[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1789.] 475 Normandie, pour avoir (suivant les termes du décret) tenu des propos calomnieux contre la magistrature et contre les membres du parlement dans l’assemblée tenue à Falaise pour nommer des députés de l’assemblée des trois ordres à Caen. Après une longue discussion de cette affaire, un de MM. les députés, membre du parlement de Normandie, a dit que la nature des avis ouverts l’autorisait à réclamer delajustice de l’Assemblée la permission de parler en laveur de la compagnie dont il avait l’honneur d’être l’un des chefs, et qu’ayant besoin de se recueillir à cet effet, il suppliait l’Assemblée nationale de lui accorder jusqu’à demain. L’Assemblée y a consenti, à la condition que cette affaire se reporterait à une séance de l’après-midi, pour ne pas interrompre le travail ordinaire. M. le Président a remis la séance à demain , heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du dimanche 23 août 1789. L’ordre du jour ayant ramené la discussion des articles 16, 17 et 18 du projet de la déclaration des droits, M. le président demande le calme et le plus grand silence pour un projet de cette importance. M. Péüon de Villeneuve. La question soumise à votre décision est de savoir si vous agiterez les articles 16 et 17 du projet de déclaration des droits, ou si vous en renverrez la discussion à la Constitution. 11 y a sans doute une certaine sagesse à ne pas se livrer à un examen qui pourrait devenir inutile, s’il faut s’en occuper lors de la Constitution; et ce n’est vraiment qu’à la Constitution qu’on doit traiter les articles 16 et 17; car, si vous y faites attention, ces articles vous annoncent des devoirs et non des droits... 11 ne s’agit pas ici de faire une déclaration des droits seulement pour la France, mais pour l’homme en général. Ces droits ne sont pas des lois, et ces droits sont de tous les temps et avant les lois. Je demande donc que l’on renvoie l’examen de ces deux articles à la Constitution. M. Maillot, ta religion est un de ces principes qui tiennent aux droits des hommes, l’on en doit faire mention dans la déclaration. Si la religion ne consistait que dans les cérémonies du culte, il faudrait sans doute n’en parler que lorsque l’on rédigera la Constitution : mais la religion est de toutes les lois la plus solennelle, la plus auguste et la plus sacrée; l’on doit en parler dans la déclaration des droits. Je propose l’article suivant: « La religion étant le plus solide de tous les biens politiques, nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses. » (Cet article est en substance celui de M. le comte de Castellane, dont la dernière partie est retranchée.) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. Bouche. Je vote la suppression des articles 16 et 17 ; quant à présent, il faut en venir à l’article 18, qui porte que « tout citoyen qui ne trouble pas le culte établi ne doit pas être inquiété. » Je commencerais donc par mettre en ayant une maxime qui est de tous les peuples, qui appartient à la morale, et une vérité que l’auteur des Opinions religieuses a si bien développée. Selon lui, « il ne peut y avoir de société durable sans religion, à tel point que s’il pouvait en exister sans religion, la politique devrait se hâter de lui en donner une. » Je proposerais donc d’adopter l’article 18 tel qu’il est dans le projet du sixième bureau, et en plaçant au lieu du mot culte « toutes croyances et opinions religieuses. » En rédigeant ainsi l’article, c’est en quelque sorte prendre l’esprit de l’édit de 1785. Voici l'article que je prends la liberté de présenter. « Comme aucune société ne peut exister sans religion, tout homme aledroit de vivre libre dans sa croyance et ses opinions religieuses, parce qu’elles tiennent à la pensée, que la Divinité seule peut juger. » Cette rédaction trouve quelques approbateurs, mais aucun orateur ne l’appuie formellement. La question de savoir si l’on devait traiter les articles 16 et 17, ou les renvoyer à la Constitution, n’était que la suite de là motion faite par M. l’abbé d’Eymar qui demande la parole. M. l’abbé d’Eymar. Les réflexions des préopinants m’ont inspiré des idées nouvelles sur le projet que j’ai eu l’honneur de vous présenter hier ; elles pourraient peut-être concilier la diversité des opinions. L’article 16 présente une variété qui découle des derniers articles que vous avez sanctionnés; il renferme un droit sublime, en ce qu’il proclame un tribunal supérieur, le seul qui puisse agir sur les pensées secrètes, le tribunal de la conscience et de la religion. Il est important de sanctionner, je ne dis pas l’existence de cette vérité, mais encore la néces-sité-de mettre sans cesse sous les yeux des hommes un principe avec lequel ils doivent naître et mourir. Il est la sauvegarde, il est le premier intérêt de tous, et il serait funeste que tout ce qui existe n’en fut pas pénétré. J’ai changé l’article que j’ai eu l’honneur de vous proposer hier. Je n’y annonce rien de relatif au culte. Cet objet tiendra mieux sa place dans la Constitution, soit pour fixer la dignité de son objet, soit pour déterminer de quelle manière il sera exercé. Je vous observe cependant qu’en discutant l’article rédigé tel que je vais avoir l’honneur de le lire, il ne faut pas se livrer encore à la discussion du dix-huitième article. L’essentiel, au reste, est d’examiner avec la sagesse, avec la gravité du sujet, les questions qu’il présente. C’est en s’élevant pour ainsi dire à la hauteur même de son travail, que l’on peut raisonner sur des questions aussi grandes, aussi majestueuses; et ce n’est point ni avec des phrases étendues, ni avec la hardiesse du paradoxe, ni aveedes plaisanteries facétieuses que l’on doit les réfuter. Voici mon projet d’article : o La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c’est à la religion seule à la suppléer. Il est donc essentiel et indispensable, pour le bon ordre de la société, que la religion soit maintenue, conservée et respectée. » 476 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1789.) M. le comte de Mirabeau s’élève avec force contre cette motion ; il prétend -qu’elle est nouvelle, qu’elle est contraire à l’ordre du jour, et qu’il n’est pas permis de la mettre en délibération. La motion est appuyée et applaudie. M. le Président réfute M. le comte de Mirabeau, et la motion est mise en délibération. M. le vicomte de Mirabeau. Voudriez-vous donc, en permettant les cultes, faire une religion de circonstance? chacun choisira une religion analogue à ses passions. La religion torque deviendra celle des jeunes gens ; la religion juive, celle des usuriers ; la religion de Brahma, peut-être celle des femmes. L’on vous a dit, Messieurs, que l’homme n’apportait pas la religion en société. Certes, un tel système est bien étrange. Quel est le sentiment de tout homme qui contèmple la nature, qui élève ses regards jusqu’aux cieux, et qui, par un retour sur lui-même, médite sur son existence ? Quel est le premier sentiment de celui qui rencontre dans la solitude son semblable ? N’est-ce pas de tomber à genoux ensemble, et d’offrir au Créateur le tribut de leurs hommages? ..... Je n’avais pas imaginé que je pourrais devenir un jour l’apôtre de la religion que je professe; je ne me croyais pas réservé à des discussions théologiques ; je me contentais d’adorer et de croire. J'appuie donc la première partie de la motion deM. de Caslellane, qui est ainsi conçue : « Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l’exercice de son culte. » M. de Clermont-Lodève. Il paraît que les différents avis tendent à renvoyer la discussion des articles 16 et 17 à la Constitution. Moi je pense Je contraire : l’on parle d’une déclaration des droits ; j’avais cru que c’était dans cet acte que l’on devrait appeler tout ce qui sert à les garantir. Dans toutes les déclarations qui vous ont été présentées, on a traité des lois qui assurent l’exercice des droits ; on a appelé la force qui -les protège; or, comment peut-on oublier un moment cette garantie si sacrée, si solennelle de la religion ? Dans cette Assemblée où chaque député cherche à mettre à l’abri de toute violation les droits de ses commettants ; lorsque l’on se munit de toute part contre les atteintes qu’y pourrait porter le pouvoir exécutif, comment n’y oppose�-t-on pas la barrière la plus insurmontable, celle 'de la religion ? Le pouvoir exécutif n’est pas à craindre; mais ce sont les passions; mais c’est l’avidité des hommes qui sans cesse attaque, bouleverse et envahit les propriétés. En vain répondra-t-on que la loi est une garantie entre tous les citoyens ; mais ces lois ne sont-elles pas souvent impuissantes? n’en sait-on pas abuser pour opprimer l impéritie ou la faiblesse? La loi ne punit que les délits, et les délits prouvés. La morale seule réprime les désirs attentatoires aux droits d’autrui. Les hommes, qui ne sont réunis en société que pour maintenir l’égalité des droits au milieu de l’inégalité des moyens, sont liés par un nœud indissoluble, celui de la religion. Les métropoles éloignées de leurs provinces sont plus unies par les mêmes fêtes, les mêmes habitudes, que par l’intérêt du commerce. La re-i ligion, voilà la vraie garantie des lois; sans elle je ne serai jamais assez garanti contre la perfidie. Qui garantira ma vie contre les embûches, mon honneur contre la calomnie?.... Sans la religion, tous les rapports de la société sont séparés ; sans elle, à peine suis-je le maître de ma personne. L’on en viendra à ce point que chacun pourra répéter ce que J.-J. Rousseau se disait à lui-même: Par quelle raison, étant moi , dois-je régler ma conduite*! En un mot, sans religion, il est inutile de faire des lois, des règlements, il ne reste plus qu’à vivre au hasard. M. de Talleyrand-Périgord, évêqae ct’Mu-tun. Les articles 16 et 17 doivent-ils trouver place dans la déclaration des droits ? Dans la dernière séance, ils ont été réunis, puis ensuite séparés. Je pense que c’est précisément en les divisant que l’on peut mieux raisonner sur leurs disconvenances. Si on les admettait, il faudrait au moins suppléer à leur insuffisance. L’article 16 porte : « La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c’est à la religion et à la morale à la suppléer. 11 est donc essentiel que l’une et l’autre soient respectées. » La religion ..... Mais quelle religion? S’agit-il de toute religion? mais cela n’est pas exact. La religion et la morale respectées ..... Ce n’est là qu’une conséquence ; il faut le principe. Elles doivent être l’une et l’autre enseignées ; on doit les promulguer, les graver dans tous les cœurs. L’article 17 porte: « Le maintien de la religion exige un culte public. Le respect pour le culte public est donc indispensable... Sans doute cela* est vrai; mais il n’y a aucuns rapports entre la conséquence et les délits secrets; le culte ne les prévient pas. Le culte est un hommage extérieur rendu au créateur; or, le premier principe, c’est la religion ; la conséquence est le culte ; et la loi à faire, c’est quel sera ce culte. C’est pour l’examen de ces trois vérités que je me décide dans la question actuelle. Chaque article d’une déclaration des droits doit commencer par ces mots: Tout homme vivant dans cette société a le droit de ..... etc. Certes l’article du culte de la religion ne peut commencer ainsi. Il faut donc trouver une autre place, et cette place est dans la Constitution . C’est là que sera prononcé le mot sacré et saint de religion catholique; c’est là que l’on apprendra ce que c’est que le culte. Il n’est pas temps encore de délibérer. M. le Président, après quelques débats sur ce point, demande si 1 Assemblée veut qu’ils cessent ou qu’ils soient prolongés ; l’Assemblée ordonne que les débats cesseront. En conséquence, M. le président propose de décider si on délibérera quant à présent sur les articles 16 et 17. Il est arrêté qu’on s’en occupera en travaillant à la Constitution. L’article 18 du projet de déclaration des droits de l’homme devient l’objet de la discussion. M. de Castellane renouvelle sa motion pour qu’il soit rédigé en ces termes : Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l’exercice de son culte. M. le comte Mirabeau. J’ai eu l’honneur de vous soumettre hier quelques réflexions qui tendaient à. démontrer que la religion est un devoir,