ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1790.} 406 [Assemblée nationale.] M. Itewbell. Personne n’a nié que la fabrication' du billon était nécessaire, mais on prétend que la théorie de la fabrication des monnaies doit précéder cette opération ; d’un autre côté oa demande l’aiournement, ce qui tend à continuer la vente de l’argent. Le comité des finances parle de quelques frais, de quelques pertes qui ne sont rien auprès des avantages qui doivent résulter de l’opération qui vous est proposée. Je ne m’oppose pas à ce qu’on nomme un comité, mais je demande qu’on mette immédiatement à la discussion la fabrication de la monnaie de billon. (Get ordre de discussion est mis aux voix et adopté.) M. Wanrisgart, rapporteur , présente en quelques mots le résumé de son rapport et doune lecture du projet du décret en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant les diverses demandes qui lui ont été adressées, pour que, vu la disette de la menue monnaie, il lui plût ordonner incessamment une fabrication de monnaie de billon ; « Considérant qu’iJ est convenable de donner au roi, sur une monnaie nouvelle, le titre glorieux de roi des Français, a décrété et décrète : « Art. 1er. Qu’il sera incessamment fabriqué dans les divers hôtels des monnaies du royaume la quantité de deux millions de marcs de monnaie de billon, du poids et titre ci-après. « Art. 2. Le susdit billon sera fabriqué au titre de deux deniers de fin, au remède de trois grains. « Art. 3. Il sera fabriqué dans chaque monnaie un tiers de pièces valant cinq sous, un tiers de pièces valant deux sous, et l’autre tiers de pièces valant dix-huit deniers. Les pièces de cinq sous seront à la taille de quarante au marc, au remède de poids de trois pièces au marc ; les pièces de deux sous, à la taille de cent vingt au marc, au remède de poids de huit pièces au marc ; et enfin, les pièces de dix-huit deniers, à la taille de cent soixante pièces au marc, au remède de poids de douze pièces au marc sans aucun recours de la pièce au marc. « Art. 4. Lesdites pièces porteront d’un côté pour légende : LOUIS XVI, roi des Français, et de l’autre leur valeur numéraire, conformément aux empreintes figurées au bas du présent décret, et seront, lesdites pièces, marquées sur la tranche d’une' simple hachure. « Art. 5. Lesdites pièces de billon auront cours dans toute l'étendue du royaume pour la susdite valeur ; mais on ne pourra être contraint, dans aucun payement, d’en recevoir pour plus de six livres. « Art. 6. Les pièces de billon fabriquées en France, actuellement en circulation, de la valeur de 2 sous et 18 deniers continueront d’avoir cours jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. « Art. 7. Les déchets sur cette fabrication seront alloués aux directeurs des monnaies, à raison de six pour cent, et tous les frais de fabrication seront fixés à 20 sous par marc, dont la répartition sera faite par le roi entre tous les officiers et ouvriers des monnaies. « Art. 8. L’Assemblée nationale fait très expresses inhibitions et défenses de recevoir ou donner, dans les payements, aucunes pièces de billon de fabrication étrangère. « Le présent décret sera, sans délai, présenté au roi pour être sanctionné. » Charles de Bmuueth. Messieurs, je viepg vous soumettre une observation en quelque sorte préjudicielle. C’est qu’avant de prendre aucune décision vous fassiez procéder à bref délai aux expériences dont on vous a entretenu; ces expériences ne sauraient occasionner qu’un très court retard : elles vous promettent de grands avantages : aussi je demande que la motion de M. Martineau obtienne la priorité. M. le Président met aux voix l’ajournement de la discussion. (L’Assemblée décide que la discussion continue.) Plusieurs membres demandent la parole, notamment M. de Cussy et M. l’évêque d’Autun. M. de Cussy (1). Messieurs, quoique rien de ce qui intéresse l’ordre public ne puisse paraître indifférent aux régénérateurs de cet empire, j’ose croire que ce qui touche immédiatement à l’intérêt de la classe la moins fortunée des citoyens excitera, dans tous les temps, votre vigilance la plus active et voire attention la plus soutenue. Permettez-moi, Messieurs, de les réclamer en ce moment, où j’ai à vous entretenir de la monnaie basse, de celle qui détermine en quelque sorte les salaires du peuple, facilite ses transactions journalières, et fixe le prix des denrées de première nécessité. Si je n’étais accoutumé à respecter, dans tous les députés de la natiou, des hommes dignes de la confiance qu’ils ont obtenue, je serais tenté de vous dire, Messieurs, que le projet, qui vous a été présenté par le rapporteur de votre comité des finances est une suite de l’attentat qu’un ministre audacieux n’a pas craint d’exécuter contre les propriétés mobilières de la nation. M. de Galonné a dégradé d’un quinzième de poids l’or destiné à circuler entre les mains de l’homme puissant; on vous propose, en ce moment, d’affaiblir d’un dixième le poids d’une monnaie basse consacrée particulièrement aux besoins et à l’acquit des services journaliers du peuple. En affaiblissant le poids de notre monnaie d’or M. de Calonne en conserva du moins le titre. Si même on veut ajouter foi aux procès-verbaux qu’il ordonna, quoique la cour des monnaies, cette gardienne incorruptible de nos lois monétaires, en ait démontré l’irrégularité, j’ai presque dit l’infidélité, il employa, s’il faut l’en croire, une grande partie du bénéfice qu’il réservait au fisc sur le poids des anciens' louis, à rétablir fe titre des nouveaux. Mais, enfin, les louis neufs furent fabriqués au même degré de fin que celui que renfermaient ou auraient dû renfermer les anciens. Aujourd’hui votre comité vous propose d’ordonner une nouvelle fabrication de billon, dans laquelle on diminuera d’un cinquième la faible quantité d’argent fin employé dans la fonte des sols fabriqués en exécution de l’édit de 1738. En comparant ce qui a été fait sur vos monnaies précieuses, et ce qu’on vous propose aujourd’hui de faire sur vos monuaies basses, ne pourrait-on pas croire que l’on voudrait vous amener par degrés, à votre insu et contre vos intentions, à la déplorable nécessité d’altérer le titre, ou d’affaiblir le poids de vos monnaies d’argent, pour rétablir entre tous vos métaux une juste et convenable proportion ? Ce projet détestable fut celui de M. de Galonné. Le crime de sa pensée est tracé de sa propre main dans une apostille mise en (1) Le Moniteur s’est borné à reproduire le projet de décret proposé p�r M. de (jussy. ; . (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 août 1790.] 407 marge d’un mémoire qui lui fut adressé pour lui démontrer le danger de son opération sur nos monnaies d’or, et la nécessité qui en résulterait d’affaiblir ensuite nos monnaies d’argent. Ce mémoire et cette note existent encore; il serait possible de les produire. Ce témoignage positif doit convaincre les plus incrédules, que ce ministre forma le projet criminel de s’emparer du quinzième des capitaux de la nation. Il n’ignorait pas, cet administrateur infidèle, que l’exportation momentanée de notre or avait pour unique cause l’importation excessive de l’argent étranger qu’il attirait en France par des opérations ruineuses. Après avoir fixé chez nous les monnaies d’or, en les affaiblissant, il savait que l’argent s’enfuirait à son tour; et sous le spécieux prétexte de le retenir, il aurait affaibli son poids ou altéré sa pureté. Je suis bien éloigné, Messieurs, de penser qu’un citoyen honorable-investi de la confiance de ses concitoyens et de l’estime de ses collègues, ait participé à ces projets désastreux : mais des combinaisons différentes peuvent conduire aux mêmes résultats. Tandis que le crime, qui veille sans cesse, prépare ses projets, l’industrie, qui dort rarement, sait souvent en faire son profit. Un traité de commerce fatal à la France a paralysé les ateliers de nos provinces et tari une des sources de nos richesses. L’or du Pérou et l’argent du Mexique se détournent de nos laboratoires. Les nobles sacrifices du patriotisme sont les seuls ressorts qui fassent mouvoir, depuis quelque temps, les balanciers de monnaies. Le numéraire, à peine frappé, s’échappe de nos mains et disparaît. Une partie, retenue par l’égoïsme, ou cachée par la méfiance, retourne au sein de la terre; une autre, accaparée par l’avidité, produit des gains énormes et illicites; une autre, enfin, suit les émigrations de ces Français timides ou coupables qui, ne se sentant pas dignes d’échanger de vaines prérogatives contre le titre honorable de citoyen, ont couru dans des terres étrangères porter leurs inquiétudes et leurs richesses. Pendant ce temps, votre courage lutte contre lesobstacles d’une régénération pénible et lente. Chaque jour, à la vérité, vient ajouter à votre gloire, en vous préparant de nouveaux triomphes. Un monarque vertueux, digne ami de la liberté, est venu au milieu de vous combler, par sa présence, vos vœux les plus chers, et assurer votre victoire par la grande influence de son généreux suffrage. De toutes les parties de cet empire, des milliers de députés sont venus, au nom de millions de citoyens armés, former la plus sainte alliance entre la nation et son roi; tous oui juré de maintenir, au prix de leur sang, cette heureuse Constitution qui assure leur liberté et fera leur bonheur. Mais vous ne pouvez vous dissimuler, Messieurs, que ce royaume, tourmenté depuis longtemps par les angoisses d’une disette cruelle de subsistances, n’a pas moins à craindre aujourd’hui de la disette du numéraire, dont les effets ne sont pas moins funestes. C’est dans ces circonstances que le rapporteur de votre comité a cru devoir vous proposer le secours d’une nouvelle fabrication de monnaie de billon. Il a voulu qu’elle fût considérable, pour que le secours fût abondant ; qu’elle fût divisée en très petites fractions, pour que le riche ne fût pas tenté de la soustraire à la circulation ; que le titre en fût très bas, afin d’empêcher l’étranger de la convoiter. Mais, Messieurs, votre comité, en adoptant ce projet, n’a considéré que les avantages du momeut, et n’a pas balancé les inconvénients qu’il entraînerait, Il est absurde de supposer la nécessité d’une fabrication de 24 millions de billon, pour faciliter les appoints dans les transactions de 24 millions d’hommes; et d’adord ne faut-il pas déduire plus de la moitié de ce nombre qui se repose sur l’autre, du soin de pourvoir à ses besoins? D’ailleurs, le pauvre n’a-t-il pas des monnaies de cuivre, le riche des menues monnaies d’argent?Pour-quoi donc fabriquer une si excessive quantité de billon ? On vous propose de débuter par 24 millions, tandis qu’il n’a été fabriqué, en exécution de l’édit de 1738, depuis cette époque, jusqu’à l’année 1764, que pour 8,259,254 livres de sols de 24 deniers : cependant cette monnaie surabonde dans quelques provinces, et n'est pas au-dessous des besoins dans cette capitale. Encore la quantité en a-t-elle été diminuée des trois huitièmes, par le transport qui en a été fait dans nos colonies, après les avoir frappés d’une nouvelle empreinte, et par la fonte d’une partie considérable qui a été faite à l’affinage de Trévoux et dans nos hôtels des monnaies. Si cette monnaie manque dans quelques provinces, tandis qu’elle surabonde dans les autres, c’est parce qu’elle est comme cantonnée par le refus que font les receveurs des impositions delà recevoir. Qui de vous, Messieurs, n’a pas gémi plus d’une fois de la déplorable position où se trouvaient réduits ces malheureux collecteurs des deniers publics, qui, surchargés par les détails de leur recette, de cette monnaie avilie et dédaignée, se trouvaient forcés d’en sacrifier une portion, afin de se procurer desécus, pour éviter la contrainte par corps, prête à être exercée contre eux par l’impitoyable receveur du fisc? Quide vous, Messieurs, n’a pas connu l’embarras que le commerce éprouvait, il y a quelques années, lorsqu’il était contraint de recevoir, dans ses payements, cette monnaie, devenue si abondante, qu’il avait fallu la renfermer dans des sacs? Si vous avez connu ces maux ne les aggravez pas en multipliant leurs causes ; mais surtout gardez vous, Messieurs, de consentir à ce qu’on baisse le titre, et qu’on diminue le poids de cette monnaie. Quelle est donc, Messieurs, cette étrange proposition que l’on ne craint pas de faire aux représentants d’un peuple libre, aux destructeurs des abus, aux régénérateurs de la France? On leur propose de décréter ce que les monarques les plus absolus n’ont osé hasarder que dans les temps les plus désastreux, ce qu’ils n’ont fait (quand l’impérieuse nécessité les y a contraints) qu’avec la promesse de réparer les maux qu’ils ordonnaient. Enfin, c’est, la monnaie du peuple dont on vous propose d’altérer tout à la fois, et le poids et l’aloi. Prétendrait-on lui enlever, par une supercherie indigne de la justice et de la majesté de cette Assemblée, la faible portion d’argent que son industrie active et ses travaux infatigables lui procurent avec tant de peine, et la remplacer par un vil métal d’une valeur fictive, idéale et hors de proportion avec la valeur réelle pour laquelle il serait mis en circulation ? On vous propose, Messieurs, d’emprisonner, dans une énorme masse de cuivre, une valeur, de près de 18 millions d’argent fin, dans un temps où le numéraire disparaît pour se renfermer sous la garde inexorable des ennemis du bien public ; et ce, afin de donner au Trésor national un bénéfice de plus de 3 millions, et une somme plus forte peut-être aux officiers des monnaies ; et ce sera la classe la plus indigente de la nation qui 408 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 août 1790.J payera tôt ou lard ces bénéfices injustes et impolitiques, lorsque cetle monnaie venant à dépérir, ceux dont elle composera le modique trésor iront en échanger les faibles restes contre une monnaie neuve. Eh ! Messieurs, croyez que si vous adoptez un projet si mal combioé, vous ne tarderez pas à reconnaître l’erreur dans laquelle on vous aura précipités. Vous vous trouverez, en peu de temps, surchargés, excédés et ruinés par une incalculable quantité de cette mauvaise monnaie. Déjà, sur l’annonce de ce fatal projet, les fabricants de Ber-minghera, 1rs princes d’Allemagne et les montagnards des Alpes préparent leurs creusets, leurs coins, leurs balanciers ; ils vous fourniront dix fois au delà de vos besoins, cette monnaie légère et de bas aloi. Ils partageront les odieux bénéfices de votre Trésor et de vos monnayeurs, ou plutôt ils les anéantiront, parce que ce ne sera qu’après vous avoir enlevé votre dernier écu qu’ils cesseront de forger ce mauvais billon. Parmi les nombreux exemples que je pourrais citer à l’appui de mon assertion, je choisirai, Messieurs, celui dont j’ai une connaissance plus particulière, et qui ne sera peut-être pas inconnu à plusieurs d’entre vous, parce que je le prends dans les Etats d’un prince qui avoisine trois de nos provinces. En 1755, le leu roi de Sardaigne fit refondre toutes ses monnaies; il fit frapper de très bons écus avec les divisions jusqu’au huitième. Il fit, en même temps, une monnaie de billon, distinguée en pièces de sept et demi et de deux sols et demi. Ce prince juste, autant qu’éclairé, n’en fit pas faire de plus faible, parce qu’il avait pour principe que si les monnaies de cuivre doivent avoir de très petites fractions, afin que le pauvre puisse se procurer à bas prix quantité d’objets de premier besoin, la monnaie de billon ne doit pas être trop faible, dans la crainte que le riche neqiaye à trop bon marché les services qu’il exige de l’indigent. Mais ce prince négligea de donner à sa monnaie basse une valeur intrinsèque, proportionnelle à celle de ses écus. Bientôt ceux-ci commencèrent à disparaître, et au bout de dix années, il n’était plus possible de s’en procurer, mais la monnaie basse, dont l’administration piémontaise n’avait fabriqué que pour une somme 2 millions, se trouva dans une si excessive abondance, que, par le calcul approximatif des trésoreries, on l’estimait monter à 10 millions, Que cet exemple. Messieurs, vous éclaire sur les dangers du projet qui vous est proposé par votre comité. Ce n’est qu'avec étonnement, sans doute, que vous apercevrez, par le calcul que je vais avoir l’honneur de vous présenter, l’étonnante dégradation qu’on voudrait vous faire décréter pour cette esfècede monnaie. En 1738, lorsque les directeurs avaient employé tout le remède de fin sur l’espèce, c’est-à-dire lorsqu’ils l’avaient fabriquée, comme il est d’usage, au plus bas terme fixé par la loi, le marc des sols contenait deux deniers huit grains d’argent fin, dont la valeur, suivant l’évaluation du tarif, était de 10 livres 7 sols 10 deniers 234/261; lorsqu’ils avaient employé avec précision tout le remède de poids, c’est-à-dire lorsqu’ils avaient taillé dans le marc cent seize pièces de deux sols, au lieu de cent douze, le marc était mis en circulation pour onze livres douze sols; ce qui donnait au ruj un bénéfice d’une livre quatre sols deux deniers par marc, sur lequel étaient pris les frais de déchet et rie fabrication. Dans le nouveau projet qui vous est présenté, on propose un titre de deux deniers au remède de trois grains, c’est-à-dire qu’on emploiera réellement un denier vingt et un grains d’argent fin dans le marc, qui, suivant l’évaluation du tarif, ne valent que 8 livres 7 sols 216/261 ; et comme on taillera cent-vingt-huit pièces au marc, au lieu de cent vingt, parce qu’on emploiera tout le remède de poids, ce marc sera livré au public pour valeur de 12 livres 7 sols, ce qui procurera à la fabrication, c’est-à-dire au Trésor de l’Etat et aux monnayeurs un bénéfice de 4 livres 9 sols par marc. Le marc de 1738 aura donc donné au plus ............ 1 1. 4 s. 2 d. Celui de 1790 donnera. ... 4 9 » » Différence .......... 3 4 10 » Il résulte de ce calcul, que la fabrication se procurera sur cette opération un bénéfice de plus de 30 0/0. Ce bénéfice énorme n’est-il pas plus que suffisant pour irriter la cupidité de l’étranger? Gomment pourrez-vous mettre obstacle à une importation ruineuse de ces mauvaises espèces qui viendront de toutes parts provoquer la sortie de vos monnaies précieuses? Ce n'est pas seulement par l’empreinte que l’on reconnaît la fausse monnaie, c’est surtout parla mauvaise qualité. Les fabricants de Berminghem nous ont fourni, il y a trente ans, beaucoup de pièces de deux sols, qu’ils fabriquaient publiquement, sans que le peuple ait élevé de plaiutes, parce qu’ils les fabriquaient au même titre que nos monnaies. Leur principal bénéfice résultait de la légèreté des pièces; et peut-être ne sont-ils pas les seuls qui en aient frabriqué de légères. Messieurs, quand on fabrique des espèces sans le recours de la pièce au marc, il n’est aucun moyen de convaincre d’infidélité les fabrications criminelles. Le seul garant que vous puissiez avoir de la fidélité des fabrications est la probité inflexible des agents qui travaillent et surveillent. Mais à quel signe la reconnaîtrez-vous? Je crois, Messieurs, vous avoir démontré les inconvénients du projet de votre comité; mais je dois de plus vous observer qu’auparavaot de statuer sur la valeur intrinsèque des menues monnaies que votre sagesse décrétera de faire fabriquer, il faut, avant tout, qu’elle détermine la proportion relative entre vos métaux qu’il convient à l’intérêt de la nation d’adopter. L’opération ruineuse ordonnée sur vos monnaies d’or a dérangé cette proportion à tel point que l’argent, comme matière, est plus cher aujourd’hui de 1 0/0 que celui qui sort de vos monnaies; il disparaîtra donc nécessairement à mesure qu’il sera fabriqué. L’orlèvre le fondra pouralimenterses travaux ; vos négociants, appauvris journellement par un change ruineux avec les commerçants étrangers, l’exporteront; et toute votre monnaie d’argent disparaîira. Il est temps, Messieurs, il est urgent d'aviser aux moyens de faire cesser ce désordre qui précipiterait la ruine de la nation, et culbuterait, sans ressource, le système de liberté, qui vous a déjà coûté tant de peines à établir. Mais pour procéder à une opération aussi importante, avec la sagesse, avec la justice qui doit caractériser tous vos décrets, il faut préparer cette grande et nécessaire restauration par des examens, par des discussions auxquelles votre comité des finances n’a pu s-e livrer. Je vous le dirai avec la franchise qui m’a toujours caractérisé: lorsque votre comité des finances a chargé une de ses sections de plusieurs parties diverses de l’administration auxquelles il a joint [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1790.) 409 les monnaies, il n’a pas même pressenti l’importance de cette dernière partie; il n'a pas pensé que l’ordre et la bonne administration des monnaies sont un des principaux soutiens de la prospérité publique. Mais il est temps encore de réparer cette négligence. Formez, Messieurs, dans le sein de votre Assemblée, un comité peu nombreux de personnes dignes de votre confiance; adjoignez à leurs travaux une commission de cotte cour respectable qui, par ses lumières sur cette partie, mais surtout par son incorruptible fidélité à défendre les lois monét, lires, dont la garde et l’observation lui étaient particulièrement confiées, n’a cessé dans aucun temps de bien mériter de la nation. Si le nouvel ordre que vous venez d’établir dans les tribunaux ne vous permet plus de conserver cette cour antique et vénérable, honorez les derniers moments de son existence, en rendant ses lumières et ses vertus utiles à la nation. Il ne faut pas vous le dissimuler, Messieurs, si vous enlevez à la fabrication des monnaies la surveillance de cette compagnie, il faut nécessairement en changer le régime. Qui peut mieux que ces magistrats vous révéler les défauts et les vices de ce régime qui, malgré les lois les plus précises, les plus prévoyantes, mais presque toujours éludées par le despotisme de l’ancien ministère, ont donné lieu à des crimes obscurs et publics, qui ont procuré à des hommes peu délicats, des fortunes scandaleuses et exagérées dans un temps où l’or remplaçait les vertus et ennoblissait tous les vices. Appelez aux conférences de ce comité au moins deux personnes prises dans l’administration supérieure des monnaies. Il existe parmi ceux que de longs et utiles travaux ont consacrés à cette partie délicate de l’administration, des hommes pleins de lumières et de probité, dont les connaissances et les talents vous donneront d’utiles et indispensables secours. Appelez enfin, au milieu de ces citoyens utiles et éclairés, trois membres choisis parmi les députés du commerce près l’Assemb ée nationale, ces hommes instruits de tout ce qui a trait au change qui règle les intérêts des nations commerçantes, et influe immédiatement sur leur prospérité. Instruits sur la valeur que les nations ont fixée dans le rapport de leurs monnaies, ainsi que da ns la hausse et la baisse du prix des métaux, comme marchandises, ils achèveront de compléter les instructions que votre comité sera chargé de réT diger pour préparer des décrets que la nation attend de vous, Messieurs, avec une juste impatience pour fixer immuablement ses propriétés mobilières et ses créances, et mettre enfin un terme à cette exportation effrayante de ses mon-; naies, qui chaque jour augmente la détresse et la méfiance, et priverait en peu de temps ce royaume de ses richesses et de son crédit. Dans ces circonstances, Messieurs, j’ai l’honneur de vous proposer le décret provisoire qui suit : PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant que le changement introduit par la déclaration du 30 octobre 1785, dans la proportiou depuis longtemps observi e en France entre les monnaies d’or et d’argent, est une des causes principales de la dise te du numéraire, dont la rareté, en dérangeant les fortunes particulières, pourrait ébranler la fortune publique ; Considérant qu’il est de son devoir et de sa « justice de faire cesser les inquiétudes et les désordres que le dépérissement des menues monnaies d’argent et de billon, effacées et altérées par un long service, occasionnent journellement, soit en provoquant des contestations parmi le peuple, soit en facilitant l’introdution des basses monnaies étrangères, au détriment de la chose publique ; Considérant enfin que les décrets par lesquels elle a aboli la vénalité de tous les offices de judi-cature lui imposent l’obligation d’établir un nouveau mode de surveillance sur la fabrication des métaux fins employés dans le commerce, et notamment sur le régime et la fabrication des monnaies, a décrété et décrète : Art. 1er Qu’il sera formé, dans son sein, un comité de sept membres, qui sera spécialement chargé de s’occuper de tout ce qui a trait à la législation des monnaies, à leur titre, à leur poids, et à la proportiou qui doit être rétablie entre leurs valeurs respectives. Art. 2. Que ce comité sera chargé de prendre tous les renseignements nécessaires pour rechercher tous les abus qui auraient pu s’introduire dans le régime et la fabrication des monnaies. A l’effet de quoi la cour des monnaies de France sera requise de nommer, parmi les magistrats qui la composent, cinq commissaires que son comité des monnaies invitera à l’aider de leurs lumières et de leur expérience. Art. 3. Que ce comité appellera à ses discussions deux des personnes employées dans l’administration supérieure des monnaies, et trois des députés des villes de commerce près l’ Assemblée nationale, les plus versés dans la connaissance des changes étrangers et du commerce des métaux, pour, d’après leurs observations, et sur le rapport qui sera fait à l’Assemblée par son comité, être ensuite par elle décrété ce qui sera reconnu le plus utile à l’intérêt de la nation, relativement à la refonte des menues monnaies d’argent et de billon, à la propoition qu’il conviendra de fixer emre les monnaies d’or et d’argent, et à ce qu’il sera jugé nécessaire de réformer ou d’établir dans le régime et la fabrication des monnaies. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. de Gussy. (L’impression est unanimement ordonnée.) M. de Talleyrand, évêque d’Autun, demande et obtient la parole sur la question des monnaies. Il se dirige vers la tribune. M. Riquetti l'aîné, ci-devant de Mirabeau. Il y a des nouvelles importantes des garnisons de Metz et de Nancy. Je demande que, si les comités sont prêts, toutes affaires cessantes, il en soit rendu compte. M. de la Tour-du-Pin a dû envoyer une lettre. Y en a-t-il une, oui ou non? M. Fréteau appuie cette interpellation. M. Riquetti l’aîné , ci-devant de Mirabeau. Si la lettre de M. de la Tour-du-Pin n’a pas été reçue, je demande une assemblée extraordinaire pour ce soir. La lettre du ministre de la guerre est remise à M. le président au même instant. Elle est ainsi conçue (I). (1) Nous emprunions cette lettre au journal Le Point du jour, tome XIII, page 375 ; le Moniteur u’eu donne qu’un extrait.