308 ]Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1791.] « Art. 6. L’homicide est commis légitimement, lorsqu’il est nécessité par la défense naturelle de soi-méme ou d’autrui. » M. Malouet. Vous remarquez, Messieurs, que ces expressions : « pour la défense d'autrui » présentent trop de latitude. Je demande qu'on précise la légitimité du cas. Je voudrais donc dire que l’homicide sera légitime, lorsqu’il sera nécessité pur sa propie défense, ou par la défense d’un tiers dont la vie serait en danger. M. Prieur. Je crois l’observation de M. Malouet absolument inutile. M. d’Aubergeon-Murinais. Si l’on décrétait l’article tel qu’il est pr. posé, vous multiplieriez les meurtres par tous les citoyens, car tous les citoyens ne pourront pas avoir justice. On verrait se renouveler en France les scènes qui ont lieu dans plusieurs villes dltalie où l’on égorge à coups de couteau sous prétexte de légitime défense. Je pui3 vous proposer une circonstance dans laquelle je pourrais tuer un individu, sans que la loi puisse me punir. Je vais trouver dans la rue deux hommes qui se battent ; je vois sur la tête de l’un le bâton levé ; il pourrait être tué par ce coup de bâton : moi, je lui brûlerai la cervelle, et je ne serai pas condamné par le juré ; j’aurai cependant commis un meurtre, parce que je l’aurais commis de propos délibéré, j’aurai moi-même fomenté cette dispute. La loi doit donc prévoir ce cas; la loi doit être claire. Je me range à l’avis de M. Malouet. M. Prieur. Il existait une loi à Athènes par laquelle un citoyen, qui n’en défendait pas un autre attaqué, était puni de mort; ce qui est bien contraire aux principes de M. de Murinais. Pouvez-vous voir un de vos concitoyens en danger, sans voler à son secours? Vous vous exposez vous-même à la mort. M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. L’observation de MM. Malouet et de Murinais consiste à dire qu’il y a trop de vague dans l’article qui vous occupe, et que, pour le préciser davantage, il faudrait déclarer et déterminer que le meurtre pour légitime défense n’a lit u que lorsque la vie de celui qui est attaqué est évidemment en danger, ou bien que la vie d’autrui est attaquée. Je réponds au préopinant : 11 a paru au comité qu’il fallait laisser une sorte de latitude dans cet article, car je demanderai si Lucrèce a été ou non coupable d’un meurtre; il y a d’autres cas que la défense de sa propre vie où le meurtre est légitime. Or, si Lucrèce n’avait pas tourné le poignard contre elle-même, si elle ne l’avait tourné que vers celui qui attentait à son honneur, je vous demande si elle aurait été punie. Donc nous ne pouvons pas employer le mot de la défense de sa vie à l’égard de la simple provocation que M. de Murinais vient d’exposer, par l’exemple d’un homme qui verrait le bâton levé sur un autre et qu’il tuerait. C’est alors le cas de la provocation grave, qui est un des articles qui suivent, où l’accusé n’est pas condamné, mais où il est dit seulement que s’il y a une provocation grave, alors le délit est atténué et la peine est moins considérable. Mais celte provocation grave par voie de fait n’autorise point à tuer. Le mot de l’article dit ; « nécessité par la défense naturelle de soi-même ou d’autrui ». M. de Bnttafuoco. Je demande la suppression du mot : « d'autrui ». Si vous laissiez subsister ce mot, il produirait un grand mal dans la Corse. On est dans l’obligation dans ce pays-là de venger ses parents jusqu’au quatrième degré, et en décrétant l’article tel qu’il est proposé, vous mettriez les familles en guerre les unes contre les autres. M. Duport. Il y a erreur dans ce que vous a observé le préopinant. Ou vous parle d’un usage qui avait lieu dans l’antiquité, et qui peut-être s’est corne? vé en Corse, qui est la vengeance graduelle et héréditaire pour ainsi dire; cela n’a rien de commun avec l’article ; nous sommes bien éloignés de croire que la vengeance soit un motif légitime d’homicide; mais nous avons pensé que la défense naturelle d’un homme que l’on attaque, doit porter à voler à son secours. Cela est nécessaire dans toutes les sociétés qui sont organisées sur des principes de liberté et d’égalité. Maintenant la question est de savoir si dans le recours qu’on lui donne, le meurtre de celui qui attaque peut être considéré comme une excuse, et cette question est rés L e par le mot nécessité. Il ne s’agit pas pour délivrer un homme qui est menacé d’un coup de bâton d’aller tuer celui qui le menace, parce que certainement il n’y a pas de juré qui ose prendre sur lui de déclarer que l’on aura été mù par la nécessité de tuer l’autre ; mais il s’agit d’un homme attaqué par un antre qui a sur lui Davantage de la force et des armes. Je ne puis parvenir à sauver l’un qu’en tuant l’autre. Je fais une chose qui est de droit naturel, que le droit social doit fortifier, puisqu’il tend à unir par des liens d’humanité et de bienfaisance tous les hommes bous contre les méchants. Aussi mettons-nous bien dans la question. Si il n’y a point eu nécessité, si, parce qu’on m’a dit une injure, je m’avise de tuer celui qui m’a donné ce coup, je ne fais point un meurtre légitime ; il faut que ma vie ait été en danger, il faut que ma défense l’ait nécessité. Eh bien ! dans le cas de défense des autres, c’est la même chose. S’il n’y a point eu nécessité, il doit être puni; mais s’il y a eu nécessité par le danger réel de la perte de la vie, cela devient naturel et excusable. M. de Menonville-Filliers. Il y a, je crois, ambiguité dans l’article. Tantôt vous avez employé les mots défense naturelle , tantôt défense légitime. M. Malouet. Je fais une réflexion qui vous fera sentir le danger de cet article. Si vous lui laissez toute sa latitude, deux assassins s’entendent; l’un attaque un homme et se bat avec lui; l’assassin paraît le plus faible; son camarade arrive sous prétexte de le secourir, parce qu’il va être tué par son ennemi, et l’assassin reuni à son camarade poignarde l’autre. Que direz-vous, d’après votre loi, aux deux assassins? Le second représentera au juré qu’il a vu un homme qui était au moment de succomber sous les efforts d’un homme plus fort que lui, qu’il est venu pour défendre. Je vous prie de vouloir bien faire attention qu’il ne suffit pas qu’une loi soit clairement entendue par le juge, par le juré; il faut encore qu’aucun des hommes soumis à cette loi, ne puisse y être trompé. Il ne faut pas laisser aux 309 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1791-1 hommes cette occasion de séduction pour les gens honnê es, cette occasion de crime pour les scélérats. Il faut dire nettement que l’homicide n’est permis que dans le cas où l’on aura à défendre sa propre vie, ou celle d'un homme évidemment menacé de perdre sa vie : hors ces deux cas... ( Murmures à gauche.) A gauche : Ce n’est pas cela. M. Malouet. Si l’on voulait supprimer le mot autrui... ( Oui ! oui !) M. Prieur. Le pins sage serait de renvoyer au comité l’adicle qui est proposé. Je voudrais que le comité fit une rédaction, qu’il nous la rapportât demain : nous aurons l’avantage d’avoir médité sur cet objet qui est vraiment intéressant. M. lie Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Ces messieurs croient que l’article serait mieux dans les principes, et serait mieu'c rédigé si l’on en retirait ces mots : « Pour la défense naturelle d'autrui ». Eh bien, Messieurs, je pense le contraire : c’est que non seulement il est légitime, mais que c’est un devoir de seconder un concitoyen qui est sur le point de succomber sous les efforts d’un assassin. ( Applaudissements et murmures.). M. Tuant de la Rouverte. D’accord, mais non pas de le tuer. M. le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. A l’égard de l’inquiétude que quelques opinants ont montrée, je prie ces messieurs d’observer que tout gît dans l’examen qui sera fait par des jurés qui seront des hommes prudents ; et que tes hommes seront guidés par le mot nécessité. A nsi, d’un côté, ce mot renferme les juges et les jurés dans le véritable principe de la loi, parce que, comme j’ai l’honneur de vous fobserver, il est légitime de tuer l’homme qui nous attaque ; mais c’est une lâcheté de ne pas voler au secours de l’homme qui est attaqué. M. Tuant de la Rouverte. Mais il ne faut pas tuer l’agresseur. M. Martin. Il n’est pas nécessaire de faire une loi pour engager d’accourir à la défense d’autrui. La nature a fait cette loi avant l’Assemblée, il est inutile de la décréter. Il suffit qu’il y ait du danger dans ces mots ou d'autrui pour vous faite rejeter votre article. Plusieurs membres demandent le renvoi au comité. M. Duport. Les préopinants me paraissent tomber dans une erreur qui, si elle était partagée par l’Assemblée, tendrait à laisser la loi naturelle, seule et uniquement juge de nos actions. Ce n’est pas comme cela, heureusement, que nos lois criminelles sont faites. Messieurs, je vous prie de vous fixer à cette idée-ci qui est bien simple, et d’après laquelle vous vous déterminerez pour le renvoi, ou pour l’adoption de l’article. On vous a parlé des jurés qui pourraient déclarer excusable ou non coupable : dans tout cela, on s’est écarté du véritable point de la question. Ils ne déclarent point non cou able, ce n’est point en leur pouvoir. Ils déclarent seulement si l’accusé est ou non convaincu du dMit. On leur expose le fait, et ils doivent, sur leur serment, déclarer s’il est convaincu ou non. Un juré qui, pour faire échapper un homme qui aurait été le meurtrier de son père, le juré, dis-je, qui, par un molif d’humanité, déclarerait qu’il n’est pas convaincu, est parjure à son serment ; il faut, malgré lui, qu’il déclare que l’accusé est convaincu quand il est convaincu. Si les choses n’ont pas été telles que les préopinants viennent de l’alléguer, les jurés déclareront qu’il n’y a pas eu nécessité, et alors il ne peuvent pas déclarer que l’accusé est excusable. Il faut qu’il y ait une excuse qui leur soit présentée, et sur laquelle ils ne peuvent se déterminer, que parce que le fait leur aura paru excusable ; et dès lors, si vous n’admettez pas l'article, tout homme qui aura été au secours de son père, de son ami, de son concitoyen, sera dans le cas excusable, et cependant sera puni, c’est-à-dire qu’il serait condamné à 10 années de chaîne pour avoir fait l’action la plus méritoire qu’un homme puisse faire. D’après cela, je dis qu’il n’y a point de difficulté du tout. M. Garat aîné. J’appuie la proposition de M. Duport et je demande ce que deviendrait le cas du complot dont MM. Malouet et de Muri-nais ont parlé. (Murmures et interruption) ..... Plusieurs membres : La discussion fermée 1 M. Garat aîné... Les Romains républicains ont prévu dans leurs lois le cas d’une défense légitime de soi-même, mais ils n’ont pas cru devoir faire mention de la défense d’autrui. (L’Assemblée ferme la discussion.) M. Thévenot de Maroise. J’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée cetie nouvelle rédaction : <- L’homicide est commis légitimement lorsqu’il l’est par suite de l’indispensable nécessité de la défense de sa propre vie ou de celle d’autrui. » On pourrait encore ajouter : « ou pour repousser une action criminelle ». M. le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. J'adopte très volontiers un<3 partie de l’amendement du préopinant concernant les mots : « indispensable nécessité » ; mais à l’égard de l’autre addition : « ou pour repousser une action criminelle », je lui observe qu’il donne une plus grande latitude à l’article ; car l’homme qui me vole mon mouchoir dans ma poche commet une action criminelle, et si je le tue, assurément je ne suis pas innocent. . . ( Aux voix l'article!) Voici, Messieurs, la dernière rédaction que je propose : Art. 5. « En cas d’homicide légitime, il n’existe point de crime et il n’y a lieu à prononcer aucune peine ni même aucune condamnation civile. Art. 6. « L’homicide est commis légitimement lorsqu’il est indispensablement commandé par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui. » M. de Ruttafuoco. Je demande qu'on retranche les mots : ou d’autrui. M. le Pelletier-Saint-Fargeau , rappor-