[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. L8 juillet 1791.] 51 M. le Président. Messieurs, M. Démeunier, rapporteur, étant absent, M. Duport va prendre sa place à la tribune. M. Duport. Messieurs, forcé de prendre la place de i\J. Démeunier, pour que l’Assemblée nationale ne perde pas son temps, je vous prie de me permettre d’exprimer une opinion différente sur plusieurs des articles que je n’ai pas approuvés. L’article 17 du projetdu comité est ainsi conçu : « Ceux qui hors les cas de légitime défense, et sans excuse suffisante, auront blessé ou même frappé des citoyens, si le délit n’est pas de la nature de ceux qui sont punis des peines portées au Gode pénal, seront jugés par la police correctionn-lie, et, en cas de conviction, condamnés, selon la gravité des faits à une amende de 100 à 500 livres, et à un emprisonnement qui ne pourra excéder 6 mois. » Je propose de supprimer pour l'amende le chiffre minimum de 100 livres et pour l’empri-sonnemeut de supprimer le caraclère obligatoire de cette peine en ajoutant les mots : « s’il y a lieu. » L’article serait donc rédigé comme suit : Art. 17. « Ceux qui, hors les cas d’une légitime défense, et sans excuse suffisante, auront blessé ou même frappé des citoyens, si le délit n’est pas de la nature de ceux qui sont punis des peines portées au Code pénal, seront jugés parla police correctionnelle, et, en cas de conviction, condamnés, selon la gravité des faits, à une amende qui ne pourra excéder 500 livres, et, s’il y a lieu, à un emprisonnement qui ne pourra excéder 6 mois. » (Adopté.) M. Duport. L’article 18 du projet est ainsi conçu : « La peine sera double, si les violences ont été commises far l’agresseur; si elles ont été commises envers des femmes ou des personnes de 70 ans et au-dessus, ou des enfants de 16 ans et au-dessous; s’il y a eu effusion de sang; enfin dans le cas de récidive. » Je propose de le remplacer par la disposition suivante : Art. 18. « La peine sera plus forte si les violences ont été commises envers des femmes ou des personnes de 70 ans et au-dessus, ou des enfants de 16 ans et au-dessous; s’il y a eu effusion de sang; enfin, dans le cas de récidive; mais elle ne pourra excéder 1,000 livres d’amende, et un an d’emprisonnement. » (Adopté.) M. Duport. L’article 19 du projet est ainsi conçu : « La peine sera triple s’il y a une seconde récidive, et, à la troisième, les coupables seront déportés. » Cet article est inutile; je le passe et nous arrivons à l’article 20, ainsi conçu : « En cas d’homicide involontaire dénoncé comme tel, mais causé par une imprudence, l’auteur de l’homicide sera condamné à une amende du double de sa contribution mibilière, et à un emprisonnement de 6 mois à 1 an. » M. Buzot. Je demande que l’on retranche le mot emprisonnement, et que, dans le cas d’homicide involontaire, on ne soit condamné qu’à des dommages et intérêts. M. I�e Pelletier-Saint-Fargeau. Je crois qu’il faut supprimer de l’article les mots : « dénoncé comme tel » car il se peut liés bien qu’un homicide eût été dénoncé comme volontaire et que par l’effet de la procédure il soit établi qu’il n’était pas dans le cas d’une se ■ blable dénonciation. L’article porte ensuite : « mais causépar imprudence. t Je crois qu’il faut se servir des mêmes expressions que vous avez insérées dans le Gode pénal : « causé par imprudence ou la négligence de celui qui l’a commis. « Je fais à la fin de l’article une ob-ervation, c'est que cette amende, qui a pour base la contribution mobilière, n’empêche pas que le juge ne prononce les dommages intérêts aux profit de la malheureuse famille qui a été privée d’un de ses membres par le fait d’homicide. Ainsi il y a un article qui porte que toutes les amender seront prononcées sans préjudice des dommages et intérêts ; l’état des familles peut changer, peut nuancer, peut déterminer la quotité des dommages et intérêts ; mais, quant à l’amende, il faut nécessairement prendre pour base la fortune de l’homme qui a commis le délit; car, si vous mettez une somme fixe, vous faites une peine très inégale pour le pauvre et pour le riche. Aussi je propose de ne pas établir toujours que l’amende sera de deux fois le montant de la contribution mobilière, et d’adopter la rédaction de l’article précédent, c’est-à-dire que le coupable sera condamné en une amende qui ne pourra excéder le double de sa contribution mobilière, et que l’emprisonnement ne pourra excéder plus d’un an. Je ne suis pas de l’avis de ceux qui pensent qu'il faut retrancher l'emprisonnement. Je suppose qu’un homme aille à cheval à bride abattue, qu’il renverse une femme grosse qu’il fasse avorter, certainement dans ce cas la peine n’est pas trop forte. Je conclus d’après ces observations à vous proposer de retrancher ces mots : « dénoncé comme tel » et d ajouter ceux-ci : « causé par imprudence on par la négligence de celui qui l'a commis, » et de déterminer que l’amende ne pourra pas excéder le double de la contribution mobilière du coupable, et, s’il y a lieu, que l’emprisonnement ne pourra être porté à plus d’une année. M. Garat. J’adopte toutes les réflexions de M. Le Pelletier. La liberté est sûrement une bonne chose, mais sans la vie cela ne vaut rien. 11 me semble que les observations de M. Le Pelletier prévoient tout, et qu’elles ne laissent aux juges que la liberté d’être justes. M. Duport. En tenant compte des observations de M. Le Pelletier, voici la rédaction de l’article : Art. 20. « En cas d’homicide dénoncé comme involontaire, ou reconnu tel par la déclaration du juré, s’il est la suite de l’imprudence ou de la négligence de l’auteur de l’homicide, celui-ci sera cou-damné à une amende qui ne pourra excéder le double de sa contribution mobilière, et, s’il y a lieu, un emprisonnement qui ne pourra excéder un an. » (Adopté.) M. Duport donne lecture de l’article 21, ainsi .conçu : 52 [Assemblée nationale.] « Si quelqu’un ayant blessé un citoyen dans les rues et voies publiques, soit par imprudence, soit par la rapidité de ses chevaux, il en est résulté fracture de membres, ou si, d’après le certificat les gens de l’art, la blessure est telle qu’elle exige un traitement de 15 jours, le délinquant sera condamné à une amende égale à sa contribution mobilière et à un emprisonnement de 3 à 6mois. Le malt e sera civilement responsable des condamnations pécuniaires, prononcées contre le co her ou conducteur des chevaux. » Ap èsquelques observations, l’article est misaux voix dans les termes suivants : Art. 21. Si, quelqu’un ayant ble;sé un citoyen par l’effet de son imprudence ou de sa négligence, soit par la rapidité de ses chevaux dans les rues et voies publiques, soit de toute autre manière que ce soit, il en est résulté fracture de membres, ou si, d’après le certificat des gens de l’art, la blessure est telle qu’elle exige un traitement de 15 jours, le délinquant sera condamné à une amende qui ne pourra excéder 500 livres et à un emprisonnement qui ne pourra excéder 6 mois. Le maître sera civilement responsable des condamnations pécuniaires prononcées contre le cocher ou conducteur des chevaux, ou ses autres domestiques. » (Adopté.) Art. 22. « Tontes les peines ci-dessus seront prononcées indépendamment des dommages et intérêts des parties. » M. Lanjuinais. Je propose par amendement que la contrainte par corps ait lieu dans tous les cas. (L’article 22 est mis aux voix et adopté sans changement.) M. Buport donne lecture de l'article 23, ainsi conçu : Art. 23. «Quant aux simples injures verbales, si elles sont pas adressées à un fonctionnaire public en exercice de ses fonctions, elles seront jugées dans la forme établie dans l’article 10 du titre III du décret sur l’organisation judiciaire. » M. Latijnlnais. Je demande que l’on retranche le mot « simples », et que la même forme serve pour toutes les injure� verbales. (L’article 23 est adopté sans changement.) M. Duport donne lecture de l’article 24, ain=i conçu : « La réparation des imputations calomnieuses sera du ressortde5 tribunaux de district, lesquels, si les calomnies sont graves, sont autorisés à pronon' er en outre, contre le calomniateur, un empri-onnement dont la durée ne pourra excéder 2 années : la peine sera double en cas de récidive. » M. Buzot. Cet article mérite une très sérieuse attention. 11 pourrait avoir une influence funeste sur la liberté individuelle, si vous n’y preniez garde. . , Je vous pn'e aussi, au moment ou vous allez publier cette loi, de vous dégager des événements malheureux qui ont environné la Révolution, pour ne porter vos regards que dans l’ave-[8 juillet 1791.] nir. Lorsque, dans quelques précédents articles, je vous demandais, sur une motion de M. Goupil, que tout ce qui touchait à la liberté de la presse lût renvoyé au comité pour qu’il nous présentât ses vues sur cet objet important, auquel tient e-sentmllement la liberté politique et surtout la liberté civile de tous les citoyens français, et qu’il fût traité ici solennellement ex professo, qu’il fût traité dans tous ses développements, M. Dém unier me répondit qu’il ne s’agissait dans cet article de rien autre qui eût trait à la liberté de la presse que des placards qui étaient affichés dans les rues, et que cela même avait été décidé dans le Code pénal. 11 avait raison de me faire cette observation. Ici se trouve un article profondément obscur ou du moins extrêmement vague, qui prête à toutes sortes d’interprétations. Que veut dire : « la réparation d-s imeutations calomnieuses? # Est-ce par des propos répandus par mon domestique parmi nos amis ou par des propos tenus publiquement? Est-ce par des écrits enfin? C’tst ici surtout où je prie l’Assemblée de porter son attention. 11 ne faut rien ici de vague, il faut qu tout soit exprimé d’une manière int 'l-ligib e pour tranquilliser tout le monde. Je dis qu’il faut d’abord exprimer qu'il s’agit ici des propos tenus publiquement. Car certes vous ne vouL z fias, sous le régime de la liberté, nous donner cet esprit craintif, rampant et pourtant cruel des Espagnols et de quelques autres peuple-, si tourmentés par leur inquisition, qu’ils n’osent pas même dire la vérité avec leurs amis. Plusieurs membres : Et la calomnie ! M. Buzot. La calomnie n’est pas toujours la vérité; (Rires.) l’expression n’est peut-être pas aussi éloignée de la vérité qu’on pense. (Nouveaux rires.) Permettez : autre chose est d’avancer un fait qui peut être vrai, et autre chose est, sans doute, de le trouver vrai. Très souvent un homme à qui un juge a donné un brevet d’honnêteté n’est qu’un fripon. Je reviens à l’article: L’expression, qui s’y trouve, prête beaucoup à l’arbitraire; sous prétexte d’imputations calomnieuses, on peut accuser un homme d’avoir fait tel fait désigné, qui est un crime, quoique cette imputation soit fausse. Mais, dit le comité, il ne s’, gît que de calomnies. Certes, le mot imputation calomnieuse va b en plus loin, car il est possible de tirer une conséquence de divers laits qui nous sont connus et alors de donner comme une probabilité ce qui nous paraît tel à nous-mêmes, mais qui put n’êt e regardé que comme une imputation calomnieuse. C’est ainsi que, pour nous mettre à la place que nous occupons maintenant, un h mine ne peut dire à cette tribune tout ce qu’il lui plaira. Je ne puis pas dire que tel homme en débitant son opinion est ministériel ou aristocrate; mais je réunis tous les faits qui se joignent nécessairement à son opinion, et de là je crois que cet homme peut être accusé par l’opinion publique. Eh bien ! avec cette expression « imputation calomnieuse » je doute en vérité qu’il y en ait aucun de nous qui ne doive être en prison deux ou trois années. (Rires et applaudissements.) Je vais v us citer un autre fait qui vous paraîtra plus probant. Lors des malheureux événements qui sont arrivés sous M. de Bouillé, nous n’avions pas prévu que cet homme se conduirait mal. Mais en le jugeant, par ses alentours, par les faits antérieurs, par ceux qui suivent en-ARCH1VES PARLEMENTAIRES.