[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [21 juin 1790.] 398 le même jour, et le dernier article adopté est le 6e. M. le rapporteur a la parole. M. Martineau, rapporteur , donne lecture de l’article 11 ainsi conçu: « Art. 11. Le traitement en argent des ministres de la religion leur sera payé d’avance de trois mois en trois mois, par le trésorier du district, à peine d’y être contraint par corps, après� une simple sommation ; et dans le cas où l’évêque, curé ou vicaire viendrait à mourir ou à donner sa démission avant la lin du quartier, il ne pourra être exercé contre lui ni contre ses héritiers aucune répétition. » Cet article est mis aux voix et adopté sans discussion, ainsi que l’article 12 ci-dessous: « Art. 12. Pendant la vacance des évêchés, des cures et de tous offices ecclésiastiques payés par la nation, les fruits du traitement qui y est attaché, seront versés ou resteront dans la caisse du district pour subvenir aux dépenses dont il va être parlé. M. Martineau, rapporteur , donne lecture des articles 13 et 14 concernant la dotation des vieux prêtres. (M. Pous demande et obtient la parole sur ces articles.) M.Pous ,curé de Mazamet, députéde Toulouse(\). Messieuis, un mandat précis et fortement exprimé, que j’avais reçu des mains de mes commettants, me faisait un devoir de solliciter auprès de vous l’amélioration des curés à portion congrue. Jaloux d'exécuter un ordre si conforme à mes intentions, je n’eusse pas manqué de le remplir avec fidélité, si votre sagesse n’avait prévenu ma demande, en décrétant que dans les dispositions à faire pour subvenir à l'entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d'aucune cure moins de douze cents livres par année, non compris le logement et les jardins en dépendant. D’après un arrêté si raisonnable, je pense que ma mission sur cet objet est entièrement consommée. Mais les vœux de mes commettants ne finissent pas là. J’ai à vous demander un honoraire pour MM. les vicaires. Je sais et je n’ignore pas qu’il entre dans vos vues de leur assigner un traitement plus fort que celui dont ils jouissent actuellement. Vous voulez bannir pour jamais tout motif de plainte, et faire cesser les éternelles mais vaines réclamations de ces respectables confrères auxquels nous ne pouvions offrir nous-mêmes, en leur payant leur dotation, trop faible pour eux, et néanmoins écrasante pour nous, que de stériles regrets. Mais permettez, Messieurs, que je vous demande si leur pension future ne se montera qu’à la moitié de celles des curés les moins partagés? J’ai entendu, dans notre tribune, un jeune prélat, dont la générosité envers la nationnepeut être suspecte, assigner aux vicaires, pour leur portion congrue, la somme de 600 livres. Il tient sans doute à l’antique méthode, si constamment suivie jusqu’à nos jours, de ne donner à cette classe laborieuse des ministres des autels qu’une demi-portion de l’honoraire accordé aux plus pauvres titulaires, comme si cette terrible proportion arithmétique était une base assurée pour calculer l’étendue des besoins.Non, Messieurs, (1) Le discours de M. Pous n’a pas été inséré au Moniteur. je ne pense pas que vous portiez votre jugement sur un fondement si décrié. Assurément, vous peserez dans votre justice la dignité de leur état, les fatigues de leur ministère, la nécessité de se concilier la vénération des peuples, la haute et délicate mission qu’ils exercent,etsurces données si imposantes et si vénérables, vous fixerez d’une manière plus franche et plus généreuse la dotation que vous leur réservez. D’ailleurs, Messieurs, considérez que l’état de vicaire ne sera plus le même après la nouvelle organisation de la hiérarchie ecclésiastique. Jusqu’ici, salariés d’une manière indécente, ils ont eu, pour la plupart des ressources de famille, parce que l’espoir d’un placement plus fortuné engageait les parents à joindre aux sacrifices d’une longue éducation celui d’un secours de quelques années. Pour ceux qui vivaient sans aucun moyen, je tais, par respect pour la religion, le détail triste et déchirant de leur dégoûtant ménage. Les vicaires avaient encore le faible, mais utile secours d’un casuel que vous avez heureusement supprimé 1 L’attente fondée d’une cure ou d'un autre bénéfice quelconque soutenait de plus leur espérance, et leur position transitoire les engageait à regarder les premières années de leur ministère comme un noviciat, à la vérité rigoureux, mais qui devait bientôt se terminer par une profession plus aisée. Mais aujourd’hui où les titres de bénéfices vont devenir beaucoup plus rares par les suppressions des collégiales, par celles des bénéfices sans fonctions, par la réduction du nombre des cathédrales, et peut-être même par celle des canonicats qui composeront à l’avenir ces chapitres échappés à vos destructions économiques ; aujourd’hui, où l’espoir des résignations est absolument éteint, ou le casuel n’existera plus, trouveront-ils chez leurs parents les mêmes facilités? Est-il juste qu’ils doivent y avoir recours, lorsque de longues études auront absorbé plus que leur patrimoine, et qu’occupés des fonctions les plus sacrées et les plus nécessaires à la société, ils ne travailleront, ils ne veilleront, ils ne s’épuiseront que pour elle et pour son bonheur? Oui, Messieurs, j’estime que dans la suite l’état de vicaire sera presque un état fixe ou qui ne changera qu’après bien des années; il me paraît donc infiniment raisonnable de l’envisager sous ce point de vue et d’y joindre en conséquence un traitement qui en soutienne la dignité, qui en adoucisse les rigueurs, et qui soit, pour des familles honnêtes, un véhicule suffisant pour engager leurs enfants à se tourner vers le saint ministère. Ce ne serait donc point la pension de 6(10 livres que je voudrais que l’on leur assignât. Trop modique pour fournir aux aliments, aux frais d’un vestiaire décent, aux gages et à la nourriture d’un domestique, à l’entretien d’un mobilier, vous laisseriez encore ces hommes que vous aimez et dont vous êtes les patrons dans un véritable état de détresse, et vos intentions bienfaisantes manqueraient leur but, si vous déterminiez à cette somme l’honoraire qui leur est dû. Je voudrais donc que la portion congrue de MM. les vicaires se montât au moins à 80Ü livres, sans y comprendre le logement et le jardin pour ceux qui vivent dans les annexes, et que cette portion fût absolument libre de toute imposition quelconque. Au reste, la plupart de vous et de vos commettants y avez un prochain intérêt, intérêt qui devient presque général par le nombre d’individus sur lequel il frappe. Car, dans une famille nombreuse, ce qui tourmente l’amour paternel est [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [21 juin 1790.] 399 ordinairement le sort futur d’une descendance qu’on aime. Or, quelle ressource aura désormais la masse des citoyens, après la destruction de presque tous les monastères et d’un nombre immense de bénéfices? De tous les anciens débouchés, on n’aura à l’avenir que le sacerdoce, et, dans le sacerdoce, l’espoir le plus assuré, le plus immédiat, doit être la situation du vicaire, profession qui sera, comme je l’ai déjà dit, ou à vie ou à terme fort prolongé. Je puis donc avancer que le sort des vicaires est, pour ainsi dire, le vôtre, celui des personnes que vous représentez dans ce moment. Vous vous devez donc à vous-mêmes, vous devez à vos constituants de ne pas doter avec trop de parcimonie cette classe d’hommes qui doit sortir du sein de votre famille et qui seule peut recueillir le fruit de vos sacrifices. Je sais qu’il existe un moyen d’adoucir, en espérance, le sort des vicaires et de rendre leur fixation plus prompte et plus facile : c'est d’ériger en cures toutes les annexes auxquelles il sera possible de donner cinq cents paroissiens. Une puissance voisine qui essaya les premiers coups de son autorité par détruire un grand nombre de monastères et d’abbayes, multiplia prodigieusement les cures , parce qu’elle jugea les nouvelles érections nécessaires pour le bien du ministre, pour l’instruction des peuples et pour unir, par des liens de paternité, le fonctionnaire évangélique avec les fidèles qu’il devait gouverner. G’est, en effet, un avantage réel d’attacher le prêtre qui travaille à une église particulière. S’il est amovible, il se regarde toujours comme étranger; le peuple ne se lie à lui que d’une manière précaire, et le bien ne se fait alors qu’à demi. Vous pèserez, Messieurs, avec maturité, cette considération, et j’ose croire que, dans votre résolution finale, vous vous déterminerez pour le parti le plus utile à la religion et à la chose commune. J’ai à vous demander, Messieurs, une pension pour ces mêmes vicaires, lorsqu’accablés de travail et d’années, ils seront obligés d’abandonner le ministère. A la fin de leur course, il est juste qu’ils aient de quoi fournir aux besoins de première nécessité. Mais, pour avoir ce nécessaire, il est indispensable de le leur assigner. J’ai à vous demander une dotation pour les prêtres actuellement sans fonctions qui ne peuvent, à cause de leurs infirmités, continuer à se livrer au travail pénible des paroisses. Ils sont aussi bien dignes de votre sollicitude, et j’ose avec confiance les mettre sous la garde de votre humanité, parce que je sais que vous voulez être les pères de tous les souffrants. J’ai à vous demander de pourvoir encore, par des appointements raisonnables, à la subsistance des curés qui, après un terme donné ou une infirmité durable et reconnue, quitteront leur bénéfice-cure. L’espoir d’un canonicat qu’on paraît leur réserver pour leur service de retraite est une ressource à peu près illusoire. Il est vraisemblable qu’il n’y aura qu’une cathédrale dans chaque département et peut-être peu de canoni-cats dans chaque cathédrale ; et comment, avec un si faible moyen , certainement chimérique pour les individus frappés d’une maladie habituelle , comment tant de pasteurs usés pourront-ils s’assurer des aliments? Ne seront-ils pas réduits à la plus funeste alternative ou de conserver un bénéfice qu’ils ne pourront desservir, ou de terminer, dans une cruelle et honteuse indigence ; une vie dont les beaux jours n’auront coulé que pour le bonheur de leurs frères ? Enfin, j’ai à vous demander de porter vos regards sur le sort des anciens curés qu’un grand âge ou des infirmités ont forcés d’abandonner leurs paroisses sous la réserve de la pension du tiers de leur précédent revenu. Vous savez que cette pension a tous les caractères de la légitimité, puisqu’elle a été créée sous l’empire des lois en vigueur, pour cause bien raisonnable et par la volonté d’une puissance qui seule réglait, il y a peu de jours, la forme de nos contrats. Ces prêtres décrépits ou malades sont nos frères, nos concitoyens; nous tenons à plusieurs par les liens du sang et de l’amitié; ils ont bien mérité de la patrie, à laquelle ils ont sacrifié toutes leurs forces physiques et morales; et cependant, ils tremblent, ils gémissent, parce qu’ils ne savent où s’adresser pour obtenir un absolu nécessaire. Sans doute, vous ne les abandonnerez pas ; mais, en attendant vos dispositions ultérieures, qui pourvoira à leurs besoins? qui soignera leur respectable caducité ? Le torrent de vos immenses occupations vous entraîne vers des objets certainement de la plus haute importance; mais leurs résignataires, dont les dîmes sont supprimées, ne paieront plus, parce qu’ils ignorent s’ils en jouiront encore; les moyens les plus indispensables leur manqueront; en un mot, ils souffriront de toutes les manières, et la génération à laquelle vous travaillez sans relâche et avec tant de courage ne sera, pour ces infortunés vénérables, qu’une masse d’amertumes et le germe d’une mort infaillible et cruelle. Ah! Messieurs, vous voulez être justes, vous voulez faire des heureux , vous voulez que le glorieux récit de vos travaux passe à la postérité avec le cri des bénédictions de la génération ac-actuelle : venez donc promptement au secours de ces victimes du temps, de ces pasteurs honorables; si vous tardez encore un peu, vous ne pourrez plus les secourir, le tombeau les fera disparaître à vos yeux, et les ennemis de votre gloire se prévaudront peut-être de cet abandon apparent pour jeter une maligne défaveur sur le brillant de vos grandes opérations. Oui, Messieurs, parmi les secousses qui agitent tous les Etats, toutes les fortunes, ces vieillards infortunés tournent leur regard vers vous; et cette Assemblée auguste, d’où est partie la foudre qui les a frappés, est, au milieu de l’orage, le seul ange tutélaire qu’ils invoquent. Voilà, Messieurs , quelques pétitions que j’ai osé vous faire pour m’acquitter d’une commission qui m’était chère infiniment. J’en ai senti toute la justice, et je me suis flatté que, législateurs équitables et impassibles, vous les jugerez avec la même droiture qui me les a inspirées. Trop de larmes ont déjà coulé depuis l’ouverture de nos séances; trop d’immenses débris nous environnent de toutes parts. Dissipons les inquiétudes, faisons naître enfin l’aurore des beaux jours de cet Empire; rééditions avec une grande sagesse, et apprenons à nos détracteurs et aux hommes timides que si des maux nécessaires ont dû précéder nos incalculables travaux, des biens, des grands biens, propres à tous, communs à tous, en seront infailliblement le précieux résultat. (On demande à aller aux voix.) M. le Président met aux voix les articles 13 et 14, qui sont décrétés en ces termes : « Art. 13. Les curés qui, à cause de leur grand