233 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1790.] M. le marquis de Bonnay. L’affluence des adresses et des députations occupent presque en entier toutes les séances du soir, au détriment de questions importantes sur lesquelles vous ne trouvez pas le temps de prononcer. Je fais la motion qu’il y ait, tous les lundis, une séance extraordinaire destinée à recevoir les adresses, pétitions et députations, et qu’il n’en soit reçu aucune dans les autres séances du soir; il ne sera fait d’exception que pour la commune de Paris , attendu l’urgence des pétitions qu’elle peut avoir à nous présenter. (Cette motion rencontre d’abord beaucoup d’approbations.) M. Emmerder. Je rends hommage aux vues sages du préopinant; mais j’observe que, s’il y avait des séances consacrées seulement à entendre des adresses ou des félicitations, beaucoup de députés, fatigués par leurs longs travaux , ou d’une mauvaise santé, ou absorbés par les comités, se dispenseraient de paraître à ces séances, qui, bientôt, perdraient beaucoup de leur dignité par l’absence d’un très grand nombre de mena • bres. M. Rewbell. La proposition qui vous est faite aurait pour résultat d’éloigner les adresses, les expressions du patriotisme et la connaissance de l’état des provinces; c’est pour cela qu’il est dangereux d’adopter la motion. M. Prieur. La motion, si elle était adoptée, ferait rester très longtemps à Paris des députés qui arrivent souvent pour des affaires pressantes et qui ont hâte de regagner leurs foyers. M. Cochelet. Les représentants de la nation doivent attacher un grand prix à l’opinion publique; par conséquent, ils ne sauraient recevoir trop d’adhésions à leurs décrets. M. le marquis de Bonnay. J’avais pensé qu’il valait mieux faire les affaires du pays que de respirer l’encens qu’on brûle à nos pieds; c’est pour cela que j’avais fait ma motion; je n’y insiste pas, puisqu’elle rencontre de l’opposition. M. Goupil de Préfeln. La motion a du bon, et je la reprends en la modifiant. Je demande que, dans chaque séance du soir, une heure seulement soit employée à la lecture des adresses et à la réception des pétitions et députations. (Cette motion est adoptée.) M. le Président. M. de Noailles demande à entretenir l’Assemblée de l 'inexécution des décrets relatifs aux droits de terrage et de cham-part dans le district de Nemours. (L'Assemblée décide quesM. de Noailles sera entendu.) M. le vicomte de Noailles. Vous avez entendu parler plusieurs fois des désordres qui régnent dans quelques parties de l’Empire. Ce n’est pas la faute des peuples, qui sont trop souvent trompés; ce n’est pas la faute des administrateurs, qui donnent tous leurs soins à l’exécution des décrets et au maintien de l’ordre public; mais c’est la faute des ministres : c’est à leur fâcheuse inertie, c’est à leur coupable ambition, c’est à leur désir de rattraper le pouvoir que vous leur avez si sagement ôté, qu’il faut attribuer ’ ces désordres. Ils voudraient que l’accroissement des maux fît regretter leur dangereuse puissance, afin qu’ils reprissent une autorité que vous avez si sagement détruite. Je vais vous en donner une preuve non équivoque : Vous avez, il y a près d’un mois, rendu un décret sur les droits de terrage et de champart. Dans le district de Nemours, dont j’ai l’honneur d’être député, ce décret était mal interprété. J’ose assurer qu’il n’est cependant pas de lieu où l’on reçoive vos décrets avec plus de joie, où on les exécute avec plus d’empressement. Nous nous sommes adressés au comité féodal, qui, par une délibération unanime, a reconnu qu’on ne pouvait pas expliquer un décret par un décret, et nous avons été forcés à faire une démarche, toujours fâcheuse pour un député, à aller trouver un ministre. Nous avons demandé à M. le garde des sceaux une proclamation des décrets des 15 mars et 20 avril : nous avons représenté que, si elle était promptement publiée, le mal, dans sa source, serait aisément arrêté; qu’au contraire, si on différait, il pourrait être sans remède. Trois fois ce ministre nous a donné sa promesse, trois fois notre espérance a été trompée. Les députés du département avaient écrit pour indiquer le vrai sens des décrets; ils avaient annoncé une proclamation; les propriétaires ont envoyé des huissiers pour faire payer les droits que vos décrets avaient conservés. La proclamation du roi n’était pas arrivée. L’un des huissiers a été pendu, un autre a été assommé. Le peuple qui, même dans les excès de la fureur que lui inspire ce qu’il croit une injustice, conserve toujours une pitié, une sensibilité naturelle, a été touché; il a coupé la corde, et cet huissier a été sauvé ; l’autre est dans un état affreux. Affligés de ces événements malheureux , nous sommes retourné chez M. le garde des sceaux; nous avons renouvelé nos instances; il nous a envoyés valeter dans toutes les antichambres, en nous disant qu’il fallait un accord complet de tous les ministres pour porter rémède à ces désordres. Vous voyez si le peuple est coupable de tous les malheurs dont le récit nous afflige. Je dois dire, à la décharge de M. le garde des sceaux (car, lorsque je dévoile les vérités qui l’accusent, je ne puis cacher ce qui pourrait l’excuser), je dois dire que, malgré tes plaintes que nous lui avons portées; que, malgré les lettres anthentiques que nous lui avons présentées, il a pensé qu’il fallait qu’on lui envoyât les procès-verbaux des municipalités... Je demande qu’il soit décrété que M. le président se retirera devers le roi, pour le prier de rendre sur-le-champ une proclamation qui rappelle les décrets des 15 mars et 20 avril derniers, et enjoigne de nouveau, à tous ceux à qui il appartiendra, de tenir la main à leur exécution et de donner les ordres nécessaires pour que cette proclamation soit lue au prône. M. Bouche. Il est impossible de prendre une délibération sans entendre M. le garde des sceaux. Je demande qu’il soit mandé sur-le-champ a la barre. M. Moreau. Je dois relever une erreur du comité féodal : c’est à l’Assemblée seule qu’appartient l’interprétation de ses décrets. M. le vicomte de Noailles. Vous avez décrété que le pouvoir exécutif ne pouvait faire aucune loi, mais des proclamations , pour en or- §34 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1790. donner et en rappeler l’exécution. Le comité féodal a répondu, à notre demande, que le pouvoir exécutif devait être requis de faire une proclamation qui rappelât les dispositions des décrets des 15 mars et 20 avril derniers. Nous avons sollicité cette proclamation. Je demande si les députés ne sont pas en règle, si le comité féodal n’est pas en règle, si les ministres sont en règle 1 M. Thibault, curé de Souppes. Je suis du même district que M. de Noailles. Je connais les faits qu’il vous a présentés, et j’insiste sur la proposition qui vous a été faite de mander M. le garde des sceaux à la barre. Il me semble que la roclamation demandée en ce moment devrait tre générale pour tout le royaume. M. Merlin. Il faut lier ensemble ce qui regarde les dîmes ecclésiastiques et les droits de champart. Le comité des dîmes a un projet de décret à vous proposer. La discussion présente pourrait être ajournée à demain. M. d’André. Cette discussion a deux objets : 1° la proclamation à faire ou le décret à rendre : c’est sur cette partie que peut porter le renvoi ; 2° la faute du ministre : s’il est coupable, il faut le punir; pour le punir, il faut s’assurer s’il est coupable : pour s’en assurer, il faut l’entendre. On doit donc le mander à l’instant à la barre. M. Martineau. M. Merlin vient de nous dire que le comité des dîmes ecclésiastiques étudiait la question du champart et qu’il allait vous proposer un décret. Il en résulte que si vos décrets antérieurs doivent être changés, nous devons nous trouver heureux que la proclamation n’ait pas été faite. Je demande l’ajournement. (L’Assemblée ajourne cette affaire à demain.) Le sieur Thoque, serrurier de Versailles, offre en don patriotique une serrure dont il est l’inventeur, et déjà approuvée par plusieurs académies. L’Assemblée accepte le don patriotique. M. Giraud-Duplessis, membre du comité des rapports , rend compte de ce qui s’est passé à l'assemblée électorale du district provisoire de Guise. Il fait, ainsi qu’il suit, l’historique de cette affaire : L’Assembléenationalea décrété, le 6 février, que les électeurs du district provisoire de Guise statueraient, lors de leur première assemblée, sur la fixation du chef-lieu, et sur la réunion ou le partage, entre Guise et Vervins, des établissements résultant de la Constitution. Guise craignait de voir ses prétentions frustrées, car le plus grand nombre des administrés a intérêt à ce que Vervins soit le chef-lieu de l’administration. Quefit'On? On sema des bruits capables d’éloigner de l’assemblée électorale, qui devait se tenir à Guise, tous ceux qui pouvaient voter pour Vervins, et ces menées devaient assurer par là la prépondérance des votants pour Guise. Ces bruits firent naître des inquiétudes, et la majorité des électeurs réunis à Chauny, pour la fixation du chef-lieu de département, adressa une requête à l’Assemblée nationale, pour demander que les électeurs, au lieu de s’assembler à Guise, fussent réunis dans un lieu neutre. Cette requête était signée de 83 électeurs sur 131 dont l’assemblée électorale devait être composée. Une seconde requête aux mêmes finsi souscrite en présence de M . le commissaire du roi, fut adressée au comité de Constitution, ainsi qu’une pétition du corps administratif du département qui sollicitait le lieu neutre. M. de Viefville des Essarts, député du Ver-mandois et citoyen delà ville de Guise, s’opposa avec la plus grande chaleur à ce que l’Assemblée nationale fît droit sur la demande d’un lien neutre : il répondit, sur sa tête, que les élec-lecteurs, quels qu'ils fussent et quelque fût leur avis, n’éprouveraient pas la moindre violence à Guise. L’Assemblée nationale refusa le lieu neutre, et les électeurs, par respect pour le décret, se rendirent, malgré leur répugnance, malgré les craintes les plus légitimes, à l’assemblée électorale indiquée à Guise. Le lundi 7 juin, au matin, on alla au scrutin sur la fixation du cbef-lieu : 70 électeurs votèrent pour Vervins, 60 seulement pour Guise ; Vervins fut proclamé chef-lieu ; il était alors midi. Dès qu’on sut que la majorité était en faveur de Vervins, et avant que le procès-verbal pût être rédigé et signé, le peuple de Guise s’attroupa : les électeurs suspects d’avoir voté pour Vervins furent menacés; des victimes furent désignées, des atrocités annoncées. Le détail en a été mis sous les yeux du comité des rapports. Dès ce moment, l’assemblée électorale put être regardée comme dissoute. Une grande partie des électeurs qui avaient voté pour Vervins disparurent; d’autres furent contraints de rester. A sept heures du soir, les officiers municipaux firent annoncer que l’assemblée pouvait se réunir. Le peu d’électeurs qui n’avaient pu s’échapper de Vervins s’y rendirent; et là, le peuple étant encore attroupé, un électeur de Guise proposa d’annuler tout ce qui s’était fait le matin. La motion ne fut point contredite, et, sans aucune réclamation, on annula la délibération du matin. Le lendemain, on délibéra de nouveau sur la fixation du chef-lieu, et, à la majorité de 72 voix contre 2, Guise fut proclamé chef-lieu. Dans la même séance, la réunion des établissements en faveur de Guise fut arrêtée à la majorité de 72 voix contre une. On eut soin de faire insérer dans le procès-verbal que les électeurs étaient libres. Quelle liberté que celle qui assurait à Vervins 2 suffrages sur 70-qui lui avaient été donnés la veille ! On se disposait à nommer les membres du corps administratif et à consommer ainsi le complot qu’on avait déjà réalisé en partie, mais toute la province était en mouvement sur l’avis de ce qui s’était passé la veille. Un corps de troupe très considérable était aux portes de Guise, redemandant les électeurs qui y étaient retenus: on menaçait delà plus terrible vengeance la ville inhospitalière qui avait osé violer les droits les plus sacrés : il fallut céder. Les électeurs de Vervins eurent la permission d’aller se présenter à l’armée libératrice qui les réclamait. Le procès-verbal des différentes séances fut enfermé dans une boîte que le président scella de son cachet, et cette boîte fut déposée chez un notaire, à Guise. Tel est l'état des choses. La province entière demande une justice éclatante ; elle l’attend avec la plus vive impatience et l’Assemblée nationale ne laissera pas impuni l’attentat dont les électeurs ont failli être victimes, Sur le surplus, le comité propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu