418 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { J�ovembS wJ' dur envers l’équipage; que le déposant Godec témoin de la conversation des deux accusés, se mit à dire, en continuant son ouvrage, sans s’adresser directement aux accusés, qu’il avait fait aussi campagne avec le capitaine sur la fré¬ gate VAglaé, commandée par M. de Paroy, et qu’il l’avait dès ce moment connu pour se faire aimer de tout le monde. Que les discours desdits Guenezan, Merlin, Hedou, Lemerle et Dumesnil, nous ayant paru de nature à les faire soupçonner ou d’être les auteurs du délit ci-devant exposé, ou d’y avoir participé, nous les avons fait mettre aux fers jusqu’à nouvel ordre, et qu’il ait été fait un rapport par un jury établi à cet effet. De tout quoi nous avons dressé le présent pro¬ cès-verbal, que nous avons signé et fait signer par les déposants, pour servir au besoin. Fait à bord du Northumberland, mouillé avec l’armée de la République, en rade de Belle-Ile, les jour et an .ci-dessus. Suivent les signatures en grand nombre. Et ledit jour 7 août 1793, d’après les diverses dépositions énoncées dans le procès-verbal de l’autre part rapporté, Les soussignés réclament l’établissement d’un ou plusieurs jurys, à l’effet de prendre de nou¬ velles informations contre les nommés Jean Guenezan, Jacques Merlin, Jean-Baptiste-Nico¬ las Hedou, Nicolas Lemerle et Jean Dumesnil, pour, d’après le rapport desdits jurys, être sta¬ tué ce qu’il appartiendra. Signé : Durand, officier de quart ; Malejacque. Soit fait ainsi qu’il est requis. Le capitaine de vaisseau commandant le Nor-thumberland, Signé : Thomas. « A bord du Terrible, en rade de Quiberon, le 15 septembre 1793, l’an II de la République une et indivisible, « Citoyen ministre, « J’ai l’honneur de vous rendre compte que la frégate la Sémillante, commandée par le capi¬ taine Larmel, est rentrée aujourd’hui pour me faire le rapport de ce qu’il avait appris par deux bâtiments lubeckois, dont un, allant d’Amster¬ dam à Bordeaux, lui avait rapporté (chose que je ne crois pas) qu’il avait vu dans la baie de Ply-mouth 50 vaisseaux de guerre désarmés, faute de matelots ; qu’il y avait beaucoup de troubles en Hollande, ce qui peut être et ce que je désire qui soit vrai : l’autre bâtiment a dit n’avoir rencontré que deux frégates anglaises vers le Cap -Lézard. « La frégate la Carmagnole, également rentrée pour le même objet, m’a rendu compte avoir visité le 13 un Américain venant de Londres, d’où il était parti le 2; que le 3 ce bâtiment avait vu une flotte (celle de la Jamaïque) de 110 voiles, mouillée au-dessous de Douvres, et que le 11 il avait vu une escadre anglaise de 15 vaisseaux et 2 frégates, croisant à une lieue de l’île d’Ouessant. Ce rapport me paraît d’au¬ tant plus croyable, que les citoyens députés de File de France à la Convention nationale, étaient embarqués sur ce bâtiment, et ont con¬ firmé le rapport de ce capitaine. « La frégate la Proserpine est également ren¬ trée aujourd’hui; elle m’a fait le rapport que le 13 elle avait visité un bâtiment danois, por-tantj. de Bergues, en Norvège, à Lorient, une cargaison de rogue; que le capitaine de ce bâti¬ ment lui avait dit avoir rencontré le 9 courant, entre Plymouth et Gaudellet, 90 à 100 voiles, dont il en avait reconnu de 50 à 60 pour bâti¬ ments de guerre, tant vaisseaux que frégates, ce que son journal a constaté. Le capitaine Blavet ajoute que, ledit jour 13, il avait visité un autre bâtiment danois, allant de Christiendak à Lorient, chargé de planches; que le capitaine de ce bâtiment lui avait déclaré avoir vu en rade de Portsmouth 80 bâtiments de guerre, tant vaisseaux que frégates ou corvettes, parmi lesquels il y avait plusieurs vaisseaux à trois ponts; il a ajouté qu’il avait été visité, par le travers de Douvres, par 4 vaisseaux de ligne. « Si ces rapports étaient vrais, il résulterait d’un nombre aussi considérable de vaisseaux, que les Russes auraient effectué leur jonction; ce qui serait contradictoire avec les nouvelles d’Hambourg que vous m’avez transmises. Tout me porte à croire que le rapport fait à la Carma¬ gnole est le plus probable, d’autant qu’il est con¬ firmé par deux citoyens français, députés à la Convention nationale. « D’après les mouvements qui se sont mani¬ festés parmi les équipages de plusieurs vaisseaux, dont j’ai l’honneur de vous rendre compte par une autre dépêche en date de ce jour, et le désir bien prononcé qu’ils ont manifesté de rentrer à Brest, je crains de ne pouvoir faire exécuter les ordres que vous m’avez transmis par votre dé¬ pêche en date du 4 de ce mois, relativement au convoi hollandais qu’il est question d’intercep¬ ter; cette crainte est d’autant plus fondée, que deux des vaisseaux désignés pour cette expé¬ dition ont éprouvé les mouvements convulsifs qui se sont manifestés à bord de quelques autres, et que le vœu prononcé par la majorité des équipages est de rentrer à Brest ; ce qui vous est confirmé par une copie de la pétition de ces mêmes équipages, qui est jointe à mon autre lettre. Avec la méfiance qui s’est introduite parmi eux au moment de la séparation de cette division, ils ne manqueraient pas de crier à la trahison et de se refuser à suivre les ordres que je donnerais. Ma crainte à cet égard est d’au¬ tant plus fondée, citoyen ministre, que les in¬ surrections qui viennent d’avoir heu, prouvent évidemment que j’ai eu le malheur de perdre leur confiance, quoique je puisse affirmer avec vérité que, toujours ferme dans les principes d’un bon citoyen, je n’ai rien fait pour mériter de la perdre : c’est ce qui me détermine à vous réitérer avec instance la demande que je vous ai déjà faite plusieurs fois de quitter le comman¬ dement de l’armée navale. Les mouvements qui viennent d’avoir heu prouvent clairement que si vous persistez à me laisser au commandement de cette armée, qui a été fortement compromise, vous laisseriez aux désorganisateurs une arme de plus, qu’ils tourneront avec succès contre le bien de la patrie. « Si le hasard ne m’eût pas fait naître dans une classe qui excite la défiance, je me flatte que les malveillants n’auraient pu trouver un prétexte pour me faire perdre la confiance des équipages et même celle de quelques officiers des états-majors des vaisseaux. « Signé : Morard de Galles. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 5 novembre «9311 419 « P. S. J’ai reçu, citoyen ministre, votre dé¬ pêche du 11 de ce mois, qui m’annonce le décret que la Convention nationale vient de rendre, et qui déroge à celui du 3 de ce mois; je me confor¬ merai aux dispositions énoncées dans votre dé¬ pêche pour les ordres que je vais donner aux bâtiments de l’armée. « Signé : Morard de G-alles. » Le vice-amiral commandant l'armée navale de la République, au citoyen ministre de la ma¬ rine. « A bord du Terrible, à Quiberon, le 15 septembre 1793, l’an II de la Ré¬ publique une et indivisible. « Les circonstances affligeantes pour un vrai républicain qui continue à faire ses efforts pour bien servir sa patrie, ne m’ont pas permis de répondre, aussitôt que je l’aurais voulu, à votre lettre du 9 de ce mois, qui m’est parvenue le 12 au soir, avec les exemplaires de l’adresse de la Convention nationale aux Français des dépar¬ tements du Midi, relative à l’infâme trahison des exécrables Toulonnais... Je me suis empressé de la répandre à bord des vaisseaux de l’armée, et j’en ai prescrit la lecture aux équipages assemblés, persuadé que pénétrés de la même indignation que j’éprouvai en apprenant cette désastreuse nouvelle, ils auraient partagé les mêmes sentiments que je ressentais. « La lecture de cette adresse, citoyen ministre, a' produit des effets bien différents. A bord de V Indomptable, elle a redoublé l’énergie et le zèle des officiers et de l’équipage; ils se sont empres¬ sés de m’en donner l’assurance; mais après cette députation, qui avait un peu dissipé ma dou¬ leur, il s’en est présenté une de V Auguste, entiè¬ rement effervescente, qui m’a demandé haute¬ ment à conduire l’armée navale à Brest, menacé sans doute, disait-elle, d’un sort semblable à celui de Toulon, et pensait nos vaisseaux exposés à être bloqués et détruits. J’ai fait mon possible pour rassurer, les marins qui composaient cette députation, et les ramener au courage que les circonstances exigent; mais mes intentions ont été détruites par les propos véhéments du ci¬ toyen Crevel, aspirant, qui a dit parler au nom de tout l’équipage. J’ai annoncé à la députation que, ferme dans mon devoir, j’attendrais les ordres du conseil exécutif pour faire rentrer l’armée à Brest; j’ai même traité l’aspirant Crevel de contre-révolutionnaire : la manière dont il s’annonçait me donnait heu de croire qu’il était un chef d’émeute. L’espirant Baron, du même vaisseau, m’a paru dans les mêmes principes. Cette députation s’est retirée en semant des propos agitateurs. Peu après, une députation du Suffren, moins effervescente, mais aussi ferme dans ses résolutions, est venue m’annoncer que l’équipage de ces vaisseaux, craignant pour Brest et voulant sauver les vais¬ seaux de l’armée, demandait à faire route au plus tôt pour ce port. J’ai répondu à cette dépu¬ tation comme à la précédente; j’ai cherché à affaiblir ses craintes, à ranimer son courage et à l’engager à attendre avec patience les ordres qui nous seraient donnés; tout a été inutile; en se retirant, ainsi que celle de l’Auguste, elle a invité l’équipage du Terrible à suivre les sentiment - de celui du Suffren. Ces exhortations ont mal¬ heureusement produit leur effet, et tous les soins des officiers ont à peine calmé l’efferves¬ cence qui se manifestait, lorsqu’une députation de la Bretagne et une du Téméraire vinrent annoncer l’effet qu’avait produit à bord de ces deux vaisseaux la nouvelle affreuse de Toulon, et combien elle avait redoublé leur courage et .leur désir de rester à leur poste. Un parfait silence ou des cris d’improbation furent les seules ré¬ ponses qu’elles obtinrent de l’équipage du Ter¬ rible. ; J’espérais cependant, citoyen �ministre, que le bon exemple que " donnaient quelques vaisseaux, étoufferait les cris de malveillants, car il y en a sans doute, et ramènerait les équi¬ pages séduits ; mais quelle a été ma douleur, au 'our, le matin vers quatre heures, en apercevant es huniers hissés à bord des vaisseaux le Suf¬ fren, la Convention, le Tourvüle, V Achille, le Superbe, l'Auguste, le Northumberlcmd et la Révolution ! « Animé par mon amour pour ma patrie, je n’ai pas hésité un moment à me transporter à bord de ces vaisseaux; j’ai écouté les demandes des équipages, je leur ai remontré combien elles étaient en opposition avec leur devoir, en con¬ trariant les vues que la Convention nationale peut avoir sur l’emploi des forces de la Répu¬ blique. « A bord du Tourvüle, premier vaisseau à bord duquel j’ai été, accompagné des généraux Lan¬ dais et Kerguelen, les cris : « A Brest ! à Brest ! » ont souvent coupé ma voix ; et le seul moyen de calmer leur esprit, prêt à forcer l’appareillage, quoique les vents fussent contraires, a été là promesse d’assembler un conseil où assisteraient un des officiers des vaisseaux, et un citoyen de chaque équipage, choisi par l’équipage même; à ce prix, joint aux exhortations pressantes, l’on a consenti à amener les huniers; mais à peine avais-je quitté le bord, qu’ils ont été de nouveau rehissés : ce spectacle m’a navré de douleur. « A bord de l'Auguste où je me suis transporté ensuite, j’ai trouvé les esprits dans les mêmes dispositions; même crainte sur Brest, même crainte pour l’armée; ces craintes, il nous a été impossible de les détruire; après beaucoup d’ins¬ tances cependant, et la promesse de la tenue du conseil, l’équipage a consenti à amener les huniers; le vaisseau la Révolution, placé près l'Auguste, a aussitôt amené les siens. J’ai été de l 'Auguste au Northumberland; lorsque j’ai été à bord de ce vaisseau, le capitaine Thomas, qui le commande, m’a dit que son équipage était en révolution, mais non en insurrection; qu’il lui avait demandé à hisser les huniers; qu’il lui avait répondu que si cela leur faisait plaisir, il le voulait bien aussi. Cet équipage était calme, et n’a pas poussé de cris séditieux, comme celui de l'Auguste et du Tourvüle; il a juré d’obéir. « Nous avons ensuite été à bord de la Révo¬ lution; j’ai témoigné le plaisir que j’avais de les avoir vus rentrer dans l’ordre; cependant que le désir d’entrer à Brest a été fortement annoncé, et motivé par les mêmes craintes. « Après avoir quitté la Révolution, j’ai dirigé ma route sur le Suffren, en engageant le Tour-viMe, qui avait encore ses huniers hauts; j’ai invité l’équipage, au nom de la patrie, au nom de leur serment, de les amener; je faisais même virer le canot pour retourner à bord de ce vais¬ seau, et rendre mes invitations plus pressantes, lorsque je vis amener les huniers. Ce retour à l’ordre a ranimé mon ardeur. Arrivé à bord du Suffren, le capitaine Obet m’a annoncé que son équipage égaré avait le premier hissé les huniers, 420 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, f 15 brumaire an H 1 15 novembre 1793 et annonçait à grands cris son désir de partir pour Brest. loi, citoyen ministre, j’ai trouvé les mêmes craintes pour le port et l’armée; j’ai vai¬ nement, de concert avec les contre-amiraux dont j’étais accompagné, cherché à les� dissiper; elles étaient alimentées par la fausse nouvelle que l’armée anglaise était signalée à Lorient et sur la côte, où paraissait, dans ce moment, le signal de l’une de nos frégates ; enfin, cependant, l’ef¬ fervescence, calmée en partie par l’ exemple des autres vaisseaux, se dissipa, et les huniers furent amenés; mais nous ne pûmes parvenir à éloigner les craintes ; elles avaient fait une im¬ pression profonde. « Le Superbe et V Achille, qui avaient des pre¬ miers imité l’exemple du Suffren, avaient cessé de bonne heure de l’imiter; car les huniers, qu’ils avaient hissés et amenés à plusieurs re¬ prises, avaient été définitivement amenés pen¬ dant le temps que j’avais passé à bord du Northumberland . Revenu à bord du Terrible, j’ai trouvé les esprits agités et inquiets; mais les soins infatigables du capitaine Bonnefous, se¬ condé des officiers, prévinrent un mouvement. Je ne saurais vous dépeindre, citoyen ministre, ce que j’ai éprouvé à bord des différents vais¬ seaux : mon cœur était déchiré lorsque je voyais mes exhortations infructueuses, et que je réflé¬ chissais aux suites funestes que cette efferves¬ cence de quelques équipages pouvait occasion¬ ner; effervescence cependant, j’aime à le croire, causée par l’amour de la patrie. Je ne puis me dissimuler qu’ils sont excités par plusieurs faux bruits répandus dans les vaisseaux. « On m?a rapporté qu’une femme, à terre, avait dit à un matelot : Coupez vos câbles, et vous ne manquerez de rien, vous aurez de Vor à volonté. J’ai ordonné des perquisitions pour con¬ naître cette femme scélérate, que l’on n’a pu encore reconnaître. « Dans l’après-midi, tous les vaisseaux étant prévenus de l’assemblée que j’avais convoquée à bord du Terrible, j’ai appelé les généraux, capitaines et officiers : ils étaient accompagnés d’un député de chacun des équipages. « Je leur ai rappelé les motifs de la relâche de l’armée, donné connaissance des ordres qui la retenaient hors de Brest ; je les ai invités à l’obéis¬ sance à la volonté nationale; je les ai pressés de faire encore ce sacrifice de quelque temps que tout m’annonçait ne devoir pas être long; enfin je leur ai dit que j’étais prêt à les entendre. La majorité des députés a fortement prononcé le vœu de rentrer au plus tôt à Brest, sans attendre d’ordres ultérieurs, un jour de retard, disaient - ils, pouvant leur en interdire l’entrée; ils moti¬ vaient encore leur vœu sur le désir de défendre Brest, qu’on leur a, disent -ils, annoncé sans dé¬ fense; d’autres voulaient députer vers vous et la Convention nationale, pour vous faire con¬ naître leurs craintes et leur désir de sauver les vaisseaux de la République, et attendre votre réponse avant de rentrer à Brest; d’autres dé-Î ratés enfin, en petit nombre, je le dis avec dou-eur, promettaient obéissance entière; leur atti¬ tude, leur expression, tout annonçait la vérité de leur promesse. « Enfin, après six heures de séance, les’ députés demandèrent à revenir ce matin, investis d’une nouvelle confiance; je le leur accordai; et comme dlusieurs vaisseaux avaient manifesté des sen¬ timents absolument contraires, je les invitai à la fraternité, et nous jurâmes de rester unis Qu*îl me serait doux, citoyen ministre, de ra¬ mener cette union ! Je le dis avec douleur : la défiance, peut-être nécessaire, est notre plus grand mal; les malveillants, en faisant toutes les menaces, ne négligent rien de ce qui peut leur faire atteindre leur but. Dans la soirée, et dens la nuit sans doute, des canots ont parcouru la rade, et ont répandu de nouvelles semences de trouble; car, ce matin, quelques mouvements se sont encore manifestés à bord de plusieurs vaisseaux; mais ils n’avaient pas le caractère violent de ceux d’hier. « A 9 heures, les officiers et les députés des équipages se sont réunis de nouveau; j’ai vu avec plaisir que ces derniers étaient un peu plus calmes; appelés successivement, ils ont presque tous manifesté le désir de rentrer à Brest, pour sauver l’armée qu’ils croient fortement exposée à la mer, comme au mouillage, où ils sont peu rassurés sur le patriotisme des habitants de ces côtes; cependant le plus grand nombre, fidèle à la voix de la Convention, a résolu d’attendre vos ordres ou les siens pour rentrer à Brest, mais a décidé qu’il vous serait expédié un de leurs députés pour vous le demander prompte¬ ment; trois m’ont sommé de rentrer sur-le-champ, et plusieurs autres m’ont fortement invité à rentrer sans attendre de nouveaux ordres. « Les députés ont énoncé leur vœu, auquel le petit nombre s’est réuni. J’ai vu avec plaisir, citoyen ministre, cette majorité se prononcer en faveur de l’ordre : ce n’est pas encore un ouvrage achevé; mais j’ose espérer que le calme renaîtra; déjà des rétractations ont eu lieu cet après-midi, lorsque l’assemblée s’est réunie de nouveau pour entendre la lecture de l’adresse à la Convention nationale. Mais il ne faut pas se le dissimuler, ce calme apparent disparaîtra. Si le vent devient favorable, j’en profiterai aus¬ sitôt pour mettre sous voile; et suivant le temps et la disposition des esprits, je ferai route pour Brest, la prudence ne permettant pas de tenir la mer avec des mâtures avariées, et la plupart des vaisseaux n’ayant que peu d’eau et de bois, les maladies continuant leurs progrès, les rem¬ placements étant nuis par le débarquement con¬ tinuel des malades. J’ai l’honneur de vous pré¬ venir que le citoyen Verneuil, soldat au 1er ré¬ giment d’infanterie de la marine, a été nommé député pour vous porter, ainsi qu’à la Conven¬ tion nationale, l’adresse des équipages. Il par¬ tira demain matin, ainsi que le citoyen Conor, chef de timonnerie de la Côte-d'Or, député vers les représentants du peuple à Brest ou à Lo-rien, auxquels j’ai écrit, pour les informer des événements qui ont eu lieu dans l’armée, et pour les inviter à venir à bord des vaisseaux, y ramener la confiance et le zèle. Vous trouverez ci -joint, citoyen ministre, un double de l’adresse à la Convention nationale, dont le député des équipages des bâtiments de l’armée est porteur. « Signé : Morard de G-alles. » Première division. « A’ bord du Terrible, à Quiberon, le 18 septembre 1793, l’an II de la Répu¬ blique, une et indivisible. « A peine mes dépêches du 15, qui vous sont portées par un courrier extraordinaire, étaient-elles parties de bord, lé 16, à 6 heures du matin, que j’eus la douleur de voir le vaisseau l'Indomp - [Convention nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j �novembre im 421 table, dont l’équipage avait été jusqu’à ce mo¬ ment l’exemple du bon ordre et de l’obéissance donner le scandale de hisser son petit hunier. Ce mouvement en occasionna un à bord du Terrible, que la fermeté du capitaine Bonnefous, unie à la douceur, parvint, après beaucoup de peine, à calmer. Le petit hunier à V Indomptable fut amené, aussitôt que le capitaine Bruis, qui le commande, fut instruit de cet acte d’insubor¬ dination. « J’ai l’honneur de vous informer, citoyen ministre, que d’après le vœu trop fortement prononcé de la part des équipages de mettre à la voile pour rentrer à Brest, quoique les vents soient toujours contraires pour sortir de cette baie, je n’ai pas cru devoir obtempérer à la de¬ mande que le citoyen Lafargue, commandant la Bellone, m’a faite de lui envoyer 60 marins pour aider à démâter cette frégate, pour ne pas donner de prétexte aux malveillants et aux agi¬ tateurs, qui saisiraient cette occasion pour cau¬ ser un nouveau soulèvement. Car si j’envoyais les marins, ils ne manqueraient pas de dire, comme ils l’ont déjà répandu, que je retenais l’armée ici jusqu’à ce que l’ennemi vienne en force pour la détruire; quoiqu’il soit bien évi¬ dent que depuis que le déchargement des bâti¬ ments de transport est achevé, les vents qui ont régné n’ont pas permis qu’une armée eût pu sortir de cette baie. « Le citoyen Lafargue m’a aussi fait entendre qu’il aurait besoin d’une frégate pour remor¬ quer la Bellone à Lorient ; comme je n’apercevais pas le même inconvénient à accorder cette de¬ mande, je lui ai répondu que j’en destinerais une aussitôt qu’il m’en ferait la demande. « Je me propose d’assembler aujourd’hui un conseil martial pour juger un novice du vais¬ seau la Bretagne, jugé coupable par le jury, et à l’égard duquel le conseil de justice a déclaré son incompétence; j’aurai l’honneur de vous adresser le jugement du conseil martial. « Deux hommes de l’équipage du vaisseau le Suffren, prévenus d’avoir tenu des propos sédi¬ tieux, et d’avoir dit qu’il fallait couper les câbles, ont été mis au jury; ils ont été déchargés d’accu¬ sation; ce qui arrive, et ce qui arrivera presque toujours, tant que les membres du jury seront choisis dans l’équipage dont sont les prévenus, et ce qui met obstacle à la sévérité que vous me prescrivez par votre dépêche du 7 de ce mois. r « La journée d’hier a été tranquille; ce que j’attribue au mauvais temps qu’il a fait; car je ne puis me persuader que les agitateurs aient caché leurs manœuvres perfides. Soyez assuré, citoyen ministre, que je ne négligerai aucun moyen pour les découvrir; je crois connaître les vaisseaux d’où les calomnies sont parties, et quelques-uns des individus qui les ont fait circu¬ ler; mais n’ayant pas des preuves écrites et signées, je ne puis les dénoncer. « Signé : Morard de Galles. » « A bord du Terrible, le 18 septembre 1793, l’an II de la République fran¬ çaise une et indivisible. « Je reçois chaque jour des réclamations des officiers et autres citoyens servant dans l’ar¬ mée, qui, ayant reçu leurs appointements et traitements en anciens assignats , éprouvent infiniment de difficultés à les faire accepter; plu¬ sieurs même n’ont pu en faire recevoir en paye¬ ment de denrées; cependant, citoyen ministre, il serait bien cruel que, dans l’impossibilité où leur service les met de faire un échange néces¬ saire, ils fussent exposés à une perte que la plu¬ part pourraient difficilement supporter. « J’appelle votre sollicitude sur les réclama¬ tions qui, ainsi qu’à moi, vous paraîtront sans doute mériter celle de la'jConvention nationale, à qui je vous prie de vouloir bien les faire con¬ naître. « Signé : Morard de Galles. » Première division. « A bord du Terrible, à Quiberon, le 19 septembre 1793, l’an II de la Répu¬ blique, à 11 heures du soir. * « Citoyen ministre, j’ai l’honneur de vous pré¬ venir que les vents étant favorables pour sortir de cette baie, je compte appareiller demain ma¬ tin, quoique, par une lettre du 9 au soir, je vous aie mandé que j’attendais ici les ordres que je vous ai demandés par un courrier extraordi¬ naire. « Les insurrections qui ont eu lieu dans plu¬ sieurs vaisseaux, le 13, et dont j’ai eu l’honneur de vous rendre compte par un courrier extraor¬ dinaire, le 18, ainsi que le désir trop fortement prononcé par les équipages de tous les vaisseaux de rentrer à Brest, m’imposent la cruelle néces¬ sité d’y ramener l’armée. Les marins ont poussé l’oubh de leur devoir à un tel point, que si je persiste à tenir la mer, en supposant que l’équi¬ page du Terrible ne me forçât pas à rentrer, la plupart des vaisseaux m’abandonneraient, l’obéissance n’étant actuellement qu’un mot dans la bouche des marins. « Quoique très incertain que la division que j’ai, conformément à votre dépêche du 4 de ce mois, destinée à intercepter le convoi des Hol¬ landais, destiné pour l’Espagne etile Portugal, veuille suivre sa destination, je donne toujours les ordres en conséquence; et pour prévenir la commotion qui pourrait avoir lieu parmi les équipages des vaisseaux qui composent cette division, au moment où elle devra yse séparer de l’armée; après m’être conseillé avec le contre-amiral Landais et les capitaines de ces vaisseaux, nous avons estimé qu’il serait prudent, au mo¬ ment où tous les vaisseaux seraient sous voile, de donner connaissance aux équipages qu’ils sont destinés à faire une croisière où ils doivent faire beaucoup de prises, dans l’espoir que l’appât du gain les déterminera à suivre leur destina¬ tion; si ce moyen ne réussit pas, citoyen mi¬ nistre, je n’en connais pas d’autre avec ces hommes égarés au point d’oublier le plus sacré de leurs devoirs, qui est l’obéissance, et le ser¬ ment qu’ils ont tant de fois réitéré. « Cette division sera composée des vaisseaux la Côte-d'Or , V Impétueux, le Jean-Bart, l'A¬ chille, le Northumberland et le Tigre ; et des fré¬ gates la Galathée, la Sémillante et V Engageante. « Je laisse ici la Proserpine pour remorquer la Bellone à Lorient où le capitaine Blavet re¬ cevra les ordres du commandant d’armes de ce port; je garde avec l’armée V Insur gente, la Car¬ magnole qui, outre qu’elle a ses hunes avariées et n’en a plus de petites de rechange, se trouve dépourvue de bois au point que j’ai été obligé de lui en faire donner cinq cordes du vaisseau 422 [Convention nationale.]:; ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j Novembre la Bretagne ; la Nymphe marche trop mal pour croiser avec cette division, et n’est tout au plus bonne qu’à convoyer; si elle joint l’escadre, je l’amènerai à Brest, et dans le cas où je ne la joindrais pas, je mande au contre-amiral Secq-ville de lui donner l’ordre de s’y rendre, ainsi qu’à l’aviso VEpervier que j’ai envoyé prendre sous son escorte un petit convoi à Saint-Na¬ zaire. « La question que je vous faisais, citoyen mi¬ nistre, ainsi que le général Landais, par nos dépêches du 9 au soir, me paraissait assez im¬ portante pour me faire espérer que j’aurais reçu promptement des ordres à cet égard. Je ne sais à quoi attribuer votre silence sur une chose aussi essentielle que celle dont il s’agissait dans nos lettres. « Signé : Morard de G-alles. » « A bord du Terrible, sou# voile, le 22 sep¬ tembre 1793, l’an II de la République une et indivisible. « Citoyen ministre, « J’ai eu l’honneur de vous rendre compte, le 19 au soir, que je me proposais de faire ap¬ pareiller l’armée le lendemain matin; je fis avant le jour le signal de désafourcher, pour éviter une nouvelle insurrection qui eût certainement eu heu si j’avais attendu le jour, tant l’esprit de la plupart des équipages est exalté; et leur persistance pour entrer à Brest étant toujours la même. L’armée appareilla : à 10 heures, l’a¬ viso VEpervier venant de Mindin, joignit le ca¬ pitaine Martin, commandant YHermione, lui ayant dit qu’il se chargeait d’escorter la flotte pour Brest. « A 5 heures après midi, la Nymphe rallia l’armée ayant à son bord le citoyen Tréhouart, l’un des représentants du peuple près les ports de Brest et de Lorient, auxquels j’avais rendu compte des insurrections qui ont eu heu dans plusieurs vaisseaux le 14 de ce mois, en les in¬ vitant à se transporter dans l’armée. Le citoyen Tréhouart n’a pas perdu un instant pour s’y rendre. « Je ne vous cacherai point, citoyen ministre, avec quelle satisfaction j’ai vu l’arrivée de ce digne représentant du peuple français, bien as¬ suré que sa présence pourrait seule rétabhr l’ordre et la discipline dans l’armée. Il me donna ordre de la conduire au mouillage de BeUe-Isle, où elle a mouillé en totahté dans la matinée du 21. Je me rendis aussitôt près de lui à bord de la Nymphe, d’où je l’accompagnai à bord du Terrible, où il fut salué à son arrivée de 21 coups de canon. Dans le trajet ; il fut salué par quelques vaisseaux, par les cris de vive la République, tandis que d’autres criaient : à Brest, à Brest ! Il convoqua les généraux et capitaines auxquels, d’après ses ordres, je communiquai votre dé¬ pêche du 16 de ce mois, qui m’était parvenue le 20 au soir, par laquelle vous m’ordonnez d’éta¬ blir la croisière de la totahté de l’armée, à 15 à 20 lieues au large des Saints. « Après avoir reçu la déclaration qu’il avait exigée de chacun des capitaines, tant sur l’état pe leur vaisseau que sur la quantité de bois et d’eau, et sur ce qu’on pouvait attendre des dis¬ positions des équipages, et après avoir interpellé chacun d’eux de répondre aux différentes ques¬ tions qu’il leur a faites, il a été reconnu una-uiurement qu’il était impossible d’exécuter vos ordres dans le moment, par les raisons qui sont déduites dans la copie du procès-verbal de la séance de ce conseil, que je joins ici. « Jugez, citoyen ministre, du fond que l’on peut faire sur le serment des équipages qui, aü moment où ils venaient de réitérer celui de fidé¬ lité à la République une et indivisible, oubhent la promesse qu’ils avaient faite par leurs dé¬ putés, d’attendre vos ordres sous voile avant de rentrer à Brest; au moment même où le con¬ seil était assemblé, l’équipage de la Côte-d’Or osa se permettre de placer des sentinelles à la Sainte-Barbe, à la Fosse aux hons, s’opposa à ce qu’il partît aucun canot de ce vaisseau qu’il n’eût pris une détermination. Un officier de ce vaisseau, à qui il a été enfin permis d’en sortir, est venu rendre compte au général Landais de ce qui venait de se passer, et que cet équipage rebehe avait déterminé d’appareiller à 4 heures du matin : aujourd’hui, avant le jour, avant que j’eusse fait le signal de se préparer à mettre à la voile, ce vaisseau avait ses huniers hissés. « Nous ne pouvons pas nous dissimuler qu’il existe dans les vaisseaux des traîtres soudoyés par nos ennemis; nous avons quelques indices, au moyen desquels nous parviendrons à les re¬ connaître. « En conséquence de la réquisition du citoyen représentant, j’ai fait appareiller l’armée de la République pour rentrer à Brest le plus tôt pos¬ sible. « Signé : Morard de Galles « P. S. Le citoyen représentant venant de me dire qu’il vous adressait une copie du pro¬ cès-verbal de la séance du conseil, tenue hier à bord du Terrible, je ne vous l’envoie pas, parce que je comptais sur une des copies qu’il a fait faire. » Adresse à la Convention nationale, par les marins composant la flotte de l’Océan. « Citoyens représentants, « Les républicains composant les équipages de l’escadre aux ordres du vice-amiral Le Gai, pré¬ sentement mouillée à Quiberon, justement in¬ dignés de la perfidie des vils esclaves toulonnais, ont arrêté à la grande majorité, dans un con¬ seil tenu à bord du général, de vous témoigner leurs craintes sur un semblable événement pour le port de Brest, le seul où nous puissions nous réfugier pour sauver à la République le reste de ses vaisseaux. « Ils ont arrêté de plus de vous faire con¬ naître l’état de dénuement de la majeure par¬ tie desdits vaisseaux; plusieurs, avariés dans leurs mâtures, sont incapables de soutenir une suite de gros temps, qu’on est susceptible d’es¬ suyer dans l’équinoxe très prochain; presque tous sont infiniment affaiblis par les débarque¬ ments successifs d’une grande quantité de ma¬ lades; le scorbut fait de jour en jour des pro¬ grès plus considérables. La plupart des marins manquent absolument de hardes. Us vous in¬ vitent aussi à vous rappeler que nous pouvons être assailhs d’un moment à l’autre par des forces très supérieures. En conséquence, ils pensent qu’il importe beaucoup pour la Répubhque, que vous envoyiez promptement l’ordre au comman¬ dant de cette force navale de la conduire à Brest aussitôt que le temps le lui permettra. Forte-