[Assemblée nationale.] peuple. Après avoir recouvré la liberté, et à peine échappé aux orages qui se sont élevés autour de lui, il vient déposer ses alarmes dans le sein des pères de la patrie; il vous supplie de l’entendre avec bonté et de peser dans votre sagesse les objets qu’il soumet à votre surveillance paternelle. M. Danton, orateur de la députation. Messieurs, l’Assemblée nationale a cru devoir décider qu’il n’y avait pas lieu à délibérer sur la proposition qui lui a été faite de déclarer au roi que ses ministres avaient perdu la confiance de la nation, l'Assemblée nationale, les amis de la liberté, la France entière n’en avaient pas moins droit de s’attendre que ces premiers agents du pouvoir exécutif, tant de fois dénoncés, les uns aux tribunal de la loi, les autres au tribunal suprême de l’opinion publique, ne porteraient pas l’impudeur jusqu’à se faire un triomphe d’un décret purement négatif qui ne pouvait leur procurer d’autre avantage, que de leur laisser la faculté de donner eux-mêmes une démission que l’Assemblée nationale a toujours eu et aura, pendant toute sa durée, comme pouvoir constituant, le droit d’exiger rigoureusement, quand elle le jugera convenable. M. l’abbé Maury. Qui est-ce qui a dit cela ? (Il s’élève beaucoup de murmures. On demande que M. l’abbé Maury soit rappelé à l’ordre et que 1 orateur continue.) M. deCazalès. On doit tout écouter, même les absurdités politiques. M. Danton continue : La commune de Paris, plus à portée qu’aucune autre commune du royaume, d’apprécier la conduite des ministres ..... , M. l’abbé Manry. Pourquoi cela ? (On murmure et l’on insiste pour que M. l’abbé Maury garde le silence.) M. Danton reprend ; Cette commune, composée de citoyens qui appartiennent en quelque sorte aux 83 départements ( Voix à droite: Cela n’est pas vrai !), jalouse de remplir au gré de tous les bons Français [Voix à droite : Il n’y en a pas d’autres) les devoirs de première sentinelle de la Constitution, que sa situation lui impose, s’empresse de vous apporter un vœu qu’elle croit fermement être dans le cœur de tous les ennemis du despotisme, et dont l’expression vous parviendrait déjà de toutes parts, si les sections de la grande famille nationale pouvaient se concerter aussi rapidement que celles de la capitale ce vœu que dictent la loi suprême et le salut du peuple, et dont l’accomplissement légal importe à ceux mêmes qui le provoquent par leur conduite antipatriotique, c’est le renvoi prompt, le renvoi immédiat des ministres. M. l’abbé Maury. Je demande la parole. M. Danton poursuit : Vous ne l’avez point oublié, Messieurs ; l’un d’eux, le sieur Champion, est accusé et déjà convaincu d’avoir altéré le texte de plusieurs décrets sanctionnés par le roi ( Voix à droite : C’est faux!), d’avoir retardé l’expédition et l’envoi des décrets les plus importants à la tranquillité pu-lre Série. T. XX. [10 novembre 1790.] 353 blique; celui surtout qui commettait la municipalité de Toulouse, pour informer sur les complots des contre-révolutionnaires à Montauban ; d’avoir choisi pour commissaires du roi auprès des tribunaux, un grand nombre d’individus, ennemis déclarés du nouvel ordre de choses et méprisés même par ceux qui partagent leur goût pour l’esclavage; et notamment d’avoir confié les fonctions de commissaire du roi, dans la ville de Moissac, à l’ancien procureur syndic de la commune de Montauban. Plusieurs membres de la droite demandent que l’orateur de la députation soit rappelé à l’ordre. M. le Président. Plusieurs membres ont demandé la parole sur différentes phrases de la pétition dont on vous fait lecture. Il faut attendre que cette lecture soit achevée. M. Faydel s’approche du bureau et parle sans qu’on puisse l’entendre, parcequ’une grande parffe de l’Assemblée se joint aux efforts de M. le président pour lui imposer silence. M. Faydel s’obstine à parler et on demande qu’il soit conduit à l’Abbaye. M. Danton continue en ces termes : Enfin, il est convaincu d’avoir fait imprimer, pour ces mêmes commissaires du roi, une longue instruction, dans laquelle les décrets relatifs à leurs fonctions sont commentés de manière à leur donner une extension de pouvoir funeste à la Constitution. Un autre, le sieur Guignard, qui ne connaît d’autre patriotisme que celui qu’il a puisé dans la politique du divan, est accusé juridiquement d’avoir osé menacer de son « fameux damas » les têtes françaises ; il est convaincu, aux yeux de ceux qui ont attentivement lu l’interrogatoire et le journal du sieur Bonne-Savardin, d’avoir été l’âme des projets de contre-révolution du sieur de Maillebois ; il est encore convaincu, par ses propres écrits, d’avoir auparavant voulu former en Bretagne un noyau d’armée , qui se serait grossi par la réunion de tous les aventuriers et de tous les stipendiaires du despotisme ; d’avoir été le principal auteur de la contre-révolution machinée à Versailles , au mois de septembre 1789 ; il est aussi plus que soupçonné d’être tout récemment l’auteur de cet infâme projet évanoui, aussitôt que découvert, de donner au roi une garde formidable qui n’aurait point été constituée par les représentants du peuple, qui aurait été indépendante de la force publique; et enfin d’avoir fait aux ci-devant gardes françaises, à cesilluslres coopérateurs de la conquête de la liberté, l'outrage de vouloir les séduire par des promesses perfides, pour ensuite les punir avec atrocité, d'avoir donné un exemple de patriotisme que les fauteurs du despotisme regarderont toujours comme un crime irrémissible. Le troisième, le sieur de La Tour-du-Pin, incapable d’aucune action qui lui soit propre, mais ennemi de la Révolution, parce qu’il prenait ses parchemins et sa vanité pour de la véritable noblesse (Violents murmures dans diverses parties de la salle ); mais despote, parce qu’il est faible, est coupable plus que tout autre peut-être, parce que sa maladresse ne lui permet pas de masquer ce que ses intentions ont de condamnable. Le sieur de La Tour-du-Pin depuis un an dégarnit les frontières pour surcharger les villes intérieures, pour armer les gardes nationales contre les troupes 23 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. liO novembre 1790.} 354 [Assemblée nationale.] de ligne, par la seule raison qu’elles vivent en bonne intelligence avec les citoyens ; il flétrit, il opprime tous les soldats, tous les sous-officiers qui osent se dire les amis de la Constitution; il n’a pas craint de faire le premier revivre les lettres de cachet; il a retenu pendant neuf mois dans les prisons un sous-oîncier, contre lequel il n’îr avait ni jugement, ni instruction, ni accusation; enfin, dans la capitale, sous les yeux de l’Assemblée nationale, il a eu l’audace de faire arrêter les députés d’un régiment munis des congés de leurs officiers et des passeports de la municipalité où ils étaient en garnison. Ces trois ministres, qui sous l’empire de la liberté, luttent contre l’opinion publique avec une audace que n’auraient peut-être pas montrée aussi constamment les hommes pervers que le réveil de la nation a fait disparaître, ces trois ministres (il en est temps) ne doivent plus désormais s’armer contre le peuple lui-même de l’indulgence de ses représentants. Vous avez, Messieurs, paru séparer de la cause de ces ministres, celle de M. de Montmorin, à qui l’on reproche de vous avoir laissé ignorer pendant plusieurs jours les armements de l’Angleterre et de l’Espagne, parce qu’il voulait suspendre tout sentiment d’inquiétude publique pendant les fêtes de la confédération nationale.il était conforme à vos grands principes d’équité de ne pas méconnaître la pureté qu’il pouvait y avoir dans les intentions d’un des ministres, lors même que ses actions pouvaient donner lieu à des interprétations qui lui étaient défavorables. La commune de Paris ne cherche pas des coupables; mais elle cherche à assurer les effets de sa surveillance, à les assurer de manière que les fauteurs du despotisme, poussés partout dans leurs derniers retranchements, soient forcés de regarder le temple de la liberté comme leur asile le plus sûr, et son culte, au moins extérieur, comme le seul moyen qui leur reste pour adoucir la juste vengeance des lois. Vainement objecterait-on que la commune de Paris ne vous apporte pas les preuves légales des imputations faites aux ministres. La nation n’a-t-elle pas le droit qu’a tout individu de dire au mandataire qu’il soupçonne d’infidélité : « Vous êtes indigne de toute confiance par cela seul que vous voulez rester dépositaire de mes intérêts pendant l’instruction du procès que je vous intente 1 » Nous vous en conjurons, Messieurs, écartez du roi-ses plus dangereux ennemis, puisqu’ils sont ceux de la nation dont l’intérêt sera toujours inséparable des intérêts du monarque; il s’applaudira bientôt lui-même de l’éloignement d’hommes qui ont vu leurs partisans les plus acharnés n’entreprendre leur défense qu’en commençant par professer la mésestime qu’ils sentaient pour leurs personnes. Quand vous aurez étouffé, par le décret que nous attendons de votre sagesse, les nouveaux complots de tous les ennemis de la régénération de la France et de la félicité du peuple ; quand vous aurez constitué une haute cour nationale, et que quelque grand exemple aura appris aux agents du pouvoir exécutif que leur responsabilité n’est pas une chimère, et que le glaive de la loi frappera désormais tous les coupables; sans doute, nous verrous des ministres plus purs combattre eux-mêmes, et faire cesser l’influence de la bureaucratie ; et la destruction de ce dernier fléau ne sera pas un des moindres fruits de notre Révolution. En conséquence de la dénonciation faite par la commune de Paris, contre MM. Champion, La Tour-du-Pin et Guignard, elle supplie l’Assemblée nationale : 1° De déclarer au roi que ces mêmes ministres sont indignes de la confiance publique et de le prier de les renvoyer; 2° D’organiser promptement une haute cour nationale, ou tel autre tribunal destiné à connaître des crimes de lèse-nation et de ceux de la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif; 3° D’ordonner que, sur les dénonciations déjà faites , le procès sera instruit et jugé contre MM. Champion, La Tour-du-Pin et Guignard ; 4° Et de prendre toutes les mesures nécessaires afin qu’aucun ministre ne puisse sortir du royaume ni de la capitale, jusqu’à ce qu’il ait été déclaré légalement quitte et déchargé du compte de son administration. Sergent, président des commissaires chargés par la commune de Paris de demander le renvoi des ministres. Danton, àuchy, secrétaires. M. de Cazalès veut prendre la parole. (La partie gauche demande que personne ne soit entendu avant la réponse de M. le président.) M. de Cazalès. Je demande, Monsieur le président, que vous ayez la bonté d’interpeller la commune de Paris pour qu’elle déclare si elle accuse formellement les ministres et si son discours contient les chefs d’accusation ; alors il sera du devoir de l’Assemblée nationale de se nantir de la dénonciation et de juger s’il y a lieu à l’accusation. (La partie gauche demande qu'on laisse répondre M. le président.) M. de Montiosîer. Je demande que le discours de M. le président soit communiqué à l’Assemblée nationale avant d’être prononcé. M. Muguet de JVanthou. Je prie M. le président de m’accorder la parole immédiatement après sa réponse. M. le Président. Je connais parfaitement les devoirs et les droits du président de l’Assemblée nationale. Je remplirai exactement les uns, je ne me départirai jamais des autres. J’ai préparé une réponse et je ne la communiquerai à l’Assemblée que si elle me l’ordonne. M. Goupil. Je demande que, selon l’usage constant, M. le président fasse la réponse que sa sagesse lui a suggérée. Voix nombreuses : Oui, oui ! ce scandale n’a que trop duré! M. le Président répond à la députation : L'Assemblée nationale a consacré par ses décrets le droit de pétition. Elle ne l’a pas créé, elle ne l’a pas accordé; il est naturel et inhérent à toute association civile. Jamais les peuples libres n’ont été gênés dans l’exercice de ce droit. Si dans le temps que les nuages du despotisme couvraient la surface de ce bel Empire, les agents de ce pouvoir dévorantétouffaient lescrisdes citoyens par despunitions, des emprisonnements arbitraires; si, par ces moyens tyranniques, ils empêchaient