[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 février 1790.] 670 M. Duport continue à faire des observations sur le fond du décret et sur la rédaction du comité. Il conclut à ce que cette rédaction soit adoptée avec les modifications qu’il y apporte. M. Prieur. Comme membre du comité des rapports, je demande à donner à l’Assemblée des détails sur les causes et sur les motifs des insurrections. M. de Montlosier. M. Prieur n’a pas la parole, et d’ailleurs il faut discuter les principes avant de discuter les faits. M. Prieur. Pour bien juger la loi qui vous est présentée, il faut connaître les faits qui paraissent la rendre nécessaire. J’ai examiné toutes les pièces relatives à l’affaire de Béziers et aux accidents arrivés dans les autres provinces. Je n’ai vu que des événements particuliers, et pas une seule atteinte contre la sûreté publique. L’objet des insurrections est la féodalité : la cause, les fausses interprétations de vos décrets données par les ennemis du peuple. Ainsi donc, l’objet étant connu, la cause étant également connue, vous pouvez plus aisément déterminer le remède. M. Prieur entre dans le détail des nouvelles reçues de plusieurs provinces. La ville de Péri-gueux annonce qu’il est fâcheux qu’un membre de l’Assemblée ait plutôt écouté l’exposé de trois gentilshommes que le récit fidèle de la municipalité. M. de Foucault demande à répondre à cette énonciation. MM. de Juigné, de Cocherel, Duval d’Eprémes-nil, etc., semblent contester les faits énoncés par M. Prieur. — Celui-ci se dispose à aller chercher les pièces originales. — Il quitte la tribune. — On l’invite à y remonter. M. de Montlosier réclame l’ordre du jour. M. Prieur. C’est au nom du peuple qu’on calomnie, que je parle aujourd’hui; c’est la vérité que je veux dire, parce que la vérité seule suffit à sa défense. M. de Foucault. Comme M. Prieur a dit quelque chose qui concerne les troubles de ma province, je demande la parole. (M. Prieur veut continuer son récit, on l’interrompt. — Après de longs débats, M. le Président consulte l’Assemblée, et M. Prieur continue). M. Prieur. La ville de Périgueux annonce qu’on a persuadé à de malheureux paysans, bons, mais simples et crédules, qu’ils seraient condamnés à des amendes s’ils ne se livraient point au pillage; qu’ensuite on a fait marcher contre eux des détachements de troupes, accompagnés du grand-prévôt et des exécuteurs de la haute justice, en disant que l’on allait décimer les habitants des campagnes. Dans d’autres provinces, des hommes inconnus répandent de l’argent pour séduire le peuple. A Monclair on a arrêté un chef de hande qui donnait aux paysans 20 sous par jour pour aller incendier les châteaux. Ailleurs on suppose des ordres signés du Roi et contresignés par M. de Saint-Priest, et des décrets de l’Assemblée, et l’on persuade au peuple qu’il n’a plus qu’un mois pour obtenir par ses mains la réparation des torts qui lui ont été faits. Dans d’autres pays l’ordre est parfaitement rétabli. A Sedan, notamment, le service des employés est en pleine activité. M. l’abbé de Bonneval demande la parole avec insistance. (Voy. plus loin son discours annexé à la séance de ce jour). M. le Président. Votre tour d’inscription n’est pas arrivé. La parole appartient à M. Pétion de Villeneuve. M. Pétion de "Villeneuve. On ne proclame en Angleterre le bill de mutinerie que dans les cas vraiment extrêmes.Quelle que soit aujourd’hui la gravité des circonstances, ce n’est pas une sévérité rigoureuse qu’il faut appeler à notre secours ; le peuple est trompé, il faut l’éclairer. On exagère les malheurs des provinces pour vous engager à employer les remèdes violents : nous ne pouvons, nous ne devons pas nous occuper de preuves, mais plutôt de prévenir le mal, et nous ne le préviendrons qu’en cherchant à en déiruire les causes. Cependant, s’il faut faire une loi provisoire, qu’elle sera-t-elle? Adopterons-nous, avec M. de Clermont-Tonnerre, le projet de M. Ma-louet ? Autant vaudrait renoncer à la liberté et courber avec docilité notre tête sous le joug de la servitude. Tous les corps administratifs, créés pour exercer la puissance du peuple, deviendraient des instruments de la puissance ministérielle ; ne nous abusons pas sur la responsabilité dont on nous annonce les merveilles. Il est clairement prouvé qu’elle ne serait qu’un prétexte de plus pour nous opprimer, puisqu’il serait loisible aux ministres de mépriser les formes légales, sauf à venir demander aux représentants de la nation une absolution que, sous le prétexte de certaines circonstances, ils n’auraient pas la liberté de refuser. Le projet du comité ne mérite pas autant de reproches, mais il ne laisse pas que d’avoir de grands dangers. Il renferme beaucoup de clauses inutiles, et, sans contredit, il est dangereux, dans les circonstances où nous nous trouvons, de multiplier inutilement les lois réprimantes. La loi martiale que vous avez décrétée suffira pour dissiper les attroupements, et la responsabilité qu’on vous propose de prononcer préviendra la négligence ou la faiblesse des officiers municipaux dans l’exercice de cette loi. M. le comte de Mirabeau. On a voulu entraîner une Assemblée législative dans la plus étrange des erreurs. De quoi s’agit-il? De faits mal expliqués, mal éclaircis. On soupçonne, plusqu’on ne sait, que l’ancienne municipalité de Béziers n’a pas rempli ses devoirs. En fait d’attroupements, toutes les circonstances méritent votre attention : il vous était facile de prévoir que, par la loi martiale, vous aviez donné lieu à un délit de grande importance, si cette loi n’était pas exactement, pas fidèlement exécutée. En effet, une municipalité qui n’use pas des pouvoirs qui lui sont donnés dans une circonstance importante, commet un grand crime. Il fallait qualifier ce crime, indiquer la peine et le tribunal ; il ne fallait que cela. Au lieu de se réduire à une question aussi simple, on nous a dit que la république est en danger ; j’entends et je serai entendu par tout homme qui écoutera avec réflexion, j’entends la chose publique: on nous a fait un tableau effrayant des malheurs de la France; on a prétendu que l’Etat était bouleversé, que la monarchie était tellement en péril