296 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (6 novembre 1790.] pu ignorer que la ville de Toulouse ne renfermait ni troupes réglées, ni garde nationale armée, et que cependant il n’a pris aucun moyen pour suppléer à ce dénûment de force publique ; qu’il n’a donné à. la municipalité de Toulouse ni instruction sur la conduite qu'elle avait à tenir, ni ordres quelconques ; qu’il ne Ta pas même prévenue de l’avis qu’il donnait au directoire du département de la Haute-Garonne; qu’enfin l’inexécution du décret du 8 octobre ne peut être attribuée qu’à la nullité des ordres donnés par le ministre du roi, ou à des intentions déjà trop souvent manifestées pour qu’il ne vous soit pas facile de les qualifier. Dans cette situation, votre comité a pensé qu’ici les faits parlaient d’eux-mêmes. Assuré qu’aucune des réflexions qu’ils présentent ne pouvait vous échapper, votre comité ne vous rappellera pas l’audace avec laquelle quelques ministres ont résisté, en dernier lieu, aux marques les plus authentiques de la méfiance nationale. Il ne vous rappellera pas que, depuis cette époque où leurs défenseurs, même les plus zélés, leur ont prodigué dans cette Assemblée les témoignages d’une profonde mésestime, les ministres, satisfaits d’avoir conservé leurs places par une si humiliante victoire, ont cessé de dissimuler leurs intentions coupables, et qu’ils ont même semblé trouver une nouvelle force, une nouvelle confiance dans le triomphe honteux qui les a mis momentanément au-dessus de l’opinion publique. Votre comité ne vous rappellera pas les malheurs successifs qui ont été le fruit, tantôt de l’inertie affectée des agents supérieurs du pouvoir exécutif, tantôt de la complaisance empressée avec laquelle ils exagèrent, dans leurs récits, des événements déjà trop déplorables, tantôt du silence perfide qu’ils observent sur des circonstances heureuses, propres à soutenir et à ranimer l’espérance des bons citoyens. Enfin, votre comité ne vous rappellera pas que la Constitution, pour l’établissement de laquelle nous avons fait de si grands sacrifices, sera dans un continuel danger tant que des ministres suspects au peuple, .inhabiles et mal intentionnés, ne cesseront d’en tasser les obstacles autour des représentants de la nation, et d’opposer aux efforts constants et courageux du patriotisme les ressources honteuses et toujours renaissantes de l’intrigue et de la malveillance. Votre comité, se renfermant dans l’objet particulier de son rapport actuel, se borne à vous prier de porter un instant vos regards sur la forme dérisoire des lettres écrites par M. Guignard à la municipalité de Toulouse, sur l’extraordinaire confiance avec laquelle ce ministre ne cherche pas, même dans sa réponse au comité des rapports, à excuser, à expliquer l’insuffisance évidente des ordres qu’il a donnés pour l’exécution du décret du 8 octobre; enfiD, sur la néèessité de pourvoir à l’avenir d’une manière efficace à l’accomplissement prompt et assuré des volontés nationales, sanctionnées par le roi. Votre comité, s’en repoâant sur votre "sagesse pour les déterminations ultérieures qu’il pourra être convenable de prendre sur ces différents objets, se borne dans ce moment à requérir l’exécution du décret du 8 octobre dernier. Il m’a chargé, en conséquence, de vous proposer un projet de décret. M. Voidel. Je propose de décréter que la municipalité de Toulouse sera maudée à la barre pour n’avoir pas rempli les intentions et les ordres du ministre qui s’était reposé sur elle spécialement de l'exécution du décret de l’Assemblée nationale. Un membre : C’est le ministre qu’il faut traduire à la barre ! M. de Montlosier (1). Je ne doute pas que ce ne soit un agréable délassement pour plusieurs membres de cette Assemblée de voir un ministre du roi, mandé à la barre ..... (On rit.) Je ne doute pas non plus que si l’on voulait mettre de côté le secret plaisir d’exercer une petite domination individuelle sur des hommes à qui Ton a tant reproché d’abuser de la leur, ( Des murmures) on serait tout à la fois, et plus juste envers eux, et plus conséquent aux reproches dont on ne cesse de les accabler. (Interruption de toutes parts.) Mais il existe depuis longtemps deux classes d’hommes qu’on se plaît à nourrir de couleuvres et de cailloux, les ministres du roi et les membres de la minorité. (Grands murmures qui durent une demi-heure.) (2) Oui, Messieurs, les membres de la .minorité, qu’on encourage à insulter chaque jour sur leur siège, au milieu de leurs fonctions et auxquels des hommes sans pudeur ne craignent pas de venir apporter publiquement et au milieu des applaudissements les plus dérisoires, le tribut de leurs injures et de leur insolence ..... ( Nouveaux murmures.) Oui, Messieurs, des ministres que nous nous plaisons à vouer à l’ignominie, dont nous nous efforçons d’énerver les moyens, et dont nous venons ensuite accuser l’impuissance qui est notre ouvrage. (Nouvelles interruptions.) Messieurs, si je' me livre en ce moment à la décourageante fonction de défendre des hommes que la lâcheté attâque aujourd’hui de la même manière que le courage les attaquaitautrefois,jedéclare qu’aucun sentiment personnel ne peut m’attacher à leur cause, car je ne les connais pas; nec bene/îcio, nec injuriâ cogniti. (De toutes parts on crie : Aux voix !) Mais il est de mon devoir de dire à l’égard de M. deSaint-Priest,que le blâme que l’Assemblée paraît vouloir lui infliger ne peut avoir aucun motif. (Murmures.) Et si Ton en excepte les haines ou les ambitions particulières, toujours ingénieuses à s’armer de tout, sa conduite, dans l’affaire présente, me paraît évidemment hors de tout reproche. Qu’a fait M. de Saint-Priest? Que devait-il faire? — Que devait-il faire ! Il devait exécuter rigoureusement et mathématiquement votre décret ..... (On crie de tous côtés : Des raisons , des raisons !) il devait exécuter votre décret dans ses propres termes ; il devait l’exécuter encore aux termes de la sanction royale; c’était là son double titre, c’était là son devoir; il ne pouvait s’écarter ni de l’un, ni de l’autre. (Toujours un bruit effroyable de toutes les parties de la salle.) Or, le décret portait que le roi prendrait des mesures pour s’assurer de la personne des membres de la chambre .des vacations. La sanction du décret portait que ce môme décret serait envoyé à la municipalité de Toulouse, et aux corps administratifs, pour être mis en exécution. (1) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Les envoyés extraordinaires de Corse ont jugé à ropos de venir à la barre insulter leurs députés, aussi ien que tout le côté droit, de la manière la plus indécente, mais depuis longtemps nous sommes accoutumés à des scènes de cette espèce; celle d’hier fut un peu plus violente que de coutume, et M. de Lachèze , fit la motion de les faire arrêter sur-le-champ. [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENT AIRES. [6 novembre 1790.1 397 M. de Saint-Priest a envoyé de même au département. M. de Saint-Priest leur a recommandé l’exécution : il a donc rempli rigoureusement et strictement son devoir. ( Nouveaux murmures dans toutes les parties de la salle.) Messieurs, quand je dis qu’il a rempli rigou-reusementetstrictementsondevoir, je ne prétends pas dire pour cela, que, s’attachant uniquement à la lettre de la loi, il en ait voulu éluder les dispositions réelles ; je ne veux laisser à la malveillance aucune espèce de prétexte d’accuser son intention : en rendant justice à ces actes, je dis que M. de Saint-Priest ne peut être accusé sous aucun rapport. La municipalité de Toulouse, dit M. de Broglie, n’avait pas des armes; les municipalités, disent les autres, ne sont pas des agents du pouvoir exécutif. ( Interruption . — Bruit.) ...... La municipalité de Toulouse n’avait pas des armes : comment est-il donc arrivé qu’elle a offert les secours de sa garde nationale, à l’armée prétendue patriotique de Bordeaux, contre la ville de Montauban? Gomment est-il arrivé que, de son propre mouvement, sans aucune espèce d’accusation, elle ait envoyé trois cents hommes armés, arrêter un représentant de la nation (M. de Toulouse-Lautrec); comment cette municipalité si patriotique, cette municipalité si prête à marcher avec des baïonnettes et du canon contre ses frères, ses amis, ses voisins, cette municipalité si vouée à l’admiration de vos décrets, si prête à verser tout son sang et celui des autres pour leur exécution, n’a-t-elle plus un homme à ses ordres pour faire exécuter vos lois ? Quelle situation est donc celle des ministres du roi, si, lorsqu’on ne peut les reprendre d’aucune faute personnelle, il faut encore qu’ils soient coupables de celles des autres 1... {Nouvelles interruptions.) ..... Soyons francs. Quand il est question de flatter le délire ou les passions du peuple, vos maires ou officiers municipaux, vos patriotes ont toujours assez de force, mais lorsque les coups de cette autorité commencent à prendre une teinte odieuse, alors on invoque celle du roi et des ministres, c’est ainsi qu’on s’empresse d’attirer à soi la uintessence de l’autorité, en tout ce qu’elle a de oux et de flatteur, et qu’on a grand soin d’en rejeter ce qu’elle a d’amer et d’odieux pour s’abandonner au roi et à ses ministres. On dit que les municipalités et les corps administratifs ne sont point des agents du pouvoir exécutif. Voilà, sans doute, une singulière découverte; certes, il est bien extraordinaire que les municipalités, à qui vous avez confié la plus grande partie de la force publique, ne soient plus, au jugement de certaines personnes, les mandataires du pouvoir exécutif. Cetre doctrine est sans doute merveilleuse: elle aura besoin cependant de quelques efforts pour s’établir parmi nous. Quelle merveille, en effet, de voir que les différents comités des recherches ont toutes les municipalités du royaume à leurs ordres pour faire arrêter des citoyens, pour troubler partout la liberté civile et la sécurité domestique. Quelle merveille de voir M. de La Fayette faire arrêter, de son propre mouvement, un membre de celte Assemblée, et que tandis que les municipalités sont dans l’ordre du pouvoir exécutif pour les décrets des comités des recherches ou pour ceux de M. de La Fayette, elles ne le soient plus pour ceux de l’Assemblée. M. Duqnesnoy. Je propose de décréter, dès demain Parmement de toutes les gardes nationales du royaume. (Cette motion est ajournée et renvoyée au comité de Constitution.) (La proposition de mander le ministre à la barre est retirée.) M. Muguet de Manthou. J’observe que la volonté de { Assemblée nationale, pour l’entière et prompte exécution de ses décrets sanctionnés par le roi, serait également remplie, si M. le Président se retirait par devers le roi pour dénoncer à Sa Majesté l’inexécution du décret qui a ordonné l’arrestation des membres de la chambre des vacations du parlement de Toulouse et que l’auteur de cette coupable négligence est le sieur Guignard, ministre de l’intérieur. Divers membres demandent la priorité pour cet amendement. Il est mis aux voix et adopté dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le compte qui lui a été rendu par son comité des rapports, « Décrète que son Président se retirera de nouveau par devers le roi, à l’effet de lui exposer que c’est par la faute du sieur Guignard, ministre du département, que le décret du 8 octobre dernier, concernant les membres de la ci-devant chambre des vacations du parlement de Toulouse, n’a pas été exécuté, et pour supplier Sa Majesté de donner incessamment tous les ordres uécessaires pour l’exécution littérale et prompte du décret du 8 octobre dernier. » M. le Président annonce le résultat du scrutin pour l'élection d'un nouveau président de l’Assemblée et de trois secrétaires. Les voix pour la présidence se sont partagées entre trois candidats. Sur 540 votants, M. Chasset a obtenu 260 voix, M. de Clermont-Tonnerre 155, M. Le Chapelier 61. Aucun des candidats n’ayant obtenu la majorité absolue, il sera procédé demain, à l’isBue de la séance, à un nouveau scrutin. Les secrétaires élus sont MM. Goroller, Gobel, évêque de Lydda, Poignot. Ils remplacent MM. Charles Régnault, Durand Maillane et Boullé, secrétaires sortants. M. le Président lève la séance à dix heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLEE NATIONALE DU 6 NOVEMBRE 1790. Discours de M. Buttafuoco , député de Vile de Corse, à l’Assemblée nationale (1). avertissement. J’avais obtenu là parole pour exposer à l’Assemblée la position de la Corse, et pour lui en pro-(1) G# document n’a pas été inséré au Moniteur.