SÉANCE DU 18 FRUCTIDOR AN II (4 SEPTEMBRE 1794) - N“ 60-63 247 rapprochement des morceaux détachés, de manière à former de trois assignats quatre, dans l’intention de faire ensuite rembourser par la trésorerie nationale 1 600 L au lieu de 1 200 L; Considérant qu’il y a dans ce délit tout-à-la-fois altération de papiers nationaux ayant cours de monnoie et faux; qu’ainsi la loi s’est suffisamment expliquée dans l’article II de la section 6 de la seconde partie du code pénal : Décrète qu’il n’y a lieu à délibérer sur le référé dont il s’agit. Le présent décret sera imprimé aux bulletins des lois et de correspondance, et envoyé sur-le-champ au tribunal criminel du département de Paris (96). 60 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de la Guerre et des Secours sur la pétition du citoyen Foucault, sergent-major au premier bataillon de Maine-et-Loire, qui a perdu la cuisse gauche à la suite d’une blessure qu’il a reçue dans la Vendée, et qui réclame ses effets perdus, sa solde et des secours, décrète : ARTICLE PREMIER. La trésorerie nationale fera sur-le-champ parvenir au receveur du district de Langeais, département d’Indre-et-Loire, la somme de 1 300 L qui, sur l’expédition du présent décret, sera payée par ce receveur à François Foucault, sergent-major au premier bataillon de Maine-et-Loire, à titre d’indemnité de secours non imputable sur sa pension, tant pour ses effets perdus que pour ce lui est dû de sa solde. II. Les pièces présentées par Foucault à l’appui de sa réclamation seront envoyées au comité de Liquidation, pour liquider la pension à laquelle il a droit dé prétendre, qui datera du 12 germinal, époque du congé absolu qu’il a obtenu. III. Le présent décret ne sera pas imprimé, il sera inséré au bulletin de correspondance (97). 61 Sur le rapport de la commission des émigrés, la discussion s’engage sur la nouvelle loi qu’elle a été chargée de réviser; plusieurs articles sont décrétés; la continuation de cette discussion est renvoyée à une autre séance (98). (96) P.-V., XLV, 58. C 318, pl. 1 283, p. 23. minute signée de Bézard, rapporteur. Bull. 18 fruct. (suppl.), Décret n° 10 714. J. S.-Culottes, n° 567; J. Mont., no 128; C. Eg., no 747, J. Paris, no 613; M. U., XLIII, 296-297; J. Fr., no 710; J. Perlet, no 712; Rép., n° 259. (97) P.-V., XLV, 58-59. C 318, pl. 1 283, p. 24. Bull. 18 fruct. Décret n° 10 712. Rapporteur : Enlart. Ann. Patr., n° 613; C. Eg., n° 748. (98) P.-V., XLV, 59. Voir séance du 21 fructidor, 39. 62 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Salut public, décrète l’envoi des représentants du peuple dans les départements et près des armées, ainsi qu’il suit : Pour l’armée du Rhin Les réprésentants du peuple Féraud et Neveu. Pour l’armée de l’Ouest. - Les représentants du peuple Bezard et Auger, qui se concerteront avec les représentants du peuple Domier et Guyardin. Pour l’armée des Pyrénées-Orientales. Le représentant du peuple Deville, qui se concertera avec le représentant du peuple Delbrel. Pour les départements de l’Aisne et de l’Oise. Le représentant du peuple Pérard. Ils sont investis des mêmes pouvoirs que les autres représentants du peuple envoyés dans les départemens (99). TREILHARD, au nom du comité de Salut public : Le comité m’a chargé de demander à la Convention une explication sur le point suivant: elle a décrété que les représentans du peuple qui avoient été en mission près des armées pendant six mois, ou pendant trois mois dans les départemens, ne pourraient être chargés d’autres missions qu’après trois mois de résidence dans le sein de la Convention; il y a des représentans qui avoient été nommés en mission avant ce décret, aux termes duquel ils n’auraient pas dû être choisis : les uns sont partis, les autres ne le sont pas encore; le comité demande si la loi leur est applicable. Après une légère discussion, la Convention prononce qu'un décret n’ayant point d’effet rétroactif, le décret dont il s’agit n’est point applicable aux représentans qui sont partis pour leur mission (100). 63 MERLIN (de Douai) : Citoyens, je viens, au nom de vos comités de Salut public et de Sûreté générale, vous proposer un décret que la police de Paris sollicite impérieusement. La police de Paris, vous le savez, doit en tout temps fixer singulièrement votre attention; mais aujourd’hui elle appelle toute votre sollicitude par la manière frappante dont elle se lie avec la discipline des armées. (99) P.-V., XLV, 59-60. C 318, pl. 1283, p. 25. minute signée de Treilhard. Bull. 18 fruct. Décret n° 10 726. J. Paris, n° 613; M. U., XLIII, 297; Ann. R.F., n° 275; J. Fr., n° 710. (100) Débats, n° 714, 309. Le journal place cette intervention de Treilhard, qui n’est pas mentionnée au procès-verbal, avant le rapport de Merlin de Douai (N° 63). 248 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE On vous l’a déjà dit dans cette enceinte; il existe actuellement à Paris un grand nombre de militaires de tous grades qui s’y sont rendus de tous les points occupés par nos armées. Sans doute ils ont tous obtenu des congés pour quitter ainsi leur poste, et il n’est pas à croire que parmi eux il s’en trouve un seul qui soit dans le cas d’être poursuivi comme déserteur. Mais quel motif a pu faire demander de pareils congés ? Pour solliciter de l’avancement ? Ce n’est point dans les antichambres, ce n’est point dans les bureaux, ce n’est qu’au champ de bataille que de telles sollicitations sont permises. Pour suivre des affaires particulières ? Le soldat républicain n’a qu’une affaire; elle seule doit l’occuper ; c’est de battre l’ennemi, c’est de faire triompher la liberté; la patrie se charge du reste. Pour prendre du repos ? Aux guerriers, comme aux législateurs, le repos sera permis quand la liberté n’aura plus d’ennemis capables de troubler celui de la République auparavant il est un crime. Pour réclamer contre des abus d’autorité ou d’administration ? La correpondance est là. Et qu’on ne dise pas que les réclamations non appuyées par la présence de celui qui les forme demeurent dans l’oubli : l’ordre des numéros doit seul régler l’ordre des expéditions; et dans un gouvernement bien organisé il doit importer fort peu que le pétitionnaire soit absent ou présent. D’ailleurs, quels sont, parmi les militaires lésés par des abus, ceux qui viennent de l’armée à Paris pour y apporter leurs réclamations ? Assurément ce ne sont pas ceux qui, n’ayant pour vivre que leur paye, ne peuvent pas en consumer une partie en frais de voyage. Eh ! pourquoi donc ferait-on dépendre du plus ou du moins d’aisance d’un soldat la faculté ou la défense de quitter son poste pour venir à Paris ? Où serait l’égalité des droits, si solennellement proclamée, si unanimement reconnue dans toute la République, si vous accordiez au soldat opulent des dispenses de service dont le soldat peu fortuné ne pourrait jamais jouir ? Il n’y a donc aucune raison qui puisse justifier les congés qui ont attiré et aggloméré dans Paris cette foule inconcevable de militaires qui s’y trouvent actuellement, et par une conséquence nécessaire il est indispensable de renvoyer à leurs postes respectifs tous les militaires à qui de pareils congés ont été accordés. C’est aussi ce que vous proposent vos comités de Salut public et de Sûreté générale, et ils vous le proposent comme une mesure tenant à la police de Paris; vous sentez en effet que, par sa nature, elle doit avoir sur elle la plus grande influence. Cette mesure en appelle une autre qui y est connexe, et sur laquelle vous avez rendu, le 5, le 6, le 11 septembre 1793 et le 2 thermidor, des décrets que leur extrême rigueur vous a forcés de neutraliser par un autre du 5 thermidor même. Je m’explique : le 5 septembre 1793, vous avez ordonné à tout militaire destitué ou suspendu de sortir de Paris et de se retirer dans vingt-quatre heures dans sa municipalité, à peine de dix années de fers. Le lendemain, vous avez décrété que les militaires suspendus de leurs fonctions, qui étaient obligés de quitter Paris, ne pourraient rentrer dans leurs municipalités qu’autant qu’elles se trouveraient éloignées au moins de vingt lieues des armées ou des frontières; Et le 11 du même mois, vous avez déclaré, entre autres choses : 1) Que le décret du 5 ne frappait que sur les militaires destitués ou suspendus depuis le 14 juillet 1789; 2) Que tout officier qui, en vertu du même décret, se retirerait de Paris, ne pourrait pas en approcher plus près de vingt lieues. Enfin, le 2 thermidor, il est intervenu, sur les propositions des comités de Salut public et de Sûreté générale, un décret par lequel il a été enjoint à tous citoyens qui s’étaient soustraits à l’exécution d’un mandat d’arrêt, ou qui, revêtus de fonctions publiques, avaient été suspendus ou remplacés, de sortir de Paris dans trois jours, et de se rendre dans leur domicile dans le courant de deux décades, passé lequel délai ils seraient réputés émigrés et punis comme tels. Sans contredit des vues sages et politiques ont dicté ces quatre décrets. Cependant ils n’ont pas produit l’effet qu’on devait en attendre, et dans ce moment Paris regorge encore de militaires destitués: quelle en est la cause ? C’est qu’autant il est vrai de dire qu’une loi impérative, sans disposition pénale, est plutôt un acte de faiblesse que d’autorité, autant il est prouvé par l’expérience que l’excessive dureté d’une disposition pénale en altère toute la force et en détruit tout l’effet. Le législateur qui fait une loi trop dure est un père qui s’arme d’un bâton pour réprimer les étourderies d’un enfant : il voudrait le châtier, mais non pas l’estropier; le bâton échappe à son bras paternel, et l’impunité augmente des désordres qu’une punition bien calculée aurait fait cesser pour jamais. C’est ce qui est arrivé dans la matière qui nous occupe ici. Non seulement, de tous les militaires destitués ou suspendus, qui se sont trouvés à Paris depuis la loi du 5 septembre 1793, il n’en est aucun à qui l’on ait eu seulement la pensée d’infliger la peine de dix années de fers, prononcée par cette loi; non-seulement il n’est entré dans l’idée de qui que ce soit de faire porter un citoyen sur la liste des émigrés, précisément parce qu’il avait été fonctionnaire public et qu’il résidait à Paris; mais on s’est vu en quelque sorte forcé, par une réaction assez ordinaire en pareil cas, de vous proposer, le 5 thermidor, un décret par lequel tout fonctionnaire public, destitué ou suspendu par les représentants du peuple, qui aurait des réclamations à faire auprès de la Convention nationale ou de gouvernement, est autorisé à se rendre à Paris et à y demeurer, à la charge de se présenter en personne aux comités de Salut public et de Sûreté générale, et de leur transmettre par écrit les motifs de son arrivée ou de son séjour. Par ce nouveau décret vous avez ouvert à tous ceux qui voudraient éluder les lois des 5 septembre et 2 thermidor la voie la plus simple, la plus facile et la plus efficace; aussi a-t-il plus SÉANCE DU 18 FRUCTIDOR AN II (4 SEPTEMBRE 1794) - N08 63 249 que jamais enhardi les fonctionnaires publics, destitués ou suspendus, à mépriser la loi du 5 septembre; et c’est surtout depuis le 5 thermidor qu’ils affluent dans Paris. Il est temps de remédier aux désordres qu’ont déjà causés et que peuvent causer encore la rigueur excessive d’une part, et l’excessive indulgence de l’autre. Entre ces deux extrêmes, le milieu, c’est la justice : la justice veut que les peines soient proportionnées au délit; c’est à cette règle que nous nous sommes attachés pour vous proposer des dispositions propres à remplacer sagement celles dont nous nous croyons obligés de vous demander l’abrogation. Ces dispositions, si vous les adoptez, ne se borneront pas aux fonctionnaires publics destitués ou suspendus; nous vous proposerons de les étendre à tous les citoyens mis en liberté, soit par la Convention nationale, soit par le comité de Sûreté générale, soit par le tribunal révolutionnaire, et qui n’avaient pas, avant leur arrestation, une résidence habituelle à Paris. Ce n’est pas que nous regardions du même œil et le fonctionnaire public destitué, et le citoyen dont une autorité légitime a brisé les fers; bien sûrement il existe entre eux une grande différence, puisque, tandis que l’un a contre lui la présomption de la loi, l’autre l’a en sa faveur; mais il n’en est pas moins vrai, sous certains rapports, que la mesure que vous avez, depuis près d’un an, adoptée relativement aux fonctionnaires publics destitués, est encore plus nécessaire pour les détenus mis en liberté, et tous les bons esprits s’en convaincront facilement. J’ai déjà dit qu’il n’était pas ici question des détenus qui avaient leur domicile à Paris antérieurement à leur arrestation, et cette observation répond d’avance à tout ce que la malveillance pourrait débiter contre cet acte de police révolutionnaire. Il ne s’agit que de faire retourner dans leurs foyers des citoyens qui, après en avoir été arrachés pour être traduits à Paris, ont obtenu leur élargissement, soit des représentants du peuple, soit du tribunal établi par eux pour punir les conspirateurs et venger les patriotes opprimés. Or, à leur égard, que pour-rait-on alléguer pour les retenir à Paris dans des circonstances difficiles ? Nécessairement ils se partagent en deux classes : les uns, dont la justice a commandé, les autres, dont l’intrigue a surpris l’élargissement. Les premiers (sans doute ils forment le très-grand nombre) ont-ils un devoir plus doux à remplir que d’aller au milieu de leurs concitoyens proclamer la justice même dont ils recueillent les fruits ? Et si les seconds craignent la surveillance de ceux qui les connaissent le mieux, n’est-ce pas une raison déterminante pour que la loi les empêche de s’y soustraire ? (101). A la suite de son rapport, qui est souvent applaudi, Merlin (de Douai) lit un projet de décret, par lequel il propose que les militaires qui se trouvent actuellement à Paris en vertu de congés, de commissions, ou permissions, autres que celles accordées par la commission de (101) Moniteur, XXI, 678-679. Débats, n° 714, 309-310. l’organisation et du mouvement des armées, et approuvées par le comité de Salut public, soient tenus de retourner à leur poste dans un délai prescrit, sous peine de destitution, et d’être traités comme suspects (102). On demande qu’il soit soumis à la discussion article par article. Cette proposition est adoptée. Merlin fait lecture du premier article, qui porte que « les militaires qui se trouvent à Paris en vertu de congés rejoindront leurs corps dans le délai de trois jours ». GOSSUIN : Je demande que cette mesure soit étendue aux employés des charrois. CLAUZEL : Je voudrais qu’on y comprît aussi une armée de trois à quatre mille intri-gans, gens qui ne pourraient rendre aucun compte de leur conduite, qui battent le pavé de Paris, et fuient leur municipalité. Je demande donc que ceux qui maintenant sans emploi, après avoir été investis de fonctions, soit par des représentans du peuple, soit par des commissions exécutives, restent à Paris à rien faire, soient compris dans la loi proposée. (On applaudit). CARRIER : Il y a une classe à l’égard de laquelle il serait utile de prendre la même mesure; je parle des commissaires des guerres; je leur reproche... (Il se fait du bruit). Je demande qu’ils ne puissent accorder de congés que sur l’avis des administrations de bataillon. (Bruit). GOSSUIN : On voit aussi à Paris des envoyés des administrations de bataillon, qui s’inquiètent peu de paraître aux comités et d’y faire connaître l’objet de leur mission : mais ils se servent de ce prétexte pour demeurer à Paris. Je demande qu’on les comprenne dans la loi. BOURDON (de l’Oise) : Je demande que les militaires que le décret concerne ne puissent en éluder l’application sous prétexte qu’ils sont retenus par d’autres emplois; car il est à propos que vous sachiez que beaucoup de commissaires des guerres, d’employés dans les armées, restent ici, où ils intriguent depuis quatre ans, et occupent encore d’autres places. Ainsi ils ne remplissent pas leurs devoirs militaires, et reçoivent doubles appointements. Plusieurs voix : Cela est formellement défendu. LEGENDRE : Je demande le renvoi de l’observation de Bourdon au comité de la Guerre. La Convention décrète cette proposition. La Convention décrète l’article 1er du projet de décret avec les amendements. Le rapporteur fait lecture de l’article II, portant que « les officiers démissionnaires depuis le 14 juillet 1789, ayant moins de trente ans de services, et les citoyens élargis depuis le 10 thermidor, seront tenus de sortir de Paris dans le délai fixé par l’article précédent ». CLAUZEL : Je désirerais aussi qu’on comprît dans cet article une armée de trois à quatre (102) Débats, n» 714, 310. Nous suivons ce journal et le Moniteur (XXI, 679-680) pour la suite de la discussion. Le rapport de Merlin est dans le n« 715 des Débats, 317-320: M.U., XLIII, 297, 298.