310 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE mune contre Jean-Jacques Lassime, ex-conseil-ler aux ci-devant requêtes du Palais : «D’après la lecture des pièces, faite en entier, la commission de révision a été d’avis que le jugement de la commission militaire du 22 messidor doit être cassé ou annulé; que la mémoire de Jean-Jacques Lassime soit réhabilitée; qu’il soit donné mainlevée à tous séquestres, et qu’il soit fait remise à ses légitimes héritiers de tous ses biens confisqués au profit de la République. Signé, Reynaud, président ; Boro, Malarty, Goislon et Gatineau, membres et suppléants de la commission de révision, et SlCARD, secrétaire-greffier. » Le 16 brumaire, le représentant du peuple Ysabeau, en séance à Bordeaux, vu le rapport de la commission, arrête : «Que la mémoire du citoyen Jean-Jacques Lassime, dont la tête est tombée par jugement de la ci-devant commission militaire de Bordeaux, est réhabilitée; que ledit jugement, en date du 22 messidor, est annulé ; que les biens séquestrés en vertu dudit jugement seront rendus aux héritiers dudit Lassime ; charge l’administration du département de faire mettre à exécution le présent arrêté; charge aussi la commission de révision de faire imprimer deux mille exemplaires desdits rapports et présent arrêté, et de les faire afficher partout où besoin sera. Fait en séance, le 16 brumaire de l’an 3 de la République une et indivisible. Signé, Ch. Alex. YSABEAU, VALETTE, secrétaire de la commission nationale. Collationné conforme à l’original déposé au secrétariat de la commission de révision. Signé, SlCARD, secrétaire général. » Citoyens, malgré les pouvoirs illimités dont jouit un représentant du peuple, il n’a pu, sans un décret spécial qui l’autorise, instituer une commission de révision: vos décrets s’opposent à toute nouvelle institution de tribunal ou commission extraordinaire avec pouvoir de juger, sans un décret; mais, dans cette circonstance, citoyens, persuadé comme notre collègue Ysabeau, que la commission militaire, dirigée par les principes de nos anciens tyrans, a commis presque autant d’assassinats juridiques qu’elle a prononcé de jugements, je crois que notre collègue n’a pu, sans un décret spécial, créer une commission de révision; sans doute vous ne le croyez pas non plus. C’est à la Convention nationale seule qu’il appartient de prendre des mesures de grande justice, pour réformer les injustices, les cruautés et les iniquités judiciaires commises pendant le règne du terrorisme ; ouvrage des scélérats qui voulaient, en punissant de grands coupables, sans doute, faire périr aussi un grand nombre de bons citoyens dont les talents, les richesses, les lumières faisaient ombrage à leur ambition. Je demande donc que la Convention nationale décrète : 1 - Que son comité de Salut public lui rende compte, dans la présente séance, de la conduite du représentant du peuple Ysabeau dans la commune de Bordeaux, et des motifs que ce représentant a dû lui donner lorsqu’il a créé une commission de cette nature, sans y être autorisé par décret ; 2 - Que ladite commission est cassée, et que les actes émanés d’elle, ainsi que tous les arrêtés que le représentant Ysabeau a pris, en conséquence des avis motivés donnés par cette commission, sont annulés ; 3 - Que les trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis proposent, sous trois jours, à la Convention nationale, s’il y a lieu, quant à présent, à décréter une loi pour l’institution de tribunaux ou commissions chargés de réviser ou réformer, par un mode général, les abus qui ont eu lieu dans les jugements des tribunaux et commissions révolutionnaires, afin que, par une loi générale pour toute la République, une sûre et prompte justice soit rendue aux patriotes qui ont été victimes, mais qu’en aucun cas la mémoire d’un contre-révolutionnaire ne puisse être réhabilitée, et que les ennemis de la patrie ne puissent abuser du bienfait de la loi (54) Je demande que la Convention renvoie à ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, la proposition que je fais de casser la commission de révision instituée à Bordeaux par le représentant du peuple Ysabeau, et d’annuler les actes émanés de cette commission, et les arrêtés pris en conséquence, pour en faire un prompt rapport. Ce renvoi est décrété. Sur la proposition faite de présenter, s’il y a lieu, quant à présent, une loi générale pour la révision des jugements des commissions militaires et tribunaux révolutionnaires, la Convention décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer (55). 32 Un membre observe que c’est par erreur que l’on a donné, par le décret rendu dans la séance d’hier, des pouvoirs au représentant Cledel dans le département de la Vienne; que le représentant du peuple Chauvin [-Hersant] y a terminé ses opérations, et n’a demandé à être remplacé que dans les départements de la Creuse et de la Haute-Vienne : il demande que les pouvoirs du représentant Cledel ne s’entendent qu’à ces deux départemens. La Convention renvoie la proposition au comité de Sûreté générale, et suspend jusqu’au rapport l’exécution du décret rendu (54) C327 (1), pl. 1432, p. 40 de la main de Le Cointre. Moniteur, XXII, 625. (55) Moniteur, XXII, 625. Rép., n° 70. SÉANCE DU 9 FRIMAIRE AN III (29 NOVEMBRE 1794) - N08 33-35 311 hier en ce qui concerne le département de la Vienne (56). 33 Le citoyen Vitalis fait hommage à la Convention d’un recueil de fables de sa composition ; elle décrète la mention honorable de l’hommage, et renvoie à son comité d’instruction publique (57). 34 Sur la proposition d’un membre [BOURDON (de l’Oise)], faite au nom du comité de Sûreté générale, sur l’arrêté pris à Bordeaux [Bec-d’Ambès] par le représentant du peuple Ysabeau, la Convention nationale casse l’arrêté du représentant du peuple Ysabeau, du 23 fructidor, portant création d’une commission de révision à Bordeaux, tous les avis donnés par cette commission et les arrêtés qui ont été rendus à la suite ; et rapporte son décret de ce jour, portant renvoi de cet objet aux trois comités de Salut public, Sûreté générale et Législation: ordonne que le citoyen Ysabeau, représentant du peuple, se rendra sur-le-champ dans le sein de la Convention (58). Reverchon, au nom du comité de Sûreté générale, fixe l’attention de la Convention sur l’établissement de la commission de révision créée à Bordeaux. Il donne lecture du procès-verbal d’une séance de cette commission, qui contient les faits déjà exposés par Lecointre dans sa motion d’ordre ; il fait sentir l’importance d’arrêter au plus tôt de pareils excès, et propose de casser cette commission et de rappeler le représentant Ysabeau. BOURDON (de l’Oise) : Il est bien étonnant, quand la Convention nationale a fixé les principes qui doivent guider sa justice, qu’un homme qui était en mission à Bordeaux lors de ces jugements prétendus iniques (car je ne crois à l’iniquité d’un jugement que lorsqu’elle m’est bien démontrée) ; il est bien étonnant, dis-je, que cet homme, pour cacher ses fautes, veuille aujourd’hui de son autorité, faire casser ces jugements. On vous a présenté ici une pétition qui a excité toute votre sensibilité; c’est celle des frères Renaud ; elle avait pour objet une révision comme Ysabeau en a fait à Bordeaux; mais la Convention, fidèle aux principes, a conservé le respect dû à l’institution des jurés ; et, pour ne (56) P.-V., L, 177. C 327 (1), pl. 1432, p. 41. Débats, n° 797, 1000; J. Fr., n° 795; M.U., n° 1357. Thibaudeau rapporteur selon C*II, 21. (57) P.-V., L, 177. (58) P.-V., L, 177-178. C 327 (1), pl. 1432, p. 42. Bourdon (de l’Oise) et Lecarpentier rapporteurs selon C*II, 21. pas manquer à ce qui est aussi dû à l’humanité, elle a ordonné les indemnités auxquelles les pétitionnaires avaient droit. Ysabeau s’autoriserait-il de ses pouvoirs illimités ? Mais la Convention, en déléguant de tels pouvoirs à un commissaire, n’a jamais prétendu qu’il pourrait exercer l’autorité suprême : non, un seul homme ne peut jamais avoir cette autorité. (On applaudit.) Nous serons justes, nous serons humains ; mais il arrive aujourd’hui ce que nous a prédit notre estimable collègue Goupilleau : il vous a dit qu’on ne se contenterait pas de la justice que vous voulez exercer ; qu’on voudrait réagir ; vous ne le souffrirez pas. (On applaudit.) Si l’on vient réclamer de justes indemnités, vous les accorderez; mais vous ne laisserez jamais porter d’infraction au principe. Bourdon propose un projet de décret qui, après une courte discussion, est adopté comme il suit : «La Convention nationale casse l’arrêté du représentant du peule Ysabeau du 23 fructidor, portant création d’une commission de révision, et les arrêtés qui ont été rendus à la suite, et rapporte son décret de ce jour, portant renvoi de ces objets aux trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation ; ordonne que le citoyen Ysabeau, représentant du peuple, se rendra sur-le-champ dans le sein de la Convention nationale. (59) » 35 Un membre [MAREC], sur cette proposition, rappelle à l’Assemblée que la Convention, par son décret du 30 fructidor dernier, a chargé son comité des Secours publics de lui faire un rapport sur le mode d’exécution de la loi de 1790 (vieux style), qui, en déclarant que les biens des condamnés seroient confisqués au profit de la nation, promet-toit des pensions alimentaires aux veuves et aux enfans ; il demande que ce rapport soit fait dans les deux décades par les comités de Législation et des Finances. La Convention nationale adopte et décrète la proposition (60). MAREC : Ce n’est point assez de supprimer une commission de révision, dont l’institution est contraire à tous les principes, et dont les opérations tendraient, avec des motifs apparents de justice et d’humanité, à renverser tout le système de notre législation et de notre crédit public, et nous conduire à grands pas vers la contre-révolution. Si l’on ne peut se dissimuler qu’un grand nombre de victimes innocentes a été sacrifié sous l’affreux régime dont nous venons de nous affranchir, la Convention nationale ne serait pas exempte de reproches, si elle ne prenait enfin (59) Moniteur, XXII, 627. Ann. Patr., n° 698; F. de la Républ., n° 70 ; J. Perlet, n° 797 ; M.U., n° 1357. (60) P.-V., L, 178.