inaliénable, et que les choses qui en auraient été démembrées y seraient réunies. Cette autorité a paru quelquefois d’un certain poids, en considérant que le fait auquel elle s’applique est attesté par un contemporain ; mais nous sommes loin d’y voir la preuve que la maxime de l’inaliénabilité du domaine ublic soit, dans les Etats d’Europe, une loi du droit es gens. D’abord, il faut que l’existence du monument d’ou se tirerait une telle preuve, soit incontestable ; or, rien de plus contesté, non seulement que la convention des princes chrétiens au sujet du domaine de leur couronne, mais même que l’assemblée de Montpellier, où l’on suppose qu’elle a été faite. De très savants critiques, tant Anglais que Français, la nient formellement; et je ne tais qu’une seule remarque pour jus- 416 Aussi, Messieurs, ne trouvera-t-on pas qu’aucun publiciste ait jamais considéré la maxime de l’aliénation du domaine comme faisant partie du droit des gens. L’illustre auteur de l'Esprit des lois, convaincu de son importance, s’est occupé de lui assigner la place qui lui convient. Après avoir divisé le droit intérieur de la société en lois politiques qui forment le gouvernement, et en lois civiles qui le maintiennent ; après avoir dit qu’il faut bien se garder de juger par les lois politiques les choses qui appartiennent au droit des gens, il déclare que c’est par la loi politique, c’est-à-dire par une loi dépendant du droit intérieur, qu’il faut décider si le domaine d’un Etat est aliénable. La loi de l’inaliénabilité appartenant au droit intérieur du royaume, est-ce par elle, Messieurs, que l’on peut déterminer la nature et les effets de la convention faite par le traité de Péroune, ainsi que des concessions qui en ont été la suite? Voyons d’abord quelles étaient les parties contractâmes ; après quoi le problème ne sera pas difficile à résoudre. Lorsqu’en 1641 le prince Honoré II traitait avec Louis XIII; lorsque tous deux stipulaient pour leurs Eiats une alliance perpétuelle ; lorsque le premier consentait à se détacher des Espagnols et à recevoir une garnison française dans Monaco, à condition que le second lui rendrait en France les propriétés que ce changement de liaisons lui ferait perdre en Italie ; certes, ce n’était pas comme simple particulier qu’Honoré contractait ainsi avec le monarque français; c’était comme souverain, comme représentant du peuple de Monaco, et le pacte que signaient les deux princes était l’union politique des deux nations. Un tel contrat, Messieurs, ne peut êlre soumis à l’influence des lois intérieures du royaume de France, puisqu’il est de leur essence de ne pouvoir régir que le peuple qui les a consenties, 'et qu’il faudrait étendre ici leur action sur l’Etat de Monaco, auquel elles sont étrangères. Le seul dioit qu’il faille consulter est donc celui des gens ; et s’il est vrai que la loi d’inaliénabilité du domaine n’en fasse point partie, il s’en suit que vouloir en appliquer ici la disposition, ce serait brouiller toutes lesiuées; ce serait confondre tous les principes; ce serait commettre pré-tifïer leur dénégation, d’ailleurs motivée par des raisons très graves. Comment se pourrait-il qu’un événement historique, aussi important que solennel, eût été ignoré de tous les historiens ? Comment se ferait-il qu’il n’eût obtenu que le témoignage isolé d’un jurisconsulte, qui n’en parle même qu’en passant dans un livre de droit? Je veux, pour un instant, que ce fait soit prouvé d’une manière suffisante ; je veux que la convention dont il s’agit ait eu pour objet d’interdire les aliénations du domaine public, non seulement au profit des particuliers, mais même de couronne à couronne ; il faudrait montrer encore que cette convention a toujours été observée dans ce dernier point, qui est ici le seul essentiel, et qu’elle fait réellement partie du code diplomatique de l’Europe ; car, si elle n’a jamais eu d’exécution, ou si elle est universellement tombée en désuétude, c’est comme si elle n’avait jamais existé. Mais si nous parcourons les fastes de l’histoire depuis le xme siècle; si nous consultons les divers traités intervenus depuis celte époque, entre toutes les puissances européennes, nous verrons dans tous les temps des cessions de territoire former entre elles, ou le prix de la paix, ou le gage des alliances. Une pratique aussi constante , aussi invariable, constitue indubitablement, dans cette partie de leurs relations extérieures, un état de liberté absolue. [9 septembre 1791.] cisément la même erreur que si, cette loi à la main, nous nous avisions de revendiquer contre toutes les puissances qui nous environnent, les diverses portions dn territoire français qu’elles ont obienues de nos princes par dis traités de paix ou par d'autres conventions politiques. Ce n’est pas tout; quand il s’agirait ici d’un contrat soumis à la loi de France, il ne serait point encore révocable, du moins dans l’état actuel des choses. Remarquez en effet, Messieurs, que ce contrat n’a pas été fait pour la seule utilité de l’une des parties; qu’il contient des engagements réciproques; que le prince de Monaco a fait, à l’alliance de la France, le sacrifice de grands avantages pécuniaires ; et que, pour prix de ces concessions, le monarque français s’est assuré la disposition d’une des clefs ne fltalie, en stipulant, pour lui et pour ses successeurs, le dioit d’entreienîr une garnison française dans Monaco. Or, cette clause du traité de Péronne a toujours été religieusement exécutée; et ce n’est pas sans doute quand le prince de Monaco, constamment fidèle à la foi de la convention, nous laisse encore aujourd’hui les maîtres de la capitale de ses Etats, qu’il peut nous être permis, réservant pour nous seuls 1< s profits du contrat, de le dépouiller du bénéfice légitime en vue duquel il sVst mis sous notre protection. Une nation brave, loyale et généreuse, qui a pris sous la sauvegarde de son honneur les engagements contractés par ses prino s, qui a abjuré l’esprit de conquête, qui s’est toujours plue à tendre une main secouiable à la faiblesse et à l’infortune; celte nation s’indignerait qu’on osât lui proposer un tel abus de sa force. Sous ce point de vue, Messieurs, il est inutile sans doute d’examiner si les avantages en vue desquels a été souscrit le traité de Péronne subsistent encore aujourd’hui. Je dirai seulement qu’une place forte, située avantageusement sur la Méditerranée ; qui a un bon port; qui tient en respect le comié de Nice et l’état de Rênes; qui peut servir à incommoder les Etats de la maison d’Autriche en Italie ; et qui semble prêter la main à la Corse ; qu’une telle place est essentielle à conserver à la France, et que ce ne serait pas, en politique, une faute légère que de rendre au prince de Monaco le droit de rechercher une alliance étrangère. Après avoir prouvé que le domaine de l’État a pu être aliéné à perpétuité par le traité de Péronne; après avoir montré qu’en tout cas l’aliénation ne serait pas révocable, lorsque celui au profit de qui ebe a été faite exécute le contrat dont elle fait partie; faut-il s’expliquer sur une prétention élevée contre le prince dn Monaco dans l’insiance jugée au conseil en 1779? Vous vous rappelez, Messieurs, que l’inspecteur du domaine qui abandonna la demande de son prédécesseur en revendication de tous les biens de France, concluait à la réunion de ce que le prince de Monaco se trouverait posséder au delà de 75,000 livres de rente. Cette prétention qui fut justement rejetée par le conseil, se réfute en un mot; elle ri’est rien autre chose que l’application partielle de la loi de l’inaliénabilité à un contrat sur lequel nous avons démontré que cette loi ne doit avoir aucune esnèce n’influence. En effet, les concessions faites au prince de Monaco, en conséquence du traité de Péronne, ont été précédées dVsiimations qui sont rappelées daos les lettres patentes du mois d’août 1647. Ainsi il est bien constant, du moins il est juridiquement constaté qu’au moment où elles ont été [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] 417 effectuées, elles n’excédaient pas 75,000 livres de rente. Mais le revenu des choses concédées était susceptible u’accroissement ; c’étaient des terres que la culture pouvait améliorer; c’étaienl des péages dont un commerce {lias actif pouvait augmenter le produit. Or, à qui, de la nation expropriée, ou du prince de Monaco propriétaire, devaient appartenir les bénéfices éventuels? S’il est incontestable que la chose profite à celui pour *qui elle périt, il est hors de doute que l’accroissement de revenu appartieut légitimement au prince de Monaco; ou il faut dire, contre les principes que nous avons établis, qu’il ne lui a été transmis qu’une propriété révocable. La demande de l’inspecteur du domaine était même d’autant plus injuste qu’il s’en fallait de beaucoup, eu égard aux changements survenus dans la valeur numéraire des monnaies, qu’en réduisant, en 1779,1e prince de Monaco à 75,000 livres de rente, on lui eût laissé un revenu égal à celui qui lui avait été promis en 1641. On peut faire une dernière difficulté. Le duché de Vaientinois avait été donné et érigé d’accord avec la clause ordinaire de réversibilité à la couronne, en cas de défaillance de la L igné masculine. Ne peut-on pas considérer, comme une libéralité révocable, le consentement donné par des lettres patentes postérieures, à ce que le domaine terriiorial du duché passât aux filles à défaut de mâles? Ne peut-on pas dire : le prince de Monaco ayant, par le traité de Péronne, uemandé qu’une partie de§ terres qui lui seraient données fût érigée en duché, sans stipuler, ni alors, ni même lors de l'érection du duché, qu’il serait transmissible aux filles, l’esprit du traiié a été qu’une partie des terres qu’il recevrait en France revint à la couronne apiès l’extinctiun des mâles. On a donc agi, non pas selon le traité, mais contre le traité, en consentant le contraire; d’où il suit que l’érection do 1715 est nulle, et que le ci-devant duché de Vaientinois, pussédé aujourd’hui par la postérité féminine du premier conces-sionnaiie, doit être reuni au domaine. Vos comités, Messieurs, n’ont pas cru que cette difficulté fût sérieuse; voici leurs raisons: 1° L’esprit du traité a été de donner en France, au prince de Monaco, l’équivalent de ce qu’il possédait en Italie, et par conséquent une propriété transmissible aux filles, comme l’était celle des fiefs d Italie ; 2° L’exécution du traité n’était point complète, lorsque les lettres patentes de 1647 ont détruit la clause de non transmissibilité aux filles; ainsi, les choses étant encore entières, le prince de Monaco aurait été fondé à dire alors : vous me devez une propriété pleine, absolue, transmissible aux femelles comme aux mâles; si vous voulez vous réserver un droit de retour sur le duché de Vaientinois, vous me donnez moins que vous ne me devez; l’esprit dans lequel nous avons traité m’autorise donc en ce cas à demander un dédommagement de ce droit éventuel dont vous grevez le duché de Vaientinois; 3° Il est remarquable qu’alors il était déjà d’usage en France de déclarer le domaine ducal transmissible aux filles; ainsi il n’a été rien fait d’extraordinaire en faveur du prince de Monaco; et l’on ne pourrait l’inquiéter, qu’en inquiétant aussi nombre de familles où le domaine ducal a passé à des filles eu vertu de clauses postérieures à l’érection ; 4° Eu fin, ce qui se faisait communément pour de simples citoyens soumis à la loi française a pu se faire à plus forte raison en faveur d’un 1" Série. T. XXX. prince étranger vis-à-vis duquel on exécutait une convention politique uniquement soumise au droit des gens. SECONDE PARTIE. Indemnité réclamée par le prince de Monaco. Nous voici parvenus, Messieurs, à la demande du prince de Monaco. Elle présente deux points à examiner : l°Lui est-il dû une indemnité pour raison des pertes qu’il ejiruuve par la suppression des péages, des offices et des droits féodaux? 2° Si cette indemnité est due, sur quel pied doit-elle être réglée? § 1er. Pour prouver qu’il lui est dû une indemnité, voici le raisonnement fort simple que fait le prince de Monaco : « C’est de l’Etat que je tenais les biens que l’Etat vient de supprimer; ma propriété est établie par un titre solennel, par une convention politique qui est i’origine de l’alliance des deux peuples. Mais il est de principe que si l’un des contractants souftre, par le fait de l’autre, une éviction qui lui fasse perdre tout ou partie -de sa chose, l’action de garantie lui est ouverte pour en obtenir le dédommagement : ce principe a été reconnu, il a été consacré par l’Assemblée nationale. Personne n’est donc mieux formé que moi à invoquer l’article 36 du titre II de la loi du 15 mars 1790, aux termes duquel il est dû, par l’Etat, une indemnité aux propriétaires des droits abolis provenant du domaine public. » Le raisonnement du prince de Monaco est incontestable en thèse générale; mais il existe, dans la loi qu’il cite, une disposition qui peut faire naître des doutes sur le point de savoir si elle lui est applicable. Celte disposition est celle qui porte que l’indemnité due à ceux qui ont acquis du domaine public ne consistera que dans la restitution, ou des sommes qu’ils ont payées, ou des autres objets qu’ils ont cédés à l’Etat. Or, l’Etat n’a reçu pour prix, ou en échange des concessions faites au prince de Monaco, en exécuiion du traité de Péronne, ni argent, ni aucuns objets qu’il puisse aujourd’hui restituer. Cette difficulté a quelque chose de spécieux ; mais voire comité en a eu bientôt trouvé la solution dans la doctrine que j’ai précédemment établie. L’action de garantie, ouverte par l’éviction de la chose aliénée, ne peut être jugée par une loi différente de celle qui régit le contrat d’aliénation; car c’est par celle-là que doit se régler tout ce qui concerne l’exécution du contrat; et l’éviction qui procède du fait de l’aliénateur e.-t une atteinte portée à cette exécution. Il y a évidemment une égale violation du contrat, lorsque l’aliénateur refuse la tradition de la chose qu’il s’était obligé de livrer à l’aliénataire, et lorsque l’aliénataire est privé de cette même chose par le fait de l’aliénateur qui lui eu devait la garantie. Ceia posé, Messieurs, c’est dans les maximes du droit des gens qu’il faut puiser les règles par le.-quel es doit se juger l’action de garantie qu’exerce aujourd’hui le prince de M maco. Les lois qui suppriment des droits onéreux au peuple français doivent sans doute s’exécuter iudistinc-27 418 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.1 tement, quant à cette suppression dans toute l’é' fendue de l'Empire, parce que c’est la loi territoriale qui régit toutes les choses, quels que soient leurs possesseurs : mais elles ne peuvent s’exécuter conire le prince de Monaco; quant à l’indemnité à laquelle elles restreignent ceux qui ont acquis de l’État des droits supprimés, parce qu’il s’agit alors de l’exécution d’un traité politique entre souverains, qui n’est point soumis à l’autorité des lois françaises. Cette doctrine est la vôtre, Messieurs; déjà vous l’avez consacrée par un de vos décrets les plus solennels. Les princes allemands posses-sionnés en Alsace, se fondant sur la garantie stipulée par le traité de Münsler, prétendaient que leurs droits seigneuriaux ne devaient point être frappés de vos suppressions. Votre décret du 28 octobre 1790 décide forrriellement le contraire ; mais il ne leur applique point la disposition de l’article 36 du titre 11 de la loi du 28 mars précédent, aux termes de laquelle il ne leur était dû aucune indemnité, puisque l’Etat n’avait reçu d’eux, ni aucune finance, ni aucun autre objet susceptible de restitution, et que, comme on le disait alors, c’était moins du consentement du corps germanique que de celui des peuples d’Alsace, que nous liions nos véritables droits sur cette province. Traitant donc les choses d’après d’autres règles que celles prescrites pour les particuliers, vous avez chargé le roi de négocier, avec les princes allemands, une indemnité amiable des droits abolis. Vos comités, Messieurs, ont pensé que le prince de Monaco était dans une position plus favorable encore que ces princes. D’une part, si les concessions qui lui ont été faites dans le siècle dernier ne sont le prix d’aucun objet susceptible de restitution, elles sont en revanche celui d’un avantage politique dont l’Etat jouit encore, et qui, quand il paraîtrait moins intéressant aujourd’hui que dans les circonstances où il nous fut assuré, ne sera néanmoins jamais sans importance ; or, pourrions-nous, sans injustice, conserver cet avantage, et refuser l’indemnité? D’autre part, si nous nous reportons aux titres sur lesquels le prince de Monaco fonde sa demande, nous verrons que le dédommagement promis par le traité de Péronne devait être composé entièrement de ferres : nous verrons, dans les lettres patentes de 1647, que le prince de Monaco désirait l'exécution littérale de cette clause, et qu’il ne s’est prêté à recevoir » n droits incorporels une partie des 75,000 livres de rente qu’il devait avoir en France, que parce que i’Etat se trouvait dans l’impossibilité de les compléter d’une autre maniéré : tout lé domaine de la couronne, disent ces lettres patentes , se trouvait alors engagé, et les dépenses de la guerre ne permettaient pas d’en rien retirer des mains des engagistes. Là demande du prince de Monaco est doDC d’autant plus juste, que ce sont les égards louables de sou auteur pour la position embarassée de l’Etat qui le rend aujourd’hui victime de nos suppressions, et que, si i’on eût ponctuellement exécuté le traité de Péronne en lui donnant des terres, il n’aurait rien perdu. §2. S’il n’est pas douteux qu’il soit dû une indemnité au prince de Monaco, on ne s’accorde pas aussi facilement sur la base principale de l’évaluation. Suivant les états qu’il a fournis à votre comité, la suppression des justices seigneuriales et l’abolition de la vénalité des offices lui causent la perte d’un revenu de 7,423 livres calculé sur une année commune du produit des greffes, du centième denier et des droits de mutation des offices, ci ................ 7,423 1. » s. » d. Il éprouve, par la suppression des droits féodaux, la privation d’un revenu annuel de onze mille sept cent quarante-sept livres, sept sous, onze deniers, ci ....... ....... 11,747 7 11 Et la suppression des péages le prive d’un revenu annuel de cent soixan te-dix-ueuf mille cinq ceut vingt-sept livres douze sols, un denier, calculé sur l’année commune de leur produit, ci ......... 179,527 12 1 Total ..... 198,698 1. » s. » d. Le prince de Monaco ne se borne pas à réclamer uû dédommagement qui atteigne ce produit annuel. Il observe que, suivant Je traité de Péronne, il lui est dû des terres féodales, des terres titrées, un revenu de même nature que celui qu’il a perdu en Italie, ce qui devient impossible aujourd’hui par la suppression de la féodalité. Il soutient que son indemnité doit embrasser, non seulement l’utile, mais encore l’honorifique, en ce qu’il influait sur la valeur du fonds. Il en conclut que la perte de l’honorifique doit se compenser par une plus-value sur les terres qu’on lui donnera, plus-Valuè qui doit être mesurée sur la différence que la jurisprudence du royaume établissait dans l’estimation comparative des fiefs et dés rotures. Si cette prétention du prince de Monaco était fondée, il s’ensuivrait qu’il lui est dû un dédommagement, non pas seulement en raison des droits abolis, mais encore à raison de ses do maines fonciers et de ses droits non supprimés, dont la nobilité est détruite, mais cette prétention nous a paru devoir s’écarter par une réflexion très simple. Lorsque, par le traité de Péronne, il a été promis en Franc-, au prince de Monaco, des titres et des fiefs, dans quel esprit celle clause a-t-elle été stipulée? Le motif en est facile à saisir. On a voulu que les possessions françaises du prince de Monaco ne fussent pas moins éminentes que celles des principales familles du royaume, et qu’il y recouvrât toute l'importance territoriale dont il jouissait en Italie. Mais l’esprit du contrai n’a jamais pu être que le piince de Monaco fût tiailé (par exemple) plus favorablement que les branches de la maison royale, et que, quand les frères du monarque ne conservent ni litres, ni fiefs, il eût droit à un dédommagement qu’on ne leur accorde pas. Il est donc raisonnable de dire que la clause dont il s’agit ne peut être obligatoire que pour tout le temps où le régime féodal devait subsister en France, et que vos principes vous défendent de voir aucune perte honorifique susceptible d’indemnité, dans cet heureux état de choses qui égalise les hommes et les propriétés, sans dégrader personne. [Assemblée nationale. ARCHIVES P ARMEMENT AIRES . [9 septembre 1791.] 419 Une autre prétention du prince de Monaco nous a paru mériter plus d’attention : il demande qu’il lui soit donné des terres en payement de son indemnité; il se fonde encore, â cet égard, sur le texte du traité de Péronne, qui lui promet des terres et non pas des rentes ou de l’argent. S’il est certain que c’est dans la convention originaire qu’il faut chercher la mesure des engagements respectifs, cette demande du prince de Monaco ne peut être repoussée par aucune objection raisonnable. Il y a plus : vos comités, Messieurs, sont persuadés que l’intérêt de l’État devrait vous y faire adhérer, quand même elle ne serait pas appuyée sur un titre aussi formel. D’abord il est eu général convenable à votre position actuelle, il est conforme à vos vues pour la liquidation de la dette publique, de vous acquitter en domainesnaiionaux;mais iciuneraison particulière semble vous en faire un devoir. La politique vous prescrit en effet de lier tellement le prince de Monaco à la France par les nœuds de l’intérêt, qu’il ne puisse jamais avoir la tentation de se détacher d’elle. Or, un d< s moyens de remplir ce but, c’est de l’y retenir par l’attrait de la propriété; c’est d’avoir sous votre main un gage précieux de son attachement. Votre prévoyance doit même aller plus loin; elle doit embrasser le cas où, méconnaissant ses devoirs envers une nation généreuse, il viendrait à violer la foi de ses engagements. Alors, s’il a reçu en argent le prix de son alliance, il pourra être infidèle avec impunité. Si, au contraire, ce prix est encore représenté par une propriété territoriale, soumise à votre puissance, il pourra du moins ne pas conserver le fruit de son parjure. Quelle sera maintenant, Messieurs, la quotité précise de l’indemnité? Doit-elle s’élever à un revenu exactement égal à celui que produisaient au prince de Monaco les droits qu’il a perdus? D’abord l’application de cette hase ne serait pas sans inconvénients, surtout parrapport aux péages qui forment les neuf dixièmes du revenu supprimé; car, pour déterminer, soit le produit brut de ces droits soit les frais de leur perception, l’on n’aurait guère d’autres données podiivesque celles que l’on tiendrait de M. de Monaco lui-même. Qui sait, d’ailleurs, si les anciens tarifs de ces droits n’ont pas, par l’effet du temps, subi quelque altération qui en ait élevé le taux, comme cela est arriyé assez généralement ? Et dans tous les cas, sans doute, l'augmentation qui dériverait d’une telle cause ne pourrait jamais entrer en ligne de compte. Enfin (et ceci est particulièrement à considérer) le produit de droits de péage est essentiellement variable : s’il a dû son principal accroissement à d’heureuses révolutions dans le commerce, des événements imprévus peuvent le faire baisser ; et il n’est pas naturel de substituer à un revenu aussi incertain une pareille quotité de revenu actuel, indépendante de toutes les chances de malheur. Il serait donc à souhaiter qu’il existât une autre base d’évaluation plus propre à concilier les intérêts respectifs. Cette base, Messieurs, a paru facile à trouver, en s’attachant scrupuleusement à la lettre du traité de Péronne. Il ne s’agit que de reconnaître pour quelle somme les droits supprimés ont été concédés en 1641 ; et cette opération se trouve déjà faite en grande partie par les lettres patentes de 1647, qui contiennent une évaluation de péages à 39,000 livres: le surplus n’est pas considérable, et présentera peu de difficulté. Il sera juste ensuite d’ajouter à la somme qui sera le résultat de cette ventilation, le montant de l'augmentation progressive du numéraire, puisque c’est le seul moyen de placer le prince ne Monaco au point ou il doit être d’après le traité de Péronne, et de lui former un revenu égal à ce qu’il aurait aujourd’hui, si, dans le principe, on ne lui eût donné que des terres. Celles qui lui seront délivrées devront donc produire la somme que je viens d’indiquer; c’est-à-dire la portion des 75,000 livres de rente pour laquelle les droits abolis ont été concédés en 1642, 1643 et 1647, eu égard à ce que cette portion représente de notre numéraire actuel. Ce mode d’indemnité est fortement contredit par M. de Monaco. Il soutient qu’on lui doit, non pas la valeur des terres qu’il aurait dû avoir, mais celle des droits qu’il a eus. Ses raisons, qui ont trouvé plusieurs pariisaus dans le sein de vos comités, sont assez graves pour mériter d’être recueillie-!. « 11 n’y a, dit-il, deîvéritable indemnité, que celle qui dédommage complètement celui à qui elle est due, de la perte qu'il éprouve. Or, celle que je suis fondé à réclamer n’atteindra ce but, qu’autant qu’elle sera évaluée sur le produit des droits que les suppressions ont éteints dans mes mains. « Ces droits m’appartenaient légitimement : lorsqu’ils me furent donnés en place d> s terres qui m’avaient été promises, l’intention réciproque fut que j’en devinsse propriétaire incommutable. Il s’est opéré à cet égard une novation du titre primordial, et la garantie que j’exerce aujourd’hui n’est pas celle du traité de Péronne, en vertu duquel on me devait des terres, mais celle de la convention de 1647, par laquelle des droits incorporels, que je pouvais refuser, ont été substitués aux domaims corporels dont on trouvait trop dilicile d’achever la tradition. « On ne peut m’envier l’accroissement de produit de ces droits, depuis que je les possède, pas plus que je n’aurais pu me plaindre de leur diminution. C’est un principe incontestable que la chose augmente, comme elle dépérit pour le propriétaire. « Enfin, si le produit des droits supprimés fût descendu au-de.-sous du revenu des terres, on ne me proposerait sans doute aujourd’hui, qu’une indemnité évaluée sur le produit de ces droits. Est-il juste, parce que ce produit est devenu supérieur, de préférer pour mon dédommagement, la base moins favorable du revenu territorial? » Ce système, Messieurs, n’a point prévalu auprès de la majorité de vos commissaires. Voici les réflexions qui leur ont paru plus convaincantes. La garantie qu’exerce aujourd’huile prince de Monaco a son véritable fondement dans le traité de Péronne : et il est en contradiction avec lui-même, lorsqu’il méconnaît cette vérité. Car, sur quoi peut-il se fonder pour demander aujourd’hui un dédommagement enterres, si ce n’est sur le traité de Péronne ? II faudrait donc, dans son système, consulter ou écarter ce traité, selon qu’il lui serait favorable ou désavantageux ! S’agirait-il d’évaluer la quotité de l’indemnité? le traité serait nul. S’agirait-il d’en déterminer la forme ? Le traité serait valable. Tout le vice du raisonnement de M. de Monaco vient de ce qu’il confond des cas très différents. Le principe que la chose augmente, comme elle périt pour le propriétaire, n’est point applicable ici : car il en résulterait qu’il n’y a nul recours à exercer contre la nation. La vérité ce- 420 pendant est qu’elle est garante, parce que l'anéantissement ne la chose est son propre fait. Mais c’est d’après les maximes ordinaires de la garantie que son engagement doit s’apprécier. Or, Ptme de ces maximes les plus certaines est que la garantie doit être de la chose promise par le contrat, et qu’elle ne doit être de rien davantage. On peut même contester au prince de Monaco le point sur lequel il paraît s’appuyer le plus. Il était, dit-il, propriétaire incominutable des péages supprimés. Il se trompe : il est un cas prévu par le traité même où sa propriété était résoluble : c’est celui où il lût rentré en possession de tout ou de partie de ses terres d’Italie. Il ne jouit donc, en quelque sorte, qu’à tilre d’aniichrèse, et sa po-se-sion tient du précaire. Il ne niera pas sans doute qu’il serait obligé de se contenter de ses terres d’iialie, si la nation les rachetait pour les lui rendre. Ne serait-il pas absurde qu’il pût refuser une même quantité de terres en France, où elles lui conviennent beaucoup mieux ? Les principes qu’on lui objecte aujourd’hui sont parfaitement réciproques. Lui-même les opposerait avec succès, si le résu tal devait lui en être favorable ; et ce serait mal présumer de la loyauté française, que de croire que, dans une position différente, nous y refusassions notre assentiment. Au surplus, Messieurs, peut-être croiriez-vous qu’il était superflu d’entrer dans cette discussion ; car vous suivrez sans doute, dans cette occasion, la marche que vous vous êies tracée d’avance dans l’affaire des princes allemands, avec laquelle celle-ci a tant d’analogie, la marche que vous vous êtes même presciite par le décret du 2 i mai 1790 sur la paix, et la guerre. Après avoir reconnu qu’il y a lieu à ind mnité, vous laisserez au pouvoir exécutif le soin de négocier les détails de l’indemnisation avec le prince de Monaco, en réservant néanmoins au Corps législatif l’examen et l’approbation définitive de ce qui aura été arrêté entre eux. Si, sous ce point de vue, le zèle de vos comités paraissait les avoir entraînés au delà de leur mission, vous les excuserez en considérant que le résultat de cetie partie de leur travail peut n’être pas perdu pour la chose publique *, et que peut-être fournira-t-il au pouvoir exécutif quelques indications utiles à la défense des intérêts qu’il aura à ménager. Cette discussion, plus importante par son objet que par des difficultés îéelles, peut se résumer en deux mois. Le prince do Monaco doit-il être dépouillé des biens qui lui ont été concédés en France en vertu du traité de Péronne? Non, Messieurs, puisque le traité veut qu’il conserve ces biens tant qu’il n’aura point recouvré ceux qu’il possédait <n Italie ; puisqu’il est maintenant certain que l’exécution du traité des Pyrénées a été co stamment éludée par l'Espagne, et que la restitution des biens d’Italie, quoique négociée pennant 60 ans par la cour de France, n’a pas eu lieu ; puisque, dans le droit des gens, qui est le droit civil des nations entre elles, l’aliénation du domaine public peut s’opérer par des traités politiques avec des puissances étrangères; puis-qu’enlin les princes de Monaco ayant toujours exécuté fidèlement celui de Péronne, la nation française ne verrait pas, sans indignation, mettre en doute si elle doit tenir ses propres engagements. [9 septembre 1791.J Le prince de Monaco doit-il être indemnisé des pertes qu’il éprouve par l’effet de vos suppressions ? Oui, Messieurs, car vous-mêmes avez rendu hommage au principe du droit naturel et du droit civil, suivait lequel la nation est garante des évictions procédant de son propre fait envers ceux qui ont acquis du domaine de l’Etat; et si, par rapport aux pa-ticubers, vous avez borné l’effet de cette garantie à la restitution des objets reçus par l’Etat, il est sensible qu’une telle restriction, qui est toute de droit civil, n’est point applicable à une aliénation faite au profit d’un prince étranger, et qui ne peut être soumise qu’aux règles du droit des gens, à une aliénation d’ailleurs dont le prix est le droit que la France conserve toujours d’entretenir une garnison française dans Monaco. Gomment enfin doit se régler l’indemnit4 due au prince de Monaco? Il demande des terres; et la justice, la convenance et la politique veulent qu’on lui donne des terres. Il semble, au surplus, que la nation aura satisfait aux obligations que lui impose le traué de Péronne, en lui donnant une quantité de terres suffisante pour produire le même revenu qu’il aurait aujourd'hui, si, en 1647, on lui eût fourni en terres la portion des 75,000 livres de rente qu’il a obtenue en droits supprimés. Vos comités vous proposent ce résultat avec d’autant plus de conliance qu’il s’accorde avec ce que vous avez fait pour les princes d’Allemagne. Ils n’avaient de droit qu’à cette équité douce et bienfaisante qui respire dans toutes vos opérations; et nous croyons que le prince de Monaco ne peut pas être traité moins avantageusement, même d’après les règles de cette justice exacte qui doit être et est le caractère essentiel de tous vos décrets. Vous, Messieurs, qui pesez d’une main sûre les droits des princes et des peuples, vous saisirez avec empressement cette occasion nouvelle de manifester d’ui e manière éclatante votre scrupuleuse probité : c’est le seul principe politique qui convienne à une nation puissante et libre. Et elle n’y doit jamais paraître plus inviolablemeut attachée, que lorsque sa supériorité lui permettrait de le violer impunément. Voici le projet de décret que vos comités vous proposent: « L’Assemblée nationale, comidérant que le prince de Monaco n’a point été rem'S en possession des biens qui devaient lui être restitués en Italie , en conséquence de l’article 104 du traité des Pyrénées, et voulant manifester son respect pour la foi des traités ; « Ouï le rapport des comités des domaines et diplomatique; Décrète qu’il n’y a lieu à délibérer sur la dénonciation de la commune des Baux, tendant à faire prononcer la révocation des concessions faites en France an prince de Monaco, en exécution du iraiié d’alliance et de protection fait à Péronne, le 14 septembre 1641. « Décrète qu’il y a lieu à indemnité en faveur du p ince de Monaco, à cause, de la suppression des offices seigueuriaux et des droits féodaux, de justice, et de péage dépendant desdites concessions. « Charge le pouvoir exécutif de négocier, avec le prince de Monaco, la détermination amiable de ladite indemnité, conformément aux obligations résultant du traité de Péronne, pour, sur [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 421 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1791.] le résultat de la négociation, être par le Corps législatif délibéré ainsi qu'il appartiendra. » DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU VENDREDI 9 SEPTEMBRE 1791, AU SOIR. Situation 'politique d’Avignon et du Comtat Venais-sin dans le moment actuel (1). « En quo discordia cives Perduxit miseros. » Désolés par les fureurs d’une guerre intestine des plus cruelles et des plus désastreuses, Avignon et le Comtat croyaient pouvoir se flatter que la médiation dont l’Assemblée nationale de France avait fait briller à leurs yeux le séduisant appareil allait metire fin à leurs maux; mais ils se trouvent aujourd’hui plongés dans un état encore plus funeste que lie premier. Ce qu’il y a de plus révoltant, c’est que les commissaires mêmes, envoyés pour y mettre la paix , sont ceux qui augmenta nt la “divi-ion parla protection qu’ils accordent aux factieux et aux brigands. Quelque incroyable que puisse paraître cette assertion, on va voir qu’elle n’est malheureusement que trop conforme à la plus exacte vérité. Nous ne rentrerons nas ici dans le détail des premières horreurs qui ont porté le ravage dans cette contrée, au,, aravant si florissarue; le tableau affligeant en a été mis assez souvent et d’une manière assez solennelle sous les yeux du public (2), il est à propos néanmoins de reprendre les principaux faits qui ont une liaison nécessaire avec ce qui nous reste à exposer. Résumé des faits antérieurs à l'envoi des médiateurs. Ou se rappelle comment, l’insurrection s’étant manifestée à. Avignon au mois d’août 1789, la ville fut, dès ce moment, livrée à toutes sortes de troubles et de dissensions. Le prétexte de réformer quelques abus beaucoup exagérés servit d’occasion à des esprits inquiet-et remuants pour déployer leurs pernicieux talents et donner l’essor à leur ambition. Ils formèrent une faction qui entreprit de renverser l’a cien régime. Le vice-légat se vit, dans son palais, exposé à la fureur des insurgent-, et forcé d’accepter les changements qu’ils lui proposaient. On destitua les consuls pour les remplacer par 4 administrateurs, un comité militaire et 15 députés des corporations. On ne parlait que de brûler les maisons des ci-devant administrateurs, juges, employés, etc., des scélérats se promenaient dans les rues avec une corde à la main, menaçant de pend e les aristocrates qui ne penseraient pas comme eux Aussitôt que l’agitation se manifesta, le pape souverain de la province s’occupa des moyens d’en arrêter les progrès. Un commissaire, envoyé de sa part pour ramener les esprits par des voies de douceur et de conciliation, autorise toutes les (1) Au mois de septembre 1791. (2) 11 a fait la matière de plusieurs discussions à l’Assemblée nationale de France. communes du Comtat à se former en assemblée représentative librement élue. Si cette assemblée ne peut se garantir entièrement de l’esprit d’innovation qui fermentait de toutes part-’, elle sut au moins se contenir dans des bornes; elle n’adopta la Constitution française qu 'en ce qu'elle a de compatible avec les localités et le respect dû au souverain pontife (1). Cet attachement de la province pour son souverain ne doit pas surprendre; il n’est pas seulement fondé sur le devoir, sur le droit incontestable du pape qui y joint une possession de plusieurs siècles ; il lui est encore inspiré par une juste reconnaissance des bienfaits qu’elle en reçoit journellement (2); il lui est inspiré par le sentiment naturel de son propre intérêt, par l’expérience du bonheur et de la prospérité dont elle jouit, sous un gouvernement plein de douceur, qui ne lui fait payer aucun impôt. Cependant les factieux d’Avignon avaient des projets tout contraires. Excités, appuyés dans leur révolte par des agents au dehors (3), ils avaient formé le projet de se soustraire entièrement à leur prince légitime et de se donner à la France (4). Ils employèrent la violence pour y parvenir. Les “paysans des campagnes voisines qu’ils avaient ameutés vinrent se joindre à eux. L’étendard de la guerre civile fut déployé : les citoyens s’armèrent contre les citoyens, le fer fit couler des flots de sang ; les maisons devinrent la proie du pillage et de l’incendie. Ce fut un crime que de laisser apercevoir la plus légère marque de fidélité pour le véritable souverain; des gibets furent dressés; plu si urs victimes y (1) Dans son adresse à l’Assemblée nationale de France, l’assemblée représentative du Comtat Venaissin s’exprime en ces termes : « L’adoption des lois françaises, d’où va dépendre une partie de voire bonheur, ne saurait néanmoins porter la moindre atteinte au respect et à la fidélité inviolable que nous conserverons jusqu’à notre dernier soupir à notre bienfaisant monarque. Attachés à son gouvernement par des liens que nos cœurs rendront toujours indissolubles, rien ne saurait altérer nos sentiments pour sa personne sacrée. Ces sentiments reposent sur des bases assurées et inébranlables, notre consentement libre, la justice et la générosité de nos princes, et l’amour, qui est le juste prix d’un si grand bienfait. Rien ne saurait nous délier du serment que nous avons déjà si souvent répété , de vouloir vivre et mourir sous son empire ; serment que nous venons de renouveler d’une manière plus authentique , puisqu’il est émané du vœu unanime de nos commettants , exprimé dans nos mandats ; serment enfin que nous venons de lui offrir comme les prémices de nos travaux, comme l’élément nécessaire à notre bonheur. » (2) On vient de voir ce sentiment retracé dans son adresse. Elle avait sous les yeux une preuve trop récente de la bienfaisance de son souverain pour l’avoir oubliée. Lors de la disette de 1789, le pape prodigua généreusement ses finances à un peuple qui ne lui paye aucun impôt, et le fit approvisionner jusqu’à la récolte; il lui fournit même le blé nécessaire pour l’année 1790, à un moindre prix qu’il ne lui avait coûté , ce prix, on le lui doit encore. La plus noire ingratitude employa le produit de la vente des grains dont le pape nourrit Avignon et le Comtat à corrompre la fidélité de ses sujets ; à soudoyer les intrigues; et, pour user des expressions de M. l’abbé Maury, l’argent du souverain forma le premier trésor des rebelles. (3) On a la preuve légale de leur correspondance avec MM. Bouche et Camus, députés à l’Assemblée nationale de France, et de la réclamation qu’ils faisaient auprès d’eux des bons offices qui leur avaient été promis. (4) Us ne faisaient qu’entrer dans les vues de M. Bouche, qui avait déjà proposé à l’Assemblée na*- tionale de France de réunir Avignon à la France.