644 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 décembre 1790.) interverti, dans cette partie importante, par l’établissement des nouveaux tribunaux; et c’est à ce but que tendent trois des articles que j’aurai dans l’instant l'honneur de vous proposer. Une troisième difficulté, Messieurs, s’est élevée sur ce que l’article 23, en ordonnant que l’office de garde des sceaux serait exercé gratuitement , n’a pas prononcé formellement la suppression des droits qui y sont attachés par l’édit du mois de juin 1771. Le ministre des finances demande, en conséquence, si l’intention de l’Assemblée nationale a été de supprimer ces droits, ou si elle a voulu que la perception en fût continuée, pour en être compté au Trésor public, avec les autres droits des hypothèques. Votre comité s’est décidé pour ce dernier parti, et c’est dans ce sens qu’est rédigé un des articles qu’il a l’honneur de vous soumettre. Telles sont, Messieurs, les difficultés qu’ont occasionnées les deux articles que vous avez décrétés, le 7 septembre sur ma proposition. Mais ce même jour, vous en avez décrété un autre qui avait été proposé additionnellement par un honorable membre, et sur lequel il s’élève dans ce moment des doutes non moins importants à éclaircir. Cet article est le vingt-quatrième; en voici les termes : « Les contrats à l’insinuation, au sceau ou à « la publication seront provisoirement insinués, « scellés et publiés près le tribunal de district « dans l’arrondissement duquel les immeubles « qu’ils auront pour objet seront situés, sans « avoir égard aux anciens ressorts ». Vous savez, Messieurs, qu’à l’époque où vous avez décrété cet article , on distinguait deux sortes d’insinuations : l’une d’ordonnance, l'autre fiscale. On appelait insinuation d’ordonnance celle que prescrivent la déclaration du 17 février 1731 et , l’ordonnance du même mois, pour la validité des donations entre vifs. Elle ne pouvait, suivant ces lois, être effectuée, pour les donations d’immeubles réels, que dans les bureaux établis près les bailliages ou sénéchaussées, tant du domicile du donateur que de la situation des choses données, et, à l’égard des donations de meubles ou d’immeubles fictifs, dans les bureaux établis près les bailliages ou sénéchaussées du domicile du donateur seulement. L’insinuation fiscale était celle qu’avait établie la déclaration du 19 juillet 1704, et à laquelle étaient soumis, par cette loi même, les contrats devante et d’échange, les testaments, les contrats de mariage contenant exclusion de communauté, don mobile, augment, contre-augment, agencement, droits de rélention, gains de noces et de survie, les séparations de biens entre mari et femme, les renonciations à succession ou communauté, etc. Cette espèce d’insinuation, que vous venez de supprimer et de remplacer par le droit d’enregistrement, pouvait être remplie indistinctement, soit dans les bureaux du domicile des parlé s, soit dans ceux de la situation des immeubles, quoique ces bureaux lussent établis dans des lieux où il n’y avait pas de justice royale. En voilà sans doute, Messieurs, plus qu’il n’en faut pour vous faire sentir que, si une discussion s’était ouverte, le 7 septembre, sur l’art. 24, avant que vous ne l’eussiez décrété, vous y auriez fait des distinctions qui ont été omises, qu’on n’a pas même eu le temps de proposer, entre les actes assujettis à l’insinuation d’ordonnance et les actes assujettis à l’insinuation fiscale, entre les donations entrevifs d’immeubles et les donations entrevifs de choses mobilières. En effet, Messieurs, votre intention n’a pas été, en décrétant l’article 24, de déroger au fond des règles établies pour l’insinuation, mais seulement d’indiquer les bureaux où elle devrait se faire d’après la nouvelle division judiciaire que vous veniez de déterminer. Lors donc que vous avez déclaré, par l’article dont il s’agit, que les insinuations se feraient près les tribunaux de districts de la situation des immeubles, vous n'avez ni entendu ni pu entendre autre chose, si ce n’est que les tribunaux de districts représenteraient les anciens bailliages ou sénéchaussées, à l’effet que, pour les immeubles situés dans leurs ressorts respectifs, on ferait près d’eux les mêmes insinuations qui devaient, dans l’ancien ordre des choses, se faire près des bailliages et sénéchaussées, sous la juridiction desquels existaient précédemment ces mêmes immeubles; et la preuve que c’est là tout ce que vous avez voulu dire, c’est que l’article est terminé par ces mots : sans avoir égard aux anciens ressorts . Ainsi, vous n’avez ni dispensé les donations de l’insinuation au tribunal domiciliaire du donateur, ni dérogé à la faculté que la déclaration de 1704 laissait aux parties de faire insinuer dans leur domicile plutôt qu’au lieu de la situation des immeubles, les divers actes assujettis à l’insinuation fiscale. De ces deux points, le premier seul mérite en ce moment, de votre part, une explication précise; la proximité de l’époque où doit cesser l'insinuation fiscale rendrait inutile tout ce que vous pourriez décréter à cet égard. Voici, Messieurs, le projet de loi que je suis chargé de vous présenter : PROJET DE DÉGRET (1). L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Constitution sur les difficultés et les doutes qu’ont fait naître tes articles 22, 23 et 24 du décret des 6 et 7 septembre dernier, concernant l’organisation judiciaire, sanctionné par la proclamation du roi du 11 du même mois, décrète ce qui suit: Art. 1er. La disposition dudit décret par laquelle les plus anciens d’entre les conservateurs des hypothèques et greffiers expéditionnaires des chancelleries des anciennes juridictions royales, sont appelés, dans les cas y mentionnés, à exercer de préférence les chancelleries établies près les tribunaux de districts, ne pouvant s’entendre que de ceux desdits conservateurs ou greffiers ui seraient en titre d’office, les administrateurs es droits d’hypothèques demeurent libres de choisir, ainsi qu’ils jugeront à propos, entre ceux qui ne sont pourvus que de simples commissions, sans être astreints au rang d’ancienneté. Art. 2. Il ne pourra être scellé aucunes lettres de ratification clans les tribunaux de districts, que fl) Il est inutile d’avertir que ce projet de décret n’est pas destiné pour les parties du royaume, dans lesquelles l’édit du mois de juin 1771 n’a pas été publié ni exécuté quant aux hypothèques ; l’article 23 du décret des 6 et 7 septembre 1790 s’est expliqué très clairement là-dessus. Voy. ci-dessus, page 643. lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [-24 décembre 1790.] quatre mois après qu’ils seront entrés en activité, pendant lequel temps les créanciers qui auront fait signifier des oppositions et de nouvelles élections de domiciles ou autres actes, entre les mains des conservateurs établis près les ci-devant bailliages et sénéchaussées, seront tenus de les renouveler ; savoir : pour les immeubles réels, entre les mains du conservateur établi près le tribunal du district de leur situation, et pour les immeubles fictifs, entre les mains du conservateur établi près le tribunal du district du domicile du débiteur; le tout sans payer aucun droit d’enregistrement, en justifiant de l’opposition formée depuis trois ans au bailliage ou à la sénéchaussée. Art. 3. Les acquéreurs qui auront fait exposer leurs contrats d’acquisition en l’auditoire du ci-devant bailliage ou sénéchaussée de la situation des immeubles réels, et du domicile du vendeur, pour les immeubles fictifs, sans avoir obtenu de lettres de ratification, ensemble ceux dont les contrats se trouvaient exposés, lorsque les tribunaux de districts sont entrés en activité, seront tenus, si fait n’a été, d’en faire un nouveau dépôt au greffe du tribunal de district, pour l’extrait en être exposé pendant deux mois au tableau de l’auditoire. Art. 4. Les registres, minutes et autres actes existants dans les chancelleries des bailliages ou sénéchaussées, dans les lieux où il n’y a pas actuellement de tribunaux de district, seront déposés à la chancellerie du tribunal de district le plus prochain de ces bailliages ou sénéchaussées, après inventaire fait entre le conservateur de la chancellerie où doit s’en faire le dépôt, et le commissaire du roi du tribunal près lequel existe cette chancellerie; et il sera remis une expédition de cet inventaire au secrétariat de la municipalité du lieu d’où iesdits registres, minutes et autres actes auront été transférés. Art. 5. Les droits ci-devant attribués à l’office de garde des sceaux desdites chancelleries, seront provisoirement perçus au profit du Trésor public, et il en sera rendu compte avec les autres droits des hypothèques. Art. 6. L’Assemblée nationale déclare que, par la disposition de l’article 24 du décret ci-dessus concernant l’insinuation, elle n’a pas entendu déroger à la déclaration du 17 février 1731 ni à l’ordonnance du même mois; en conséquence, les actes assujettis par ces lois à l’insinuation, continueront d’être insinués suivant les règles qu’elles ont établies, soit dans les bureaux existants près les tribunaux de districts delà siluationides immeubles, soit dans ceux du domicile des donateurs. Seront également observées, pour la publication judiciaire des actes qui sont soumis à celte formalité, les distinctions établies par les anciennes lois entre les tribunaux de la situation des biens et les tribunaux domiciliaires. Plusieurs membres demandent que l’Assemblée ordonne l’impression du rapport et du projet de décret et en ajourne la discussion après la distribution. (Celte motion est adoptée.) M. le Président fait donner lecture d’une pétition des frères Périer , directeurs de la compagnie des eaux de Paris. Elle est ainsi conçue (1) : 645 Frappés par un décret de l’Assemblée nationale, qui compromet d’une manière effrayante leur propriété et attaque leur honneur même, le3 sieurs Périer espèrent de l’équité connue de cette Assemblée qu’elle ne refusera pas d’écouter les justes plaintes qu’ils ont à lui présenter contre un jugement qu’elle a rendu, pour ainsi dire, de confiance, et qui est en contradiction avec les principes qu’elle a consacrés. L’intention de l’Assemblée nationale n’est pas sans doute qu’il n’existe pas de moyen pour elle de revenir sur les erreurs dans lesquelles on peut la faire tomber. Ce serait un trop grand malheur pour les citoyens que les méprises du Corps législatif fussent sans remède. Il faut qu’il y ait toujours une voie ouverte à la justice, qui ne peut jamais venir trop tard pour les hommes et contre laquelle d’ailleurs on ne prescrit pas. Les sieurs Périer osent donc se flatter que si l’Assemblée nationale, éclairée par les observations qu’ils vont lui soumettre, ne croit pas pouvoir révoquer le décret dont ils sont victimes, elle ne dédaignera pas au moins de l’interpréter de manière à ce qu’il puisse se concilier avec ce que l’équité naturelle exige, et avec les lois qu’elle-même a faites. Nous allons tâcher de faire sentir, aussi rapidement que nous Je pourrons, jusqu’à quel point cette interprétation que sollicitent les sieurs Périer est nécessaire et même pressante. On a beaucoup parlé dans le rapport fait à l’Assemblée nationale, concernant la compagnie des eaux de Paris , des premiers projets de celte compagnie, des calculs qu’elle avait présentés an public, des espérances qu’elle lui avait données, des actions qu’elle avait établies, des négociations qu’elle avait faites avec le gouvernement, des secours qu’elle avait reçus de lui, et même de l’agiotage qui s’était mêlé à son entreprise. On n’a presque rien dit, dans ce rapport, des frères Périer qui, en effet, n’avaient rien de commun avec ces détails, et à qui ces imputations vraies ou fausses étaient étrangères. Cependant le rapport a fini par un décret qui ne prononce que sur des réclamations particulières, formées par les sieurs Périer, contre la compagnie des eaux, et qui, sans les avoir entendus, sans connaître leur défense, sans avoir discuté leurs titres, leur ôte, en un instant et comme d’une manière imprévue, tout le fruit de l’arrêt qui a jugé ces réclamations. On va voir combien les sieurs Périer ont à se plaindre d’une telle marche. Personne n’ignore que ce sont eux qui ont imaginé les premiers de fournir de l’eau dans tous les quartiers de Paris, au moyen des machines à feu inventées à Londres. On sait aussi qu’après quatre années de sollicitations et d’efforts, ils obtinrent, en 1777, un privilège du gouvernement pour l’exécution et l’usage de ces machines. On sait encore q e ce privilège a été revêtu de lettres patentes, que le parlement de Pans a enregistrées. Pour l’exercice de ce privilège, il fallait des fonds, et pour ces fonds, il fallait une compagnie. Les sieurs Périer travaillèrent à former cette compagnie. La compagnie une fois formée, les sieurs Périer (1) Voyez le rapport concernant la compagnie des Eaux de Paris et le décret adopte par l’Assemblée, Archives parlementaires , tome XX, séance du 22 novembre 1790, pages 632 et suivantes.