480 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [33 janvier 1791.J M. Goudard, rapporteur (1). Messieurs, dans l’ordre de la classification qui vous a été distribuée, vous eu êtes restés hier aux objets manufacturés. J’ai eu l’honneur de vous prévenir que sur ces articles, et principalement sur ceux dont la fraude pourrait être exercée, un très petit objet était d’une grosse valeur. Les comités avaient cru devoir préférer de n’établir que les droits très modérés ; c’est d’après ces principes que nous vous proposons, pour les montres de manufacture étrangère, les droits suivants : « Montres, indépendamment des droits de marques d’or et d’argent : « Celles d’or, la pièce ....... 2 liv. » » « Celles d’argent.. ......... 1 » 10 sols. » M. Martin. Vous savez, Messieurs, quels progrès l’horlogerie a faits dans le royaume. Quantité de familles n’ont pour subsistance que cet art, et, si vous ne surveillez pas l’introduction des montres étrangères, nous aurons incessamment des montres pour remplir cette salle : chacun en a deux ou trois. Qu’est-ce, Messieurs, que quarante sets par montre d’or? Quantité de voyageurs, même honnêtes, se prêtent à l’introduction des montres; cela met nos artistes hors d’état de subsister. Comme député particulier d’une province frontière, j’ai sur cela, Messieurs, quelques détails à vous donner. Dans la chaîne des montagnes qui sépare la Franche-Comté de la Suisse, ce n’est pas tant l’agriculture et la laine des bestiaux qui fait subsister les habitants de ces montagnes arides que l'horlogerie. Je connais des communautés où l’horlogerie produit de 50, 60, 80, 100,000 livres par an. De l’autre côté de la montagne, nous avons aussi une chaîne d’ateliers en horlogerie, c’est Sion, Neufchàtel et Genève en partie. Pour se procurer de l’or pour nos boîtes, ils fondent nos louis, manipulation qu’ils ne feraient certainement pas s’il n’y avait pas beaucoup à gagner. Pour empêcher le mal autant qu’il est en vous, il faut porter le droit à 6 livres sur les montres d’or, et à 3 livres sur les montres d’argent. M. Christin. J’appuie le projet du comité et, pour ce, je me fonde sur un fait bien capable de vous déterminer. Il y a environ 22 ans, on imposa un droit de 20 sols par montre ; le bureau où se faisait la déclaration des montres de Genève rapportait 18,000 livres. On porta le droit à 6 livres; ce bureau fut réduit à 1,200 livres de recette. Dans le premier cas, peu de personnes voulaient s’exposer à la confiscation pour 20 sols; mais 6 livres étaient un appât suffisant pour faire la contrebande. M. Goudard, rapporteur. Ces raisons n’ont point échappé à votre comité, et c’est d’après ces vues qu’il a agi; mais il est bon d’observer u’outre le droit sur chaque montre, il y aura un roit de marque d’or de 30 sols sur chaque montre. M. de Folleville. La marque d’or ou d’argent est indifférente; ce qui n’est pas indifférent, c’est que le travail en horlogerie soit en-(1) Le Moniteur ne fait qu’insérer le texte des articles décrétés dans cette séance. couragé. Je voudrais donc égalité de droit sur les montres tant d’or que d’argent. Quant à la marque d’or et d’argent, le comité, suivant moi, devrait nous proposer un projet de loi pour qu’on ne pût vendre aucun objet en or et en argent sans être empreint de la marque. M. Martin. Mettez donc les montres d’or à 3 livres. M. de Folleville. Non; toutes les montres à 40 sols. M. Bouche. Lorsque les montres d’argent payeront autant que les montres d’or, celles-là passeront en contrebande et nous nous privons par-là gratuitement de ces revenus (Murmures). Plusieurs membres ; Aux voix! (L’Assemblée décrète les propositions du comité.) M. Goudard, rapporteur , donne lecture de l’article relatif aux dentelles : « Dentelles de fil et de soie, la livre pesant, 15 livres. » (Adopté.) M. Goudard, rapporteur , donne lecture de l’article relatif aux mousselines : « Mousselines non brodées, le quintal, 200 livres ; « Mousselines brodées, 300 livres. » M. Bégouen. Jusqu’à présent, les mousselines étrangères ont été prohibées; néanmoins elles entraient en France moyennant un sacrifice de 6 0/0 de leur valeur qu’exigeaient les agents de la fraude. Maintenant on vous propose de les imposer seulement à 200 livres par quintal. Une pièce de mousseline unie pèse ordinairement 2 livres et payerait conséquemment 4 livres de droit. Cette pièce vaut de 800 à 1,200 livres; le droit serait donc de 2 0/0 seulement. Lorsque ces mousselines étaient prohibées et qu’il en coûtait 6 0/0 pour les entrer en fraude, on en introduisait beaucoup ; que sera-ce si vous réduisez à 2 0/0? Je demande que les mousselines étrangères continuent d’être prohibées ou, sinon, que l’on porte le droit à 1,000 livres chaque quintal. M. Prugnon. C’est faire un établissement en faveur de la contrebande que de prohiber ou de porterie droit à 1,000 livres; caron trouvera des assureurs qui introduiront pour 500 livres Je quintal. La mesure qu’on vous propose n’est donc pas sage. L’expérience vient à l’appui de ce que j’avance. Le droit sur le thé en Angleterre était énorme, on en introduisait beaucoup en contrebande; le droit a été modéré, et il rapporte infiniment plus, au point qu’il est aujourd’hui une des ressources de l’Etat. Outre que les droits prohibitifs ou, ce qui revient au même, un droit excessif, sont un appât à la fraude, c’est que vos côtes sont trop étendues pour que vous puissiez faire exécuter ces lois. M. Bégouen. Je répondrai à M. Prugnon qui vient de vanter l’opération de M. Pitt, que cette opération si vantée a réduit les droits sur le thé à 20 0/0. Il n’y a ici aucune parité, car je crois que le droit sur les mousselines, n’étant que de [Assemblée nationale.] 7 à 8 0/0, n’est point un droit assez haut pour exciter à faire une contrebande. Les contrebandiers demanderont au moins 9 à 10 0/0 ; ainsi il n’y a point d’inconvénient de les exiger en faveur de l’Etat. ( Applaudissements .) M. Brillat-Sa varia. Vous ne feriez que de mauvaises lois si vous ne profitiez pas des lumières de l’expérience. Les mousselines étrangères ont été prohibées jusqu’à présent, aussi l’Etat y a-t-il perdu des millions. Vous éprouverez encore la même chose dans la prohibition. M. Bégouen vous a dit qu’il fallait mettre 10 0/0 sur les mousselines étrangères et moi, je vous dis qu’il ne faut imposer que 3 1/2 ou 4 0/0. Si vous faisiez une prohibition, en faveur de qui la feriez-vous? en faveur des contrebandiers seulement et au préjudice de l’Etat. Car il ne faut pas nous dissimuler que nous n’avons pas encore en France des fabriques de mousselines, ou du moins, nous en avons si peu que cela ne vaut pas la peine d’y compter. Néanmoins, sous ce régime prohibitif qu’on vous propose de propager, nous n’avons pu avoir de fabriques; c’est sous ce régime prohibitif que les contrebandiers ont gagné des sommes énormes. Je ne vois pas, Messieurs, que vous puissiez admettre un pareil régime et je demande que l’avis du comité soit suivi. M. d’Estourmel. Je propose par amendement de fixer le droit à 5 0/0. Cette mesure me paraît juste en ce que plus les droits sont forts, plus la contrebande est en activité et qu’ainsi on entretiendra la concurrence de nos manufactures françaises. M. Bégouen. J’insiste pour que le droit sur les mousselines brodées soit porté à 600 livres; si l'on veut réfléchir au prix de ces mousselines, on verra que ce droit ne s’élève pas à 5 0/0. M. d’Aubergeon de Murinais. Les mousselines communes tiennent un rang double et triple des mousselines fines; je demande qu’on en forme plusieurs classes pour les soumettre à un droit proportionnel. Les manchettes que je porte doivent être imposées plus haut que celles du laboureur qui se contente de grosse mousseline. M. Le Déist de Botidoux. J’appuie l’amendement; il faut classer ces marchandises et les faire payer en proportion de leur finesse. M. de La Bochefoucauld. La question que vous agitez est purement commerciale et fiscale. Nous avons pensé d’abord à fixer le droit suivant la qualité; mais après un examen approfondi, nous avons vu qu’il était impossible de suivre cette marche, parce qu’on peut envelopper une mousseline fine de grosse et que cette classification de droit suivant la finesse rend la perception du droit presque impossible sans les plus grandes vexations. Un membre demande que la discussion soit fermée et que l’amendement de M. Bégouen soit écarté par la question préalable. (L’Assemblée ferme la discussion et décide qu’il y a lieu à délibérer sur l’amendement.) M. Brugnon. Je porte le droit à 500 livres. 1" Série. T. XXII. [25 janvier 1791.) M. de Boislandry. Et moi à 300 et 400 livres. Je vous réponds, par ce moyen, d’un droit plus productif. Un droit trop fort priverait le Trésor public de tous les produits qu’il a droit d’en espérer et la facilité de la contrebande pour ces matières sera un moyen de se soustraire à un impôt très fort. Dans ce cas, les colporteurs seront des fraudeurs ambulants qui trouveront un gros intérêt à la contrebande et nul danger pour leurs brigandages. Alors, les commerçants, hommes honnêtes et délicats, ou se trouveront ruinés, ou seront réduits eux-mêmes au vil métier de contrebandiers, s’ils ne veulent pas voir anéantir leur commerce. M. Malouet. Sans égard au sous-amendement, j insiste sur l’amendement de M. Bégouen; la raison, c’est qu’il faut favoriser nos manufactures de mousselines qui commencent à peine à éclore. M. Nairac. Je demande que le droit soit fixé à 300 livres sur les mousselines communes et à 400 livres sur les mousselines brodées et rayées. M. de Noailles. J’appuie l’amendement de M. de Boislandry et celui de M. Nairac. Je ferai en même temps une observation : M. de La Rochefoucauld a dit que lorsqu’on portait trop haut le prix des denrées, il en résultait la même chose que pour la prohibition ; ce résultat est très fâcheux et me fait conclure à un taux modéré. M. Goudard, rapporteur. II est important de favoriser notre commerce de l’Inde ; et pour le faire, et donner aux mousselines de l’Inde la prépondérance sur celles venant de l’étranger, il faut que le droit soit porté à 300 livres pour les mousselines unies et à 400 livres pour les autres. L’Assemblée adopte le tarif ci-après : « Mousselines non brodées, le quintal, 300 livres; « Mousselines brodées, le quintal, 400 livres. » M. Goudard, rapporteur , donne lecture de l’article relatif aux toiles de coton : « Toiles de coton, le quintal, 75 livres. N. B. — Les toiles de coton qui pèseront moins de 3 livres sur la longueur de 16 aunes, et sur la largeur de 7 huitièmes, seront qualifiées mousselines et traitées comme telles pour le droit. » M. Eavie. Il y a des manufactures dans ma province qui tirent de Suisse des toiles destinées à recevoir une impression quelconque; ces toiles une fois imprimées ressortent pour l’Allemagne. Je demande que, moyennant un acquit-à-caution, ces toiles puissent entrer et ressortir en même nombre et qualité. Cette proposition ne préjudicie en rien aux manufactures du royaume; car ces toiles ne sont alors que matière première. M. Goudard, rapporteur. La demande de M. Lavie ne peut être qu’un objet de règlement dont le comité s’occupera lorsque le droit sera fixé et au sujet duquel il présentera ses vues à l’Assemblée. (L’article du comité est décrété.) M. Gondard, rapporteur. Nous proposons pour les toiles peintes et teintes un droit de 120 livres 1 par quintal. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 31