[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] accordée à leurs fondateurs et à leurs héritiers ou autres. Art. 2. La disposition de l’article précédent s’applique également à toutes fondations consacrées par la même autorité de l’Église, quelque soient les services religieux qu’elles aient imposées, et de quelques causes et conditions dont elles aient été accompagnées, même de celle qui porterait la révocation des choses données, dans le cas prévu des suppressions ou changements décrétés par l’Assemblée nationale, n’exceptant le présent décret que les fondations non spiritualisées et laïcales, justitiées telles par titre et possession. Art. 3. L’Assemblée nationale déclare aussi que, sans rien préjuger sur ce qui concerne l’ordre de Malte, à l’égard duquel il y a une motion ajournée, que le même décret du 2 novembre dernier, comprend, dans la disposition et sous l’expression de biens ecclésiastiques, tous les biens de l’ordre de Malte, situés en France, ainsi que les biens de l’Église ou des pauvres qui ont été unis à. d’autres ordres, corps ou collèges dans le royaume. Art. 4. En conséquence, l’Assemblée nationale déclare encore que les dispositions de son décret du 13 du même mois de novembre 1789, concernant la déclaration exacte de tous les biens ecclésiastiques par leurs possesseurs, s’appliquent et ont dû s’appliquer également aux biens des mêmes bénéfices en patronage laïque et à leurs titulaires, ainsi qu’aux biens de l’ordre de Malte, et à ceux d’autres ordres, corps ou collèges publics, et à tous leurs possesseurs. Art. 5. L’Assemblée nationale décrète qu’en exécution, tant des précédents articles que tous les autres qui forment constitutionnellement une représentation nouvelle du clergé, les assemblées de départements et de districts respectivement, se concerteront avec les évêques diocésains, pour l’acquittement des charges spirituelles, fondées et attachées aux biens dont l’administration a été confiée auxdites assemblées : à quoi il sera procédé de telle manière que l’on conserve de ces charges et fondations, toutes celles dont l’acquittement ou l’exécution tourne évidemment au plus grand bien de la religion, des mœurs et de la nation. Art. 5. L’Assemblée nationale se réserve de statuer prochainement sur les droits, concessions et régime des fabriques, où sera réglée la forme des dons et fondations pieuses à l’avenir -, elle se réserve aussi de statuer, au plus tôt, sur les établissements et corps séculiers ou réguliers dont l’unité, soit générale, soit particulière, demande ou exige la conservation. M. Je Président fait lecture d’ une lettre par laquelle M. Belain, procureur au présidial du Mans, faithommage à l’Assemblée d’un ouvrage intitulé : Projet d’ordre judiciaire. L’Assemblée l’accepte avec satisfaction. M. Houdet, député de Meaux, rend compte des obstacles apportés à la libre circulation des grains, à la vente et à l’achat aux marchés de Lagny-sur-Marne. Sur sa proposition, l’Assemblée rend le décret suivant : « L’Assemblée nationnale, informée des obstacles qui sont apportés aux libres circulations, ventes et achats de grains sur les marchés de Lagny-sur-Màrne, décrète qu’à la diligence du procureur de la commune, et à la requête du ministère public, les: auteurs et moteurs deces obstacles Série. T. XV. seront recherchés et punis suivant la rigueur des ordonnances, et que son président se retirera vers le roi pour le supplier de donner les ordres nécessaires pour le rétablissement de la police et du bon ordre sur les marchés de Lagny. » M. Gillet de Lajacqueminière rappelle que la municipalité de la ville de Joigny a demandé la permission de prélever une somme sur le montant de l’imposition supplétive de 1789 et de vendre par anticipation la coupe de 60 arpents de bois. Celte pétition a été renvoyée au comité des finances qui s’est occupé de cette affaire et! c’est avec l’approbation de cecomité qu’il propose le décret suivant, qui est adopté: « L’Assemblée nationnale, sur l’avis de son comité des finances, autorise la municipalité de Joigny à prélever une somme de 8,000 iiv. sur le produit de l’imposition supplétive des six derniers mois de 1789 dans ladite municipalité, à charge par ladite municipalité, si, lorsqull sera procédé-au partage du produit total de la susdite ccfcitri-bulion entre toutes les municipalités de la province dont elle faisait ci-devant partie, il était. établi par la liquidation générale que cette somme excède celle qui devra revenir à ladite municipalité, de verser sur-le-champ dans la caisse qui sera indiquée par le département, l’excèdent de ladite somme. « Ladite municipalité est aussi autorisée à vendre, par anticipation, une coupe ordinaire de 60 arpents de bois, à prendre dans la partie de sa forêt qui a été la plus endommagée par les dégâts qui y ont été commis depuis un an : « Pour ladite somme de 8,000 liv., ensemble le produit de la vente desdits bois, être employés dès ce moment en répartition de moins-imposé, travaux de charité, et autres dépenses aussi urgentes qu’indispensables, déterminées dans l’adresse et pétition de ladite municipalité, à charge par elle d’obtenir l’autorisation des assemblées administratives dont elle dépend et à leur justifier de l’emploi. » L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur la question constitutionnelle du droit de guerre et de paix . M. le comte de LaGallsgonnfére. On vous aproposé de publier une proclamation pour manifester vos intentions pacifiques, renoncer à tout droit de conquêtes et annoncer à toutes les nations que vous ne porterez jamais atteinte ni à leur liberté ni à leur propriété. Si cette déclaration était effectivement proclamée, la question du droit de. guerre et de paix serait par là même résolue. Si la nation renonce à toute guerre offensive, elle n’a plus rien à déléguer, car on ne peut pas déléguer le droit de la nature, le droit de se défendre. La nation doit-elle faire cette déclaration comme principe constitutionnel ? Sans doute, il m’en coûte pour m’y opposer ; je le ferai cependant, intimement convaincu que les institutions humaines doivent être d’accord avec la raison. N’oublions pas que nos relations politiques s’étendent dans les quatre parties du monde. Aucun peuple sans doute n’imiterait notre exemple : il faut donc y renoncer, du moins quant à présent. Je passe à la question de savoir si la nation déléguera, ou au Corps législatif, ou au Toi le droit de faire la guerre et la paix. Tel est le problème qui nous reste à résoudre. Rien de plus dangereux, je le sais, que de mettre la vie et la fortune des hommes entre les mains d'un roi, assujetti cbm me 39 6|n [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] unautre à toutes les passions qui nous tyrannisent ; mais les inconvénients ne sont-ils pas les mêmes et plus grands encore peut-être en confiant ce droit au Corps législatif? Les nations voisines n’ont pas pris, comme on nous le propose, la résolution de n’attenter jamais à la propriété d’autrui ; elles trameront nos malheurs dans le silence ; leurs résolutions seront prises dans le secret. Quel avantage ne leur donnerons-nous point en mettant nos intentions à découvert 1 II ne suffit pas de concevoir de beaux projets, il faut encore la possibilité de les exécuter. Ce n’est que par le calcul des hasards que s’acquièrent le plus ordinairement les succès -, si nos plans sont connus, le hasard ne fera plus rien pour nous. Les Anglais, aussi jaloux que nous de leur liberté, ont bien confié à leur roi le droit de faire la guerre et la paix : on me répond que ce peuple est encore sous l’empire du préjugé : d’autres disent que sa position locale ne lui laisse rien à redouter du despotisme. Ce ne sont pas là les véritables motifs ; c’est que les Anglais ne font point connaître à leurs voisins la détresse de leurs finances; des courriers ne vont point instruire de leurs mesures les peuples qui les environnent, et tel est l’avantage du secret, que ce peuple est toujours redoutable, lors même qu’il est le moins en état de faire la guerre. D’autres vous ont proposé de nommer un comité politique. Qui voudrait être de ce comité terrible? qui voudrait s’assujettir à la responsabilité qu’exigerait un pareil travail? Tous ces moyens sont impuissants, tout nous ramène à donner au roi un droit aussi ancien que la monarchie et la plus belle prérogative de la couronne : de quel droit voudrions-nous le lui enlever? La nation nous y a-t-elle autorisés? La question a-t-elle été agitée dans nos bailliages? Nous ne sommes donc point fondés à ôter au roi cette prérogative. La responsabilité des ministres en cette matière n’est-elle pas l’égide de la liberté? Signeraient-ils la déclaration d’une guerre évidemment contraire aux intérêts de la nation, lorsque leur tête serait à côté de l’échafaud? Qu’on cesse donc de craindre le retour du despotisme; j’espère que ce mot sera bientôt effacé de notre langue et qu’on ne le retrouvera plus que dans les dictionnaires. Quant aux traités de commerce, la question est tout à fait différente. La publicité de la discussion, loin de nuire ne peut être qu’utile. Ce n’est que par là qu’on peut atoir le résultat certain d’une balance juste. D’après ces explications, je propose le décret suivan t : « La nation déléguera au roi le droit de faire la guerre et la paix, sauf la responsabilité du ministre ; et elle se réserve de délibérer sur les traités de commerce et cessions de provinces, pour être statué par elle ce qu’il appartiendra. » M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angely). Je ne parlerai pas sur le fond delà question que quelques membres ont parfaitement discutée ; je m’attacherai seulement à réfuter quelques objections faites par celui des membres qui a défendu une opinion contraire à la mienne, avec le plus d’éloquence, sinon avec plus de raison ; je parle de M. l’abbé Maury. Contre son usage, il n’a établi aucun principe, il a simplement invoqué en faveur du roi le droit de la possession. Vous pensez bien que comme rien ne peut prescrire contre les droits d’une nation, la possession d’un droit n’est qu’un abus, et qu’elle peut toujours la revendiquer; Plus on distingue ce qui constitue la monarchie, plus on voit que la volonté d’un seul homme ne peut jamais y faire la loi; comment vouloir que dans un État où le monarque ne peut disposer de la propriété d’aucun individu, il puisse disposer de leur existence? Qu’est-ce que la guerre? C’est la manière de décider un procès entre les nations. Lorsqu’il s’agit de juger une contestation élevée entre des parties, le roi n’a pas même le droit d'instituer des juges; elles sont soumises à la décision d’un tribunal composé de gens choisis par le peuple. Lorsqu’il s’élève des difficultés entre des nations, il serait à désirer qu’il y eût un tribunal institué par toutes les autres pour juger le différend ; mais on n’est point encore parvenu à ce moment heureux, où les nations éclairées abjureront totalement cette barbare manie de s’entregorger. Je ne m’arrêterai pas, comme a fait M. l’abbé Maurv, sur toutes les pages de l’histoire , pour vous prouver que de tout temps le droit de déclarer la guerre a été une prérogative de la couronne ; j’observerai seulement que les premiers Francs, qu’on vous a dépeints obéissants si aveuglément aux ordres de leurs chefs, délibéraient sous leurs drapeaux. Sous le régime féodal, le roi, en sa qualité de suzerain depous les fiefs de la nation, avait le droit d’appeler tous les propriétaires de ces fiefs, et ces derniers rangeaient sous leurs bannières tous ceux qui s’y étaient inféodés ; c’est aussi l’histoire qui nous apprend qu’alors ils délibéraient si la guerre était avantageuse, ou si elle ne l’était pas, et qu’ils n’allaient au combat qu’après cette délibération. On vous a si bien démontré quels seraient les inconvénients d’accorder au roi ce droit, que je ne les répéterai pas. Ou a opposé que la faculté réservée à la nation de refuser les subsides levait tous les inconvénients. Gomment pouvoir traiter cette question sans savoir si la guerre, pour laquelle on les demande, est juste, ou si elle ne l’est pas? En Angleterre le roi a bien le droit de déclarer la guerre sans la participation de la nation, mais lorsqu’elle est une fois déclarée on discute dans la chambre des communes si elle est juste, ou si elle ne l’est pas, et c’est là que l’on dévoile tous les secrets du cabinet ; c’est là que les Fox et autres défenseurs de la liberté ont souvent dévoilé les faiblesses du prince ; sans cela elle délibérerait en aveugle et sans savoir quels seraient le but et le motif de la délibération. Lorsque vous délibérerez sur les subsides, n'aurez-vous pas toujours à redouter l’empire de l’opinion, la corruption, si l’on pouvait en supposer, les secrets des cabinets ne seront-ils pas dévoilés ? Je vous demande quelle guerre aurait eu lieu, si l’on eût préliminairement délibéré danB l’Assemblée nationale? Une seule peut-être, celle qui a contribué à rendre l’Amérique indépendante. L’intérêt même du monarque exige que ce droit ne lui soit pas délégué. Examinez la vie des rois belliqueux. Voyez Louis XIV à la fin de sa carrière: éclairé sur la vérité, il disait : J'ai trop aimé la guerre. Le regret d’avoir prodigué le sang de ses peuples empoisoinna ses derniers moments. Les conquêtes ne préparent pas aux rois des jouissances durables ; ils finissent par pleurer sur les trophées comme Louis XV, qui, après la bataille de Fontenoy, disait au dauphin son fils : Voyez, mon fils , ce que coûte une victoire! et si par malheur le monarque n’a pas eu de succès, il voit autour de lui la consternation qui l’environne; le remords le poursuit jusque dans la solitude, et le temps même ne peut guérir une plaie toujours prête à s’ouvrir. Louis XVI ne voua demande pas le droit de faire la guerre ; il veut [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 4790.] 0]] que vous lui conserviez la paix : pour un cœur comme le sien, c’est la plus belle prérogative. — J’adopte les conclusions de M. Pétion, et surtout cette déclaration dont le projet est attribué à Henri IV; c’est le plus bel hommage que l’Assemblée puisse offrir à sa mémoire. M. de llenon. Avant de traiter la question, il me semble nécessaire de rappeler les principes généraux. Tous les pouvoirs appartiennent à la nation ; ils doivent être distribués de la manière la plus avantageuse et la plus conforme à l’intérêt national. La nation peut-elle confier au Corps législatif le droit de déclarer la guerre et de faire la paix ? est-il de l’intérêt national qu’elle le lui confie? Le Corps législatif peut-il l’exercer ? Lorsqu’il s’agit de faire la guerre, le Corps législatif examine si elle est juste; il ordonne la guerre, et en l’ordonnant il fait une loi; telles sont les fonctions du Corps législatif, et où ces fonctions cessent celles du pouvoir exécutif commencent. Les traités de paix, les traités de commerce, les alliances, sont des lois, parce qu’elles obligent tous les individus. Le roi propose les conditions, le Corps législatif les rejette ou les ratifie; voilà les fonctions des deux pouvoirs, voilà les principes. Si vous ne reconnaissez les principes, vous confondez les pouvoirs ; ainsi le Corps législatif ordonne la guerre, le roi fait la guerre; le Corps législatif ordonne la paix et en ratifie les conditions: le roi propose les conditions et les fait exécuter. Voyons maintenant s’il est de l’intérêt national de confier le droit de paix et de guerre au Corps législatif. Pour conserver la liberté , il faut faire des dispositions telles, que le pouvoir exécutif ne puisse abuser de la force publique qui sera remise entre ses mains. Les traités de paix, d’alliance et de commerce sont le résultat de négociations qui, dit-on, pour être avantageuses, doivent être secrètes. Je crois que pour être utiles elles doivent être publiques. Si elles sont secrètes, elles seront livrées aux intrigues, aux passions des ministres et des ambassadeurs. On prétend que si elles ne sont pas secrètes, vous serez surpris par vos ennemis. Est-ce que dans une Constitution comme la nôtre, la force publique ne devrait pas être organisée de manière que l’armée de terre et l’armée de mer pussent marcher au premier signal ? Quand une armée est bien organisée, il lui faut vingt-quatre heures pour être en état de marcher et de combattre. Quand la marine est sur un pied respectable, quinze jours suffisent pour mettre en mer une armée navale. On dit que la politique est une science qui n’est pas connue de tout le monde : elle est connue de tout homme d'un sens droit, d’un cœur juste. La vraie politique n’est que la disposition de la justice et de la morale entre toutes les nations. Je réponds à une dernière objection : on dit que l’Assemblée veut détruire la monarchie et anéantir la prérogative royale. La première partie de cette objection ne mérite pas de réponse : qu’on lise vos décrets. J’observe, sur la seconde partie, qu’il ne peut exister pour le monarque aucun intérêt personnel; tout ce qu: est de l’intérêt de la nation lui est commun. Faire une semblable objection, c’est calomnier le roi : il est juste, il est bon, et les ennemis du bien public ne parviendront pas à le tromper sur ses véritables intérêts... M. le baron de Menou présente un projet de décret dont voici les principales dispositions : « L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : Ledroitde faire la guerre, de faire la paix et de conclure définitivement les traités, appartient exclusivement au Corps législatif. Le roi, chef suprême du pouvoir exécutif, sera chargé de veiller à la sûreté de l’Etat, de diriger les guerres qui seront entreprises au nom de la nation, de préparer et de faire préparer par ses agents les conditions des traités qui ne pourront être obligatoires qu’a-près avoir été ratifiées par le Corps législatif. En conséquence, le roi peut proposer au Corps législatif ce qu’il jugera convenable aux intérêts de la nation relativement à la paix et à la guerre. Il a seul le commandement des troupes de terre et de mer, et afin d’être toujours en mesure d’éviter la surprise de l’ennemi, il pourra faire tous les préparatifs extraordinaires, à la charge de les communiquer au Corps législatif, ou si ce Corps n’est pas assemblé, de le convoquer le jour même que les ordres seront donnés, à la charge, en outre, de la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif. Il sera fait un manifeste à toutes les nations pour déclarer que la France ne portera jamais d'atteinte à la liberté des peuples. » M. Bengy de Puy vallée (1). Messieurs, telle a été jusqu’ici la destinée de tous les peuples du monde que leurs rapports, avec les nations étrangères, ont toujours été un des plus grands obstacles à leur félicité domestique, et qu’il a fallu, pour régler leurs différents, inventer un droit de guerre et de paix, dont on n’a encore pu distinguer les caractères et déterminer l’exercice. Il était réservé à la nation française de soumettre, la première , à une discussion publique une question d’une aussi haute importance, et d’ajouter, au Code des nations, cette partie intéressante du droit public. Mais en ouvrant cette carrière politique, on se trouve arrêté au premier pas. Si on examine la théorie, on n’aperçoit aucune règle certaine qui puisse servir de guide. La diversité des opinions qui vous ont été présentées, la différence des bases sur laquelle chaque orateur s’est appuyé ne laissent qu’incertitude sur les principes. Si on consulte la pratique, on ne peut pas même s’aider des lumières de l’expérience. Dans quelques Etats monarchiques, tels que l’Angleterre et le Danemark, cette portion de la puissance publique est déposée entre les mains du roi. Dans d’autres pays, tels que la Suède et la Pologne, elle est confiée à un corps de représentants. Ce n’est donc, Messieurs, que par la balance des avantages et des inconvénients que présente chaque système qu’on peut espérer d’atteindre la vérité, et d’acquérir des notions claires et précises sur la question qui, depuis quelques jours, est soumise à votre examen. Avant d’entrer en matière, il faut rappeler ici quelques principes généraux qui ne peuvent être contestés par personne, et qui cependant peuvent jeter un grand jour sur cette importante question. La plénitude de la souveraine puissance réside essentiellement dans la nation; mais elle ne peut l’exercer par elle-même; elle est forcée de déléguer les différentes branches de pouvoirs au roi et au Corps législatif, qui sont également ses représentants : ainsi, soit que le droit de faire la (1) Le discours de M. Bengy de Puyvallée n’est même pas mentionné au Moniteur; le Journal des Débats en donne une courte analyse. 612 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PA guerre et la paix repose entre les mains du roi, soit qu’il soit confié au Corps législatif, la nation est toujours le principe et la source de ce pouvoir qui s'exerce constamment en son nom. — Premier principe. La félicité publique, l’intérêt de la nation doivent seuls déterminer l’exercice de toute autorité : ainsi, l’avantage du peuple, le bien général sont des bases fondamentales de l’attribution de tous les pouvoirs politiques ou civils. — Second principe. Dans le partage des différents pouvoirs, il ne faut jamais perdre de vue la nature et la forme du gouvernement que la nation a choisies : car la distribution et la balance des pouvoirs dépendent nécessairement du régime politique qu’on veut organiser. — Troisième principe. Cela posé, la question qui nous occupe se divise naturellement en deux parties, qu’il ne faut pas confondre parce qu’elles sont bien différentes par leur nature, par leurs effets, et surtout par leur importance politique. Le droit de faire la paix est le droit de faire cesser un fléau destructeur, d’arrêter une calamité publique, de renouer les liens de conüance et de fraternité qui doivent unir les nations; enfin, Messieurs, par la paix c’est acquérir le titre de bienfaiteur de l’humanité. Je n’aperçois, dans l’exercice de ce droit, aucun des inconvénients qui peuvent résulter du droit de faire la guerre, et j’avoue que je n’ai entendu jusqu’ici aucune objection solide pour contester, au chef de l’empire, un des attributs les plus essentiels et les plus précieux de la royauté, celui de faire la paix. Le premier intérêt d’une nation est de conserver la paix lorsqu’elle en jouit; le second est de se procurer la paix lorsqu’elle est en guerre. Pour conserver la paix, il faut qu’une force imposante soit toujours prête pour repousser toute espèce d’invasion, et qu’une sage prévoyance surveille continuellement les projets ambitieux des puissances rivales; mais la force d’un grand empire, qui est la sauvegarde de la tranquillité publique, ne peut être dirigée que par une seule volonté. Cette surveillance attentive, qui embrasse d’un coup d’œil tous les ressorts de la politique, dépend nécessairement d’une unité d’action et de réflexion; il est donc de l’intérêt de la nation de conférer au monarque le seul soin de conserver la paix dont elle jouit. Pour se procurer la paix, l’orsgu’on est en guerre, il faut non seulement connaître l’étendue de ses forces ou la faiblesse de ses moyens, pouvoir apprécier les ressources de son ennemi; mais il faut encore savoir entamer à propos une négociation, la conduire avec prudence, la terminer avec avantage. Faire la guerre, c’est la manière de vider les différents par la force; faire la paix,. c’est l’art de terminer les querelles par des voies de conciliation. Le succès d’une négociation dépend de l’habileté de celui qui en trace le plan, "et de la sagesse de celui qui l’exécute; l’un doit méditer ses combinaisons dans le silence, l’autre doit diriger ses opérations dans le secret. Tous les deux doivent surtout provoquer et saisir le moment favorable. Une victoire, un revers, la mort d'un souverain, un sacrifice fait à propos, décident souvent du sort des empires et du moment de faire la paix. Comment des spéculations politiques aussi compliquées, dont les combinaisons dépendent de l’ensemble, du tact et du secret, peuvent-elles être jamais le partage d’une assemblée délibérante? Si le Corps législatif avait exclusivement le droit LEMENTAIRES. [20 mai 1790.) de faire la paix, comme vous l’ont proposé quelques préopinants, il serait indispensable que les représentants de la nation fussent réunis, parce qu’il faudrait suivre le Fil des négociations, expédier les dépêches, donner les instructions suivant la nature des circonstances. Vous apercevez d’abord, Messieurs, les inconvénients qui résulteraient d’une correspondance tenue avec sept cents personnes, d’une décision prise au milieu d’une assemblée nombreuse. Vous sentez ensuite le danger qu’il y aurait qu’une législature fût toujours en activité. Vous avez exprimé formellement que ce n’était pas votre intention. Si vous vous bornez à déléguer au Corps législatif le droit de ratifier les traités d’alliance et de paix, alors vous reconnaissez que le droit exclusif de faire la paix ne peut pas appartenir au Corps législatif; mais remarquez, en outre, que vous mettez, par le fait, les plus grandes entraves à la conclusion de toute espèce de traité d’alliance et de paix. Si votre ratilication est nécessaire pour l’exécution des traités, alors vos plénipotentiaires ne peuvent négocier qu’avec des pouvoirs restreints et limités ; ils ne peuvent conclure que sous la clause indispensable de votre adhésion': s’ils ne se Iientpas définitivement avec les autres nations, elles ne se lieront pas vis-à-vis de vous; il faudra convoquer le Corps législatif pour obtenir sa ratification; les hostilités continueront, la face des choses peut changer par une circonstance imprévue; une puissance rivale peut se mettre à la traverse; et pendant que vous délibérerez, vos alliés, qui ne voudront pas confier leurs intérêts à l’incertitude de votre décision, termineront la guerre par un accommodement, et vous abandonneront au hasard des événements et peut-être à la merci de vos ennemis. L’histoire fournit les preuves les plus convaincantes de ce que je viens d’avancer; et la Pologne en est un exemple vivant. Les saines notions de la politique et de la raison, le véritable intérêt de l’Etat exigent donc qu’on remette entre les mains du roi le droit de faire la paix. Mais faut-il accorder au roi le droit de faire la guerre? C’est une question de la plus haute importance parce qu’elle lient à la Constitution de l’Etat, parce qu’elle est intimement liée avec le repos et la tranquillité de l’empire; enfin, parce qu’elle intéresse essentiellement la félicité publique. Pour résoudre ce problème politique, il me semble qu’il faut invoquer les principes généraux que j’ai déjà établis, dont ou ne peut contester l'authenticité. Des législateurs, dans la distribution qu’ils font des différents pouvoirs qui constituent la souveraineté de la nation, ne doivent connaître d’autre règle que l’intérêt de l’Etat, et les principes du gouvernement qu’ils sont chargés d’organiser. Pour savoir s’il est de l’intérêt de la nation de on fier au roi le droit de faire la guerre, il faut onsidérer d’abord la nature de ce droit redouta-rle et tes obligations qui y sont inhérentes; il aut examiner ensuite l’espèce de fondions que votre Constitution a attribuées au chef suprême du pouvoir exécutif; si les moyens que la Constitution a déjà déposés entre les mains du roi sont absolument ceux dont il faut faire usage pour entreprendre et soutenir la guerre, il s’ensuit que l’intérêt de l’Etat et la nature même de la Constitution exigent que l’exercice du droit de faire la guerre soit confié au pouvoir exécutif. Et d’abord qu’est-ce que la guerre? C’est l’obligation de disposer de la force publique pour as- 613 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] surer le repos de l’empire ; de faire des préparatifs pour repousser des projets hostiles; de conclure des alliances pour accroître ses forces et ses moyens de résistance; de combiner des attaques contre les ennemis de l’Etat, qui voudraient envahir le territoire ou la liberté nationale. On regarde, comme ennemies, non seulement les nations qui vous attaquent, mais encore celles qui fomentent des querelles et des divisions pour troubler notre tranquillité, qui donnent des secours à nos adversaires, qui se lient avec eux pour nous nuire. Quels sont les attributs et les caractères distinctifs du pouvoir exécutif? Ses attributs sont d’assurer, à l’ombre de la loi, la liberté civile de chaque citoyen, d’environner de toute la force publique la liberté politique et la propriété nationale, enfin de maintenir l’harmonie dans toutes les parties du corps politique. Ses caractères particuliers sont l’ensemble dans les projets, l’unité dans les mouvements, la promptitude dans l’exécution et le secret dans les opérations. Maintenant comparons le droit de faire la guerre avec les fonctions du pouvoir exécutif, et d’abord distinguons, dans ledroit défaire la guerre, ledroit de l’entreprendre et le droit de la soutenir, et surtout ne perdons point de vue les bases constitutionnelles qui sont déjà posées. La guerre, dans son principe, n’est autre chose qu’une atteinte portée aux règles immuables de l’ordre; c’est un état violent qui tend à désorganiser les corps politiques. Le pouvoir exécutif a été placé dans la Constitution pour maintenir le règne de la justice, pour prévenir les secousses qui pourraient gêner les ressorts et troubler F harmonie de toutes les parties de l’empire. Le pouvoir exécutif doit donc décider du moment où l’équilibre intérieur serait rompu, si l’on ne réprimait pas avec célérité une impulsion étrangère, si on ne commençait paslaguerre; c’est doncau roi seul que peut appartenir ledroit d’entreprendre la guerre. La guerre, dansses effets, est la manière de venger une offeme ou de vider une querelle par la force. Le pouvoir exécutif a été investi par la Constitution de tous les moyens nécessaires pour repousser la violence et réprimer l’injustice; le pouvoir exécutif doit donc soutenir l’honneur et la gloire de la nation, en imposer à ses ennemis par l’appareil de la puissance publique, et par la force des armes. Le droit de soutenir la guerre est donc inhérent aux fonctions attribuées par la Constitution au pouvoir exécutif. Ainsi, sous quelque rapport qu’on considère le droit de faire la guerre, il est nécessairement un des attributs du pouvoir exécutif. En effet, comment le roi pourrait-il remplir les obligations que la Constitution lui impose, d’assurer le repos et la tranquilité de l’empire, s’il ne pouvait pas déployer, suivant les circonstances, la force publique qui lui est confiée? A qui la nation a-t-elle intérêt de déléguer le droit d’entreprendre la guerre, si ce n’est à celui qui tient entre ses mains tous les fils secrets de la politique, qui peut seul démêler les intrigues des cours, combiner les intérêts divers des puissances étrangères et juger avec précision du moment où la gloire et la sûreté de la nation seraient compromis si on laissait échapper l’occasion favorable d’attaquer un ennemi redoutable, ou de former contre lui une fédération imposante? A qui doit-on confier le droit de soutenir la guerre, si ce n’est à celui dont l’existence est intimement liée avec la prospérité de l’Etat, qui ne peut être heureux que de son bonheur et de ses succès, qui peut seul pénétrer les intentions utiles des ennemis, surveiller leurs mouvements et déconcerter leurs projets. Le vœu de la Constitution et l’intérêt de l’Etat exigent donc que le droit d’entreprendre et de soutenir la guerre soit déposé entre les mains du roi. Maintenant examinons les différents systèmes qui vous ont été présentés ; parcourons les différentes objections qui ont été faites : mes réponses seront un nouveau développement des moyens sur lesquels j’appuie mon opinion, et comme tout est neuf dans cette question on me permettra de m’appesantir sur les détails. On nous dit d’abord qu’il n’est ni de l’intérêt ni de la sagesse d’une nation éclairée de confier à un seul homme le droit de disposer des trésors de l’Etat et de faire verser le sang des peuples; qu’il serait delà plus grandeimprudence de mettre la destinée d’un empire à la merci des passions aveugles d’un prince ambitieux ou des projets insensés d’un ministre prévaricateur. Je puiserai ma réponse à cette objection dans les principes constitutionnels que vous avez consacrés et dans la marche même que l’Assemblée nationale a suivie jusqu’ici. Lorsque vous avez reconnu, Messieurs, que la plénitude du pouvoir exécutif devait être remise entre les mains du roi, vous avez considéré ce pouvoir suprême sous tous les rapports qui pouvaient le rendre dangereux pour l’intérêt national; vous l’avez ciscons-crit dans de justes bornes. En reconnaissant aujourd’hui qu’au roi seul appartient le droit de faire la guerre, vous devez également en déterminer l’exercice ; vous devez prendre toutes les mesures que la prudence peut dicter pour prévenir les dangers et les abus de ce droit redoutable : mais faites attention, Messieurs, que déjà vous avez, par vos décrets, prévu les inconvénients et indiqué le remède. Par une de vos délibérations, vous avez réservé au Corps législatif le droit d’accorder les subsides, sans lesquels on ne peut faire la guerre. Par un autre décret, vous avez déclaré que le roi ne pourrait augmenter les forces de terre et de mer sans le consentement du Corps législatif; enfin, vous avez assujetti les ministres, qui peuvent entreprendre ou soutenir la guerre, à cette responsabilité qui sera le garant de leur fidélité, et le rempart de la liberté nationale. Vous pouvez encore attribuer au Corps législatif le droit de ratifier les traités de commerce, qui peuvent, sans aucun inconvénient, être soumis à votre examen, parce qu’ils peuvent être l’objet d’une discussion publique; vous pouvez exiger votre ratification pour les traités qui contiendraient une prestation de subside, un échange ou un démembrement de territoire, parce que le patrimoine de la nation ne peut être aliéné sans le concours et le consentement de tous les dépositaires de la volonté nationale; entin, vous pouvez vous réserver le droit de licencier les troupes lorsque vous ne les croirez plus utiles pour la défense de l’empire. C’est par ces sages précautions que vous saurez concilier la rigueur des principes qui donnent au roi le droit de faire la guerre, avec les vues de sagesse qui doivent en déterminer l’exercice, que vous saurez allier la justice avec la prudence, que vous conserverez au Corps législatif une espèce de censure sur l’exercice du droit de faire la guerre, et que ce droit redoutable ne sera dans les mains du roi que l’instrument du bonheur et de la tranquillité publics. Après avoir répondu à l’objection, qu’il me soit permis d’observer que, dans le système opposé, 6{4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.1 les inconvénients sont les mêmes, sans qe’il y ait aucun moyen d’y remédier. Je suppose que le droit de faire la guerre soit confié au Corps législatif. Dans une affaire de cette importance, il doit être permis de calculer. les passions humaines. Il peut arriver, quoi qu’on en dise, que les membres du Corps legislatif se laissent en traîner par la séduction, diviser par l’intrigue, attaquer par la corruption ; ils peuvent se méprendre dans leurs spéculations politiques : et cédant plutôt à l’enthousiasme qu’à la réflexion, plutôt au sentiment qu’à la raison, ils peuvent entreprendre une guerre injuste; alors, Messieurs, le mal est sans remède, etla nation, victime de l’ignorance ou de l’erreur de ses mandataires, n’aura plus qu’à gémir sur les malheurs où elle aura été entraînée. Les auteurs de ce délit national seront confondus dans la foule, et il n’y aura point de responsabilité à exercer contré eux. Je n’entreprendrai point, Messieurs, de répondre à tout ce qu’on a dit pour atténuer les effets de la responsabilité des ministres. Quoique leurs têtes ayant paru peu de chose aux yeux de la politique, les ministres y attacheront lin grand prix, et la responsabilité sera toujours pour eux une barrière bien redoutable. Au reste, je ne veux être ni leur censeur, ni leur apologiste ; mais gardons-nous, Messieurs, de faire du ministère un tableau mouvant d’ambition et de faiblesse, de chute et d’élévation. Ne rendons point ceux que le prince honore de sa confiance des agents timides, jouets infortunés de la déclamation ou du caprice; et par une inquisition tyrannique n’écartons point du trône les conseils de la sagesse, les lumières de l’expérience, et les amis de la vérité! Croyons à la vertu des hommes, jusqu’à ce que nous ayons acquis le droit de les accuser par la conviction de leur infidélité. Un honorable membre vous a dit, Messieurs, qu’une déclaration de guerre était une proclamation de la volonté générale; que le Corps législatif étant l’organe de la nation, il avait seul le droit d’exprimer la volonté nationale, et par conséquent qu’à lui seul appartenait le droit exclusif de déclarer la guerre. Le préopinant n’a pas fait attention que cette objection, quelque spécieuse qu’elle paraisse, fournit contre son propre système l’argument le plus victorieux. Il n’est pas vrai de dire que le Corps législatif soit seul l’interprète et l’organe de la volonté nationale; les principes de votre Constitution réprouvent formellement une pareille assertion. Le roi est partie intégrante de la législation, sa sanction est indispensable pour le complément de la loi qui est l’expression de la volonté générale. Ainsi, dans le système même du préopinant, le Corps législatif n’a pas le droit exclusif de faire ou de déclarer la guerre. J’observerai, en outre, que la nation, dans la distribution qu’elle fait de l’exercice de sa souveraine puissance, ne peut et ne doit, comme je l’ai déjà dit, reconnaître d’autre règle que l’intérêt de son bonheur et de sa gloire; qu’il serait imprudent et impolitique d’assujettir au même régime les relations extérieures d’un empire, et ses rapports intérieurs et domestiques; qu’ainsi le droit de faire des lois ne conclut rien eu faveur du droit de faire la guerre, ou plutôt les mêmes raisons de prudence qui veulent que la nation confie au Corps législatif le droit de faire des lois exigent qu’elle dépose entre les mains du monarque le droit de faire la guerre. En effet, Messieurs, lorsque la nation a permis à ses représentants de délibérer sur ses intérêts les plus chers, lorsqu’elle les a chargés de fixer par des lois civiles ou politiques les rapports intérieurs qui lient le gouvernement avec les citoyens, de régler par des conventions sociales les droits réciproques de tous les sujets de l’empire, elle s’est reposée, sur les connaissances, les lumières, et particulièrement sur l’expérience de 8es mandataires; elle a soumis à leur examen des questions qui étaient à leur portée, et dont ils pouvaient saisir tous les rapports. Mais par une suite de la sagesse profonde qui doit diriger le vœu des peuples, la nation a senti que des citoyens réunis de tous les coins du royaume, qui se régénèrent à des époques rapprochées, ne peuvent pas tout d’un coup être transformés en hommes d’État ou en négociateurs habiles; que le zèle ne peut souvent suppléer à l’expérience, et que l’ignorance en politique peut faire encore plus de mal que l’ambition. C’est d’après cette conviction intime que nos commettants, en nous traçant la ligne de nos obligations et de nos devoirs n’ont pas imaginé de nous donner la plus légère instruction sur cet objet ; ils n’ont pas même révoqué en doute que le droit de faire la paix et la guerre fût un des attributs du Corps exécutif, parce qu’ils ont senti que, dans une assemblée nombreuse, toutesles opérations militaires ou diplomatiques seraient sans cesse exposées à des lenteurs perfides, à des spéculations vacillantes et incertaines; qu’au moment de prononcer sur une guerre, les députés qui habitent les rives de l’Océan, pourraient avoir des intérêts opposés à ceux qui résident sur les bords de la Méditerranée; que des considérations particulières pourraient faire perdre de vue l’intérêt général, et qu’enfin dans un vaste empire, qui ne peut se soutenir que par la liaison intime de toutes les parties qui le composent, il faut une force centrale à laquelle aboutissent tous les rapports extérieurs, et qui puissent réprimer sur-le-champ toute action étrangère qui pourrait déranger l’harmonie politique. Les préopinants qui veulent attribuer au Corps législatif le droit de faire la paix et la guerre, ont si bien senti les inconvénients de la publicité des opérations militaires et politiques, qu’ils vous ont dit qu’on pouvait, en diplomatie comme en finance, établir un comité dans le sein de l’Assemblée nationnale, qui serait chargé de traiter toutes les affaires relatives à la paix et à la guerre; on vous a môme proposé de laisser un comité sédentaire à la suite de la cour. Il me semble, Messieurs, que cette proposition est diamétralement opposée aux principes de votre Constitution. Dans un gouvernement représentatif tel que celui que vous voulez organiser, le vœu national ne peut être exprimé que par la réunion de tous les représentants de la nation. Une section du Corps législatif n’a aucun caractère pour agir ou pour délibérer sur une affaire quelconque, parce que le vœu d’une section n’est jamais qu’une opinion partielle, qui ne peut pas être l’expression de la volonté générale ; par conséquent, un comité diplomatique ne pourrait, sans renverser les principes de votre Constitution, diriger les opérations militaires et politiques. Mais je suppose qu’on établisse un comité: de deux choses l’une, ou ce comité vous communiquera ses projets, vous fera part de ses spéculations, et alors vous n’évitez pas la publicité, vous n’empêchez pas que vos ennemis ne connaissent vos secrets, ne soient instruits de vos démarches; ou ce comité vous laissera ignorer une partie des [Assemblée nationale.] opérations, vous dérobera la connaissance de sa conduite, et alors vous retombez dans l’inconvénient de l’arbitraire, de la malveillance et de la corruption que vous reprochez à vos ministres. Ce ne sera plus le Corps législatif qui agira, qui prononcera sur les grandes questions que vous voulez lui soumettre, ce seront quelques particuliers, pris au hasard d’un scrutin, qui auront plus de zèle que de talents et qui décideront de la destinée de l’empire sans être assujettis à aucune responsabilité. Un comité diplomatique est donc une véritable chimère. Ou vous a encore dit, Messieurs, que si, cédant aux considérations majeures qu’on pourrait faire valoir, vous accordiez au roi le droit de faire la guerre, vous deviez, au moins, pour la stabilité de la Constitution, réserver l’exercice de ce droit à la législature actuelle. Cette proposition, qui a pour objet de maintenir la Constitution, ne tend àj rien moins qu’à en saper les premiers fondements. En effet, si le droit de faire la guerre est déclaré un des attributs essentiels du pouvoir exécutif, quel titre la législature actuelle peut-elle avoir pour dépouiller le roi de cette prérogative ? Ne sentez-vous pas, Messieurs, les conséquences terribles qui peuvent résulter d’une pareille entreprise ? Dans un moment où nous venons de renverser le despotisme, ne serait-ce pas ériger le Corps législatif lui-même en tyran ou en despote, que de cumuler sur sa tête la plénitude de tous les pouvoirs ? n’est-ce pas par la confusion de ces mêmes pouvoirs que naissent le désordre, l’anar-cbie et la dissolution des empires ? enlin, ne serait-ce pas étouffer dans son berceau notre Constitution naissante ? quel rapport peut avoir avec la stabilité de notre Constitution l’exercice du droit de faire la guerre, que vous attribueriez pendant cette législature ? Si les puissances étrangères se liguaient pour détruire notre ouvrage, le Corps législati f pourrait-il arrêter leurs efforts ? Si des ministres étaient capables d’entrenir des intelligences perfides avec les ennemis de l’État, un comité diplomatique S ourrait-il seulement s’en apercevoir? En un mot, iessieurs, si la Constitution que vous allez donner à la France est bonne, elle résistera à toutes les attaques qu’on pourra lui porter, parce qu’elle sera garantie par le vœu et la volonté des peuples, et par l’opinion publique qui est la plus forte de toutes les puissances. Si votre Constitution est mauvaise, toutes les forces de l’Europe ne pourraient la maintenir, parce que l’empirede la justice et de la raison est indestructible. L’honorable membre qui a parlé avant moi, a imaginé de diviser le droit de faire la guerre en fonctions législatives et exécutives, d’attribuer au Corps législatif tout ce qui tient à la volonté et â la délibération, et au pouvoir exécutif tout ce qui tient à l’action et à l’exécution. J’observerai d’abord que cette distinction métaphysique estplus brillante dans la théorie qu’elle n’est admissible dans la pratique. Mais sans rappeler ici tout ce que j’ai ait de la nature de notre gouvernement, je me bornerai à une seule réponse. Comment dans une République se traitent les intérêts politiques ? un conseil permanent et toujours en activité reçoit les ambassadeurs, fait les traités d’alliance, conclut la paix, déclare la guerre, en dirige les opérations ; ensuite un général sta-thouder est chargé d’exécuter les décisions du conseil. Que vous propose lepréopinant ? défaire du Corps législatif un conseil diplomatique ; de la France, une République, et du roi, un stathou-der. Vous sentez, Messieurs, qu’une Constitution 615 monarchique ne peut pas admettre de pareilles formes absolument républicaines. Pendant le cours de cette longue discussion, si vous avez bien voulu, Messieurs, rapprocher les différents systèmes qui vous ont été présentés, vous avez dû remarquer que chacun de vos orateurs s’est efforcé de vous prouver que le droit de faire la guerre était, suivant les uns, une émanation du pouvoir législatif; suivant les autres, que c’était une qualité inhérente au pouvoir exécutif; mais tous sont tombés d’accord sur un point essentiel : c’est que les préparatifs de la guerre, le commencement des hostilités, les négociations, qui sont les éléments du droit de faire la guerre, ne peuvent être attribués qu’au pouvoir exécutif : d’où il résulte plusieurs conséquences qui me paraissent bien importantes et absolument décisives. La première, c’est que le droit de faire la guerre ne peut pas être une émanation du pouvoir législatif, puisqu’on convient que le Corps législatif ne peut pas en exercer la plénitude. La seconde, c’est que, puisque le roi doit nécessairement repousser les hostilités, faire les préparatifs qui sont le commencement de la guerre, entamer les négociations qui en déterminent la fin, il aura toujours, quelque chose qu’on fasse, une prépondérance absolue sur le droit de faire la guerre. Il y a mieux, c’est que nous sommes tous d’accord, sans nous en apercevoir : car les uns veulent que la guerre ne puisse être déclarée sans un décret du Corps législatif ; les autres, qu’il ne soit accordé aucun subside pour faire la guerre, sans un décret du Corps législatif; il est bien évident que l’effet de ces deux décrets sera absolument le môme, sera de consentir ou d’empêcher la guerre : la question se réduit donc à une dispute de mots ou à un débat de formes; enfin, la troisième conséquence, c’est que, si on divisait les fonctions du droit de faire la guerre, on s’exposerait à établir des chocs, des oppositions, des résistances entre le Corps législatif et le pouvoir exécutif ; et cependant tout le monde convient que ce n’est que par l’ensemble des opérations, par l’unité d’action et de volonté qu’on peut exercer avec succès le droit de faire la guerre. Les Anglais, qui pourraient-être nos modèles dans plus d’un genre, qui sont aussi jaloux que nous de leur liberté, qui en connaissent les véritables caractères, n’ont pas craint de remettre entre les mains du roi le droit exclusif de faire la paix et la guerre ; parce qu’ils ont senti que," dans un gouvernement représentatif, ce droit ne pouvait pas être partagé, sans les plus grands dangers, pour l’intérêt de la chose publique. Enfin, Messieurs, pour terminer la question, on vous a proposé d’établir la gloire et la prospérité de cet empire sur les bases immuables de la modération et de la justice, de renverser ces barrières politiques qui interrompent les liens de confiance et d’amitié qui devraient unir les nations, de faire connaître à l’Europe entière, par une déclaration solennelle, que les représentants du peuple français ne chercheront jamais à reculer leurs frontières ; qu’ils regarderont tous les peuples comme leurs frères, et que la France, devenue le berceau de la liberté, sera pour jamais le séjour de la franchise et de la loyauté. Que ne nous est-il permis, Messieurs, de pouvoir nous livrer sans réserve à d’aussi flatteuses espérances ! Mais des législateurs doivent considérer les nations telles qu’elles ont toujours été aux yeux de la politique et de l’expérience, et non pas telles qu’elles devraient être aüx yeux de la ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.) 616 JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] philosophie. Deux auteurs célèbres ont depuis longtemps invité les peuples de l’Europe à réaliser ce système bienfaisant de la paix universelle. Un de vos orateurs vous a dit que Henri IV en avait été le premier inventeur ; mais l’abbé de Saint-Pierre et Rousseau ont senti que l’exécution d’un pareil plan dépendait nécessairement de l’acquiescement et du concert unanime de toutes les puissances voisines et rivales. Henri IV avait communiqué son projet à la reine Elisabeth, et s’était assuré de sonsuffrage avant d’oser l’entreprendre. Ce serait en vain que vous vous piqueriez d’une générosité infructueuse, que vous renonceriez à des combinaisons politiques si vos voisins n’abjuraient pas, comme vous, toute espèce de vues ambitieuses, vous ne tarderiez pas à être victimes de votre confiance et dupes de votre bonne foi. D’ailleurs, Messieurs, qu’il me soit permis de vous dire qu’une spéculation aussi séduisante au premier coup d’œil, est plutôt l’élan d’un sentiment d’humanité que le résultat d’une connaissance réfléchie de la nature de l’espèce humaine. Le cœur de l’homme, agité tour à tour par des mouvements impétueux, est l’image de la société dont il est membre : les passions qui divisent les sociétés n’agissent pas avec moins d’énergie sur les nations : l’état de guerre est Un fléau pour l’humanité; mais cet état violent tient, pour ainsi dire, à la nature de l’espèce humaine, parce que l’intérêt, ce mobile universel, est un aliment indestructible de discorde, et {>arce que, spüs quelque forme qu’on le déguise, 'intérêt ne peut jamais être réprimé que par la force. Si votre prospérité, vos richesses et vos possessions peuvent devenir l’objet de la jalousie et de l’ambition de vos voisins, il est de votre sagesse de ne rien négliger pour vous mettre en mesure avec eux; il serait donc d’une haute imprudence d’ôter au roi les moyens de faire mouvoir dans le silence tous les ressorts de la politique, et de déployer avec promptitude toutes les ressources de la force publique. Pour vous faire sentir, Messieurs, l’importance de ces considérations politiques, faisons-en l’ap-Îfication à la circonstance où nous trouvons. ètez un coup d’œil rapide sur les nations qui vous environnent; examinez d’abord votre position avec l’Angleterre, votre rivale depuis huit siècles ; attentive à suivre vos démarches, et peut-être à fomenter vos divisions, elle pourrait profiter de votre faiblesse pour attaquer un de vos alliés, se flatter de l’espérance de vous détruire l’un après l’autre ; elle pourrait vous parler le langage de la paix, jusqu’à ce qu’elle vous eût ôté les moyens de soutenir la guerre. La plupart des orateurs du Parlement d’Angleterre vous flattent et vous caressent; mais craignez que ses négociateurs ne vous trompent. L’Espagne, hors d’état de résister à un ennemi puissant, avec des forces navales insuffisantes, menacée de voir détruire sa marine, enlever ses colonies, et de perdre avec elles la source de ses richesses qu’elle partageait avec vous, pourrait être réduite à la dure nécessité de faire sa paix à vos dépens. Enfin, Messieurs, les puissances qui entourent vos frontières avec des armées nombreuses, pourraient former le projet de se partager vos dépouilles. Des ennemis secrets peuvent méditer votre ruine, et ces présages funestes, que mon cœur rejette loin de lui, pourraient se réaliser un jour, 6i vous ne vous empressiez d’arrêter ces fureurs insensées qui nous déchirent et nous détruisent de nos propres mains, et si, cédant à un sentiment de patriotisme, nous ne nous rallions tous au cri de la patrie, pour la sauver des malheurs qui la menacent. Réfléchissez maintenant, Messieurs, et voyez si des proclamations de paix universelle, si des déclarations d’humanité et de bienfaisance suffisent pour vous mettre à l’abri des projets funestes d’une politique ambitieuse. Vous voulez être libres; vous ne le serez que par le rétablissement de l’ordre, et en prenant les mesures les plus promptes pour arrêter les brigandages qui désolent nos provinces ; vous voulez vivre en paix avec vos voisins, commencez donc par faire régner la justice et la paix parmi vous. Vous n’en imposerez aux nations que par l’estime, la confiance et le respect que vous saurez leur inspirer. Vous ne contiendrez vos ennemis que par l’appareil et la réunion de vos forces, et par une surveillance attentive sur toutes leurs démarches. Il résulte des principes que j’ai développés, des objections que j’ai combattues, deux considérations majeures qui doivent en ce moment fixer votre attention, et qui semblent faites pour déterminer votre décision. La première, c’est que vous ne pouvez renoncer au système de l’équilibre de l’Europe, sans compromettre essentiellement l’honneur et la prospérité de cet empire, sans exposer la sûreté de vos frontières et de vos possessions, sans porter l’atteinte la plus funeste à l’intérêt de votre commerce. Les relations que vous serez forcés d’entretenir avec les puissances étrangères auront pour objet, ou de vous unir avec elles, ou de vous défendre contre elles. Dans l’un et l’autre cas, si l’œil attentif qui surveille les mouvements extérieurs, si la main qui conduit les fite de la politique ne sont pas dirigés par une seule et même volonté, il n’y aura ni unité dans les plans, ni promptitude dans les démarches, ni secret dans les opérations. Vous devez donc confier à la surveillance d’un seul homme le soin d’entretenir les rapports extérieurs que vous êtes obligés d’avoir avec vos voisins; mais ce n’est que par ces mêmes relations extérieures qu’on peut juger sainement de la nécessité de faire la guerre, et du moment favorable pour l’entreprendre. Il est donc de l’intérêt de la nation de confier au roi seul le droit de faire la guerre. En second lieu, la France a choisi le gouvernement monarchique comme le seul qui puisse convenir à son étendue, à sa vaste population, au génie et aux mœurs de ses habitants. Fidèles au vœu de la nation, vous avez solennellement reconnu que la France est une monarchie héréditaire ; vous avez déposé entre les mains du roi le pouvoir exécutif suprême ; vous lui avez confié le soin de maintenir l’ordre, de repousser l’injustice, de veiller à la défeuse et à la conservation de toutesRes parties de l’empire ; mais, en même temps, vous lui avez donné les moyens de remplir les importantes obligations que la Constitution lui impose; vous l’avez investi de toute la majesté nationale ; vous l’avez rendu dépositaire de toute la force publique ; vous devez donc, pour être conséquents avec vos principes, remettre au roi le droit de faire la guerre, qui n’est autre chose que la force publique mise en action suivant la nature des circonstances; et vous venez de voir que le roi seul, à raison des rapports politiques et extérieurs [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] 617 qu’il doit entretenir, peut juger avec précision de la nécessité de ces mêmes circonstances. Ne craignez donc point, Messieurs, de remettre entre les mains du roi le droit exclusif de faire la guerre. Tous les inconvénients qu’on a voulu vous faire apercevoir tiennent absolument à un ancien ordre de choses qui n’existe plus. Vous pouvez aujourd’hui circonscrire le pouvoir de faire la guerre, en déterminer l’exercice, en prévenir tous les dangers. Déjà même, par vos décrets, vous avez pris les précautions que la sagesse peut dicter. Vous pouvez donc accorder les lois de la liberté avec les intérêts de la pol itique, et avec la nature de votre gouvernement. Mais surtout Messieurs, bannisons pour jamais ces soupçons, ces inquiétudes dont on environne notre Constitution, et qui sont un des plus grands obstacles à sa stabilité. Rien ne conduit plus vite à la perte de toute autorité que d’en porter trop loin la jalousie; et la défiance fut toujours mère de la tyrannie. Je me résume et je dis que les principes constitutionnels que vous avez déjà établis, que les saines maximes de la politique, que le véritable intérêt de la nation exigent que le droit de faire la paix et la guerre soit déposé entre les mains du roi, et que l’exercice de ce droit soit circonscrit et déterminé dans de justes bornes fixées par la Constitution. Je me réfère au projet de décret présenté par M. de Clermont-Tonnerre, et je demande la priorité pour ce projet. M. Fréteau. Des politiques très profonds ayant traité la question, il peut paraître extraordinaire qu’un homme livré depuis vingt-cinq ans à des fonctions paisibles, à l’exercice de la justice, se permette une opinion sur cette matière : mais ces vingt-cinq années ont été traversées par une retraite entière et absolue de cinq années. C’est là qu’il a été de mon devoir d’étudier les anciennes lois, les faits de l'histoire, et de nourrir dans mon cœur l’amour de la liberté et de l’humanité. Il doit m’être permis, comme il l’a été à des ecclésiastiques, de réclamer pour la liberté, pour les anciennes lois que vous avez ressuscitées, et pour l’intérêt même du monarque. Mais avant tout il faut établir que le droit de faire la guerre a toujours appartenu à la nation ; vous ne pouvez, sans enfreindre tous les principes, sans compromettre les intérêts de la patrie, le déléguer à d’àutres qu’au Corps législatif : il doit m’être permis d’attaquer le préjugé qu’on a élevé contre ce droit vraiment national, et de prouver que, pendant toute la monarchie, excepté les 160 dernières années, jamais la nation n’a cessé d’exercer ce droit. Je soutiens contre ceux qui voulaient prouver le contraire, qu’ils n’ont pu le faire sans altérer l’histoire, sans anéantir les monuments les plus respectables. Voici les faits : on vous a cité comme base principale et sacrée du droit de nos rois, le traité d’Andelot, les usages de Charlemagne, les tristes événements du roi Jean, ceux du siècle actuel en 1741, 1756 et 1777; eh bien ! tout ce qu’on vous a allégué est absolument contraire au texte que je vais vous citer. Tout le monde sait que le traité d’Andelot fut fait entre trois individus : Gontran, un roi de France et la reine Brunehaut. IJ est relatif à l’exécution des traités qui terminent la guerre et il porte ces mots : Fait par l'entremise des barons, des évêques et de tout ce qu'il y avait de grands dans l'Etat. Mediantibus procenbus , episcopis et aliis magna-tibus. Ou vous a dit que c’était avec douze conseillers que Charlemagne décidait la guerre. Mézeray, dans le premier volume de l’édition in-folio de 1683, dit : « Je trouve trois sortes de grandes assemblées sous les règnes des Carlovingiens ; savoir, les plaids généraux, où l’on vidait les grandes causes; les champs de mai, où venaient les vieillards, les hommes consommés du peuple français, seniores et majores ; on y délibérait des principales affaires de la guerre ; enfin conventûs colloquia. Ces parlements ou états étaient composés des barons, des abbés, des comtes et des autres grands del’Empire; on y délibérait des affaires de la police et de l’une et l’autre milice. Ces deux dernières sortes d’assemblées se réunirent en une seule. » On vous dit qu’une nation qui fait la guerre ne peut pas avoir d’alliés. Tout le volume et surtout les détails de 777, prouvent le contraire. Voyez l’assemblée générale du royaume qui se tint à Paderborn ; Charlemagne avait fait plusieurs expéditions sur les Saxons; ils étaient soumis ; on les admit aux assemblées en grand nombre, une nation étrangère, les chefs de la nation sarrasine vinrent demander des secours à la nation française contre les lieutenants de Galice et d’Espagne. Ainsi, sous Charlemagne, la nation faisait les traités. Après quinze ans de guerre, Charlemagne, qui croyait avoir fondé la prospérité de l’Empire sur la justice, vit l’effet de ses soins près d’être détruit par l’invasion des hommes du Nord. Il fit une nouvelle assemblée de tous leS membres du corps politique. Il représenta qu’une nouvelle guerre était nécessaire : il fut autorisé à avoir des vaisseaux dans tous les ports, c’est-à-dire depuis les bouches du Tibre jusqu’aux Pyrénées, depuis Bayonne jusqu’à l’Ebre ; et à publier le landverst afin que tous les comtes montassent sur les vaisseaux. Ainsi les grands officiers eux-mêmes étaient obligés de se soumettre à la loi nationale. On passe sur-le-champ à l’époque de 1356 ; mais on trouverait dans les temps intermédiaires les guerres des croisades décidées dans des conventûs colloquia, où non seulement il fut arrêté de déclarer la guerre, mais oùl’onréglaencoreavecquels moyens elle serait faite. On n’aurait pas dû oublier les délibérations nationales, en vertu desquelles on fit la guerre aux Albigeois. En parlant des États de 1356, on s’est permis des rapprochements aussi sinistres que déplacés. Mais von s a-t-on dit ce qui avait amené la nation à s’assembler ? Vous a-t-on parlé delà honte des journées de Courtrai, de Grécy, de Poitiers? Vous a-t-on parlé des perfidies de Philippe-le-Bel, de Philippe de Valois, du roi Jean ? La nation voulait reprendre le droit d'inspecter les ministres et de sortir de l’humiliation où elle était tombée. On ne vous a pas dit qu’en 1527 la Nation a cassé le traité de Madrid et annulé les aliénations qui avaient été faites sans son consentement. Oter au roi le droit d’aliéner les provinces, c’est nécessairement lui refuser celui de faire la guerre ; car les suites de la guerre entraînent souvent l’aliénation d’une partie du territoire national. La guerre de la Ligue n’a-t-,elle pas été voulue par la nation? En 1576 les États de Blois l’ordonnèrent : depuis cette époque jusqu’en 1630, les rois, dans tous leurs manifestes, se sont appuyés de la délibération de ces États. Ainsi j’avais raison de dire que c’était depuis 160 ans que la nation avait cessé d’user du droit de déclarer ou de consentir la guerre. Ainsi, jusqu’à cette époque, de siècle en siècle, la nation a usé de ce droit. Je passe à l’établissement des principes. Vous 61g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai! 790.] avez voulu que la Dation fût libre, et je prétends qu’elle ne sera pas libre, si vous décidez qu’elle sera à la merci des ministres et des jeux des puissances étrangères. Toute guerre tend à la division du corps' monarchique: vous avez déclaré qu’aucune propriété nationale ne pouvait être aliénée. Il en résulte évidemment que si les ministres pouvaient faire la guerre, ils pourraient mettre des impôts, ils pourraient disposer des propriétés nationales. Vous êtes menacés, dit-on, d’une guerre maritime ; on vous demande des secours extraordinaires pour mettre huit vaisseaux de ligne en mouvement dans l’Océao et six dans la Méditerranée, et pour préparer les mesures tendant à augmenter cet armement si cela est nécessaire; c’est-à-dire que les 42 millions que le comité de marine doit vous demander pour cet armement, et les 52 millions que d’autres membres croient indispensables, ne serviront qu’à avoir une flotte dans les ports et dégréée. Le 10 juillet 1690 vous aviez dans la Manche, en ligne de bataille, 80 bâtiments de haut-bord : savez-vous ce que coûtait cette force maritime? 17 millions. Je parle d’après les originaux signés de la main de Louis XIV : en supputant la valeur du marc d’argent, cette somme équivaut à 42 millions de notre monnaie; et aujourd’hui il nous faut une somme plus considérable pour tenir tous nos vaisseaux dégréés et tous nos matelots tranquilles. Il en fut à peu près de même l’année suivante, jusqu’à la guerre de la succession. J’ai voulu connaître jusqu’où montaient les forces de la marine depuis l’année 1777 jusqu’en 1782, cela m’a été impossible. J’ai trouvé la même impossibilité pour les comptes des campagnes de 1756, de 1741 et de la guerre de la succession. Ainsi, quand on vous propose de délibérer sur les armements, vous n’avez aucune base... Je crois juste et utile de donner au Corps législatif le droit d’ouvrir la guerre, et de le charger de déterminer la mesures des forces... Je propose de décréter que la nation ayant essentiellement le droit de décider, déclarer et faire la guerre, le délègue à ses représentants, pour en user avec les mesures qui seront arrêtées. M. lecomte de Mirabeau (1). Si je prends la parole sur une matière soumise depuis cinq jours à de longs débats, c’est seulement pour établir l’état de la question, laquelle, à mon avis, n’a pas été posée ainsi qu’elle devrait l’être. Un pressant péril dans le moment actuel, de grands dangers dans l’avenir ont dû exciter toute l’attention du patriotisme; mais l'importance de la question a aussi son propre danger. Ces mots de guerre et de paix sonnent fortement à l’oreille, réveillent et trompent l’imagination, excitent les passions les plus impérieuses ; la fierté, le courage se lient aux plus grands objets, aux victoires, aux conquêtes, au sort des empires, surtout à la liberté, surtout à la durée de cette Constitution naissante que tous les Français ont juré de maintenir; et lorsqu’une question de droit public se présente dans un si imposant appareil, quelle attention ne faut-il pas sur soi-même, pour concilier, dans une discussion aussi grave, la raison froide, la profonde méditation de l’homme d’État avec l’émotion bien excusable que doivent inspirer les craintes qui nous environnent! (1) Nous empruntons ce discours aux œuvres de Mirabeau publiées par Barlhe en 1820. Cetle version diffère, sur quelques points, de celle du Moniteur. Faut-il déléguer au roi l’exercice du droit de faire la paix et la guerre, ou doit-on l’attribuer au Corps législatif? C’est ainsi, Messieurs, c’est avec cette alternative qu’on a jusqu’à présent Cnoncé la question; et j’avoue que cette manière de la poser la rendrait insoluble pour soi-même. Je ne crois pas que l’on puisse, sans anéantir la Constitution, déléguer au roi l’exercice du droit de faire la paix et la guerre; je ne crois pas non plus que l’on puisse attribuer exclusivement ce droit au Corps législatif, sans nous préparer des dangers d’une autre nature et non moins redoutables. Mais sommes-nous forcés de faire un choix exclusif? Ne peut-on pas pour une des fonctions du gouvernement, qui tient tout à la fois de l’action et de la volonté, de l’exécution et de la délibération, faire concourir au même but, sans les exclure l’un par l’autre, les deux pouvoirs qui constituent la force de la nation et qui représentent sa sagesse? Ne peut-on pas restreindre les droits ou plutôt les abus de l’ancienne royauté, sans paralyser la force publique? Ne peut-on pas, d’un autre côté, connaître le vœu national sur la guerre et sur la paix par l’organe suprême d’une assemblée représentative, sans transporter parmi nous les inconvénients que nous découvrons dans cette partie du droit public des républiques anciennes et de quelques États de l’Europe? En un mot, car c’est ainsi que je me suis proosé à moi-même la question générale que j’avais résoudre : Ne doit-on pas attribuer concurremment lë droit de faire la paix et la guerre aux deux pouvoirs que notre Constitution à consacrés ? Avant de nous décider sur ce nouveau point de vue, je vais d’abord examiner avec vous si, dans la pratique de la guerre et de la paix, la nature des choses, leur marche invincible ne nous indiquent pas les époques où chacun des deux pouvoirs peut agir séparément, les points où leur concours se rencontre, les fonctions qui leur sont communes, et celles qui leur sont propres; le moment où il faut délibérer et celui où il faut agir. Croyez, Messieurs, qu’un tel examen nous conduira bien plus facilement à la vérité que si nous nous bornions à une simple théorie. Et d’abord est-ce au roi ou au Corps législatif à entretenir des relations extérieures, à veiller à la sûrelé de l’empire, à faire, à ordonner les préparatifs nécessaires pour le défendre? Si vous décidez cette première question en faveur du roi, et je ne sais comment vous pourriez la décider autrement sans créer dans le même royaume deux pouvoirs exécutifs, vous êtes contraints de reconnaître par cela seul que souvent une première hostilité sera repoussée avant que le Corps législatif ait eu le temps de manifester aucun vœu ni d’approbation, ni d’improbation. Or, qu’est-ce qu’une première hostilité reçue et repoussée, si ce n’est un état de guerre non dans la volonté mais dans le fait? Je m’arrête à cetle première hypothèse pour vous en faire senlir la vérité et les conséquences. Des vaisseaux sont envoyés pour garantir nos colonies; des soldats sont placés sur nos frontières. Vous convenez que ces préparatifs, que ces moyens de défense appartiennent au roi ; or, si ces vaisseaux sont attaqués, si ces soldats sont menacés, attendront-ils, pour se défendre, que le Corps législatif ait approuvé ou improuvé la guerre? non, sans doute : eh bien ! j’en conclus que par cela seul la guerre existe, et que la nécessité en a donné le signal. De là il résulte que presque dans tous les cas il ne peut y avoir de dé- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (20 mai 1790.] 619 libération à prendre que pour savoir si l’on donnera suite à une première hostilité, c’est-à dire si l’état de guerre devra être continué; je dis presque dans tous les cas ; en effet, Messieurs, il ne sera jamais question, pour des Français dont la Constitution vient d’épurer les idées de justice, de faire ou de concerter une guerre offensive , c’est-à-dire d’attaquer les peuples voisins lorsqu’ils ne nous attaquent point. Dans cette supposition, sans doute, la délibération devrait précéder, mais une telle guerre doit être regardée comme un crime, et j’en ferai l’objet d’un article du décret. Ne s’agit-il donc que d’une guerre défensive où l’ennemi a commis des hostilités? nous voilà dans un état passif de guerre; ou sans qu’il y ait encore des hostilités, les préparatifs de l’ennemi eu annoncent le dessein; déjà par cela seul la paix étant troublée nos préparatifs de défense deviennent indispensables. Il est un troisième cas, c’est lorsqu’il faut décider si un droit contesté ou usurpé serarepris ou maintenu par la force des armes, et je n’oublierai pas d’en parler; maisjusque-là je ne crois pas qu’il puisse être question, pour le Corps législatif, de délibérer. Le moment viendra où les pré-paratits de défense excédant les fonds ordinaires la nécessité de faire de plus grands préparatifs devra être notifiée au Corps législatif, et je ferai connaître quels sont alors ses droits. Mais, quoi! direz-vous, le Corps législatif n’aura-t-il pas toujours le pouvoir d’empêcher le commencement de l’état de guerre ?Non; car c’est comme si vous demandiez s’il est un moyen d’empêcher qu’une nation voisine ne nous attaque; et quel moyen prendriez-vous? Ne ferez-vous aucuns préparatifs? vous ne repousserez point les hostilités, mais vous les souffrirez. L’état de guerre sera le même. Chargerez-vous le Corps législatif des prépa-ratife de défense? Vous n’empêcherez pas pour cela l’agression; et comment concilierez-vous cette action du Corps législatif avec celle du pouvoir exécutif? Forcerez-vous le pouvoir exécutif de vous notifier ses moindres préparatifs, ses moindres démarches? Vous violerez toutes les règles de la prudence; l’ennemi connaissant toutes vos précautions, toutes vos mesures, les déjouera; vous rendrez les préparatifs inutiles ; autant vaudrait-il n’en point ordouner. Bornerez-vous l’étendue des préparatifs ? Mais le pouvez-vous avec tous les points de contact qui vous lient à l’Europe, à l’Inde, à l’Amérique, à tout le globe? Mais ne faut-il pas que vos préparatifs soient dans la proportion de ceux des Etats voisins? Mais les hostilités commencent-elles moins entre deux vaisseaux qu’entre deux escadres? Mais ne serez-vous pas forcés d’accorder chaque année une certaine somme pour des armements imprévus? Ne faut-il pas que cette somme soit relative à l’étendue de vos côtes, à l’importance de votre commerce, à la distance de vos possessions lointaines, à la force de vos ennemis? Cependant, Messieurs, je le sens aussi vivement que tout autre : il faut bien se garder de surprendre notre vigilance par ces difficultés, car il importe qu'il existe un moyen d’empêcher ue le pouvoir exécutif n’abuse même du droit e veiller à la défense de l’Etat, qu’il ne consume en armements inutiles des sommes immenses, qu’il ne prépare des forces pour lui-même, en feignant de les destiner contre un ennemi; qu’il n’excite, par un trop grand appareil de défense, la jalousie ou la crainte de nos voisins : sans doute il le faut; mais la marche naturelle des événements nous indique comment le Corps législatif réprimera de tels abus ; car, d’un côté, s’il faut des armements plus considérables que ne le comporte l’extraordinaire des guerres, le pouvoir exécutif ne pourra les entreprendre sans y être autorisé, et vous aurez le droit de forcer à la négociation de la paix, de refuser les fonds demandés. D’un autre côté, la prompte notification que le pouvoir exécutif sera tenu de faire de l’état de kuerre, soit imminente, soit commencée, ne vous laissera-t-elle pas tous les moyens imaginables de veiller à la liberté publique? Ici je comprends, Messieurs, le troisième cas dont j’ai parlé, celui d’nne guerre à entreprendre pour recouvrer ou conserver une possession ou un droit, ce qui rentre dans la guerre défensive. Il semble d’abord que, dans une telle hypothèse, !e Corps législatif aurait à délibérer même sur les préparatifs. Mais tâchez d’appliquer, mais réalisez ce cas hypothétique; un droit est-il usurpé ou contesté, le pouvoir exécutif chargé des relations extérieures tente d’abord de le recouvrer par la négociation. Si ce premier moyen est sans succès et que le droit soit important, laissez encore au pouvoir exécutif le droit des préparatifs de défense; mais forcez-le à notifier aux représentants de la nation l’usurpation dont il se plaint, le droit qu’il réclame, tout comme il sera forcé de notifier un état imminent ou commencé. Vous établirez, par ce moyen, une marche uniforme dans tous les cas, et ]e vais démontrer qu’il suffit que le concours du pouvoir législatif commence à l’époque de la notification dont je viens de parler, pour concilier parfaitement l’intérêt national avec le maintien de la force publique. Les hostilités sont donc ou commencées ou imminentes; quels sont alors les devoirs du pouvoir exécutif; quels sont les droits du pouvoir législatif? Je viens de l’annoncer; le pouvoir exécutif doit notifier sans aucun délai l’état de guerre ou comme existant ou comme prochain, ou comme nécessaire, en faire connaître les causes, demander les fonds, requérir la réunion du Corps législatif, s’il n’est point assemblé. Le Corps législatif, à son tour, a quatre sortes de mesures à prendre; la première est d’examiner si les hostilités étant commencées, l’agression coupable n’est pas venue de nos ministres ou de quelque agent du pouvoir exécutif. Dans un tel cas, l’auteur de l’agression doit être poursuivi comme criminel de lèse-nation. Faites une telle loi, et vous bornerez vos guerres au seul exercice du droit d’une juste défense; et vous aurez plus fait pour la liberté publique que si, pour attribuer exclusivement le droit de la guerre au corps représentatif, vous perdiez les avantages que l’on peut tirer de la royauté. La seconde mesure est d’approuver, de décider la guerre si elle est nécessaire, de l’improuver si elle est inutile ou injuste, de requérir le roi de négocier la paix, et de l’y forcer en refusant les fonds; voilà, Messieurs, le véritable droit du Corps législatif. Les pouvoirs alors ne sont pas confondus, les formes des divers gouvernements ne sont pas violées, et l’intérêt national est conservé. Au reste, Messieurs, lorsque je propose de faire approuver ou improuver la guerre par le Corps législatif, tandis que je lui refuse le droit exclusif de délibérer la paix ou la guerre, ne croyez pas que j’élude en cela la question, nique je propose la même délibération sous une forme différente. L’exercice 020 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.’ du droit de faire la paix et la guerre n’est pas simplement une action ni un acte de pure volonté, il tient au contraire à ces deux principes; il exige le concours des deux pouvoirs; et toute la théorie de cette question ne consiste qu’à assigner, soit au Corps législatif, soit au pouvoir exécutif le genre de concours, qui, par sa nature, lui est plus propre qu’aucun autre. Faire délibérer exclusivement le Corps législatif sur la paix et sur la guerre, comme autrefois en délibérait le Sénat de Rome, comme en délibèrent les États de Suède, la diète de Pologne, la confédération de Hollande, ce serait faire d’un roi de France un stathouder ou un consul; ce serait choisir, entre deux délégués de la nation, celui qui, quoique épuré sans cesse par le choix du peuple, par le renouvellement continuel des élections, ne peut cependant •prendre seul et exclusivement de l’autre des délibérations utiles sur une telle matière. Donner au contraire au pouvoir législatif le droit de délibérer par forme d’approbation, d’improbation, de réquisition de la paix, de poursuite contre un ministre coupable de refus de contribution, c’est le faire concourir à l’exercice d'un droit national, par les moyens qui appartiennent à la nature d’un tel corps. Cette différence est donc très marquée, et conduit au but en conservant les deux pouvoirs dans toute leur intégrité, tandis qu’autrement vous vous trouverez forcés de faire un choix exclusif entre deux délégués qui doivent marcher ensemble. La troisième mesure du Corps législatif consiste dans une suite de moyens que j’indique et dont je lui attribue le droit : Le premier est de ne point prendre de vacances tant que dure la guerre ; Le second, de prolonger sa session dans le cas d’une guerre imminente; Le troisième, de réunir, eu telle quantité qu’il le trouvera nécessaire, la garde nationale du royaume, dans le cas ou le roi ferait la guerre en personne ; Le quatrième (même après avoir approuvé la guerre), derequérir, toutes les fois qu’il le jugera convenable, le pouvoir exécutif de négocier la paix. Je m’arrête un instant sur ces deux derniers moyens, parce qu’ils font connaître parfaitement le système que je propose. De ce qu’il peut y avoir des dangers à faire délibérer la guerre directement et exclusivement par le Corps législatif, quelques personnes soutiennent que le droit de la guerre et de la paix n’appartient qu’au monarque; elles affectent même le doute que la nation puisse légitimement disposer de ce droit, tandis qu’elle a pu déléguer la royauté. Eh! qu’importe en effet à ces hommes de placer à côté de notre Constitution une autorité sans bornes, toujours capable de la renverser? La chérissent -ils, cette Constitution? Est-elle leur ouvrage comme le nôtre? Veulent-ils la rendre immortelle comme la justice et la raison? D’un autre côté, de ee que le concours du monarque, dans l’exercice du droit de faire la paix et la guerre, peut présenter des dangers (et il en présente en effet); d’autres concluent qu’il faut le priver même du droit d’y concourir; or, en cela, ne veulent-ils pas une chose inconstitutionnelle, puisque vos décrets ont accordé au roi une sorte ae concours même dans les actes purement législatifs ? Pour moi, j’établis le contre-poids des dangers qui peuvent naître du pouvoir royal dans la Constitution même; dans le balancement des pouvoirs, dans le concours des deux délégué8 de la nation, dans les forces intérieures quQ vous donnera cette garde nationale, seul équilibre propre au gouvernement représentatif, contre une armée placée aux frontières; et félicitez-vous, Messieurs, de cette découverte. Si votre Constitution est immuable, c’est de là que naîtra sa stabilité. D’un autre côté, si j’attribue au Corps législatif, même après avoir approuvé la guerre, le droit de requérir le pouvoir exécutif de négocier la paix, remarquez par cela que je n’entends pas donner exclusivement au Corps législatif le droit de délibérer la paix; ce serait retomber dans tous les inconvénients dont j’ai déjà parlé. Qui connaîtra le moment de faire la paix, si ce n’est celui qui tient le fil de toutes les relations politiques? Déciderez-vous aussi que les agents employés pour' cela ne correspondront qu’avec vous; leur donnerez-vous des instructions; répondrez-vous à leurs dépêches; les remplacerez-vous s’ils ne remplissent pas toute votre attente? Découvrirez-vous, dans des discussions solennelles, provoquées par un membre du Corps législatif, les motifs secrets qui vous porteront à faire la paix, ce qui souvent serait le moyen le plus assuré de ne pas l’obtenir, et lors même que nos ennemis désireront la paix, comme nous, votre loyauté vous fît-elle une loi de ne rien dissimuler, forcerez-vous aussi les envoyés des puissances ennemies à l’éclat d’une discussion? Je distingue donc le droit derequérir le pouvoir exécutif de faire la paix, d’un ordre donné pour la conclure, et de l’exercice exclusif du droit de faire la paix; car est-il une autre manière de remplir l’intérêt national que celle que je propose? Lorsque la guerre est commencée, il n’est plus au pouvoir d’une nation de faire la paix; l’ordre même de faire retirer les troupes arrêtera-t-il l’ennemi? Fût-on disposé à des sacrifices, sait-on si les conditions ne seront pas tellement onéîeuses que l’honneur ne permette pas de les accepter? La paix même étant entamée, la guerre cesserait-elle pour cela? C’est donc au pouvoir exécutif à choisir le moment convenable pour une négociation, à la préparer en silence, à la conduire avec habileté; c’est au pouvoir législatif à le requérir de s’occuper sans relâche de cet objet important; c’est à lui à faire punir le ministre ou l’agent coupable, qui, dans une telle fonction, ne remplirait pas ses devoirs. C’est à lui encore à ratifier le traité de paix lorsque les conditions en sont arrêtées. Voilà les limites que l’intérêt public ne permet pas d’outrepasser, et que la nature même des choses a posées. Enfin la quatrième mesure du Corps législatif est de redoubler d’attention pour remettre sur-le-champ la force publique dans son état permanent quand la guerre vient à cesser. Ordonnez alors de congédier sur-le-champ les troupes extraordinaires, fixez un court délai pour leur séparation, bornez la continuation de leur solde jusqu’à cette époque, et rendez le ministre responsable, poursuivez-le comme coupable, si des ordres aussi importants ne sont pas exécutés : voilà ce que prescrit encore l’intérêt public. J’ai suivi, Messieurs, lemême ordre de questions pour savoir à qui doit appartenir le droit de faire des traités d’alliance, de commerce et toutes les autres conventions qui peuvent être nécessaires au bien de l’État. Je me suis demandé d’abord à moi-même si nous devions renoncer à faire des traités, et cette question se réduit à savoir si, dans l’état actuel de notre commerce, et de celui [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] 621 de l’Europe, nous devons abandonner au hasard l’influence des autres puissances sur nous, et notre réaction sur l’Europe; si, parce que nous changerons tout à coup notre système politique (et en effet, que d’erreurs, que de préjugés n'aurons-nous pas à détruire) ! nous forcerons les autres nations à changer le leur, si, pendant longtemps, notre paix et la paix des autres peuventêtre autrement conservées que par un équilibre qui empêche une réunion soudaine de plusieurs peuples contre un seul. Le temps viendra sans doute où nous n’aurons que des amis et point d’alliés, oùla liberté du commerce sera universelle, où l’Europe ne sera qu’une seule famille; mais l’espérance a aussi son fanatisme; serons-nous assez heureux pour que, dans un instant, le miracle auquel nous devons notre liberté se répète avec éclat dans les deux mondes. S’il nous faut encore des traités, celui-là seul pourra le préparer, les arrêter, qui aura le droit de lesnégocier;carjenevoispas qu’il pût être utile ni conforme aux bases des gouvernements que nous avons déjà consacrés, d ’étabJ ir que le Corps législatif communiquera, sans intermédiairea,vec les autres puissances. Ces traités vous seront notifiéssur-le-ehamp; ces traités n’auront de force qu’autant que le Corps législatif les approuvera.Voilà encore les justes bornes du concours entre les deux pouvoirs ; et ce ne sera pas même assez de refuser l’approbation d’un traité dangereux: la responsabilité des ministres vousoffre encore ici les moyens de punir son coupable auteur. Je n’examine pas s’il serait plus avantageux u’un traité ne fût conclu qu’après l’approbation u Corps législatif; car qui ne sent pas que le le résultat est le môme, et qu’il est bien plus avantageux pour nous-mêmes qu’un traité devienne irrévocable, par cela seul que le Corps législatif l’aura ratifié, que si, même après son approbation, les autres puissances avaient encore le droit de la refuser? N’y a-t-il point d’autres précautions à prendre sur les traités, et ne serait-il pas de la dignité, de la loyauté d’une Convention nationale, de déterminer d’avance, pour elle-même et pour toutes les autres nations, non ce que les traités pourront renfermer, mais ce qu’ils ne renfermeront jamais? Je pense, sur cette question, comme plusieurs des préopinants; je voudrais qu’il fût déclaré que la nation française renonce à toute espèce de conquête et qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. Voilà, Messieurs, le système que je me suis fait sur l’exercice du droit de la paix et de la guerre : mais je dois présenter d’autres motifs de mon opinion; je dois surtout faire connaître pourquoi je me suis si fortement attaché à ne donner au Corps législatif que le concours nécessaire à l’exercice de ce droit, sans le lui attribuer exclusivement : le concours dont je viens de parler peut seul bien prévenir tous ces dangers. Et d’abord , pour vous montrer que je ne me suis dissimulé aucune objection, voici ma profession de foi sur la théorie de la question, considérée indépendamment de ses rapports politiques. Sans doute, la paix et la;guerre sont des actes de souveraineté qui n’appartiennent qu’à la nation; et peut-on nier le principe, à moins de supposer que les nations sont esclaves ? Mais il ne s’agit pas du droit en lui-même; il s’agit de la délégation. D’un autre côté, quoique tous les préparatifs et toute la direction de la guerre et de la paix tiennent à l’action du pouvoir exécutif, on ne peut pas se dissimuler que la déclaration de la guerre et de la paix ne soit un acte de pure volonté; que toute hostilité, que tout traité de paix ne soit en quelque sorte traductible par ces mots : Moi , nation, je fais la guerre , je fais la paix ; et dès lors comment un seul homme, comment un roi, un ministre pourra-t-il être l’organe de la volonté de tous? Gomment l’exécuteur de la volonté générale pourra-t-il être en même temps l’organe de cette volonté? Je ne me suis pas dissimulé non plus tous les dangers qu’il peut y avoir de confier à un seul homme le droit, ou plutôt les moyens de ruiner l’Etat, de disposer des citoyens, de compromettre la sûreté de l’empire, d’attirer sur nos têtes, comme un génie malfaisant, tous les fléaux de laguerre. Ici, comme tant d’autres, je me suis rappelé les noms de ces ministres impies, ordonnant des guerres exécrables pour se rendre nécessaires ou pour écarter un rival. Ici, j’ai vu l’Europe incendiée pour le gant d’une duchesse trop tard ramassé. Je me suis peint ce roi guerrier et conquérant, s’attachant ses soldats par la corruption et par la victoire, .tenté de redevenir despote en rentrant dans ses États, fomentant un parti au-dedans de l’empire, et renversant les lois avec ce même bras que les lois seules avaient armé. Eh bien ! Messieurs, discutons ces objections, examinons si les moyens que l’on propose pour écarter ces dangers n’en feront pas naître d’autres non moins funestes, non moins redoutables à la liberté publique ? Je ne dirai qu’un mot sur les principes. Sans doute, le roi n’est point l’organe de la volonté publique ; mais il n’est point étranger, non plus, à l’expression de cette volonté. Ainsi, lorsque je me borne à demander le concours des deux délégués de la nation, je suis parfaitement dans les principes constitutionnels. D’un autre côté, je vous prie d’observer qu’en examinant si l’on doit attribuer le droit de la souveraineté à tel délégué de la nation plutôt qu’à tel autre, au délégué qu’on appelle roi, ou au délégué graduellement épuré et renouvelé, qui s’appelle Corps législatif, il faut écarter toutes les idées vulgaires d’incompatibilité ; qu’il dépend de la nation de préférer pour tel acte individuel de sa volonté le délégué qui lui plaira ; qu’il ne peut donc être question, puisque nous déterminons ce choix, que de consulter, non l’orgueil national, mais l’intérêt public, seule et digne ambition d’un grand peuple. Toutes les subtilités disparaissent ainsi pour faire place à cette question : « Par qui est-il plus utile que le droit de faire la paix ou la guerre soit exercé ? » Remarquez d’ailleurs que ce point de vue est étranger à mon système; ceux-là doivent répondre à l’objection d’incompatibilité qui veulent attribuer exclusivement au roi l’exercice du droit de la paix et de la guerre ; mais ce système, je le combats avec tous les bons citoyens. On parle d’un droit exclusif, et je ne parle que d’un concours. Voyons maintenant le danger de chaque système. Je vous demande à vous-mêmes : sera-t-on mieux assuré de n’avoir que des guerres justes, équitables, si on délègue exclusivement à une assemblée de 70 J personnes l’exercice du droit de faire la guerre ? Avez-vous prévu jusqu’où les mouvements passionnés, jusqu’où l’exaltation du courage et d’une fausse dignité pourraient porter et justifier l’imprudence? Nous avons entendu un do nos orateurs vous proposer* si, l’Angleterre |AsitmbIée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] faisait à l’Espagne une guerre injuste, de franchir sur-le-champ les mers, de renverser une nation sur l’autre, de jouer dans Londres même, avec ces fiers Anglais, au dernier écu, au dernier homme ; et nous avons tous applaudi ; et je me suis surpris moi-même applaudissant ; et un mouvement oratoire a suffi pour tromper un instant votre sagesse. Croyez-vous que de pareils mouvements, si jamais” le Corps législatif délibère directement et exclusivement ne vous porteront pas à des guerres désastreuses, et que vous ne confondrez pas le conseil du courage avec celui de l’expérience ? Pendant qu’un des membres proposera de délibérer, on demandera la guerre à grands cris ; vous verrez autour de vous une armée de citoyens. Vous ne serez pas trompés par des ministres ; ne le serez-vous jamais par vous-mêmes? H est un autre genre de danger, qui n’est propre qu’au Corps législatif dans l’exercice exclusif du droit de la paix et de la guerre, c’est qu’un tel corps ne peut-être soumis à aucune espèce de responsabilité. Je sais bien qu’une victime est un faible dédommagement d’une guerre injuste ; mais quand je parle de responsabilité, je ne parle pas de vengeance : ce ministre que vous supposez ne devoir se conduire que d’après son caprice, un jugement l’attend, sa tête sera le prix de son imprudence : vous avez eu des Louvois sous le despotisme, en aurez-vous encore sous le régime de la liberté? On parle du frein de l’opinion publique pour les représentants de la nation; mais l'opinion publique souvent égarée, même par des sentiments dignesd’éloges, ne servira qu’à la séduire ; mais l’opinion puplique ne va pas atteindre sé-arément chaque membre d’une grande Assem-lée. Ce Romain, qui, portant la guerre dans les plis de sa toge, menaçait de secouer, en la déroulant, tous les fléaux de la guerre; celui-là devait sentir toute l'importance de sa mission. Il était seul ; il tenait en ses mains une grande destinée, il portait la terreur : mais le Sénat nombreux qui l’envoyait au milieu d’une discussion orageuse et passionnée avait-il éprouvé cet effroi que le redoutable et douteux avenir de la guerre doit inspirer ? On vous l’a déjà dit, Messieurs, yoyez les peuples libres ; c’est par des guerres plus ambitieuses, plus barbares, qu’ils se sont toujours distingués. Voyez les assemblées politiques : c’est toujours sous le charme de la passion qu’elles ont décrété la guerre. Vous le connaissez tous le trait de ce matelot qui fit, en 1740, résoudre la guerre de l’Angleterre contre l’Espagne. Quand les Espagnols, m’ayant mutilé, me présentèrent la mort, je recommandai mon âme à Dieu et ma vengeance à ma patrie. C’était un homme bien éloquent que ce matelot; mais la guerre qu’il alluma n’était ni juste, ni politique ; ni le roi d’Angleterre, ni les ministres ne la voulaient. L’émotion d’une assemblée quoique moins nombreuse et plus assouplie que la nôtre aux combinaisons de l’insidieuse politique en décida. Voici des considérations bien plus importantes. Comment ne redoutez-vous pas, Messieurs, les dissensions intérieures qu’une délibération inopinée sur la guerre, prise sans le concours du roi par le Corps législatif, pourra faire naître, et dans son sein, et dans tout le royaume? Souvent entre deux partis qui embrasseront violemment des opinions contraires , la délibération sera le fruit d’une lutte opiniâtre, décidée seulement par quelques suffrages; et, en pareil cas, si la même division s’établit dans l’opinion publique, quel succès espérez-vous d’une guerre qu’une grande partie de la nation désapprouvera? Observez la diète de Pologne : plusieurs fois une délibération sur la guerre ne l’a excitée que dans son sein. Jetez les yeux sur ce nui vient de se passer en Suède. En vain, le roi a forcé, en quelque sorte, le suffrage des États; les dissidents ont presque obtenu le coupable succès de faire échouer la guerre. La Hollande avait déjà présenté cet exemple; la guerre était déclarée contre le vœu d’un simple stalhouder; quel fruit avons-nous recueilli d’une alliance qui nous avait coûté tant de soins, tant de trésors ? Nous allons donc mettre un germe de dissensions civiles dans notre Constitution, si nous faisons exercer exclusivement le droit de la guerre par le Corps législatif ; et comme le veto suspensif que vous avez accordé au roi ne pourrait pas s’appliquer à de telles délibérations, les dissensions dont je parle n’en seront que plus redoutables. Je m’arrête un instant, Messieurs, sur cette considération, pour vous faire sentir que, dans la pratique des gouvernements, on est souvent forcé de s’écarter, même pour l’intérêt public, de la rigoureuse pureté d’une abstraction philosophique : vous avez vous-mêmes décrété que l’exécuteur de la volonté nationale aurait, dans certains cas, le droit de suspendre l’effet de la première manifestation de cette volonté; qu’il pourrait appeler de la volonté connue des représentants de la nation à la volonté présumée de la nation. Or, si nous avons donné un tel concours au monarque , même dans les actes législatifs, qui sont si étrangers à l’action du pouvoir exécutif, comment poursuivre la chaîne des mêmes principes ?Ne ferions-nous pas concourir le roi, je ne dis pas seulement à la direction de la guerre, mais à la délibération sur la guerre? Ecartons, s’il le faut, le danger des dissensions civiles : éviterez-vous aussi facilement celui de la lenteur des délibérations sur une telle matière, si vous n’en bornez pas l’objet aux seuls cas où le concours, où la volonté du Corps légistatif est indispensable? Ne craignez-vous pas que votre force publique ne soit paralysée comme elle l’est en Pologne, en Hollande et dans toutes les républiques? Ne craignez-vous pas que cette lenteur n’augmente encore, soit parce que notre Constitution prend insensiblement les formes d’une grande confédération, soit parce qu’il est inévitable que les départements n’acquièrent une grande influence sur le Corps législatif? Ne craignez-vous pas que le peuple, instruit que ses représentants déclarent directement la guerre en son nom, ne reçoive par cela même une impulsion dangereuse vers la démocratie, ou plutôt l’oligarchie ; que le vœu de la guerre et de la paix ne parte du sein des provinces, ne soit compris bientôt dans les pétitions, et ne donne à une grande masse d’hommes toute l’agitation qu’un objet aussi important est capable d’exciter? Ne craignez-vous pas que le Corps législatif, malgré sa sagesse, ne soit porté à franchir les limites de ses pouvoirs par les suites presque inévitables qu’entraîne l’exercice exclusif du droit de la guerre et de la paix? Ne craignez-vous pas que, pour seconder le succès d’une guerre qu’il aura votée sans le concours du monarque, il ne veuille influer sur sa direction, sur le choix des généraux , surtout s’il peut leur imputer des revers, et qu’il ne porte sur les démarches du chef de la nation cette surveillance inquiète, qui 623 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] serait, par le fait, un second pouvoir exécutif ? Ne comptez-vous encore pour rien l’inconvénient d’une assemblée non permanente, obligée de se rassembler dans le temps qu’il faudrait employer à délibérer; l’incertitude, l'hésitation qui accompagneront toutes les démarches du pouvoir exécutif, qui ne saura jamais jusqu’où les ordres provisoires pourront s’étendre; les inconvénients même d’une délibération publique et inopinée sur les motifs de se préparer à la guerre ou à la paix ; délibération dont tous les secrets d’un Etat (et longtemps encore nous aurons de pareils secrets) sont souvent les éléments? Enfin ne comptez-vous pour rien le danger de transporter les formes républicaines à un gouvernement qui est tout à la fois représentatif et monarchique? Je vous prie de considérer ce danger par rapport à notre Constitution, à nous-mêmes et au roi. Par rapport à notre Constitution, pouvons-nous espérer de la maintenir, si nous composons notre gouvernement de différentes formes opposées entre elles? J’ai soutenu moi-même qu’il n’existe qu’un seul principe de gouvernement pour toutes les nations, je veux dire leur propre souveraineté; mais il n’est pas moins certain que les diverses manières de déléguer les pouvoirs donnent aux gouvernements de chaque nation des formes différentes, dont l’unité, dont l’ensemble constituent toute la force; dont l’opposition, au contraire, font naître dans un Etat des sources éternelles de division, jusqu’à ce que la forme dominante ait renversé toutes les autres; et de là naissent, indépendamment du despotisme, tous les bouleversements des empires. Rome ne fut détruite que par ce mélange de formes royales, aristocratiques et démocratiques. Les orages qui ont si souvent agité plusieurs Etats de l’Europe n’ont point d’autre cause. Les hommes tiennent à la distribution des pouvoirs; les pouvoirs sont exécutés par des hommes; les hommts abusant d’une autorité qui n’est pas suffisamment arrêtée, en franchissent les limites. C’est ainsi que le gouvernement monarchique se change en despotisme; et voilà pourquoi nous avons besoin de prendre tant de précautions; mais c’est encore ainsi que le gouvernement représentatif devient oligarchique, selon que deux pouvoirs faits pour se balancer l’emportent l’un sur l’autre et s’envahissent, au lieu de se contenir. Or, Messieurs, excepté le seul cas d’une république proprement dite, ou d’une grande confédération sans un chef unique, ou d’une monarchie dont le chefe st réduit à une vaine représentation, qu’on me cite un seul peuple qui ait exclusivement attribué l’exercice de la guerre et de la paix à un Sénat. On prouvera très bien, dans la théorie, que le pouvoir exécutif conservera toute sa force, si tous les préparatifs, toute la direction, toute l’action appartiennent au roi, et si le Corps législatif a le seul droit exclusif de dire : Je veux la guerre ou la paix-, mais mon trez-moi comment le corps représentatif, tenant de si près à l’action du pouvoir exécutif, ne franchira pas les limites presque insensibles qui les sépareront. Je le sais, la séparation existe encore. L’action n’est pas la volonté; mais celte ligne de démarcation est bien plus facile à démontrer qu’à conserver ; et n’est-ce pas s’exposer à confondre les pouvoirs, ou plutôt n’est-ce pas déjà les confondre en véritable pratique sociale, que de les rapprocher de si près? N’est-ce pas d’ailleurs nous écarter des principes que notre Constitution a déjà consacrés? Si j’examine les inconvénients de l’attribution exclusive au Corps législatif, par rapport à nous-mêmes, c’est-à-dire par rapport aux obstacles que les ennemis du bien public n’ont cessé de vous opposer dans votre carrière, que de nouveaux contradicteurs n’allez-vous pas exciter parmi ces citoyens qui ont espéré de pouvoir concilier toute l’énergie de la liberté avec la prérogative royale ! Je ne parle que de ceux-là, non des flatteurs, non des courtisans, de ces hommes avilis qui préfèrent le despotisme à la liberté -, non de ceux qui ont osé soutenir, dans cette tribune, que nous n’avions pas eu le droit de changer la constitution de l’Etat, ou que l’exercice du droit de la paix et de la guerre est indivisible de la royauté, ou que le conseil si souvent corrompu dont s'entourent les rois est un plus fidèle organe de l’intérêt public que les représentants choisis par le peuple : ce n’est point de ce3 blasphémateurs, ni de leurs impiétés, ni de leurs impuissants efforts que je veux parler, mais de ces hommes qui, faits pour être libres, redoutent cependant les commotions du gouvernement populaire, de ces hommes qui, après avoir regardé la permanence d’une Assemblée nationale comme la seule barrière du despotisme, regardent aussi la royauté comme une utile barrière contre l’aristocratie. Enfin, par rapport au roi, par rapport à ses successeurs, quel sera l’effet inévitable d’une loi qui concentrerait exclusivement dans le Corps législatif le droit de faire la paix et la guerre ? Poulies rois faibles, la privation de l’autorité ne sera qu’une cause de découragement et d’inertie; mais la dignité royale n’est-elle donc plus au nombre des propriétés nationales? Un roi environné de perfides conseils, ne se voyant plus l’égal des autres rois, se croira détrôné; il n’aurait rien perdu, qu’on lui persuaderait le contraire; et les choses n’ont de prix et jusqu’à un certain point de réalité, que dans l’opinion; un roi juste croira du moins que le trône est environné d’écueils, et tous les ressorts de la force publique se relâcheront : Un roi ambitieux, mécontent du lot que la Constitution lui aura donné, sera l’ennemi de cette Constitution dont il doit être le garant et le gardien. Faut-il donc pour cela redevenir esclaves? faut-il, pour diminuer le nombre des mécontents, souiller notre immortelle Constitution par de fausses mesures, par de faux principes? Ce n’est pas ce quejepropose, puisqu’il s’agit, au contraire, de savoir si le double concours que j’accorde au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif, dans l’exercice du droit de la guerre et de la paix, ne serait pas plus [favorable à la liberté nationale. Ne croyez pas que j’aie été séduit par l’exemple de l’Angleterre, qui laisse au roi l’entier exercice du droit de la paix et de la guerre. Jè le condamne moi-même cet exemple. Là, le roi ne se borne pas à repousser les hostilités; il les commence, il les ordonne; et je vous propose, au contraire, de poursuivre eomme coupables les ministres ou les agents qui auront fait une guerre offensive. Là, le roi déclare la guerre par une simple proclamation en son nom, et une telle proclamation étant un acte véritablement national, je suis bien éloigné de croire qu’ella doive être faite au nom du roi chez une nation libre, ni qu’il puisse y avoir une déclaration de guerre sans le concours du Gorps législatif. Là, le roi n’est pas forcé de convoquer le Parlement lorsqu’il commence la guerre ; et souvent, durant un long intervalle, le Gorps législatif non rassemblé est privé de tout moyen d’influence [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.J pendant que le monarque, déployant toutes les forces de l'empire, entraîne la nation dans des mesures qu'elle ne pourra prévenir lorsqu’elle sera consultée; et je vous propose, au contraire, de forcer le roi à notifier sur-le-oharap les hosti-litésou imminentes ou commencées, et dedécréter que le Corps législatif sera tenu de se rassembler à l’instant. Là, le chef de l’Etat peut faire la guerre pour s’agrandir, pour conquérir, c’est-à-dire pour s'exercer au métier de la tyrannie ; et je vous propose, au contraire, de déclarer à toute l’Europe que vous n’emploierez jamais la force publique contre la liberté d’aucun peuple. Là, le roi n’éprouve d’autre obstacle que le refus des fonds publics ; et l’énorme dette nationale prouve assez que cette barrière est insuffisante et que l’art d’appauvrir les nations est un moyen de despotisme non moins redoutable que tout autre; je vous propose, au contraire, d’attribuer au Corps législatif le droit d’approuver ou d’im-prouver la guerre, d’empêcher qu’on ne recoure à la voie des armes lorsqu’il n'y a point encore d’hostilités et même, lorsque la guerre a été approuvée, de requérir le roi de négocier la paix. Enfin, les milices de l’Angleterre ne sont pas organisées de manière à servir de contrepoids à la force publique, qui est tout entière dans les mains du roi; et je propose, au contraire, d’attribuer au Corps législatif, si le roi fait la guerre en personne, le droit de réunir telle portion de la garde nationale du royaume, en tel lieu qu’il jugera convenable; et, sans doute, une telle précaution vous parût-elle dangereuse ou inutile, vous organiserez du moins celte force intérieure, de manière à faire une armée pour la liberté publique, comme vous en avez une pour garantir vos frontières. Voyons maintenant s’il reste encore des objections que je n’aipas détruites dans le système que je combats. Le roi, dit-on, pourra donc faire des guerres injustes, des guerres antinationales ? Mais une telle objection ne saurait s’adresser à moi qui ne veux accorder au roi qu’un simple concours dans l’exercice du droit delà guerre, et comment, dans mon système, pourrait-il y avoir des guerres antinationales? Je vous le demande à vous-mêmes? Est-ce de bonne foi qu’on dissimule l’infiuence d’un Corps législatif toujours présent, toujours surveillant, qui pourra non seulement refuser des fonds, mais approuver ou improuver la guerre, mais requérir la négociation de la paix ? Ne comptez-vous encore pour rien l’influence d’une nation organisée dans toutes ses parties, qui exercera constamment le droit de pétition dans les formes légales? Un roi despote serait arrêté dans ses projets ; un roi citoyen , un roi placé au milieu d’un peuple armé ne le serait-il pas? On demande qui veillera pour le royaume lors-quele pouvoir exécutif déploiera toutes ses forces? Je réponds : La loi, la Constitution, l’équilibre toujours maintenu de la force intérieure avec la force extérieure. On dit que nous ne sommes pas encadrés pour la liberté comme l'Angleterre ; mais aussi nous avons dé plus grands moyens de conserver la liberté, et je propose de plus grandes précautions. Notre Constitution n’est point encore affermie ; on peut nous susciter une guerre pour avoir le prétexte de déployer une grande force et de la tourner bientôt contre nous. Eh bien ! ne négligeons pas ces craintes ; mais distinguons le moment présent des effets durables d’une Constitution, et ne rendons pas éternelles les dispositions provisoires que la circonstance extraordinaire d’une "grande Convention nationale pourra vous suggérer ; mais si vous portez les défiances du moment dans l’avenir, prenez garde qu’à force d’exagérer les craintes, nous ne rendions les préservatifs pires que les maux, et qu’au lieu d’unir les citoyens par la liberté, nous ne les divisions en deux partis toujours prêts à conspirer l’un contre l’autre. Si, à chaque pas, on nous menace de la résurrection du despotisme écrasé ; si l’on nous oppose sans cesse les dangers d’une très petite partie de la force publique, malgré plusieurs millions d’hommes armés pour la Constitution, quel autre moyen nous reste-t-il ? Périssons dans ce moment I Qu’on ébranle les voûtes de ce temple et mourons aujourd’hui libres, si nous devons être esclaves demain. Il faut, continue-t-on, restreindre l’usage de la force publique dans les mains du roi; je le pense comme vous, et nous ne différons que dans les moyens. Prenez garde qu’en voulant les restreindre vous ne l’empêcniez d’agir. Mais dans la rigueur des principes, l’état de guerre peut-il jamais commencer sans que la nation ait décidé si la guerre doit être faite ? Je réponds : L’intérêt de la nation est que toute hostilité soit repoussée par celui qui a la direction de la force publique; voilà ce que j’entends par un état de guerre. L’intérêt de la nation est que les préparatifs de guerre des nations voisines soient balancés par les nôtres; voilà, sous un autre rapport, un état de guerre. Nulle délibération ne peut précéder ces événements, ces préparatifs. C’est lorsque l’hostilité, ou la nécessité delà défense, par la voie des armes, ce qui comprend tous les cas, sera notifiée au Corps législatif, qu’il prendra les mesures que j’indique; il approuvera ou improuvera, il requerra de négocier la paix ; il accordera on refusera les fonds de la guerre; il poursuivra les ministres ; il disposera de la force intérieure ; il confirmera le traité de paix, ou refusera de le ratifier. Je ne connais que ce moyen de faire concourir utilement le Corps législatif à l’exercice du droit de paix et de guerre, c’est-à-dire à un pouvoir mixte, qui tient tout à la fois de l’action et de la volonté. Les préparatifs mêmes, dites-vous encore, qui seront laissés dans la main du roi, ne seront-ils pas dangereux ? Sans doute, ils le seront ; mais ce danger inévitable est dans tous les systèmes. Il est bien évident que, pour concentrer utilement dans le Corps législatif l’exercice exclusif du droit de paix et de guerre, il faudrait lui laisser aussi le soin d’en ordonner les préparatifs. Mais le pouvez-vous sans changer la forme du gouvernement ? Et si le roi doit être chargé des préparatifs ; s’il est forcé par la nature, par l’étendue de nos possessions, de les disposer à une grande distance, ne faut-il pas lui laisser aussi la plus grande latitude dans les moyens? Borner les préparatifs, ne serait-ce pas les détruire? Or, je demande si, lorsque les préparatifs existent, le commencement de l’état de guerre dépend de nous, ou du hasard, ou de l’ennemi? Je demande si souvent plusieurs combats n’auront pas été donnés avant que le roi en soit instruit, avant que la notification puisse en être faite à la nation? Mais ne pourrait-on pas faire concourir le Corps législatif à tous les préparatifs de guerre, pour en diminuer le danger? Ne pourrait-on pas les faire surveiller par un comité pria dans l’As- [Assemblée national#.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] 625 semblée nationale? Prenez garde : par cela seul, nous confondrions tous les pouvoirs; en confondant l’action avec la volonté, la direction avec la loi, bientôt le pouvoir exécutif ne serait que l’agent d’un comité; nous ne ferions pas seulement les lois, nous gouvernerions ; car quelles seront les bornes de ce concours, de cette surveillance? c’est en vain que vous voudrez en assigner; malgré votre prévoyance, elles seront toutes violées. Prenez garde encore. Ne craignez-vous pas de paralyser le pouvoir exécutif par ce concours de moyens? Lorsqu’il s’agit de l exécution, ce qui doit être fait par plusieurs personnes n’est jamais bien fait par aucune. Où serait d’ailleurs, dans un tel ordre de choses, cette responsabilité qui doit être l’égide de notre nouvelle Constitution ? Enfin, encore, n’a-t-on rien à craindre d’un roi qui, couvrant les complots du despotisme sous l’apparence d’une guerre nécessaire, rentrerait dans le royaume avec une armée victorieuse, non pour reprendre son poste de roi-citoyen, mais pour reconquérir celui de tyran? Eh bien! qu’arrivera-t-il ? Je suppose qu’un roi conquérant et guerrier, réunissant aux talents militaires les vices qui corrompent les hommes et les qualités aimables qui les captivent, ne soit pas un prodige, et qu’il faille faire des lois pour des prodiges. Je suppose qu’aucun corps d’une armée nationale n’eùt assez de patriotisme et de vertu pour résister à un tyran, et qu’un tel roi conduisît des Français contre des Français, aussi facilement que César, qui n’était pas *né sur le trône, fit passer le Rubicon à des Gaulois. Mais je vous demande si cette objection n’est pas commune à tous les systèmes, si nous n’aurons jamais à armer une grande force publique, parce que ce sera au Corps législatif à exercer exclusivement le droit de faire la guerre? Je vous demande si, par une telle objection, vous ne transporterez pas précisément aux monarchies l’inconvénient des républiques; car c’est surtout dans les Etats populaires que de tels succès sont à craindre. C’est parmi les nations qui n’avaient point de rois que ces succès ont fait des rois. C’est pour Carthage, c’est pour Rome que des citoyens, tels qu’Aunibal et César, étaient dangereux/ Tarissez l’ambition; faites qu’un roi n’ait à regretter que ce que la loi ne peut accorder; faites de la magistrature du monarque ce qu’elle doit être, et ne” craignez plus qu’un roi rebelle, abdiquant lui-même sa couronne, s’expose à courir de la victoire à l’échafaud ! M. Duval d’Eprémegnil. Je demande que M. de Mirabeau soit rappelé à l’ordre; il oublie que la personne des rois a été déclarée inviolable. ( Une grande partie de l'Assemblée applaudit.) M. te comte de Mirabeau, Je me garderai bien de répondre à l'inculpation de mauvaise foi qui m’est faite ;• vous avez tous entendu ma supposition d’un roi despote et révolté, qui vient avec une armée de Français conquérir la place des tyrans; or, un roi, dans ce cas, n’est plus un roi... (La salle retentit d’ applaudissements). M. le comte de Mirabeau poursuit : il serait difficile et inutile de continuer une discussion déjà bien longue, au milieu d’applaudissements. d’improbations également exagérées, également injustes. J’ai parlé, parce que je n’ai pas cru pouvoir m’en dispenser dans une occasion lre Série. T. XV. aussi importante: j’ai parlé d’après ma conscience et ma pensée; je ne dois à cette Assemblée que ce qui me paraît la vérité, et je l’ai dite. Je l’ai dite assez fortement peut-être quand je luttais contre les puissances: je serais indigne des fonctions qui me sont imposées; je serais indigne d’être compté parmi les amis de la liberté si je dissimulais ma pensée, quand je penche pour un parti mitoyen entre l’opinion de ceux que j’aime et que j’honore, et l’avis des hommes qui ont montré le plus de dissentiments avec moi depuis le commencement de cette Assemblée. Vous avez saisi mon système: il consiste à attribuer concurremment le droit de faire la paix etfla guerre aux deux pouvoirs que la Constitution a consacrés. Je crois avoir combattu avec avantage les arguments qu’on alléguera sur cette question en faveur de tous les systèmes exclusifs. I! est une seule objection insoluble qui se trouve dans tous comme dans le mien, et qui embrassera toujours les diverses questions qui avoisineront la confusion des pouvoirs; c’est de déterminer les moyens d’obvier au dernier degré de l’abus. Je n’en connais qu’un, on n’en trouvera qu’un, et je l’indiquerai par cette locu'ion triviale, et peut-être de mauvais goût, que je me suis déjà permise dans cette tribune, mais qui peint nettement ma pensée: c’est le tocsin de la nécessité qui seul peut donner le signal quand le moment est venu de remplir l’imprescriptible devoir de la résistance, devoir toujours impérieux lorsque la Constitution est violée, toujours triomphant lorsque la résistance est juste et vraiment nationale. Je vais vous lire mon projet de décret : il n’est pas bon, il est incomplet. Un décret sur le droit de la paix et de la guerre ne sera jamais véritablement le corps moral du droit des gens qu’alors que vous aurez constitutionnellement organisé l’armée, la flotte, les finances, vos gardes nationales et vos colonies; je désire donc vivement qu’on perfectionne mon projet de décret, je désire qu’on en propose un meilleur. Je ne chercherai pas à dissimuler le sentiment de déférence avec lequel je vous l’apporte; je ne cacherai pas môme mon profond regret, que l’homme qui a posé les bases de la Constitution, et qui a le plus contribué à votre grand ouvrage, que l’homme qui a révélé au monde les véritables principes du gouvernement représentatif, se condamne lui-même à un silence que je déplore, que je trouve coupable, à quelque point que ses immenses services aient été méconnus, que l’abbé Sieyès ...... je lui demande pardon, je le nomme ...... ne vienne pas poser lui-même dans sa Constitution un des plus grands ressorts de l’ordre social. J’en ai d’autant plus de douleur, qu’écrasé d’un travail trop au-dessus de mes forces intellectuelles, sans cesse ravi au recueillement et à la méditation qui sont les premières puissances de l’homme, je n’avais pas porté mon esprit sur cette question, accoutumé que j’étais à me reposer sur ce grand penseur de l’achèvement de son ouvrage. Je l’ai pressé, conjuré, supplié au nom de l’amitié dont il m’honore, au nom de l’amour de la patrie, ce sentiment bien autrement énergique et sacré, de nous doter de ses idées, de ne pas laisser cette lacune dans la Constitution: il m’a refusé; je vous le dénonce. Je vous conjure, à mon tour, d’obtenir son avis, qui ne doit pas être un secret; d’arracher enfin au découragement un homme, dont je regarde le silence et l’inaction (comme une calamité publique. Après ces aveux, de la candeur desquels vous me saurez gré du moins, voulez-vous me dispen� 40