382 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1790.] siers, et ce, jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu. * (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Vernier présente ensuite, au nom du comité des finances, un second décret concernant les besoins de la ville de Saint-Omer. Ce décret est adopté ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, sur le rapport de son comité des finances, vu les délibérations prises à l’assemblée du conseil général de la ville de Saint-Omer, les 9 et 23 avril dernier, l’adresse jointe, le décret concernant ladite ville, en date du 29 avril, autorise les officiers municipaux de ladite ville à lever un impôt de 12,000 livres sur les propriétés de ladite ville et faubourgs, proportionnellement aux vingtièmes, pour ladite somme être employée au payement des pauvres ouvriers, tant en leur procurant du travail qu’autrement, à charge d’en rendre compte. « A l’égard de l’autorisation demandée pour la vente de certaines maisons en ruine, et de terrains appartenant à la commune, l’Assemblée renvoie cet objet à l’examen des assemblées de district et de département. » M. le Président annonce que M. le garde des sceaux lui a envoyé la liste des décrets auxquels le roi a donné sa sanction ou son acceptation. 11 en est fait lecture ainsi qu’il suit : « Le roi a donné sa sanction ou son acceptation : « 1° Au décret de l’Assemblée nationale du 27 du mois dernier, qui autorise les officiers municipaux du bourg de Finham, en Languedoc, à se faire remettre par le receveur diocésain des tailles de Castel-Sarrazin, une somme de 1,200 livres sur celles qu’il justifiera avoir en dépôt entre ses mains; « 2° Au décret du 29, qui concerne les délibérations prises par quelques municipalités, relativement au prix des blés et à leur circulation, et porte que Sa Majesté sera suppliée de donner des ordres pour qu’il soit pourvu aux moyens de procurer des subsistances à la ville de Dieppe, aux municipalités circonvoisines, et de rétablir la tranquillité dans ce pays; « 3° Au décret du 30, portant que les gardes nationales resteront, jusqu’à leur prochaine organisation, sous le régime qu’elles avaient lors de la constitution des municipalités ; « 4° Au décret dudit jour, concernant les conditions requises pour être réputé Français, et admis à l’exercice des droits de citoyen actif; « 5° Au décret dudit jour, portant que les assignats seront libellés avec l’indication spéciale de leur hypothèque sur les domaines nationaux, et que le comité des finances est autorisé à nommer quatre commissaires pour surveiller leur fabrication ; « 6° Enfin Sa Majesté a donné des ordres pour que le décret du 29, concernant M. de Biron, nommé commandant dans l’île de Corse, soit exécuté. « Signé : Champion de Cicé, Archevêque de Bordeaux. « A Paris, ce 3 mai 1790. » M. le Président annonce que l’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'ordre judiciaire, et que la question à résoudre en ce moment est celle de savoir quelle sera la durée des fonctions des juges électifs ? Divers membres proposent trois ans et quatre ans. D'autres membres réclament les uns six ans, les autres huit et dix ans. La discussion est ouverte. M. Milscent. Si cette durée était fixée à trois ans, des élections si fréquentes ouvriraient un champ très vaste à l’intrigue. Les assemblées électives seront souvent en proie aux passions, et l’influence de quelques ambitieux y déterminera un grand nombre de suffrages; le magistrat, moins attaché à son état, rendra moins de services à sa patrie. Trouverez-vous de bons juges? Sera-ce parmi les juges actuels, ces juges intègres et vertueux? Ils aimeront mieux se retirer que de courir le risque de perdre bientôt un état qui avait fait le bonheur de leur vie. Sera-ce parmi les avocats? Les bons sont occupés; ils craindront de perdre leur clientèle. On dit qu’on formera des juges. Mais un jeune homme se livrera-t-il à des études pénibles pour occuper, pendant trois ans, des fonctions de magistrature ? Il faut adopter un terme justement proportionné, et voici mon raisonnement. La vétérance d’un magistrat s’obtient à vingt ans; en prenant la moitié de ce temps, il suffira que ce magistrat soit une fois réélu pour avoir parcouru une carrière complète... Je conclus à ce que la durée des fonctions de juges soit de dix ans. M. Muguet de H’anttiou. Hier, vous avez décrété que les juges seront temporaires ; on propose aujourd’hui, de les élire pour dix ans : c’est renouveler le système des juges à vie. Je ne me persuade pas, comme le préopinant, que les assemblées populaires soient aussi vicieuses qu’on l’a dit souvent : alors nous aurions eu tort de les établir, et il aurait fallu laisser au pouvoir exécutif le choix des juges. S’il est possible que la première élection puisse être livrée aux efforts de toutes les passions, il est nécessaire que la seconde soit très rapprochée ; mais quelle en doit être l’époque? Il faut d’abord que le nombre des années soit toujours pair, parce que les élections doivent être faites par les électeurs de département : le terme de deux années serait trop court ; il reste à choisir entre quatre et six ; je me détermine pour quatre ans. Le peuple n’est pas aveugle, il connaît trop son intérêt pour ne pas continuer un bon juge. M. le comte de Clermont-Tonnerre. En proscrivant l’inamovibilité, ce système qui, dans l’ancien ordre, présentait de si grands avantages, vous avez voulu qu’un peuple libre n’abandonnât jamais ses pouvoirs sans retour. Mais ce n’est pas détruire ce système que de fixer le terme à dix ans; c’est un moyen d’attacher à la magistrature des hommes intègres et éclairés, et de ne pas confier à des hommes indignes de cet honneur la balance de la justice. Je ne m’explique pas sur les assemblées primaires ; elles sont sans doute un bien, puisque, sans elles, vous ne connaîtriez pas le vœu du peuple. On a comparé la magistrature aux administrations de département, et l’on a conclu de cette comparaison que les magistrats ne devaient pas rester plus longtemps en place que les administrateurs. Il y a cependant une grande différence entre ces deux espèces de fonctions ; l’administration a une marche beaucoup plus rapide ; les projets d’un ambitieux pourraient être beaucoup plus funestes, parce qu’ils seraient [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1789.] plus tôt réalisés. En donnant des fonctions plus durables aux administrateurs, vous auriez placé dans les administrations mêmes le germe du despotisme. Les hommes dignes d'être juges forment une classe très resserrée dans la société ; ils doivent se présenter aux élections après de longues études, et vous devez leur offrir une perspective qui les console et les dédommage; un terme de quatre années ne remplirait pas cet objet. On craint de s’engager à conserver un juge qui ne répondrait pas à la confiance publique ; mais ou il s’écartera de la loi, ou il s’écartera de la justice. S’il s’écarte de la loi, vous avez pour le ramener le tribunal de révision ; s’il s’écarte de la justice, il sera jugé par la loi. Ainsi, il n’y a point d’inconvénient dans le terme de huit années. M. d’André. Je me suis déterminé pour un temps très court, sur l’opinion d’un jurisconsulte célèbre, qui me disait : « Je serais volontiers juge pour très peu de temps ; je ne consentirais pas à l’être pour un temps considérable... » Les raisons données pour un long délai sont les mêmes raisons que l’on a déduites pour l’inamovibilité. Je serais très fâché que les magistrats considérassent la judicature comme une profession, et les offices comme des propriétés ; et cela arriverait, si les fonctions de magistrature étaient confiées pour un long terme. Quel sera ce terme? Il ne s’agit pas de la liberté ou du despotisme ; vous avez assuré l’une, vous avez détruit l’autre. 11 faut seulement chercher à avoir de bons juges. Il est sûr qu’il viendra un temps où il ne sera pas nécessaire d’être homme de loi pour être magistrat. À présent, c’est tout autre chose : quel sera le jurisconsulte célèbre qui, après dix ans, n’aura pas entièrement perdu son état? Si les fonctions des juges ne durent que quatre ans, le jurisconsulte, devenu magistrat, loin de perdre, gagnera dans la confiance de ses clients, s’il a justifié celle du peuple. Je finirai en disant que celui qui verra dans la magistrature une profession fera des efforts pour se faire réélire. Celui qui ne verra dans son élection qu’une distinction honorable, n’intriguera pas pour être conservé; l'honneur ne cabale jamais. Toutes les objections viennent se briser contre cette réponse. Je demande donc que la durée des fonctions des magistrats élus soit bornée à quatre ans. (On demande à aller aux voix.) M. de Folle ville. Le règlement veut que chaque article constitutionnel soit discuté pendant trois jours. M. Mongfns de Roquefort. Le seul inconvénient réel que pourrait avoir la détermination d’un terme trop court serait défaire descendre du tribunal de bons juges qu’un premier choix y aurait placés. Vous avez détruit cet inconvénient en autorisant à confirmer ce choix : mais si le peuple avait été trompé, si le juge était ignorant ou injuste, pourriez-vous fixer une longue durée aux malheurs du peuple ? Je demande donc que vous déterminiez un temps court, et je pense qu’il doit être de quatre ans. M. Garat, l'aîné. Je tâcherai de dire des vérités; mais je désespère de les rendre en aussi bonnes phrases qu’un des préopinants. J’avais regardé l’inamovibilité des magistrats comme nécessaire, et ce principe était entré dans ma tête avec toute la force de ma raison, avec tout le respect de ma conscience. L’inamovibilité était une 383 loi nationale ; elle avait été rendue sous Louis XI, d’après les longues doléances des peuples. Ne croyez pas cependant que je sois l’esclave des anciennes paroles ; je ne suis l’esclave que de ma raison, et ma raison ne peut être l’esclave que de vos décrets. Quel sera le terme des fonctions de ces juges amovibles? Si vous espérez, et j’espère aussi jusqu’à un certain point, que les élections seront bonnes, je dirai que nous aurons d’excellents juges ; mais les bons juges sont rares; mais ils sont un présent du ciel; si nous les obtenons une première fois, faisons-en jouir la société le plus longtemps possible. Prolongez la durée des fonctions des juges, et vous donnerez aux places. de magistrature un attrait pour les gens dignes de les remplir. Si, au contraire, vous restreignez le terme de la judicature, vous dépouillerez ces places de tout ce qui pouvait les faire envier d’un honnête homme. Je ne connaîtrais que deux espèces d’hommes qui voulussent les occuper: l°les avocats indignes de leur art, repoussés de leur ordre, et tels qu’on vous dépeint V Avocat Patelin ; 2° les jeunes avocats, qui ne doutent de rien, parce qu’ils ne savent rien, et dont le Fierenfat de l'Enfant prodigue nous offre le modèle. Si l’on a cru qu’un avocat, après quatre ans, pourrait reprendre la carrière qu’il aurait quittée, on s’est trompé; la clientèle ne s’entretient que par le pa-tronnage. L’exercice des fonctions de juge, beaucoup moins pénible, rendrait bientôt moins capable de la constance des travaux qu’exige le barreau. Croyez-vous que les élections du peuple vous offriront la voix de Dieu? Alors fixez un terme plus long que quatre années. Croyez-vous qu’elles seront vicieuses? Alors restreignez ce terme à deux ans. On a voulu longtemps des juges ambulants ; eh bien ! vous y substituerez des juges volants. M. Voidel propose de fixer le terme à six années. M. Chabroud. J’ai demandé la parole pour faire deux observations : 1° vous avez atténué tous les pouvoirs dangereux pour la liberté publique et pour la liberté individuelle ; mais il restera une classe toujours alarmante, c’est celle des juges ; ils peuvent, dans tous les moments, porter atteinte aux droits des citoyens ; leur influence a donc besoin d’être réprimée, et vous l’augmenteriez en éloignant le moment des réélections ; 2° il est de l’intérêt du peuple que tous les citoyens qui ont des lumières arrivent à leur tour aux fonctions publiques ; en attachant pour longtemps les juges à leurs fonctions, vous les excluez de l’administration et de la législation ; le terme de quatre ans est le seul vrai, le seul bon. M. Prieur. On craint l’erreur des premiers choix; on peut tout concilier en décidant que les juges de la première élection exerceront pendant quatre ans, et ceux des autres pendant six ans. M. Buzot. L’article qui fait l’objet de la discussion est un article réglementaire; je demande qu’il soit renvoyé au comité de constitution. Si vous croyez cependant devoir prononcer, il ne faut pas dire : la durée des fonctions des juges ne sera que de tel temps, mais ne pourra s’élever au delà de dix, douze ou quinze années. M. Fréteau. J’ajoute à ce que vient de dire M. Buzot une considération très forte ; il y a une très grande vérité dans les opinions; le comité ne s’est occupé d’aucun détail d’exécution ; ne ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1790.] 384 (Assemblée nationale.] serait-il pas convenable de lui renvoyer la question qui nous occupe, puisque cette question n’est qu’une question de détail? Je crois qu’adopter un court délai, ce serait faire un très grand mal au royaume; car toutes les familles, tous les individus attachés à la magistrature abandonneraient cet état. Ne prononcez du moins aujourd'hui que de cette manière : le plus long terme sera de dix ans, et le plus court de quatre ans. Je manquerais à la vérité si, après avoir été juge d’appel pendant vingt ans sur un ressort d’une étendue considérable, je ne disais que, dans la plupart des affaires, j’ai reconnu beaucoup d’aptitude et de désintéressement dans les juges de première instance; il ne m’est arrivé que trois fois défaire réduire des épices ; c’est donc une véritable perte si vous les éloignez d’un état qu’ils croyaient, sur la foi des lois, posséder toute leur vie ; vous renverserez de fond en comble toute la justice dans le royaume. M. Rewbell. Dès que vous avez décrété constitutionnellement que les juges n’existeraient que pendant un temps déterminé, la détermination de ce temps est également constitutionnelle ; ainsi il n’y a pas lieu à renvoyer au comité. La priorité demandée pour le terme de quatre ans est rejetée. Deux épreuves sont douteuses sur la question de savoir si la priorité sera accordée au terme de six années. Les moyens de sortir de ce doute, sans recourir à l’appel nominal, occupent pendant quelque temps l’Assemblée. M. Dubois de Crancé. Dans toute affaire importante, l’appel nominal est une interpellation a la conscience et à la réflexion ; nous ne demandons pas l’appel nominal sur la priorité, mais sur le fond. Le temps sera-t-il limité à six ou à huit ans ? M. Martineau. Cette manière de poser la question serait bonne s’il y avait seulement deux avis ; mais comment répondront ceux qui demandent dix ans? Il faut poser ainsi la question : le terme sera-t-il de six ans, oui ou non? M. Milscent. Le doute s’est élevé sur la priorité demandée pour six ans. En mettant ainsi la question aux voix, vous accorderiez cette priorité. M. Fréteau. Il y a une forme de délibération qui tient à la nature de vos décrets : hier, vous avez décidé que les juges ne seront point à vie ; la première question à examiner ensuite est celle qui se rapproche le plus de la durée à vie. M. Mil-cent l’a présentée; il fallait donc, poursuivre une marche régulière, mettre d’abord en délibération cette question : la durée des fonctions des juges élus sera-t-elle de dix ans? M. le Président. La priorité avait été demandée pour quatre ans; elle a été rejetée; de quatre ans on a passé à six ; deux épreuves ont été douteuses; c’est là le point où nous en sommes. L’appel nommai a été demandé, il doit se faire. M. Démeunier. Hier, le principe a été décrété; il ne s’agit aujourd’hui que d’appliquer ce principe; il y aurait à statuer sur deux objets: 1° la durée du terme pour les premières élections; 2° si ce terme sera le même pour les élections subséquentes. On ne peut se dissimuler que la première fois il y aura un peu d’intrigue; vous ne préjugerez rien en décidant, dès ce moment, que, pour la première élection, les fonctions des juges seront de six ans, et que l’Assemblée, après l’organisation du pouvoir judiciaire, examinera s’il est convenable d’étendre ce terme. (L’Assemblée décide que l’appel nominal ne sera pas fait sur la priorité demandée. — Elle se détermine ensuite à aller aux voix sur le fond de la question.) M. de Sillery demande la question préalable sur le terme de dix ans. Cette proposition est adoptée, et l’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Prieur. La délibération est réduite à un point simple : il faut aller aux voix sur la question de savoir si le terme sera de six ou huit ans. (On délibère par assis et levé.) M. le Président annonce qu’il y a du doute. Quelques membres du côté droit réclament. M. le Président observe que le doute vient de ce que beaucoup de membres de cette partie se sont levés pour et contre. On fait l’appel nominal. Le résultat donne 517 voix pour six ans, et 274 pour huit ans. M. le Président prononce que l’Assemblée a décrété « que les juges exerceront leurs fonctions pendant six ans ». La séance est levée à trois heures moins un quart. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY, EX-PRÉSIDENT.. Séance du mardi 4 mai 1790, au soir (1). M. le marquis de Bonnay, ex-président , ouvre la séance à six heures du soir. M. Defermon, député de Rennes, donne lecture d’une adresse de la municipalité de Bennes, qui, d’après te vœu du conseil général de la commune, demande à acquérir pour 3 millions de biens ecclésiastiques. Cette adresse est renvoyée au comité de la vente des biens ecclésiastiques. M. Fucas, député de Gannat, lit une adresse de la municipalité de cette ville, qui, voulant donner une nouvelle preuve ,de son dévouement aux décrets de l’Assemblée nationale, demande à acquérir pour 500,000 livres de biens ecclésiastiques. Cette adresse est également renvoyée au comité de la vente des biens ecclésiastiques. M.lemarquis d’Argenteuil, député d’Auxois, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.