2o5 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791.1 son mandataire ; ce qui at teste une concussion pour soi e de compte ( datio in soluturn), et non point une concession gratuit-'. Les mêmes membres du comité observèrent encore que l’acte d’investiture est terminé par une quittance donnée au roi par MM. de Ben-quet, et donnée même en des termes remarquables, puisque les concessionnaires déclarent que le péage qu’ils acceptent en payement de ce que le roi leur doit, est inférieur à ce qui par le roi est dû, et qu’ils espèrent que le roi s’en souviendra. Telles étaient les observations par lesquelles plusieurs membres du comité écartaient l’idée d’une concession gratuite. D’autres enfin observaient que, quand même la concession aurait été gratuite, la valeur n’en serait pas moins acquittable aujourd’hui par le Trésor public, puisque la nation a garanti cette concession par un traité solennel qui lui donna plusieurs provinces. Malgré ces considérations, le comité a pensé qu’il était de sa délicatesse de ne point prononcer lui-même sur cette liquidation. Quant à l’avis du directeur général des liquidations, il a estimé qu’il y avait lieu à indemnité, et que, conformément à l’article 36 du décret du 15 mars, le remboursement du péage de Sainte-Croix devait être fait sur les fonds destinés par l’Assemblée nationale à l’acquittement de la dette exigible. (L’Assemblée, après quelques débats, renvoie ce rapport aux comités central de liquidation et des domaines réunis.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret des sept comités réunis sur les événements relatifs à l'évasion du roi et de la famille royale (1). M. de La Rochefoucauld-Uaiicourt. Messieurs, hors du sein de cette Assemblée, mon attachement pour le roi excitera peut-être des préventions injustes contre l’opinion que je vais énoncer; mais ici, où j’espère être connu, je n’ai point à redouter un tel sentiment, et je parlerai avec la franchise et l’indépendance d’un homme libre et qui veut toujours l’être. Sans doute, le départ du roi est un tort grave, par les suites funestes qu’il pouvait avoir, que l’état de l’opinion publique pouvait faire redouter, mais que votre sagesse et la fermeté de la nation ont écartées. Personne ne peut contester celte vérité, non plus que celle de la Constitution, en recevant une adhésion plus généralement manifestée, en a reçu une plus grande force; mais j’aborde promptement la question, et je ne ferai entrer dans son examen aucune considération de politique étrangère, car je pense, comme le préopinant, que la justice, que la Constitution doivent seules être consultées. Deux choses sont à examiner dans la conduite du roi, que je sépare entièrement de ses conseils, et des projets qu’ils pouvaient recéler : sa sortie de Paris et son mémoire. On peut considérer cette conduite relativement à la prérogative de l’inviolabilité, et indépendamment de cette prérogative ; et, dans ce dernier examen, on doit consulter tour à tour la loi politique et la raison. Sous le rapport de l’inviolabilité, il ne serait pas même nécessaire de qualifier la conduite du roi, puisqu’il ne peut être ni poursuivi, ni jugé. Un roi non inviolable ne serait ni un roi héréditaire, ni un roi à vie, mais un roi d’un jour. Il y aurait bientôt autant d’interrègnes que d’accusations, autant de procès intentés au monarque que de factions i téressées à le faire descendre du trône. Et comment cet homme, dont l’immense responsabilité s’étendrait sur toutes les actions du gouvernement, sur dix mille actions émanées chaque jour de lui, ou prescrites par lui, servirait-il de barrière à l’anarchie, pouvant êire lui-même aussi facilement renversé? Ce n’est point là, Messieurs, l’esprit qui a dicté vos décrets. Le roi n’est déclaré inviolable que pour le mettre hors du cercle des factions qu’il est chargé de prévenir ou d’attaquer. Dans une Constitution bien ordonnée, le sceptre d’un roi est semblable au levier dont parle Archimède, l’inviolabilité en est le seul point d’appui. On a prétendu que cette haute prérogative n’est applicable qu’aux actes de la royauté, et non point aux actions privées du roi; mais on a dit une absurdité. S’il était important qu’un roi fût responsable, c’est surtout pour sa vie de roi, et non comme simple individu qu’il devrait l’être, puisque, dans le premier cas, se3 fautes ou ses erreurs, pouvant compromettre le salut de l’Etat, seraient bien plus redoutables; or, si on a cru, pour un intérêt plus grand encore, devoir mettre tous les actes de la royauté hor3 de la loi, en les contraignant par la responsabilité des ministres ; si, entre des inconvénients opposés, et tous d’un poids immense, on a pensé que celui de l’inviolabilité offrait moins de danger; comment nous persuadera-t-on que celte prérogative ne s’étend point aux actions privées, lorsque, tous les inconvénients de pousuivre et de juger un roi restant les mêmes, les avantages de cette périlleuse accusation seraient presque nuis? On aurait pu porter cette inconséquence dans nos lois, si le principe de l’inviolabilité n’avait été établi que pour le monarque ; mais n’oublions pas que c’est pour la Constitution seule et pour la sauvegarde de la paix publique, et contre les factieux, que la nation a établi le principe, je dirai presque le dogme de l’inviolabilité. Alors tout est expliqué, on a voulu rendre la royauté durable, on a voulu que cette clef de toute notre Constitution, si j’ose m’exprimer ainsi, fût mise hors de toute atteinte, parce qu’elle ne peut être ni ébranlée sans danger, ni arrachée sans les plus violentes secousses. Or, si l’inviolabilité ne s’étendait pas sans distinction à toutes tes actions du roi, comment la royauté serait-elle durable; aurait-on même une royauté? Je pourrais dire encore aux auteurs de cette prétendue distinction : Le roi est-il sorti de Paris comme roi? Sous ce rapport il est donc inviolable. Est-il sorti comme simple citoyen? Qui doute qu’alors il n’ait eu le droit de sortir? (Murmures.) Un des préopinants a fait hier plusieurs objections contre l’inviolabilité ; je crois avoir déjà répondu à quelques-unes, mais je vais tâcher d’y répondre encore. Quelques arguments sont dirigés contre l’inviolabilité en général, je ne m’y arrête pas : car, l’inviolabilité ayant été décrétée, il faut ou l’admettre ou attaquer la Constitution. Or, quelle idée se formerait-on de la sagesse de nos lois, si pour les défendre il fallait commencer par les violer? D’autres arguments sont fondés sur la distinction que l’on veut établir entre l’inviolabilité (1) Voy. ci-dessus, séance du 13 juillet 1791, p. 242. j 256 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791. J consiitutionnelle et l’inviolabilité personnelle. « Peu importe, dit-on, la première, elle est peu dangereuse parce qu’elle ne s’applique qu’aux actes pour lesquels le peuple a un garant sous la main; » mais il n’en est pas de même de la seconde. J’attaque cette distinction, et je n’ai besoin pour cela que de comparer ces deux sortes d’inviolabilité q'don veut opposer l’une à l’autre. Sans doute un ministre qui, par faiblesse pour.le roi, signerait un ordre contraire aux lois, présenterait à la vengeance publique un garant et une victime; sa punition effrayant ses successeurs et ses collègues préserverait la nation d’atteintes aussi funestes : et voiià l’objet de la loi de responsabilité. Mais le ministre puni, le roi qui lui aurait prescrit de signer cet ordre serait injugeable, il n’en serait pas moins coupable. Or, si l’inviolabilité constitutionnelle peut, de l’avis même de nos opposants, s’appliquer aux complots les plus odieux, parce qu’il existe une autre responsabilité, pourquoi ne s’appliquerait-elle pas aux délits personnels ? Si elle s’étend aux crimes, pourquoi pas aux fautes? Consultons nos décrets: l’inviolabilité a été décrétée sans distinction, et l’inviolabilité s’entend toujours d’une prérogative, non pour telle action, mais pour telle personne. Remontons encore au principe qui a forcé d’établir l’inviolabilité. On a voulu, pour donner de l’immuabilité au gouvernement, qu’un roi ne fût soumis qu’aux vicissitudes de la nature : on aurait voulu, s’il avait été possible, que cet bomme dont on a fait un roi, pût être éternel. On a donc mis dans une balance, d’un côté, tous les dangers d’une royauté chancelante, exposée aux attaques des passions, même aux attaques de la loi, et, d’un autre côté, tous les inconvénients d’une inviolabilité qui placerait une nation dans l’impuissance de punir un roi. Eli bienl de ces deux poids le premier l’a emporté. Les changements de règne et la faiblesse d’un monarque en butte à toutes les poursuites des factieux ont paru plus redoutables que les fautes dont un roi pourrait n’être pas exempt: on a préféré de s’exposer aux erreurs de la royauté, plutôt qu’à son avilissement : on a voulu surtout qu’un aussi grand pouvoir, non moins difficile à accorder qu’à retirer, pût être durable. Or, si tel est le principe de l’inviolabilité, et il ne peut pas y en avoir d’autre : il est évident qu’elle s’applique à tous les cas. Supposons une autre loi, et vous en connaîtrez les dangers par ses atfreux résultats. Un roi qui, sans doute, comme l’a dit hier l’opinant, n’est pas impeccable, commet un délit personnel; il est poursuivi : au défaut même de délit, deux calomniateurs l’accusent. S’il n’est pas hors de la loi, il est décrété de prise de corps : son innocence est-elle reconnue, bientôt un autre combat l’attend, la haine recherchera ses mœurs privées, se; actions publiques et l’ambition ne se découragera point par un seul revers. Qu’arrivera-t-il? On aura cru constituer un grand pouvoir, on n’aura établi qu’un fantôme. On aura adopté une monarchie héréditaire pour prévenir tous les dangers d’une royauté élective, et le roi qu’on se sera donné sera aussi facile à avilir qu’à détrôner. Non, telles ne peuvent être les conséquences de l’inviolabilité dont vous avez environné le trône, comme le seul moyen de l’affermir. Que ceux qui veulent une République attaquent cette inviolabilité, cela n’est pas étonnant : mais que du moins ils reconnaissent de bonne foi qu’ils veulent établir, par cela même, une Constitution différente de la nôtre. Mais je dois considérer la conduite du monarque, indépendamment des principes de l’inviolabilité. Je consulte d’abord la loi, ou plutôt je la cherche, et ne la trouve point. L’un de vos décrets annonce que le roi pourra se tenir éloigné de 20 lieues des séances du Corps législatif. Un second, prévoyant le cas où le roi sortira du royaume, prescrit une sommation pour l’y faire rentrer, et, sur son refus, prononce la déchéance à la couronne. Voilà donc l’alternative dans laquelle nous sommes placés. Ainsi, sans m’appuyer ici de ce que ces décrets ne sont ni acceptés, ni promulgués, et qu’ainsi ils ne font pas loi, je me borne à dire : ou ces deux décrets doivent être regardés comme des lois sur la conduite du monarque, ou bien il n’y a point de lois. Dans le premier cas, l’action du roi ne saurait être qualifiée de délit, n’étunt point sorti du royaume, étant prouvé qu’il ne voulait point en sortir, ne fut-il pas même prouvé qu’il ne voulait pas s’en éloigner, et l’éloignement de plus de 20 lieues n’emportant ni peine, ni déchéance. Dans le second cas il n’est plus même question de qualifier l’action du roi ; votre Constitution a appris à toute la terre, qu’à côté d’un délit, tout accusé doit trouver une loi, et une loi qui ait précédé l’action qu’il s’agit déqualifier, car nous ne sommes plus dans des siècles barbares où le tyran, quel qu’il fût, peuple, séDat ou roi, créait des peines, non pour les actions à venir, mais pour des actes connus, ne cherchait son code que dans son pouvoir et dans sa vengeance. Qu’aurait-on fait si le roi eût quitté les frontières? L’aurait-on sommé ou non de rentrer ? Et s’il eût déféré aux sommations, aurait-il cessé d’être roi? Je dirai encore : supposant que d’après la forme de nos jugementsdes jurés, chargés de prononcer sur le fait du roi, le déclarent exister tel que les comités l’ont présenté; là cesseraient leurs fonctions : un autre tribunal doit appliquer la peine d’après la loi. Quelle est donc la peine et où est la loi? Consultons maintenant la politique et la simple raison. L’état du roi, avant son départ, était connu de i’Europe entière, et il ne faut pas nous ne le dissimuler, cet état, sans doute nécessairement dépendant de la Révolution, n’était pas celui qui l’attendait après la Constitution achevée. Son séjour à Paris s’était toujours plus ou moins ressenti des motifs et des moyens qui l’y avaient amené, et qui entraînèrent l’Assemblée à se rapprocher de lui. Nous et lui avons eu besoin de résister à des orages communs; mais nous étions 1200 et il était seul. Mais nous étions environnés de la confiance du peuple, et le roi était exposé à tous les genres de malveillance. Mais, eu détruisant les abus, nous ne faisions connaître notre pouvoir que par des bienfaits, et le roi, chargé d’une périlleuse et difficile exécution, ne pouvait exercer qu’une autorité déjà décriée, et par des agents sans cesse attaqués. Cet état, sans doute, je le répète, nécessaire dans un temps de révolution, n’en existait pas moins réellement; cet état est connu. Peut-on donc appeler un grand crime le désir de le changer. Je ne vous dis pas d’être justes; vous l’êtes et vous le serez. Mais, pour ua événement qui doit s’étendre au loin, placez-vous un moment, Messieurs, hors de la sphère des mouvements qui nous environnent, et consultez aussi la voix de l’Europe, et celle de la postérité. Une chose manquait peut-être à notre éton- [14 juillet 1791.] 257 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nante Révolution, c’était la liberté entière du ro;, t uDe seule chose pouvait rendre notre Constitution éternelle, c’était que le roi, placé hors de Paris, pût rectifier librement son acceptation, et rentrer dans la capitale avec toute la liberté, avec toute la dignité d’un roi constitutionnel. ( Murmures à gauche.) Eh bien! le projet qui, dans l’opinion du roi, qui, dans son intention, tendait uniquement à ce but, doit-il donc être mis au rang de; crimes? Le roi avait dit lui-même, après l’arrestation du 18 avril, qu’il regardait sa liberté et sa sortie de Paris comme plus importantes à la nation qu’à lui-même; et vous reconnûtes cette vérité, et son discours, changé en proclamation, fut envoyé par vous dans tout le royaume. Il avait donc le droit de quitter Paris. Dira-t-on qu’il ne s’agissait point alors de s’éloigner à plus de 20 lieues? Cela est vrai, mais je demande si le roi aurait pu quitter Paris en plein jour, sans s’exposer à de nouveaux outrages? Je demande si, étant forcé de sortir pendant la nuit, il n’aurait pas été arrêté même en deçà de 20 lieues et partout cù il aurait été connu; je demande si l’agitation de Paris n’aurait pas été la même en supposant que le roi se fût arrêté à 20 lieues puisqu’on ignorait son éloignement et le lieu où il devait se rendre, quand des ordres ont été donnés d’arrêter ses pas. Il faut donc soutenir ou que le roi ne pouvait sortir qu’ostensiblement, et c’est dire qu’il ne le pouvait pas; ou qui! n’avait pas le droit de quitter la capitale, et vous aviez exprimé vous-mêmes un vœu contraire; ou bien il ne faut plus faire un crime au roi d’avoir outrepassé les 20 lieues, puisqu’il est évident, qu’après son départ forcément caché, il ne pouvait espérer trouver de sûreté qu’auprès des frontières. Mais le mémoire qu’il a laissé ne change-t-il pas toutes les idées qu’on aurait pu se former sur sa sortie de Paris? Au contraire, ce mémoire, que je suis loin d’approuver, confirme cependant et justifie toutes les idées, et les ennemis de la royauté voudraient bien que cette preuve écrite de l’intention du monarque n’existât point. Le roi certainement était libre lorsqu’il traçait cel écrit, et là sa volonté est tout entière. Il renferme des faits personnels au roi, des reproches contre la Constitution, et il indique le but que le roi vou'ait atteindre. Le récit des faits est exact, ii est même modéré. Je distingue, dans les plaintes contre les lois, la vérité ou la fausseté de ces plaintes, du droit qu’avait le monarque d’énoncer son opinion. Les plaintes sont exagérée-, mais sont-elles sans fondement? N’est-il pas reconnu par nous-mêmes que les moyens d’exécution ne sont pas complets? Et le roi a-t-il dit autre chose dans cette partie de son mémoire? Quant au droit de faire ce mémoire, je sais que le roi est forcé d’accepter la Constitution et que son examen ne peut porter que sur les lois? Mais, au moment même où je parle, la Constitution est-elle achevée à ce point; est-elle irrévocable dans tous ses détails qu’on puisse traiter de délit les observations qui auraient pour seul but l’espoir et le désir d’améliorer ces mêmes lois. Jugeons de l’écrit du roi par son objet. Le roj voulait profiter du moment de la révision des décrets, pour préparer des changements qu’il croyait utiles au peuple plus qu’à lui-même; il voulait surtout provoquer l’attention de tout le royaume sur la dernière, sur la plus importante partie de nos travaux. Mais observez, pour être justes, que le roi déclare expressément qu’il veut une Constitution, et une Constitution où tous lre Série. T. XXVJII. les pouvoirs soient séparés, et qui assure également la liberté et la paix publique. Observez que le roi ne parle de sa non-liberté que depuis le 5 octobre : que par conséquent toutes ses proclamations antérieures subsistent dans leur entier, ainsi que sa lettre du 18 septembre, danslaquelle il approuvait les décrets assez célèbres du 4 août; enfin observez que, dans son mémoire, il ne dit pas un seul mot contre la déclaraiion des droits ae l’homme, cette première base de toute Constitution libre, et où la nôtre se trouve tout entière. Il fait plus, il déclare qu’il reconnaît que ce n’est pas à lui à faire uneConstitution, mais seulement à ï accepter, et qu’il voulait une Constitution capable d’assurer à jamais la liberté publique. Louis XVI quittant Paris portait donc encore dans son cœur le désir, il nourrissait l’espoir du bonheur du peuple... (Murmures à gauche.) Un membre : Ah! cela est trop fort. M. de La Rochefoucauld-Liaiicourt.. . Louis XVI n’aspirait donc qu’à devenir un roi constitutionnel. Voyons maintenant si ce roi, dont il s’agit aujourd’hui déqualifier lacouduite, n’a rien fait, ni pour le peuple dont on n’a pas honte de dire qu’il a voulu faire couler le sang, ni pour cette Constitution qu’on l’accuse d’avoir voulu détruire. Ceux qui pensent encore au temps où sa volonté seule faisait la loi savent bien que sa modération mettait des bornes à sa puissance, que sa probité, redoutée des mauvais ministres, fut toujours un obstacle invincible aux projets qu’on ne pouvait pas lui déguiser sous l’apparence du bien public, enfin que sa conduite personnelle, pendant un règne de seize années, fut unecritique coolinu le des abus dont il était entouré. Une soudaine Révolution s’opère parmi nous ; mais il l’avait devancée, mais il l’avait d’abord secondée de toi; t son pouvoir, et si dans la suite il en a redouté le résultat, s’il en a vu les dangers pour le peuple avec une exagération qui a motivé son départ, je vois son erreur, mais je ne vois pas ses torts. C’est à regret que je cherche à comparer des époquesjsi dissemblables, quoique si rapproch es, une distance incommensurable les sépare. Ce roi, flétri par les calomnies de tous les hommes exa!- tés, n’est plus roi que pour les bons citoyens, qui savent braver les menaces des factieux ; c’est lui qu’on attaque, mais c’est à la royauté qu’on en veut (Murmures à gauche. — Applaudissements à droite.); c’est à cette sorte de tyrannie, dont la multitude est l’instrument, qu’aspirent aujourd’hui les factieux pour qui les troubles et la guerre intestine sont peut-être des moyens désirés, c’est par la chute d’un seul que, dans les calculs de leur intérêt personnel, ils espèrent bientôt ne plus trouver d’égaux. Mais, Messieurs, votre courage, votre sagesse ont surmonté tous les obstacles qui jusqu’ici se sont présentés en foule à vos travaux, et fidèles à la Constitution que vous avez faite, et que toute la France a jurée avec vous, vous sautez déjouer tous les projets qui l’attaquent. J’appuie le projet du comité. M. Ricard. Messieurs , l’intérêt national exige que le plaidoyer de M. le grand-maître de la garde-robe du roi... (Murmures à gauche.) Plusieurs membres à gauche : A l’ordre, Monsieur ! Cela est abominable ! 17 258 [14 juillet 1791-J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] M. Martineau. Je demande que M. Ricard soit rappelé à l’ordre. M. Ricard. Je demande, dis-je, l’impression du mémoire de M.de Liancourt et la distribution, lorsqu’il s’agira de l’éligibilité des age nts du pouvoir exécutif. ( Murmures à gauche ; quelques applaudissements.) Un membre : Il n’y a pas de réponse à faire à une demande aussi indiscrète et aussi indécente. M. de Lia Rochefoucauld-Liancourt. J’a-vais lieu d’espérer... A droite : Gela ne mérite pas de réponse. M. de La Rochefoucauld-Liancourt... que ma conduite à l’Assemblée pourrait me mettre à l’abri d’une pareille... — je ne sais comment qualifier ce fait — d’une pareille... diatribe. (Murmures.) M. Tuaut de La Rouverte. A l’ordre du jour! Nous avons une affaire bien plus importante. M. de La Rochefoucauld-Liancourt. Quoi qu’il en soit, Monsieur le Président, l’attachement pour quelqu’un parce qu’il est malheureux... (Bruit . ) Ou j’ai dit des raisons, ou je n’en ai pas dit. On va monter à la tribune après moi : si j’ai dit des raisons, il faut y répondre ; si je n’en ai pas dit, il est encore bien plus facile de le faire. M. Poutrain. A l’aide du principe de l’inviolabilité, les comités nous proposent de déclarer que le roi ne peut pas être mis en cause. J’ignore à quelle conséquence funeste pour la liberté on peut nous conduire avec un pareil système; j’ignore si, après un pareil décret, il nous restera encore quelques moyens pour affaiblir en ses mains le terrible moyen de corrompre que lui donne une liste civile de 30 millions... (Applaudissements d'une partie de la gauche et des tribunes.) ...s’il nous sera possible d’empêcher le roi de metti e un second Galonné à la têie des finances, et un second Bout lié à la tête des armées. Si les comités pensent que tous ces moyens doivent lui être laissés, qu’ils nous disent franchement qu’ils veulent j ter un voile funèbre sur la liberté française. (Les applaudissements redoublent.) Je demande que du moins ils nous présentent, dans un seul et même projet de décret, l’ensemble de leurs vues sur le sort du roi, et qu’ils n’oublient pas que Monsieur n’est pas inviolable par la Constitution. (Murmures et applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! Plusieurs autres membres : L’ordre du jour ! M. Prieur. Sur la proposition faite par le préopinant, on demande l’ordre du jour. M. d’André a la parole, je la réclame après lui. M. d’André. Je ne demande pas que l’on passe à l’ordre du jour, mais simplement que la discusMon continue. Le préopinant a fait une motion incidente qui sera discutée dans i’ordre de 1a. parole. M. le Président. La parole est à M. Vadier. M. Vadier. Messieurs, le décret que vous allez rendre va décider du salut ou de la subversion de l’Empire. 11 faut donc recueillir tout ce que la liberté peut inspirer d’énergie aux âmes droites et vertueuses dans le calme de la sagesse et de la raison. Le vrai moyen de secours contre la rouille des préjugés est de triompher de l’intrigue, d’obéir au cri véridique de sa conscience, et de n’avoir en vue que le salut du peuple, qui vous a accordé sa confiance. Un grand crime a été commis, c’est sur de grands criminels que vous avez à prononcer, l’univers vous regarde et la postérité vous attend. (Applaudissements ) En un instant, vous allez perdre ou consolider à jamais vos travaux et votre renommée. La question que vous agitez est de savoir si un roi peut être jugé; mais il en est une préliminaire à celle-là. Un roi parjure et fugitif, un roi qui déserte lâchement son poste pour paralyser le gouvernement, pour nous livrer à toutes les horreurs de la guerre civile et de l’anarchie, un roi qui emmène dans sa fuite l’héritier présomptif de la couronne, qui va se jeter dans les bras d’un traitre, d’un parricide qui assassine à la fois sa patrie et son roi (Applaudissements.), un monstre qui voulait arroser de sang (Vifs applaudissements.) la terre hospitalière qui l’a rassasié de ses faveurs; un roi qui, dans un manifeste perfide, a osé déchirer votre Constitution, qui a renoncé par conséquent au trône qu’elle lui avait déféré, un tel homme peut-il être encore qualifié du titre glorieux de roi des Français ? Un membre à gauche : Non ! M. Vadier. C’est sur cette question que j’invoque d’abord et la noblesse de votre âme et la délicatesse de vos sentiments; c’est là-dessus que j’appelle le vœu de la nation entière. Si Louis XVI a Uansgressé la Charte constitutionnelle, s’il a violé le serment qu’il a prêté à la face de la nation, il est bien superflu sans doute de s’occuper de la question de l’inviolabilité, puisqu’elle ne repose plus sur sa tête depuis l’abdication volontaire et coupable qu’il a faite de sa couronne. Mais je veux bien me prêter à la supposition, je veux bien croire qu’il est entouré d’une inviolabilité. Ne serait-ce pas une fiction monstrueuse de donner à cette étonnante prérogative la latitude qu’on vous propose ? Votre Constitution rend le roi irresponsable, sans doute, comme premier fonctionnaire public, de tous les actes administratifs de la royauté, et cette fiction, aussi ingénieuse que favorable, ne peut nuire à la liberté publique, parce qu’elle est corrigée par la responsabilité des ministres. Mais aucun de nous peut-il entendre, par exemple, qu’un brigand couronné... (Tumulte. — Vives réclamations à droite. — Applaudissements à gauche.) A droite : A l’ordre! à l’ordre 1 M. Routtcville-Dumetz . Il n’a aucun tort, il n’a pas parlé de Louis XVI. Un membre de droite s’approche de la tribune et menace l’orateur. M. Vadier. Monsieur le Président, Monsieur m’insulte; rappekz-le à l’ordre. M. le Président. Messieurs à droite, vous ne [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791.) devez pas interrompre l’opinant; il ne parle que d’une supposition. M. Vadler. Je n’ai pas entendu parler du roi ; ce que j’ai dit est une supposition. M. le Président. C’est ce que j’ai dit. (Bruit.) Messieurs, je dois prévenir l’As-emblée que la municipalité de Paris envoie une députation pour chercher celle de l’Assemblée nationale qui doit assister au Te Deum, en l’honneur du 14 juillet, et qu’elle est à la porte: ainsi le cortège est prêt. (Les membres de la députation quittent la salle.) M. Vadier. C’est une hypothèse que je fais, et ce n’est que vous ( s'adressant à la droite ) qui pouvez l’appliquer au roi; en conséquence je répète ma phrase : aucun de nous a-t-il pu entendre, par exemple, qu'un brigand couronné pût impunément tuer, incendier, conspirer, appeler les satellites étrangers dans nos frontières, répandre partout la désolation et le carnage? Une telle monstruosité dans nos lois serait un véritable poison, un germe pestilentiel qui enfanterait des Néron, des Sardanapale... Un membre : Il a raison. M. Radier. Ce n’est pas là, Messieurs, l’esprit des décrets :il n’y a que l’Etre Suprême qui soit impeccable et impassible; mais un roi est un homme comme les autres, et un ho nme ne peut être au-dessus, ni plus que la loi. Mais qu’il me soit permis de faire une question à ceux qui osent proposer un semblable parti. Dès qu’il s’agira de faire exécuter la loi contre les conspirateurs de la pa rie, au nom de qui appliquerez-vous la loi? Sera-ce au nom d’un transfuge, d’un parjure?... Je m’arrête, mais j’ose vous prédire qu’une nation fière et généreuse ne pourra voir de saug-froid ce renveisement monstrueux; j’ose vous prédire qu’on n’accoutumera pas le Français à ce genre d’ignominie. (Applaudissements à Tex-trême gauche.) N’est-ce pas assez d’avoir déployé sur la tête de ce privilégié toute la munüiceuce de la nation, d’y avoir accumulé le tribut de 10 à 12 départements, de l’avoir investi d’un or corrupteur qui peut pestiférer toute votre législation et empoisonner les sources de votre prospérité politique? N’est-ce pas assez d’avoir accumulé dans les mêmes mains les emplois honorables et lucratifs de l’armée, de la marine, des finances et des tribunaux? N’est-ce pas assez d’avoir passé avec une cruelle loyauté sur L s déprédations incroyables des courtisans qui ont profité de sa faiblesse, d’avoir sauvé son règne et sa renommée de la banqueroute infaillible qui allait éclater? Eh bien, Messieurs, on ose encore vous accuser de parcimonie, lorsque vous lui donnez des sommes qui suffiraient à tous les potentats de l’Europe réunis, des palais magnifiques et multipliés, dont le luxe et le faste asiatique contrastent avec le règne de l’égalité:... Un membre à droite : Ce n’est pas vrai ! M. Vadier. Tous ces éléments de dépravation ne sauraient suffire à un individu royal ; le sang et la sueur de 3 ou 4 millions d’hommes peuvent à peine le substanter, et on a le courage 250 d’argumenter de pareils titres pour justifier sa coupable évasion ! Je ne retracerai point ici tous les projets désastreux qui ont signalé, en caractères de sang, la perfidie du conseil qui l’entoure, ni cette armée, ni cette artillerie foudroyante dont on avait investi nos séances, ni res accaparements sinistres qui avaient pour but d’ajouter la famine à la guerre. Il faut jeter un voile religieux sur tomes ces horreurs, mais il faut en faire son profit. Je dis qu’il faut eu faire son profit pour l’événement présent. Le fil de ces machinations jette un jour sur les mystères d’iniquité qui vous restent à débrouiller. Un membre à droite : Vous parlez comme M. Murat. M. Vadler, montrant le côté droit. Ces Messieurs me disent qne je parle comme Marat; c’est que j’aime la liberté, moi ! Messieurs, je fréquente peu la tribune; je ne vous ennuierai pas par de longs discours. A droite : Tant mieux. M. Vadier. Mon patriotisme est connu comme ma franchise, et je n’ai d’autre éloquence que celle du cœur. (Applaudissements à gauche. — Murmures à droite.) Mais, dans une oc -adon où il s’agit du salut de l’Etat, je dois mon opinion â mes commettants, je la dois à la naiion entière, je l’exposerai comme elle est, au péril de ma vie; mon honneur, ma conscience m’en font une loi et je vais le faire en deux mots. Lanation a mis sa confiance en vous; c’est eu vous seuls qu’elle a mis sa seule expérience; elle veut être vengée des ennemis qu’elle a dans son sein. Vous connaissez son vœu : il vous parvient de toutes parts. Si vous tergiversez, si des considérations vous arrêtent, achevez la Constitution, rendez aux corps électoraux l’activité que vous leur avez ôtee, cédez bien vite votre poste à vos successeurs; mais gardez-vous de vous charger d’une absolution qui ne peut que flétrir votre gloire. Il est temps, Messieurs, de rendre à la nation un dépôt que nos mains dé-bileset fatiguées ne pourraient plus longtemps soutenir; ne perdez pas, par une clémence qui serait criminelle, la gloire que des travaux immortels nous ont méritée. Notre plus douce récompense sera de redevenir simples citoyens et de jouir au sein de nos familles des douceurs du repos et de l’égalité. Je conclus donc à ce que les fauteurs et instigateurs de l’attentat commis le 21 juin soient envoyés à la haute cour nationale provisoire d’Orléans, pour être jugés suivant la rigueur des lois; que l’activité soit rendue sur-le-champ aux corps électoraux, et qu’il soit incessamment nommé par eux une G invention nationale, pour prononcer sur la déchéance que Louis XVI a encourue par son parjure et par sa fuite. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et dans les tribunes.) M. Prugnon. Nous n’avons pas à examiner quelles formes il convient de donner au pouvoir exécutif, et s’il faut le déposer dans une seule maiu ou dans plusieurs. Eu décrétant un gouvernement essentiellement représentatif, nous avons voulu, en même temps, l’unité individuelle du pouvoir exécutif, et c’est sous ce point de vue que notre gouvernement conserve le nom de monarchique; l’exercice de ce pouvoir appar- 2£0 [Assemblée cationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 114 juillet 1791.1 tient à celai qui en était le dépositaire le 20 juin dernier, et notre Constitution est aujourd’hui ce qu’elle était alors. Nous n’avons pas à examiner davantage si la liste civile est trop forte, si elle peut donner au monarque le pouvoir de corrompre ou de conspirer. Ce moment viendra si l’Assemblée l’ordonne. Aujourd’hui c’est la question de l’inviolabilité qui est en discussion et c’est dans cette question que je me renferme sévèrement : Le roi était-il inviolable? A-t-il cessé de l’être? Le roi n’a pas cessé d’être inviolable, parce qu’il n’a pas forfait à la Constitution. L’inviolabilité n’est pas purement relative, elle est absolue; et sans vouloir établir ici une superstition roya-lique, ie crois qu’on ne peut la soumettre ni à l’analyse ni aux exceptions. Comment eût été accueillie, en 1789,1a proposition de diviser la responsabilité, divisibilité que l’on peut à peine saisir de la pointe de l'imagination ? Je mets ae côté l’idée du respect qui ne doit jamais cesser un seul instant d’environner le chef de la nation. Je dis que l’inviolabilité relative serait illusoire. Tout ce qui émane du chef de la nation est sans effet tant qu’il n’est pas contre;-igDé de ses ministres; il ne peut rien sans eux : ne serait-il donc pas ridicule de déclarer que celui qui ne peut rien n’est pas garant et qu’il est inviolable pour ce qu’il r,e fait pas ou pour ce qu’il n’est pas censé faire? Quel a été le motif de l’inviolabilité? C’est que le roi, c’est que le pouvoir royal qui est inséparable de lui, ne peut être jugé, parce qu’aucun pouvoir établi par la Constitution ne peut être mis en jugement; parce que la personne du roi est indivisible, et qu’étant nécessairement sacrée sous un rapport, elle doit l’être sous tous. Si le roi est l’image la plus sensible de la majesté nationale, quand l’inviolabilité ne serait pas nécessaire pour imprimer un juste respect au peuple, le repos seul de l’Empire le commanderait. S’il n’était pas inviolable, il serait un magistrat comme un autre et il faut qu’il soit un magistrat à part, parce qu’il a un pouvoir à lui seul. À côté de l’inviolabilité, que l’on appelle impunité royale, que voit-on ou que veut-on voir? L’assassinat possible des citoyens. C’est une belle région que celle des hypothèses; je la détruis eu disant : Un roi assassin est un insensé ; et le cas est prévu, car l’insensé est puni. Combien, dans 10 ou 20 siècles, compte-t-on de princes qui aient commis des assassinats particuliers? Le roi est revêtu de l’autorité royale : comme insensé, il y a déchéance; mais jusque-là il est im-punissable comme la loi, il ne peut être accusé que pour un délit qu’il aurait commis depuis le moment où il aurait été rendu à sa qualité et à son rang de citoyen. D’ailleurs, où le roi m’attaquera corps à corps, d’individu à individu; alors il est à mou niveau, il est un agresseur comme un autre et j’use contre lui de ma force individuelle comme j’en userais contre un autre. (Murmures.) Je suis alors dans le cas de la défense naturelle. La loi est portée pour ce cas et le roi n’est pas excepté de la loi. Si au contraire il emploie des scélérats contre moi, alors ils sont punissables comme tous autres. Mais, a-t-on dit, les ministres de la justice, les juges ne sont point inviolables; pourquoi le roi qui n’est qu’un citoyen couronné le serait-il? 1° La justice n’est point un pouvoir proprement dit; 2° les juges ne sont pas toute la justice : tandis que le roi est toute la royauté; 3° la royauté est une magistrature unique et suprême qui est hors de toute comparaison, et qui sous ce rapport fait une exception à toutes les règles, parce qu’il est de son essence de la faire. Mais, ajoute-t-on, les Néron, les Caligula, seraient donc inviolables? Restons, je vous en prie, dans la Constitution; car, si nous en sortons, il n’y a plus à raisonner. Or, dans un gouvernement pareil, peut-il y avoir des Néron, des Caligula? Les Romains, tout esclaves qu’ils étaient, ont fini par tuer Néron et, je le dis en frémissant, ses forfaits leur en avaient donné l’horrible droit. Mais un roi peut être déclaré déchu? — - Oui dans le cas ou la déchéance est prononcée, et alors il n’y a point de jugement; le Corps législatif déclare seulement l’existence du fait; la loi, par la main de l’Assemblée nationale, lui reprend la couronne dans le cas où elle l’a déclaré indigne de la porter. Au reste, c’est épuiser à plaisir la classe des impossibles. La maxime, j’en conviens, cesse lorsque le roi viole la Constitution, parce qu’il n’est plus roi, il devient un ennemi et plus qu’un ennemi ordinaire. Louis XVI l’a-t-il violée? Sa fuite n’est pas la moindre de ses fautes, mais entre une faute et un crime il y a bien quelque intervalle. Votre Constitution prévoit le cas de l’absence et de l’évasion du monarque (et en matière pénale, il n’y a pas de décision de circonstances); que veut votre loi constitutionelle? Qu’un roi qui abandonne ses fonctions et passe à l’étranger soit invité de rentrer, et que, s’il ne se rend pas à l'invitation, il demeure déchu. Le motif en est palpable, c’est qu’alors sonrefusvautabdication.il n’y a délit que lorsqu’il y a refus, puisque s’il rentre la loi feint qu’il n’est pas sorti et elle comble la distance qu’il y a entre une époque et l’autre; elle suppose que le trône n’a pas été vacant, même de fait. Elle n’a même encore rien prononcé pour les cas ou le roi s’éloignerait de plus de 20 lieues de la législature. Rapprochons de cette loi la conduite du monarque. Dans le fait, il n’est pas sorti; en le citant au tribunal des conjectures, il n’est nas même bien établi qu’il voulait sortir ( Murmures. ), et dans le doute, le plus doux est celui qu’il faut embrasser, car certainement il a bien le droit qu’a tout autre citoyen. Mais ie le suppose au delà des frontières. Le délit �existerait pas encore, ou il ne serait tout au plus que commencé. Deux choses seraient nécessaires pour le constater et pour le punir : l’invitation, le refus. Où cela est-il? Je ne le vois pas. Dans cetle circonstance, nous devons être moins b s arbitres que les interprètes de la volonté nationale librement exprimée. Je dirai à ceux qui voudraient nous conduire, et je respecte leurs intentions, à un autre mode de gouvernement : Si l’on ne tient plus à la personne du monarque, dans ce moment une partie de la nation tient à la monarchie par civisme, par principe. La position où se trouve la France, le caractère même des Français, leurs vertus mêmes demandent une chef. Et si la religion, suivant Montesquieu, a sa racine dans le cœur de ceux qui habitent l’Empire, il fauta la nation une monarchie constitutionnelle comme il.lui faut un Evangile. (Murmures.) Mais, objecte-t-on, que répondrez-vous à l’adresse aux Français? Je ne qualifie pas re procédé et je ne viens pas certainement le justifier directement; je viens présenter les considérations [14 juillet 1791 J 261 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. qui, selon moi, peuvent l’adoucir. D’abord ce sont des reproches, des doléances plutôt qu’un manifeste (Murmures.) et surtout ce n’est pas une abdication : c’est une explication. Quand le peuple sort des limites, nous disons tous, non sans raison, qu’il est égaré. Les rois sont-ils exposés à moius de séductions que les peuples? La vérité, c’est que le roi était environné de terreurs. La peur ne raisonne pas; et il serait trop dur de le juger sévèrement. La peur fuit, mai-elle ne renverse rien ; et il y a loin du roi qui a peur à celui qui détruit. (Murmures.) Enfin, celui qui est faible est toujours à la veille de faire des fautes ; et quand vous avez déclaré d’une manière indéfinie la personne du roi des Français inviolable et sacrée, vous avez bien prévu sans doute qu’il y aurait des rois faibles; mais cette considération ne vous a pas fait oublier ue le roi était non pas un individu, mais un es pouvoirs établis par la Constitution. Si sa personne pouvait cesser d être inviolable, il serait à la fois roi et ne le serait pas, ou plutôt la liberté serait violée. Je vais plus loin et je dis que, dans un sens, vous avez à vous féliciter de l’erreur de ce prince, puisqu’elle a donné occasion au peuple français de déployer cette dignité silencieuse et ferme qui, jusqu’ici, lui avait semblé étrangère; puisqu’elle a hâté l’uniforme et majestueuse expression du vœu de la grande famille ; puisqu’elle a fait retentir jusqu’à Saint-Pétersbourg cette grande vérité, que ce n’est plus pour une douzaine d’hommes appelés rois que les peuples de l’Europe sont faits ; puisqu’elle a appris à Louis XVI que la première gloire d’un roi est de commander à des hommes libres, et que les restitutions faites à la nature humaine ne sont pas des vols faits à la royauté. Sous l’ancien et monstrueux gouvernement se réalisait la comparaison d’ut! Anglais célèbre, qui di ait que le gouvernement d’un seul était comparable à une pyramide assise sur sa pointe. Aujourd’hui la nation a repris sa place, l’édifice de la Constitution s’achève; mais l’unique clef de cette magnitique voûte, c’est un trône constitutionnel entouré de l’inviolabilité. Si jamais nation eût besoin d’une autorité centrale, et vraiment exécutive, d’une puissance qui ne connaisse pas l’inertie, c’est assurément la nation française de 1791, et si l’inviolabilité n’existait pas, ce serait pour notre position qu’il faudrait l’inventer. J’appuie donc l’avis des comités. (Applaudissements.) M. Robespierre. Messieurs, je ne veux pas répondre à certain reproche de républicanisme qu’on voudrait attacher à la cause de la justice et de la vérité; je ne veux pas non plus provoquer une décision sévère contre un individu; mais je vais combattre des opinions dures et cruelles pour y substituer des mesures douces et salutaires à la cause publique; je viens surtout défendre les principes sacrés de la liberté, non pas contre de vaines calomnies qui sont des hommage, mais contre une doctrine machiavélique dont les progrès semblent la menacer d’une entière subversion. Je n’examinerai donc pas s’il est vrai que la fuite de Louis XVI soit le crime de M. de Bouillé, de quelques aides de camp, de quelques gardes du corps et de la gouvernante du fils du roi ; je n’examinerai pas si le roi a fui volontairement de loi-même, ou si de l’extrémité des frontières un citoyen l’a enlevé par la force de ses conseils ; je n'examinerai pas si les peuples en sont encore aujourd’hui au point de croire qu’on enlève les rois comme les femmes (Rires et murmures.); je n’examinerai pas non plus si, comme l’a pensé M. le rapporteur, le départ du roi n’était qu’un voyage sans objet, une absence indifférente, ou s’il faut le liera tous les événements qui ont pré-cé lé; s’il était la suite ou le complément des conspirations impunies, et par conséquent toujours renaissantes, contre la liberté publique; je n’examinerai pas même si la déclaration siguée de la main du roi en explique le motif, ou si cet acte est la preuve de cet attachement sincère à la révolution que Louis XVI avait professé plusieurs fois d’une manière si énergique; je veux examiner la conduite du roi, et parler de loi comme je parlerais d’un roi de la Chine. Je veux examiner avant tout quelles sout les bornes du principe de l’inviolabilité. Le crime légalement impuni est en soi une monstruosité révoltante dans l’ordre social, ou plutôt il est le renversement absolu de l’ordre social. Si le crime est puni par le premier fonctionnaire public, par le magistrat suprême, je ne vois là que deux raisons de plus de sévir : la première, que le coupable était lié à la patrie par un devoir plus saint; la seconde, que, comme il est armé d’un grand pouvoir, il est bien plus dangereux de ne pas réprimer ses attentats. Le roi est inviolable, dites-vous ; il ne peut pas être puni, telle est la loi... Vous vou3 calomniez vous-mêmes ! Nod, jamais vous n’avez décrété qu’il y eût un homme au-dessus des lois; un homme qui pourrait impunément attenter à la liberté, à l’existence delà nation, et insulter paisiblement, dans l’opulence et dans la gloire, au désespoir d’un peuple malheureuxet dégradé I Non, vous ne l’avez pas fait; si vous aviez oséporterune pareille loi, le peuple français n’y aurait pas cru, ou un cri d’indignation universelle vous eût appris que le souverain reprenait ses droits. Vous avez décrété l’inviolabilité ; mais aussi, Messieurs, avez-vous jamais eu quelques doutes sur l’intention qui vous avait dicté ce décret? Avez-vous jamais pu vous dissimuler à vous-mêmes que l’inviolabilité du roi était intimement liée à la responsabilité des ministres; que vous aviez décrété l'une et l’autre, parce que dans le fait vous aviez transféré du roi aux ministres l’exercice réel delà puissanceexécutive.etque, les ministres étant les véritables coupables, c’était sur eux que devaient porter les prévarications que le pouvoir exécutif pourrait faire? De ce système il résulte que le roi ne peut commettre aucun mal en administration, puisqu’aucu i acte du gouvernement ne peut émaner de lui, et que ceux qu’il pourrait faire sont nuis et sans effet, que d’un autre côté, la loi conserve toute sa puissance contre lui. Mais, Messieurs, s’agit-il d’un acte personnel à un individu revêtu du litre de roi? S’agit-il, par exemple, d’un assassinat commis par cet individu? Cet acte est-il nul et sans effet, ou bien ya-t-il là un ministre qui signe et qui réponde? Mais, nous a-t-on dit, si le roi commettait un crime, il faudrait que la loi cherchât la main qui a fait mouvoir son bras... Mais si le roi, en sa qualité d’homme, et ayant reçu de la nature la faculté du mouvement spontané, avait remué son bras sans agent étranger, quelle serait donc la personne responsable? Mais, encore a-t-on dit, si le roi poussait les choses à certains excès, on lui nomm rait un régent... Mais, si on lui nommait un régent, il serait encore roi ; il serait donc encore investi du privi lège 262 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |14 juillet 1*791.] de l’inviolabilité; que les comités s’expliquent donc clairement, et qu’ils nous disent si dans ce cas le roi serait encore inviolable? La meilleure preuve qu’un système est absurde, c’est lorsque ceux qui le proïes-ent n’oseraient avouer les conséquences qui en résultent. Or, c’est à voi s, je le demande, vous qui soutenez ce système avec tant d’énergie, si un roi dépouille par la force la veuve et l’orphelin ; s’il engloutit dans ses vastes domaines la vigne du pauvre et le champ du père de -famille; s’il achète les juges pour conduire le poignard des lois dans le sein de l’innocf-nt, la loi lui dira-t-elle : Sire, vous l’avez fait sans crime ; ou bien vous avez le droit de commettre impunément tous les crimes qui paraîtront agréables à Votre Majesté! Législateurs, répondez vous-mêmes sur vous-mêmes. Si un roi égorgeait votre fils sous vos yeux (Murmures.), s’il outrageait votre femme et votre fille, lui diriez-vous : Sire, vous usez de votre droit; nous vous avons tout permis!... Permettriez-vous au citoyen de se venger? Alors vous substituez la violence particulière, la justice privée de chaque individu à la justice calme et salutaire de la loi; et vous appelez cela établir l’ordre public, et vous osez dire que l’inviolabilité absolue est le soutien, la base immuable de l’otdre social ! Mais, Messieurs, qu’est-ce que toutes ces hypothèses particulières, qu’est-ce que tous ces forfaits auprès de ceux qui menacent le salut et le bonheur du peuple? Si un roi appelait sur sa patrie toutes les horreurs de la guerre civile et étrangère; si, à la tête d’une armée de rebelles et d’étrangers, il venait ravager son propre pays, et ensevelir sous ses ruines la liberté et le bonheur du monde entier, serait-il inviolable? Le roi est inviolable ! Mais vous l’êtes aussi, vous! Mais avez-vous étendu cette inviolabilité jusqu’à la faculté de commettre le crime? Et oserez-vous di; e que les représentants du souverain ont des droits moins étendus pour leur sûreté individuelle que celui dont ils sont venus restreindre le pouvoir, celui à qui ils ont délégué, au nom de la nation, le pouvoir dont il est revêtu ? Le roi est inviolable! refais les peuples ne le sont-ils pas aussi? Le roi est inviolable par une fiction ; les peuples le sont par le droit sacré de la nature; et que faites-vous m couvrant le roi de l’égide de l’inviolabilité, si vous n’immolez l'inviolabilité des peuples à celle des rois ! ( Applaudissements à l'extrême gauche.) Il faut en convenir, on ne raisonne de cette manière que dans la cause des rois... Et que fait-on en leur faveur? Rien; mais on fait tout contre eux ; car, d’abord, en élevant un homme au-dessus des lois, en lui assurant le pouvoir d’être criminel impunément, on le pousse, par une pente irrésistible, dans tous les vices et dans tous les excès; on le rend le plus vil et, par conséquent, le plus malheureux des hommes; on le désigne comme un objet de vengeance personnelle à tous les innom nts qu’il a outragés, à tous les citoyens qu’il a per-ëcutés; car la loi de la nature, antérieure aux lois de la société, crie à tous les hommes que lorsque la loi ne les venge point, ils recouvrent le droit de se venger eux-mêmes ; et c’est ainsi que les prétendus apôtres de l’ordre public renversent tout jusqu’aux principes du bon sens et de l’ordre social ! On invoque les lois pour qu’un homme pui se impunément violer les lois I on invoque les lois pour qu’il puisse les enfrei idre ! O vous qui pouvez croire qu’une telle supposition est problématique, avez-vous réfléchi sur la supposition bizarre et désastreuse d’une nation qui serait régie par un roi criminel de lèse-nation ! Combien ne paraîtrait-elle pas vile et lâche aux nations étrangères celle qui leur donnerait le spectacle scandaleux d’un homme assis sur le trône pour opprimer la liberté, pour opprimer la vertu! Que deviendraient toutes ces fastueuses déclamations avec lesquelles on vient vanter sa gloire et sa liberté ! Mais au dedans quelle source éternelle et horrible de divisions, où te magistrat suprême est suspect aux citoyens! Comment les rappellera-t-il à l’obéissance aux lois contre lesquelles il s’est lui-même déclaré? Comment les juges pourront-ils rendre la justice en son nom? Comment les magistrats ne seront-ils pas tentés de se couvrir le visage par pudeur lorsqu’i s condamneront la fraude et la mauvaise foi au nom d’un homme qui n’aurait pas respecté sa foi? Quel coupable sur l’échafaud ne i outra lias accuser cette étrange et cruelle partialité des lois qui met une telle distance entre le crime et le crime, entre un homme et un homme, entre un coupable et un homme bien plus coupable encore? Messieurs, une réflexion bien simple, si on ne s’obstinait à l’écarter, terminerait cette discussion. On ne peut envisager que deux hypothèses en prenant une résolution semblable à celle que je combats : ou bien le roi que je supposerais coupable envers une nation conserverait encore toute l’énergie de l’autorité dont il était d’abord revêtu, ou bien les ressorts du gouvernement se relâcheraient dans ses mains. Dans le premier cas, le rétablir dans toute sa puissance n’est-ce pas évidemment exposer la liberté publique à un danger perpétuel? Et à quoi vouez-vous qu’il emploie le pouvoir immense dont vous le revêtez si ce n’est à faire triompher ses passions personnelles, si ce n’est à attaquer la liberté et les lois, à se venger de ceux qui auront constamment défendu contre lui la cause publique ? Au contraire, les ressorts du gouvernement se relâchent-ils dans ses mains, alors les rênes du gouvernement flutteut nécessairement entre les mains de quelques factieux qui le serviront, le trahiront, le caresseront, l’intimideront tour à tour pour régner sous son nom. Messieurs, rien ne convient aux factieux et aux intrigants comme un gouvernement faible : c’est seulement sous ce point de vue qu’il faut envisager la question actuelle : qu’on me garantisse contre ce danger, qu’on garantisse la nation de ce gouvernement où pourraient dominer les factieux, et je souscris à tout ce que vos comités pourront proposer. Qu’on m’accuse si l’on veut de républicanisme; je déclare que j’abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux régnent. Il ne suffit pas de secouer le joug d’un despote : l’Angleterre ne s’affranchit du joug de l’un de ses rois que pour retomber sous le joug plus avilissant encore d’uri petit nombre de ses concitoyens. Je ne vois point parmi nous, je l’avoue, le génie puissant qui pourrait jouer le rôle de Cromwell ; je ne vois pas non plus personne disposé à le souffrir ; mais je vois des coalitions plus actives et plus puissantes qu’il ne convient à un peuple libre, mais je vois des citoyens qui réunissent entre leurs mains des moyens trop variés et trop puissants d indue cer l’opinion; mais la perpétuité d’un tel pouvoir dans les mêmes mains pourrait alarmer la liberté publique. 11 faut rassurer la nation contre la trop longue durée d’un gouvernement oligarchique. Cela est-il impossible, Messieurs, et 263 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791.] les factions qui pourraient s’élever, se fortifier, se coaliser ne seraient-elles pas un peu ralenties si l’on voyait dans une perspective plus prochaine la fin du pouvoir immense dont nous sommes revêtus, si elle3 n’étaient plus favorisées en quelque sorte par la suspension indéfinie de la nomination des nouveaux représentants de la nation, dans un temps où il faudrait profiter peut-être du calme qui nous reste, dans un temps où l’esprit public, éveillé par 1ns dangers de la patrie, semble noos promettre les choix les plus heureux? La nation ne verra-t-elle pas avec quelque inquiétude la prolongation indéfinie de ces délais éternels qui peuvent favoriser la corruption et l’intrigue? Je soupçonne qu’elle le voit ainsi, et du moins, pour mon compte personnel, je crains lés factions, je crains les dangers. Messieurs, aux mesures que vous ont proposées les comités, il faut substituer des mesures générales, évidemment puisées dans l’intérêt de la paix et de la liberté. Ces mesures proposées, il faut vous en dire un mot : elles ne peuvent que vous déshonorer, et si j’étais réduit à voir sacrifier aujourd’hui les premiers principes de la liberté, je demanderais au moins la permission de me déclarer l’avocat de tous les accusés ; je voudrais être le défenseur des trois gardes du corps, de la gouvernante du Dauphin, de M. de Bouillé lui-même. Dans les principes de vos comités, le roi n’est pas coupable ; il n’y a point de délit... Mais, partout où il n’y a pas de délit, il n'y a pas de complices. Messieurs, si épargner un coupable est une faiblesse, immoler un coupable plus faible au coupable puissant, c’est une lâche injustice. Vous ne pensez pas que le peuple français soit assez vil pour se repaître du spectacle du supplice de quelques victimes subalternes; ne pensez pas qu’il voie sans douleur ses représentants suivre encore la marche ordinaire des esclaves, qui cherchent toujours à sacrifier le faible au fort, et ne cherchent qu’à tromper et à abuser le peuple pour prolonger impunément l’injustice et la tyrannie ! ( Applaudissements .) Non, Messieurs, il faut ou prononcer sur tous les coupables, ou prononcer l’absolution générale. Voici en dernier mot l’avis que je propose. Je propose que l’Assemblée décrète qu’elle consultera le vœu de la naion pour statuer sur le sort du roi ; en second lieu, que l’Assemblée nationale lève le décret qui suspend la nomination des représentants, ses successeurs; enfin qu’elle admette la question préalable sur l’avis des comités. Et si les principes que j’ai réclamés pouvaient être méconnus, je demande au moins que l’Assemblée nationale ne se souille pas par une marque de partialité contre les complices prétendus d’un délit sur lequel on veut jeter un voile ! {Applaudissements.) M. Duport. Messieurs, c’est en séparant de la question actuelle tout ce qui lui est étranger, que l’on peut espérer d’arriver à un résultat entièrement fondé sur les principes essentiels d’une politique juste et éclairée, et sur l’intérêt public; de même que c’est en mêlant dans cette question beaucoup de cous dérations qui lui sont étrangères, en y faisant pénétrer surlout les sentiments qui peuvent naître dans les circonstances actuelles, que l’on est parvenu à l'obscurcir ou à la déplacer; de manière que l’intérêt général et durable de la nation cède aux passions fugitives du moment. Examinons donc ce qui véritablement doit former l’état de la question. Je crois d’abord que ce n’est point de décider si de la part du roi il y a délit. Vous êtes accoutumés, M ssieurs, à respecter assez les principes de la justice, et ceux que vous avez établis, pour ne pas ignorer qu’il faut nécessairement qu’un délit soit qualifié par une loi antérieure; j’ai l’avantage d’opposer à ceux qui présentent une opinion contraire la déclaration des droits mêmes dans laquelle ils puisent la source de leurs arguments. Il est donc nécessaire d’examiner quelle est la loi antérieurement établie, clairement énoncép, d’où l’on pourrait tirer le délit dans la circonstance actuelle. C’est ce que personne n’a encore fait, et ce qu’il me paraît impossible à personne de faire. La fuite du roi ne peut être considérée comme un délit, puisque la loi n’a point qualifié une action de cette nature comme un délit, et qu’elle n’a point déterminé de peine pour celte action. Vous pouvez examiner ensuite si les principes contenus dans le. mémoire du roi peuvent être regardés comme une expression définitive de sa volonté, relativement à la Constitution. Or, sous ce second point de vue, il fautappliqu r le même principe pour savoir si celte déclaration peut être considérée comme une abdication : il aurait fallu qu’une loi constitutionnelle eût déjà déterminé les cas de la déchéance. Vous en avez déjà déterminé un, mais ce n’est pas celui qui se présente en ce moment. Peut-être vous en présentera-t-on d’autres par la suite ; mais certainement il est contre les règles de la justice d’appliquer à un fait arrivé une loi qui n’est pas encore faite. D’ailleurs, Messieurs, il est facile de trouver dans cette déclaration les véritables motifs de l’Intention qui s’y manifeste. En effet, de quelle nature sont les acceptations faites jusqu’à présent des décrets de l’Assemblée nationale? Il faut se fixer une bonne fois et d’une m inière claire sur cette question ; Les acceptations étaient-elles nécessaires à l’Assemblée nationale pour valider see décrets? Non. Il est certain que si l’Assemblée n’a point voulu entamer cette grande question, qu’elle a voulu au contraire envelopper d’un voile mysté-térieux, suivant l’expression dont elle s’est servie; il est certain, dis-je, qu’aucune espèce d’acceptation n’était nécessaire à l’établissement de votre Constitution; et je vous le demande : lorsque les décrets étaient présentés à la sanction ou à l’acceptation du roi, si, sur un de ces décrets, il eût déclaré qu’il ne l’acceptait pas, auriez-vous cru que le décret fût pour cela frappé de nullité? Non certes, Messieurs : vous auriez alors exposé clairement vos principes, et dit que lorsqu’une nation envoie des députés pour faire une Constitution, personne n’a le droit d’opposer sa volonté particulière à celle de la nation même ; dès lors vous auriez déclaré ce que vous déclarez en ce moment, que vous n’avez be-oin d’aucune acceptation du roi pour établir notre Constitution.- Cette acc'-ptation était elle nécessaire pour le roi? Non. 11 n’est point exact, parce qu’il n’est point juste de dire qu’une acceptation, qui lui était présentée pour les décrets constitutionnels, puisse le lier à la Constitution entière. Il n’y a point de doute que, lorsque cette Constitution sera achevée, il sera libre de l’accepter ou de la refuser; cela ne changera rien à la Constitution, à son établissement, mais cela pourra changer sa condition; il sera vraiment roi, ou il cessera 264 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 114 juillet 1791.] de l’être. (Applaudissements.) de n’est qu’au moment que son engagement sera définitif, parce que ce n’est qu’à ce moment qu’il connaîtra l’étendue de ses devoirs, et qu’il déterminera s’il veut ou non se livrer à les remplir. (Applaudissements.) A qui donc, Messieurs, et pour qui ces acceptations étaient-elles utiles? Elles l’étaient pour la nation seule; et on ne peut pas se dissimuler que, dans le progrès de nos travaux, elles ont facilité infiniment l’exécution de cette Constitution et l’organisation des pouvoirs, jusqu’au moment où l’opinion publique, solidement assise, s’est confiée à notre zèle, et a reconnu les principes qui nous dirigeaient, et ce désir qui nous a constamment animés, d’opérer le bonheur de cet Empire. Jusqu’à ce moment, elle a pu voir avec une sorte d’inquiétude l’établissement d’un ordre si nouveau. Nous avons eu à la vérité le bonheur, dès le commencement de nos travaux, d’essuyer, de la part des ennemis de la liberté, une si violente attaque que la confiance nationale s’est promptement ralliée autour de nous. Nous l’avons méritée depuis, j’ose le dire, par un zèle confiant et pur. Mais il était utile à l’Assemblée constituante que l’ordre nouveau, qu’elle substituait à l’ancien, pût s’éîablir sans secousse et sans convulsion : comment auraii-on pu sans cela organiser si promptement un pays? Comment s’est formée la liaison de l’ancien ordre avec le nouveau, si ce n’est parce que les deux pouvoirs nationaux, celui du roi et celui que la nation avait envoyé pour exprimer sa volonté, parce que ces deux pouvoirs, dis-je, sont demeurés longtemps d’accord? C’est ainsi qu’insensiblement les esprits se sont fondus dans le nouvel ordre de choses; c’est ainsi que les diverses opinions se sont successivement adoucies et calmées, que l’esprit public s’est développé, et qu’enfin, par la conviction de nos principes, par la certitude de nos intentions patriotiques, la nation entière a pris une opinion commune et générale, qu’elle s’est attachée à la Constitution. Dès lors, elle nous a permis de développer nos principes tels qu’ils sont, tels qu’ils ont toujours existé, et que la prudence seule nous avait empêché de développer plus tôt. Ce n’était donc qu’au moment que cette volonté générale s’est manifestée, que nous avons pu déclarer sans danger ce qui n’a cessé d’être vrai en soi, que la volonté personnelle du monarque était absolument inutile à l’établissement de la Constitution. Voilà donc ce qui a été réellement utile dans les acceptations : et certes nous ne pouvons pas regretter l’état heureux de la Révolution française, qui, j’oserai le dire, n’aurait pas existé, si pendant son cours il y avait eu une scission entre le monarque et l’Assemblée nationale. Je vais, Messieurs, après avoir examiné ce qui n’est pas la question, entrer précisément dans ce qui doit la former. Cet état de la question est la nature de l’inviolabilité; et ici je crois que l’on peut s’appuyer encore sur la même base que ceux qui l’ont combattue, je veux dire sur la déclaration des droits : cette source de la justice et de toute vérité politique devient une arme dangereuse quand on en prend une seule idée, et qu’avec cette idée on combat toutes les autres. En effet, si la déclaration des droits établit clairement les droits individuels de chaque homme; si elle détermine quels sont les droits sur lesquels la législature elle-même n’a pas de pouvoir, elle détermine aussi quelle est la manière dont ils doivent être exercés pour leur propre conservation et pour mettre les citoyens à l’abri de l’action trop forte et arbitraire des pouvoirs qu’ils ont eux-mêmes élevés. Un article de cette déclaration dit que, dans tout Empire où la séparation des pouvoirs ri’est point établie et déterminée, il n’y a point de véritable Constitution ; ainsi c’est également par un article de la déclaration des droits qu’il est facile de repousser les objections que l’on a tirées d’elle-même. Je dis, Messieurs, qu’il est nécessaire pour la liberté que les pouvoirs publics soient séparés, et qu’ils soient indépendants. En effet, du moment que l’on sort d’un gouvernement immédiat, gouvernement qui existe par la volonté directe du peuple, où il fait lui-même les lois qui le régissent; gouvernement qui ne peut convenir évidemment qu’à une très petite population et à un très petit territoire ; du moment, dis-je, que l’on entre dans le gouvernement représentatif, dès lors il est nécessaire d’établir une division entre les divers pouvoirs, et même une sorte de balance entre eux. En effet, lorsqu’une nation a nommé des représentants, et qu’elle les a chargés de faire des lois, ce n’est point la volonté réelle de la nation, mais sa volonté supposée qu’ils expriment : il faut trouver un moyen pour que le peuple puisse déclarer si cette volonté supposée est la sienne, s’il la reconnaît, s’il l'avoue. Quel est ce moyen? On a proposé quelquefois de consulter les sections de l'Empire sur l’expression de la volonté des représentants. Je n’ai assurément pas besoin de combattre ce système absurde qui met la délibération dans les parties, au lieu de la placer dans le point où la volonté générale se forme, et où les divers intérêts se rencontrent et se concilient. Il est nécessaire néanmoins de placer près du Corps législatif un frein, un moyen d’empêcher son action trop rapide et trop arbitraire ; il faut que le peuple soit éclairé, et que l’opinion publique, généralement consultée et formée lentement, puisse décider si les représentants du peuple ont exprimé sa volonté ou la leur propre, opéré son bien ou Ciusé son malheur. Quel est ce moyen? Il y en a de deux espèces. 11 peut être établi un gouvernement tel que le nôtre, où le monarque soit chargé d’arrêter ou de modérer l’action du pouvoir législatif ; qu’il puisse, en suspendant pendant quelque temps l’exécution de ses décrets, pouvoir faire connaître au peuple s’ils lui sont utiles ou non; lui donner un moyen en nommant de nouveaux représentants pendant deux législatures successives, ou bien en agissant par l’effet plus lent et plus sûr de l’opinion publique, de corriger les décrets du Corps législatif. Si le frein du Corps législatif n’est pas un monarque, un seul homme, c’est alors un corps, un sénat, un conseil exécutif, et nos adversaires l’ont bien senti ; ils on t senti qu’il était impossible de laisser au Corps législatif la décision souveraine du sort de la nation; et ils ont proposé un conseil d’administration, d’exécution, un conseil, enfin, nommé parles départements, qui remplirait les fonctions que notre Constitution attribue au monarque (1). Il ne s’agit donc plus pour vous, Messieurs, que de choisir entre une République et une monarchie. (Murmures.) (1) Voy. ci-après aux annexes de la séance, page 271, l’opinion de M. Pétion sur un conseil d’exécution électif et national. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791.] 265 Voilà, Messieurs, les propositions entre lesquelles, je le répète, parce que je le vois prouvé, vous êtes invités à vous déterminer; il n’est personne qui n’ait reconnu la nécessité d’opposer un pouvoir à un autre ; et il n’est pas, j’ose le dire, de la bonne foi de l’Assemblée nationale de paraître ignorer que telle est l’intention claire, évidente, certaine de plusieurs de ceux qui ont ici présenté leurs idées sur l’inviolabilité du monarque : il n’est pas, dis-je, de la bonne foi de l’Assemblée de paraître ignorer quels ont été la plupart les organes de ceux qui oat proposé de substituer un sénat exécutif au monarque. Ainsi, Messieurs, c’est entre ces deux formes de gouvernement que, quoi que l’on en dise, on veut vous forcer de choisir. Vous avez préféré la forme de gouvernement monarchique, et je crois qu’il sera aisé de prouver que, dans cette forme, la seule qui convienne à notre Empire, à nos mœurs et à notre position, il est absolument nécessaire, pour que le monarque remplisse les fonctions qui lui sont confiées, d’être absolument inviolable. En effet, il est clair que si le Corps législatif était chargé d’exprimer souverainement le vœu de la nation, il serait un despotisme véritable; il s rait la réunion de tous les pouvoirs , véritable définition du despotisme; et je pense qu’un despotisme exercé par le pouvoir législatif, est non seulement aussi dangereux, mais plus funeste cent fois que celui qui serait exercé par un seul individu. Je pars donc de ce point comme une base convenue, et que personne n’attaquera : c’est que le Corps législatif ne peut pas représenter souverainement la nation, parce qu’il serait despote; et je dis de plus qu’il ne peut pas toujours représenter la nation, parce qu’alors il serait toujours constituant. Qu’est-ce qui fait la différence d’un corps constituant ou d’un Corps législatif? C’est que l’un représente parfaitement la nation, et que l’autre ne la représente que pour une fonction déterminée. Un Corps législatif qui serait dépositaire de tous les pouvoirs d’une nation serait donc non seulement constituant, mais despote; sa volonté serait la loi ; la loi serait la Constitution : nous n’aurions fait que changer de tyrannie. Maintenant, s’il faut qu’il soit établi un pouvoir pour arrêter le Corps législatif, pour procurer au peuple le moyen de faire connaître son opinion sur les décrets de ses représentants, je dis que ce pouvoir doit être indépendant du Corps législatif même : cela sera facile à prouver. Si le monarque était dépendant du Corps législatif, il en résulterait que celui-ci pourrait détruire son propre frein. Qu’est-ce qu’un frein donné à un pouvoir lorsqu’il peut le détruire, lorsqu’il peut agir sur lui, lorsqu’il peut, d’une manière quelconque, le mettre dans sa dépendance ? Il est évident que ce frein est inutile, qu’il n’est qu’un obstacle vain, qui même irriterait le Corps législatif, et que bien loin d’être utile et de servir la liberté, il lui nuirait par la tentation continuellequ’auraitleGorps législatif de détruire celui qui le contrarie. Il s’ensuit donc que, si, pour la liberté de chacun, pour l’intérêt public, il faut que le Corps législa-tifait un frein qui l’arrête, qui puisse donner au peuple le moyen d’exprimer sa volonté, il faut ue ce frein soit entièrement indépendant du orps législatif. {Applaudissements.) Je crois, Messieurs, marcher par une série de principes exacts, et c’est pour cela que j’insiste plus que je ne devrais peut-être pour la bonté avec laquelle l’Assemblée m’écoute : il faut donc que le Corps législatif ait un frein; il faut que ce frein soit indépendant. Maintenant j’arrive à la troisième idée, qui en est la conséquence immédiate : c’est qu’il faut que ce frein, qui est indépendant, soit inviolable. Commençons d’abord par ôter de la question ce qui n’en est pas. Lorsque le cas de la déchéance arrivera, le roi redevient un simple citoyen soumis comme tous les autres à la règle commune. Mais je parle de celui qui est roi ; je dis que, tant qu’il est roi, il doit être absolument inviolable. S’il pouvait être attaqué, s’il était une circonstance où il pût être attaqué, il serait possible qu’il fût accusé. En effet, tout citoyen peut dire qu’il ne sera jamais dans le cas de la loi qui a déterminé une peine pour un crime; mais il n’est personne qui puisse dire qu’il n’en sera pas accusé. Pour parvenir à un jugement, pour parvenir à la connaissance d’un fait et y appliquer la loi, il faut avoir passé par une accusation ; on n’arrive à un fait certain et prouvé que par l’état de l’incertitude et du soupçon. Dès lors, tout homme qui peut être jugé doit être accusable; tous ceux que l’on doit juger pour un fait doivent pouvoir être accusés pour ce fait. Ainsi lorsque l’on établit des circonstances positives, dans lesquelles il doit y avoir un jugement, pour savoir si ce fait est arrivé et pour venir à ce jugement, il faut qu’il y ait une accusation. 11 est donc nécessaire, si le roi peut être mis en jugement, qu’il puisse être accusé : il n’est personne qui puisse disconvenir de cette vérité. Mais, si chacun peut l’accuser, dès lors le roi se trouve dans la dépendance de tous; et il n’y a personne dans les 25 millions d’hommes qui composent l’Empire qui ne puisse l’accuser : dès lors je demande ce que devient l’indépendance et l’inviolabilité du monarque, ces attributs si nécessaires à la liberté, si chacun des citoyens de l’Empire peutraccuser?(AjopZawdm�mm�.)Qu’est-cequ’un pouvoir suprême qui dépend de chaque individu, qui dépend du tribunal qui le jugera, qui dépend enfin au Corps législatif qui, j’espère, serait le seul qui pût juger de l’accusation? Si le roi dépend du Corps législatif, si l’on est forcé de convenir que celui qui peut être jugé par un corps lui est soumis, je reprends mon premier argument, et je demande, en remontant de principe en principe, si la liberté et l’intérêt du peuple que l’on égare exigent que le Corps législatif ne soit pas seul dépositaire de la volonté nationale. S’il lui faut un frein qui le modère, un moyen de suspendre son action, s’il faut que le monarque qui remplit cette fonction soit indépendant; si, pour être indépendant, il doit être inviolable, il est évident, je pense, qu’il ne peut être ni accusé ni mis en jugement. Les Anglais, Messieurs, se connaissent aussi bien que nous en liberté individuelle; quant à leur liberté politique, je le sais, ils ont fait de grandes pertes, parce que leur gouvernement s’est lié à un système de corruption qui en est la base, à un système de corruption qui force la nation à suivre en tout la volonté du ministre. Mais, s’il est vrai de dire que la liberté politique anglaise est affaiblie par cette corruption, il est aussi vrai de dire que la liberté individuelle est assurée d’une manière inébranlable par la division des pouvoirs; parce que, dans aucune circonstance, la Chambre des communes, qui est aussi la représentation du peuple, ne peut agir 26g [Assemblée itatie fiait».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES; 114 juillet lTOi.j contre ses droits. Il est arrivé plusieurs circonstances où la Chambre des communes a voulu violer les droits du peuple. Alors, Me sieurs, quelle eût été la situation des Anglais, s’il n’eût pas existé un pouvoir qui pût l’anê'er? Ils auraient été1 sous un despotisme intolérable, et néanmoins presque sans remède. Dèsqu’un peuple a nommé ses représentante, il est assez naturel qu’il leur donne sa confiance; mais cette confiance peut être trompée. Comme la liberté individuelle est infiniment plus précieuse que tontes les autres libertés, et qu’il est nécessaire de l’assurer, ils ont tempéré Bar une autorité l’autorité de leurs représentants. u pouvoir qui ne connaît point de supérieur est despote, par cela même qu’il met souvent sa volonté à la place de la raison-, an lieu que, s’il existe une autorité à laquelle ses délibérations soient soumises, le corps délibérant1 est forcé de faire une chose, non parce qu’il le veuf, mais parce qu’elle est juste. Il est obligé de prendre une base commune entre le peuple, le monarque et lui : cette base, c’est la justice. (Vifs applaudissements.) L'Assemblée nationale, qui n’a pas cédé à Pim-pressio-n de la crainte d’une puissance armée par le despotisme, ne cédera. àau« une autre crainte. Elle montrera qu’elle est constamment liée au bonheur du peuple, même lorsque, pour le moment, elle n’en partage pas l’opinion. ( Murmures à l’extrême gauche; applaudissements à gauche.) Quel serait donc ici, Messieurs, l’intérêt de ceux qui ont constamment défendu la cause de la liberté et du peuple? Existerait— ü des craintes ou des espérances pour eux? Ceux qui ont bravé le pouvoir lorsqu’il était redoutable dédaignent de Fattaquer lorsque l’opinion semble l’écraser. Ce n’est pas1 là qu’ils placent leur courage. ( Applaudissements à gauche.) Je sais que quelques individus méprisables ont osé supposer des motifs personnels aux défenseurs de l’autorité royale; mais je sais aussi que personne ne les a crûs et ne les croira jamais. Qu’a de commun le pouvoir avec un homme libre? La crainte ou ta corruption ont-elles sur lui quelque influence? Réussirait-il sur lui par de tels moyens? Aux yeux de l’Europe entière, de la France même, il manquait ce fleuron à votre couronne. Après avoir constamment suivi l'opinion qui semblait attirer sur vous les vœux de tous les citoyens; lorsque vous trouvez une circonstance grande, importante, où le bien durable de votre pays vous paraît opposé à l’expression passagère de l’opinion ; il manquait, dis-je, à votre couronne ce fleuron, de résister de n< uveau à l’influence dont on a cherché à vous environner. C’est ainsi que vous aurez mérité tous les genres d’estime, parce que vous aurez développé tous les genres de courage; et s’il était possible un jour de penser que les circonstances du moment, qu’une opinion factice, que des sentiments exagérés, qu’une opinion qui n’a de bases, ni d'ans sa raison, ni dans l’intérêt du peuple, pût vous entraîner; alors je demande si, au jour qui n’est pas éloigné, rentrés dans le sein de vos familles, comme on vous l’a dit, vous y r< trouveriez cette véritable estime qui s’attache à ceux qui n’out suivi qu’une ligne, celle du devoir, quelles que soient les circonstances. On vous a dit qu’il fallait pres-er les élections; je suis de cet avis, et peut-être travaille-t-on plus efficacement à cet objet, lorsque dans des comités on se prépare à vous présenter incessamment le travail de votre révision. On vous a dit, Messieurs, qu’il fallait qu’une Convention prochaine et générale vînt décider la question actuelle, et que cela était le moyen de remettre le calme et la tranquillité dans le pays : quant à moi, je ne me fais pas une idée sem-blabledu calme etde la tranquillité de ce pays. Je ne crois pas, comme on vient de vous le dire, que ce soit le moyen de faire taire les factions; je vois au contraire que la nation veut dans ce moment-ci, et désire qu’elle vous remercie de vous être chargés du fardeau de décider seuls cette grande question r je vois qu’elle vous a investis d’abord, qu’elle vous a continué ensuite les pouvoirs et la confiance nécessaires i our consommer ce sublime travail; je vois que vous avez fait le serment de nepoint vous séparer que vous n’ayez établi (je l’ai encore relu ce matin) une Constitution ferme et durable, et j • crois que ce ne serait pas une idée patriotique, ce serait au contraire une véritable faiblesse, gu’après avoir passé par des circonstances aussi importantes, aussi difficiles, lorsqu’il en arrive une inattendue de vous soustraire à la difficulté de la vaincre; de paraître craindre la responsabilité qui s’en suivra, et de remettre à vos successeurs une si grande question à décider; de leur remettre un gouvernement sans aucune base, un pays sans Constitution, puisque la grande et importante question qui vous occupe tient à la racine de la Constitution même. Ainsi, vous avez à vous déterminer entre deux grands partis, celui de vous saisir seuls, comme vous le devez, du droit et du danger de terminer la Constitution qui est déjà si avancée et de laisser un ordre constant et durable à vos suce; sseurs, ou bien de vous retirer au moment où elle est en péril, lorsque le pouvoir qui doit, la mettre en mouvement n\ st pas assis et déterminé, et de vous en aller dans ces circonstances, j’oserai le dire, de vous enfuir. ( Vifs applaudissements.) Non, Messieurs,, vous ne mettrez point au hasard , vous ne compromettrez pas une Constitution presque finie, le fruit de tant de travaux, d’un patriotisme épuré; vous ne craindrez aucune espèce d’inculpation, vous suivrez ce que la nation entière vous demande, le devoir qu’t Le vous a imposé; vous déterminerez d’une manière vigoureuse et prompte l'opinion flottante de l’Empire. Par cette détermination, qui empêchera toute espèce de divisions, qui anéantira toutes les factions, qui ralliera tout le monde au seul objet qui doit rallier les Français, c’est-à-dire à la Constitution ; par cette mesure, dis-je, vous recueillerez les bénédictions de la nation entière, et, je ne crains pas de vous le dire, vous pourrez aller promptement les recueillir vous-mêmes, res bénédictions, parce qu’une fois cet e di-cussion décidée, il n’y a-plus d’ostaclesà ce que votre révision vous soit très incessamment présentée; que dès lors elle termine la Constitution qui sera présentée au monarque et sur laquelle il aura à décider s’il vemfc ou non remplir la place éminente qui lui est destinée. Ce moment venu, Messieurs, rien ne vous relient plus, votre serment e*t rempli, la Constitution est achevée, et la France entière est réunie, je ne crains pas de l’affirmer, dans une même opinion. Je demande donc, Messieurs, que cette délibération, dont l’objet a occupé lesesprits,du moment même où l’événement est arrivé, ne soit désormais prolongée que le temps nëcessahe pour que l’Assemblée nationale soit suffisamment éclairée sur le parti qu’elle doit prendre, et sur lequel néan- 267 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791.) moins les principes de la Constitution et l’intérêt public ne lui permettent pas d’hésiter. J’appuie le projet de décret des comités. (L’Assemblée, sur la demande de plusieurs membres, décrète l’impression du discours de M. Duport.) M. Prieur. 11 n’est pas dans les 83 départements du royaume un seul citoyen qui n’ait médité sur la crise dans laquelle se trouve actuellement la France, moi-même je me suis occupé de ce grand objet {Rires.) ; mais je vous avoue que je ne pensais pas être aussitôt obligé de monter à cette tribune : je comptais que le rapport serait imprimé, distribué, et q e j’aurais le temps de le réfuter : ainsi ce n'est point un discours, c’est encore moins des déclamations que je viens offrir; c’est un devoir de citoyen que je viens remplir. J’ai sur le cœur quelque chose à dire d’abord. J1 y a peut-être en ce moment, et ce n’est pas pour me vanter, quelque courage à combattre une opinion dont tous les adversaires ont été des factieux ou des républicains : je ne suis pas moi un factieux : je le dis à la face de la nation, j’en atteste la France entière, et personne ne me contredira : je ne dirais pas cela si la calomnie ne poursuivait l’opinion que je défends : je ne suis pas non plus un républicain, si un républicain est celui qui veut changer la Constitution; j’ai juré de la maintenir, et je la défendrai jusqu’à la mort. ( Applaudissements .) D’après cette profession de foi, j’aborde la grande question qui nous est soumise en cet instant : Le roi peut-il, doit-il être mis en jugement? Entend-on agiter la question de savoir si le roi peut et doit être renvoyé devant la haute cour nationale? Je ne suis pas de cet avis : aucun des préopinants ne Fa proposé. (Rires à droite.) Entend-on que l’Assemblée nationale constituante, représentant la nation, ou qu’aucune Convention convoquée ad hoc n’ait pas le droit de délibérer sur la circonstance périlleuse où nous nous trouvons; de prendre des mesures ultérieures contre le roi; qtm l’inviolabilité du roi soit celle de la nation entière; que la nation elle-même doive se taire sur cet événement, et s’exposer à tous L s malheurs, à tous les désastres qui p cuvent en résulter? Je ne crois pas cela. Les comités vous proposent non pas de déclarer que le roi est hors de jugement; ils ne Font pasmêmeprononcé,maisdele déclarer ta citerne nt; et les comités, dans ceci, ne lèvent aucun embarras; ils suivent la même marche que nous avons seivie nous-mêrms lorsque nous avons déclaré l'iuvio'abilité du roi : nous avons décrété un ar ide général, qui fait é ever des réclamations de toutes parts; comment b1 roi sera-t-il inviolable dans telles circonstances, dan� telles autres? C’est d’un voile religieux dont il faut recouvrir cette inviolabilité! nous a-t-on dit,... (Murmures.) U est temps d’examim r enfin cette question, que; vous avez couv* rte d'un voile religieux!]] a r oi (car je vous prie, Messnurs, d’éloigner de la discussion toute considération personnelle, tout ce qui s’appelle les hommes; ne nous occupons que des choses, et n’ayons p ur but que le salut de l’Etat); un roi peut-il être déclaré inviolable dans toutes les circonstance� Je dis et je ne répéterai pas tout ce que vous ont dit longuement ceux qui on parlé avant moi; je dis que toutes les fois qu’un roi agit comme roi, et en vertu de la loi constitutionnelle qui lui a délégué le pouvoir, il est inviolable; mais je dis que toutes les fois que cet individu, nommé roi, se dépouillant de tous les droits que lui a donnés la Constitution en vertu de laquelle il règne, prend des mesures pour détruire cette Constitution, il est impossible, et ma raison me le défend, de dire que dans cette circonstance il soit inviolable! Voilà à quoi se réduit toute la théorie sur l’inviolabilité. Que vous a-t-on répondu sur cette question? M. Duport, dont le discours profond mériterait des jours entiers de réflexions et de méditations, vous a fait un argument auquel je vais tâcher de répondre, parc eque je croisquec’estle s ul qui ait fait impression sur te caractère de l’inviolabilité. Il vous a dit : « Je prends à la main la déclaration des droits, et je vois qu’il ne peut y avoir de bon gouvernement qu’autant que les pouvoirs sont séparés et indépendants les uns des ntvres; or, ajoute-t-il, si le roi pouvait jamais être accusé, l’accusation ne pourrait être faite que par le Corps législatif; donc le pouvoir exécutif serait dépendant du pouvoir legislatif, et alors il n’y aurait plus de liberté dans Furie nation... » Examinons d’abord cet argument en logicien : examinons-le ensuite en politique, c’est-à-dire sous le point de vu * du salut public. En logique, je dis que l’argument est nul : s’il est vrai, ou s’il était admis dans la Constitution que le pouvoir legislatif pût intenter une accusation contre le pouvoir exécutif, il ne s’ensuivrait pas que le pouvoir exécutif fût dans la dépendance absolue du Corps législatif. Qu’est-ce qui soumet en général les hommes? C’est un jugement qu’ils doivent subir, c’est l’application de la toi qui doit leur être faite; or, toutes les fois que la même Constitution qui rendrait le Corps législatif, comme représentant plus immédiat de la nation, surveillant du pouvoir exécutif; toutes les fois que celte même loi, dis-je, porterait en même temps ce remède, que jamais le pouvoir législatif ne pourrait prononcer aucune condamnation contre le pouvoir exécutif; que te serait au contraire une Convention na'ionale nui le ferait; que le pouvoir exécutif ne jouerait que le rôle de surveillant, pour dénoncer à la nation l’attentat du pouvoir exécutif; je dis que là règne la parfaite indépendance des pouvoirs. Nous avons encore à faire un grand travail sur la théorie de l’inviolabilité et des cire m stances de la déchéance. Nous ne les avions pas prévues ces circonstances; mais aujourd’hui il f.ut les démontrer dans toute leur étendue, et pour f ire sentir après cela combien je ne veux pas caractériser d’trne épithète désagréable l’argument de M. Duport, je me sers de celle de. dangereux. Que peut-on voir dans cette hypothèse? Un Corps législatif est assemblé; un roi conspire contre la Constitution; ce roi, qui va sur les frontières, y appelle des armées étrangères, rentre dans le royaume; et les représentants de la nation, et le Corps législatif, représentant, quiveut la défendre, qui veide à ses intérêts, leGorps lêg'slatif, d’après le système de M. Duport, n’aurait même pas le droit de dénoncer à la nation l’acte de félonie qui serait commis par son roi! Je dis qu’un pareil système serait subversif non pas de ce pouvoir exécutif, mais de la nation dont il tient se' pouvoirs; je dis qu’un pareil système serait absolument destructeur de tout ordre social; car il est inconcevable de dire que l’individu à qui l’on a délégué le pouvoir exécutif conspire contre une nation, entre à main armée dans une union; il e.~t inconcevable de dire que celte même nation ne soit pas t.ujours là pour faire juger celui qui aurait osé franchir les bornes de toute raison 268 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. humaine ! Voilà donc l’argument de M. Duport détruit. (Rires.) Venons actuellement à la position dans laquelle nou> nous trouvons. Le roi peut-il être mis en jugement, c'est-à-dire dans nos idées, l’Assemblée nationale constituante, ou une Convention nationale convoquée ad hoc , a-t-elle le droit d’examiner la position dans laquelle se trouve la nation? A-t-elle le droit d’examiner si le roi a abdiqué la couronne par les démarches qu’il a faites? A-t-elle le droit d’examiner si l’on peut, pour l’intérêt de la nation, confier à ce meme roi l’exercice du pouvoir exécutif? Voilà la question posée dans toute son étendue. Remarquez bien ici, Messieurs, que dans les circonstances actuelles, aujourd’hui, par exemple, il ne s’agit pas déjuger cette grande question; il faut encore bien vous pénétrer de votre caractère : en ce moment vous êtes un juré d’accusation, si je puis m’exprimer ainsi; il s’agit de savoir s’il y a délit, il s’agit de savoir si ce délit peut être jugé. Ainsi examinons donc les circonstances dans lesquelles on se trouve. Je tiens à la main une déclaration conçue en ces termes : Déclaration du roi adressée à tous les Français en sortant de Paris... « Le roi, après avoir solennellement protesté contre les actes émanés de lui pendant sa captivité, croit devoir mettre sous les yeux des Français et de tout l’univers sa conduite et celle du gouvernement qui s’est établi dans le royaume... » Que résulte-t-il de là? Il résulte une protestation formelle de tous les serments qu’il a faits à la Constitution, même de celui qu’il a fait l’année dernière, à pareille heure, à la Fédération du 14 juillet 1790, en présence de tous les députés de la nation française. Le roi, dans sa déclaration, fait ensuite la critique de la Constitution ; le roi finit pardirequ’il espère qu’une meilleure Constitution sera un jour établie; il termine par une apostille qui paralyse tout à coup le pouvoir exécutif, qui enjoint au ministre de lui renvoyer le sceau de l’Etat. Je dis que, si ces protestations ne sont pas une abdication, il n’y en a jamais eu, il n’y en aura jamais. Voici la conséquence que je puis en tirer. Si le roi, au lieu d’adresser cet acte à son peuple, l’eût envoyé à l’Assemblée nationale, j’aurais pu excuser sa démarche, parce qu’il aurait fourni à l’Assemblée des moyens de réfuter toutes les défectuosités de la Constitution; mais prenez bien garde que ce n’est pas là la marche que Louis XVI a suivie! Peu confiant dans son peuple, il l’a quitté sans l’en prévenir; il s’est rendu sur nos frontières; des troupes étaient répandues sur la roule, et sans le civisme de ces mêmes troupes le sang français eût peut-être coulé! Un camp l’attendait à Montmédy... Je passe plus loin... Notre territoire aurait bientôt été inondé de troupes étrangères qui auraient fait couler le sang français! Voilà la position dans laquelle nous nous trouvions. Je de mande quelle a été la conduite de l’Assemblée nationale. L’Assemblée n’a pas été longtemps à se décider; dans le premier moment elle a dit : Le pouvoir exécutif a abandonné son poste ; ce pouvoir revient à sa source; sa source est la nation, représentée par le pouvoir constituant ; c’est donc dans le pouvoir constituant que résident tous les pouvoirs. Quelle a été ensuite la marche de l’Assemblée nationale? S’est-elle amusée le 21 juin à discuter cet article équivoque de l’inviolabilité? Non, Mes-[14 juillet 1791.] sieurs, vous avez senti que la chose publique était menacée; vous avez défendu au roi de sortir du royaume; le roi s’est rendu ici; vous lui avez do >néune garde particulière; vous vous êtes emparés du pouvoir exécutif; vous ne le lui avez pas rendu... Pourquoi? Parce que le roi n’était pas inviolable : car, s’il l’est, c’est vous qui êtes criminels, c’est à vous qu’il faut faire le procès. ( Applaudissements à l’extrême gauche et dans les tribunes.) C’est donc, Messieurs, dans votre conduite même lors des événements du 21 juin, c’est dans cette conduite ferme et généreuse qui a sauvé la France entière, qui a donné à toutes 1 s nations de l’univers une grande leç n, qui leur a appris qu’il n’exisle j oint de danger pour une grande nation quand elle veut être calme, ferme et généreuse: c’est, dis-je, dans cette conduite que je puise le parti que vous devez prendre. Je le demande aux 7 comités qui vous ont proposé leur avis; qu’y a-t-il de changé dans notre position? La déclaration du roi existe toujours; sa fuite est avouée et non contestée; l’existence d’un camp auprès de Montmédy est certaine : si, lorsque le roi s’est rendu à Paris, vous ne lui avez pas rendu Je droit d’inviolabilité, c’est que le salut de la nation ne vous l’a pas permis; vous avez cru qu’il était trop dangereux d’aller remettre entre les mains de celui qui avait protesté contre la Constitution, qui disait qu’il ne pouvait la faire exécuter; qu’il était uangereux, dis-je, de lui remettre et le commandement de toutes les forces destinées à la maintenir, et l’emploi de toutes les finances, et la nomination à toutes les places; vous avez senti qu’il De vous était pas permis de faire cette démarche. Aujourd’hui votre position n’est donc pas changée; et prenez-y garde, Messieurs, ne vous laissez pas entraîner! Agissons sagement, comme vous agirez sans doute, car une main invisible a toujours présidé et conduit vos délibérations. Messieurs, prononçons sur-le-champ sur cette question ; si nous retardons, les factions vont s’en mêler; on forcera vos décisions. (Murmures.) C’est ainsi qu’on perd tout; ainsi l’on heurte l’opinion publique ou lieu de l’éclairer. Mais l’Assemblée nationale sera digne de la confiance de la nation : elle restera le centre de l’opinion publique; il n’y aura pas de mouvement dans le i euple. Quand le peuple saura que la voix de ses défenseurs n’est pas étouffée à cette tribune, que les opinions y sont librement, mûrement et sagement écoutées ! ... (Bruit.) Eh ! comme ils entendent mal leurs intérêts ceux qui veulent presser les délibérations! Ils ont sans doute leurs raisons... Hé bien! plus ils ont de raisons, plus ils laisseront discuter et développer, plus la vérité sera connue. Dès qu’elle le sera, vous connaissez le peuple français!... Mais au contraire, si vous iiàtez cette délibération, alors je ne prévois rien que de sinistre; je dis que vous aurez perdu beaucoup de cette confiance qui peut seule faire aujourd’hui le salut de l’Empire. Quel est donc d’après cela le parti que nous devons prendre? Un des préopinants vous a fait sur notre position les plus sages réflexions; il vous a dit : les comités réunis nous proposent de renvoyer à la haute cour nationale tous les fauteurs et complices de la conjuration à la tête de laquelle était M. de Rouillé; mais quel e autre conséquence les comités prétendent-ils tirer de leur décret? Entendent-ils qu’après avoir renvoyé tous ces conspirateurs à Orléans, la nation (c’est [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791.J toujours elle qu’il faut voir dans le corps constituant) se sera ôté jusqu’à la faculté de réfléchir sur la position dans laquelle elle se trouve, et que demain, par exemple, on pourra nous dire : vous avez déclaré que le roi ne pouvait pas être mis en jugement; il faut, en conséquence, lui rendre sur-le-champ le pouvoir exécutif?... A gauche : .Non! non! M. Prieur. Eh bien, si l’on ne l’entend pas, il faut l’expliquer; car en affaire publique particulièrement il n’y a rien de plus dangereux que la dissimulation; et je ne crois pas qu'il y ait eu rien de plus sagement avancé dans ce!*e Assemblée que ce qu’a dit cet opinant; il nous a dit: vous nous préparez une mesure pour la tranquillité publique; hé bien, nous en avons besoin de plusieurs; faites-ies marcher de front, et alors nous saurons si elles sont bonnes ou mauvaises; mais ce n’est pas là l’instant de couvrir d'un voile cette délibération; il faut les déchirer, les voiles; il faut savoir si l’on mettra aux voix le décret qu’un vous propose; il faut savoir de même si la réintégration du pouvoir exécutif dans ses fonctions... (Murmures.) Hé bien, si personne ne le demande, je le demande moi; je demande qu’on m’< n assure, car, prenez-y garde! si le fatal projet passait, quel en serait le résultat, je ne dis pas seulement pour l’Assemblée nationale, mais pour la France entière! Aujourd’hui, dans quelle position êtes-vous? Vos frontières sont insultées par les émigrants, car leur approche seule souille le territoire français, et leur souffle impur menace nos moissons. ( Applaudissements à l'extrême gauche.) Nos frontières ne sont pas menacées, me dit-on ; mais il ne faut rien dissimuler, et ne pas nous parler sans cesse de l’invasion des troupes étrangères; vos comités ont si bien senti qu’il fallait dissiper cette inquiétude, qu’ils vous ont eux-mêmes proposé un armement considérable et de troupes le ligne et de gardes nationales... Vous ne prendrez ces mesures que pour défendre votre Constitution, car c’est toujours là où il faut en venir; or, je vous le demande, serait-il de la prudence, de la sagesse, d’aller confier au même individu qui a protesté contre la Constitution, qui voudrait détruire votre Constitution, tout ce que l’Etat a de forces pour établir, pour défendre cette Constitution? M. Démeunier. Je demande la parole un instant pour répondre à M. Prieur. Il ne s’agit pas de rendre sur-le-champ au roi tout le pouvoir exécutif; il s’agit seulement déjuger sur-le-champ que vous le lui rendrez. Plusieurs membres à gauche : Non I non ! M. Prieur. Cependant, lorsque j'entends dire à cette tribune, pour soutenir le décret des comités, que le roi est inviolable et ne peut être jugé, j’ai droit de conclure de ce raisonnement que, si l’Assemblée le décidait ainsi, le roi se retrouverait précisément dans la position où il se trouvait avant l’événement du 21 juin; or, je fais ce dilemme : ou l’intention du projet du comité est que, dès cet instant, le pouvoir exécutif soit rendu au roi dans toute son étendue, et que le roi ne sera pas jugé, et en ce cas je m’y oppose, parce que je ne crois pas que nous puissions le faire sans danger... Plusieurs membres : Et nous aussi! 269 M. Prieur.... ou ce n’est pas l’intention des comités, et alors nous voilà beaucoup plus avancés, car nous sommes d’accord avec les comités. (. Murmures et interruptions.) M. Pétion, qui vous a présenté une opinion et un décret, n’a demandé que ceci : que le projet de décret, par rapport à l’objet qu’il renfermait, fût ajourné; que, relativement au roi, l’affaire fût décidée par l’Assemblée constituante ou par une Convention convoquée ad hoc. Ainsi, sommes-nous d’accord avec les comités?... Plusieurs membres: Non! non! M. Prieur. Si ces observations ne tendent pas à rapprocher l’avis des comités de celui de M. Pétion, alors j’ai tort. Je crois que, dans celte circonstance, l’Assemblée ne doit prendre aucun paiti décidé sur le pouvoir exécutif, et je dis que dans le décret elie doit formellement se réserver de prendre, lorsque la Constitution sera faite, les mesures qui seront nécessaires pour le salut de l’Etat, et qu’enfin l’on décrète, une bonne fois pour (outes, que les rois inviolables sont pourtant jugeables, pour le salut de la nation, par la nation seule. M. Démeunier. Le préopinant a adressé deux questions au comité de Constitution; il me paraît important d’y faire en ce moment une répuise très positive. Il demande d’abord si, dans le cas où l’Assemblée nationale adopterait le projet ce décret qui est présenté par les comités, l’intention du comité de Constitution, qui a proposé le décrût de suspension des fonctions royales et du pouvoir exécutif; si, dis-je, l’intention de ce comité est de lever ce décret : je déclare que ce n’est point son intention, et qu’il a été sur ce point d’un avis unanime. Le comité pense que, jusqu’à ce que le Gode constitutionnel soit achevé, et dans le cas même où vous adopteriez le projet présenté, le décret qui suspend les fonctions royales et les fonctions du pouvoir exécutif doit rester tel que vous l’avez rendu. Voilà la réponse à la première question. Le préopiuant en a fait une seconde non moins importante, lia demandé si, en laissant subsister le décret qui suspend les fonctions du roi et celles du pouvoir exécutif dans la main du roi, vous ne porterez pas atteinte à l’inviolabilité. Ici une distinction très simple lui montrera que le corps constituant, pour le salut de la nation, tandis qu’on achève la Constitution, a le droit de suspendre les fonctions royales et les fonctions du pouvoir exécutif. M. de llontlosier. Ce n’est pas vrai I (Rires.) M. Démeunier. Il faut d’abord prévoir tous les cas de déchéance, et lorsque vous les aurez prévus, ce sera à la législature à les appliquer. 11 n’y aura point de jugement ; le roi sera soumis à la loi comme tous les autres citoyens : la loi déclare qu’il est déchu du trône; la législature prononce. (Vifs applaudissements.) M. Péüon. Je demande à M. Démeunier qu’il veuille bien expliquer ce que c’est qu’un jugement. Plusieurs membres : AHoqs donc, Monsieur! A l’ordre! M. le Président. M. DémeuDier n’a pas la pa-