[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 juillet 1790.] telles circonstances, l’Assemblée ne peut pas s’en tenir aux termes du décret qui lui est proposé, et qu’il faut demander aux nations voisines d’expliquer leurs intentions. M. d’Aiguillon. J’ai demandé la parole pour appuyer l'avis des commissaires et ajouter une clause qui me paraît nécessaire. La disposition de suspendre le passage des troupes autrichiennes est extrêmement sage ; les nations voisines n’y verront que de la prudence. Mais, dans mon opinion, les ministres ne me paraissent pas aussi innocents qu’au préopinant. Nous ne pouvons nous dissimuler les inquiétudes que donne l’état politique de l’Europe. La Prusse est sur le point de faire la paix avec la Hongrie ; on assure qu’une des clauses du traité sera de soutenir les prétentions des princes d’Allemagne. D’un autre côté, les intentions de la Sardaigne sont peu connues; mais on sait qu’elle fait des rassemblements de troupes : l’Angleterre et l’Espagne négocient avec la Savoie, avec la Bohême, même avec la Prusse, pour appuyer les projets contraires à la Révolution française. Nous voyons en même temps éclater, dans les provinces méridionales, des signes d’insurrection, excités certainement par les mauvais patriotes, et peut-être même par les nations voisines. Apprécions, dans cetétatcritique, la conduite du ministre des affaires étrangères. Il dit qu’il n’a pas rendu compte à l’Assemblée de notre situation politique, à cause des fêtes de la confédération; qu’il se disposait à envoyer incessamment un mémoire à ce sujet. Voilà un acte constaté d’une négligence dangereuse et coupable. Une armée autrichienne demande un passage sur le territoire de France; alors le ministre, malgré un de vos décrets, et sans qu’aucun traité obligeât à la réciprocité, engage M. de laTour-du-Pin à donner les ordres pour autoriser ce passage. Etait-il possible, dans cette circonstance, de se porter, sans le consentement de l’Assemblée nationale, à une démarche qui peut nous plonger dans les horreurs de la guerre ? S’il existe un traité secret, jamais l’Autriche n’aurait une plus belle occasion de s’emparer de nos frontières, pour pénétrer ensuite dans l’intérieur du royaume. Il serait essentiel d’ajouter au projet de décret, que l’Assemblée, improuvant la conduite du ministre des affaires étrangères, le déclare personnellement responsable des événements qui seraient la suite d’ordres donnés d’une manière imprudente ou perverse. ( Une grande partie de l'Assemblée applaudit.) Il est essentiel de nous occuper de notre situation actuelle ; il faut que la nation française développe tou3 ses efforts, déploie toute sa vigueur, afin de détruire la confiance des ennenis de la chose publique. Il est nécessaire que l’Assemblée soit éclairée sur les moyens : je renouvelle, en conséquence, la proposition faite hier de nommer sur-le-champ un comité de huit personnes, pour se concerter avec le ministre des affaires étrangères, et donner à l’Assemblée les renseignements exacts et détaillés dont elle pourrait avoir besoin. M. de Mirabeau l'aîné. Entièrement de l’avis du comité au fond, je crois pouvoir proposer une motion incidente, que l’Assemblée trouvera de quelque importance. Cette proposition pourrait être susceptible d’un grand développement et la matière d’un énergique discours. Peut-être me saura-t-on gré de m’en tenir à la simple énonciation de ma motion. Elle est appuyée sur des faits qui sont à votre connaissance. Il est notoire qu’un 891 manifeste passe pour avoir été adressé à quelques municipalités, de la part du ci-devant comte de Coudé; que la notice en est criée dans la capitale, autour de nous, et que cette pièce est dénoncée au comité des recherches. Quoiqu’il eu soit je fais purement et simplement ma proposition. « Sur la notoriété qu’il existe un écrit intitulé : Manifeste dii prince de Condê, etc , etc., etc.; attendu le suprêmeintérêt de la patrie et l’urgente nécessité de surveiller les mouvements extérieurs, attendu les circonstances trop notoires qui rendent Louis-Joseph de Bourbon, ci-devant prince de Comté, tout à la fois étranger aux lois nouvelle» et dangereux à la Constitution, l’Assemblée nationale a décrété et décrète : « QueLouis-Joseph de Bourbon, ci-devantprince de Gondé, sera tenu de faire, sous trois semaines, le désaveu authentique et légal de cet écrit; à faute de quoi, son silence en sera réputé l’aveu; et en conséquence, Louis-Joseph de Bourbon, dit Gondé sera déclaré traître à la patrie, et ses biens seront administrés par les directoires de districts et de départements dans le territoire desquels ils se trouvent, pour être les revenus employés au profit de ses créanciers, et le surplus des revenus, ainsi que les fonds, remis à ses enfants, s’ils se présentent pour les réclamer (1). » ( Une grande partie de V Assemblée applaudit , et beaucoup de membres se lèvent pour appuyer cette motion.) M. d’André. Je n’ai qu’une simple observation à présenter. L’objet important de votre délibération c’est le passage demandé par les troupes autrichiennes ; il faut s’en occuper sans délai ; les ordres sont donnés; les autrichiens peuvent être attaqués par les habitants de la frontière, et ces hostilités pourraient avoir des suites qu’il est très facile de prévoir. Si la parole m’est accordée sur le projet de décret des commissaires, je prouverai que ses dispositions sont très bonnes et très sages. Quand vous aurez délibéré sur ce décret, ou pourra passer aux motions de MM. Lucas et de Mirabeau l’aîné ; elles me paraissent n’avoir point de rapport à la proposition de vos commissaires, M. de Mirabeau l'aîné. Il n’est pas nécessaire d’un grand développement pour montrer l’étroite liaison de ma motion avec la motion principale. Je ne vois pas dans quelle situation, dans quel lieu, dans quelle Classe on ira chercher un ennemi plus dangereux : celui qui doit désirer davan-(1) Le prince de Condé disait dans, son manifeste : « Depuis un an j’ai quitté ma patrie ; jo dois exposer « aux yeux de l’Europe les motifs qui m’ont forcé d’en a sortir. « Le peuple français est égaré par des factieux ; mais « il ouvrira les yeux, ce peuple bon ; il rougira des crimes a que l’intrigue et l’ambition de ses chefs lui ont fait « commettre. Il relèvera de ses propres mains le trône « de ses rois, ou je m’ensevelirai sous les ruines do la « monarchie . a La noblesse est une : c’est la cause de tous les prin* « ces, de tous les gentilshommes que je défends ; ils se « réuniront sous l’étendard glorieux que je déploierai à « leur tête. « Oui, j’irai, malgré l’horreur que doit naturellement « inspirer à un descendant de saint Louis l’idée dé « tremper son épée dans le sang des Français ; j’irai, à « la tète de la noblesse de toutes les nations, et, suivi a de tous les sujels fidèles à leur roi, qui se réuniront « sous mes drapeaux; j’irai tenter de délivrer ce mo» « narqne infortune ! » ( Mémoires pour servir à l'histoire de la maison de Condé, tome II, p. 48. Paris, 1820.) 392 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES.3 [28 juillet 1790.] tage le succès de ma motion, est celui qui en est le principal objet; si le manifeste existe, il désavouera ; ce désaveu lui offre la plus belle occasion qu’il puisse jamais trouver de rentrer dans sa patrie, de venir prêter le serment civique, et de remplir ce devoir, sans lequel nul homme ne peut être désormais citoyen français; ce serait un moyen d’assurer notre tranquillité, et de prévenir une grande partie des alarmes qui nous pressent. Je crois cette motion d’une telle nature et d’une telle nécessité, qu’il n’y a pas le moindre inconvénient à en délibérer à l’instant. (Une grande partie de VAsssemblée applaudit .) M. Dubois. Si l’on veut adopter cette motion incidente sans discussion, je ne m’y oppose pas; si l’on veut la discuter, je m'y oppose. Je suis le plus intéressé à la demande du passage des troupes autrichiennes, et je demande la parole. M. de Cazalès. M. d’André me paraît avoir prouvé évidemment que ce qui importe à la chose publique, c’est de prendre une délibération pour savoir si le passage sera accordé aux troupes autrichiennes ; si les ministres du roi ont dépassé leurs pouvoirs; si, dans les circonstances actuelles, ils n’auraient pas dû consulter l’Assemblée nationale. J’ai peine à concevoir comment la motion incidente de M. le comte de Mirabeau... (On rappelle l’opinant à l’ordre); comment la motion incidente de M. de Mirabeau peut se lier à la motion première. J’avoue que je lui sais peu de gré de ne nous avoir pas donné les développements qu’il a annoncés. Je ne puis m’accoutumer à entendre les étranges principes que l’on professe dans cette tribune; je ne puis m’accoutumer à voir que sur je ne sais quelle clameur publique, sur un manifeste dont les quatre cinquièmes de l’Assemblée ignorent l’existence, dont, sur ma parole d’honneur, je n’ai nulle connaissance, on interpelle d’une manièreaussi injurieuse, aussi contraire au respect dû au sang de nos rois, un prince du sang de France. Je crois qu’il est de la dignité de l’Assemblée de délibérer sur le projet de décret présenté par les commissaires et d’ajourner la motion de M. de Mirabeau, jusqu’à ce que le comité des recherches ait donné des renseignements sur le prétendu manifeste dont il s’agit. M. Foidel, président du comité des recherches. Une grande partie des metnbres de l’Assemblée demandent si nous sommes instruits de ce manifeste. Nous avons une dénonciation signée, d’un plan de contre-révolution, qui doit être précédé d’un manifeste dont cette dénonciation contient les bases. Si l’Assemblée le désire, nous pouvons, dans un instant, lui présenter cette pièce. (L’Assemblée lui témoigne ce désir.) M. Barnave. Je demande à M. Voidel s’il est vrai que Je ministre des affaires étrangères ait dit aux membres du comité des recherches qu’il eût des notions sur les projets du prince de Condé? M. Voidel. Je vais répondre catégoriquement à l’interpellation qui m’est faite par M. Barnave. Dans une conférence particulière avec le ministre des affaires étrangères, il nous a dit, parformede conversation, qu’il regardait M. de Gondé comme un des plus dangereux ennemis delà Révolution; qu’il savait qu’il avait de l’argent sans pouvoir deviner de Quelle iqanière il se l’était procuré. M. Dubois. Si l’Assemblée voulait adopter sans discussion le projet de décret proposé par M. de Mirabeau, je ne m’y opposerais pas. Lorsque le roi a prêté le serment civique, tout Français qui ne le prête point est coupable ; mais les six commissaires, chargés de vous donner des renseignements sur le passage des troupes autrichiennes, présentent un objet bien important. Il y a actuellement dans le département des Ardennes 60,000 hommes sous les armes, qui ont abandonné leurs moissons pour repousser les hostilités qu’on leur a annoncées ; je crois donc qu’il faut nous empresser d'adopter le décret proposé par les six commissaires. M. de Menou. Ce décret est d’autant plus pressant que, depuis quinze jours, il passe des émissaires dans la Champagne, la Lorraine et les Trois-Evêchés; ils répandent le bruit que, dans peu de jours, les Autrichiens passeront sur notre territoire, et qu’ils doivent s’emparer de nos places; il est évident que c’est afin que les habitants de ces provinces se portent à des hostilités contre ces troupes, et que, les Autrichiens usant de représailles, la guerre commence avaDt qu’on ait pu la prévoir. (On demande à aller aux voix.) M. Le Déist de Botldoux. Je demande que la discussion soit fermée. M. de Cazalès. Il est impossible qu’on rende le décret sans ouvrir la discussion. Je demande donc qu’il soit accepté ou rejeté sans désemparer ; mais que, du moins, la discussion soit ouverte. M. Rœderer. Je propose à l’Assemblée de décréter que,- sans désemparer, elle délibérera successivement sur le décret du comité et sur celui de M. de Mirabeau. M. Lucas. Je demande que, dans quinzaine à compter de la publication du présent décret, le cardinal de Rohan soit tenu de se rendre à la barre pour rendre compte de sa conduite. Voici ma motion : « L’Assemblée nationale ordonne que M. de Rohan, l’un de ses membres, viendra sur-le-champ reprendre sa place dans l’Assemblée, et y rendre compte de sa conduite, s’il y a lieu. » (La priorité est accordée, suivant la proposition de M. Rœderer, au projet du comité.) M. Frétean donne lecture de l’article premier ainsi conçu : Art. 1er. « L’Assemblée nationale déclare que, conformément au décret du 28 février, accepté par le roi, le passage d’aucune troupe étrangère sur le territoire de France ne doit être accordé qu’en vertu d’un décret du Corps législatif, sanctionné par Sa Majesté ; « Qu’en conséquence, les ordres émanés du secrétariat de la guerre, et adressés aux commandants des frontières du royaume, seront réputés non-avenus : cependant, l’Assemblée nationale se réserve de statuer sur le passage demandé par l’ambassadeur du roi de Hongrie, lorsqu’elle aura connaissance du nombre de troupes, des différentes espèces d’armes et attirail de guerre, de l’ordre de leur marche et de l’obj et de leur des tination. » (Cet article est adopté à l’unanimité.)