(Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES (13 avril 1790.J 711 2° De lettres patentes sur le décret du 18 du même mois, contenant des dispositions pour prévenir et arrêter les abus relatifs aux bois et forêts domaniaux et dépendant d’établissements ecclésiastiques ; 3° De lettres patentes sur le décret du 22, concernant l’abonnement général des droits sur les huiles à la fabrication, et sur les huiles et savons au passage d’une province dans une autre du royaume, provisoirement, et pour la présente année 1790 seulement ; 4° De lettres patentes sur le décret du même jour, concernant les formes à observer pour l’acquit de la contribution que les villes auront à fournir dans le remplacement de la gabelle, des droits de traite sur les sels, de ceux de marque des fers, et des droits de fabrication sur les huiles et les amidons ; 5* Enfin, de lettres patentes sur le décret du 23, portant établissement d’une commission provisoire dans la province de Languedoc, afin d’y assurer la perception et le recouvrement des impositions. M. le marquis de Paroy, député du bailliage de Provins, demande par lettre la permission de s’absenter pendant quinze jours. Cette permission est accordée. M. de Vismes, député de Laon, propose un décret concernant l’assemblée prochaine du département de l’Aisne. Cette affaire est renvoyée au comité de constitution pour y être examinée. M. Cigongne, député de Saumur , demande la parole pour dénoncer un libelle répandu dans cette ville tendant à faire révolter l’armée. Ce libelle est renvoyé au comité des recherches. M. le comte de Rochegude, dont les pouvoirs ont été vérifiés et reconnus en bonne forme, est admis à remplacer M. le marquis Dupac de Badens, député deGarcassonne dont la démission a été acceptée. M. le Président dit qu’il vient de recevoir une adresse de la ville de Strasbourg relative à la demande des juifs d’Alsace, réclamant la plénitude de l’état civil et les droits de citoyens actifs. ( Voy . la pétition des juifs, annexée à la séance de ce jour, p. 720.) L’Assemblée pressée d’arriver à son ordre du jour, ajourne cette affaire à une séance du soir. L’adresse de la ville de Strasbourg est ainsi conçue : « 'Nosseigneurs, la commune delà ville de Strasbourg ne vous a encore adressé que les expressions de sa gratitude. Remplis d’admiration pour vos travaux, pénétrés de reconnaissance pour le grand bienfait de la liberté que vous avez rendue à tout l’empire français, attachés de cœur et d’esprit à cette sublime Constitution qui repose sur la plus parfaite égalité sociale entre les citoyens, sur cet amour universel des hommes, qui ne voit que des frèreg dans une aggrégation de 24 millions d’individus, nous avons fait le sacrifice de tous nos droits particuliers, de toutes les conventions que nos pères nous avaient transmises, de toutes nos convenances locales, de toutes nos habitudes les plus chères, pour n’être plus que Français ; et nous le serons jusqu’à la mort. « C’est à ce titre de Français, qui ne voient dans les représentants de la nation que des pères constamment Gccupésdii bonheur 4’unê seule et même famille, que nous venons avec confiance déposer dans leur sein les vives inquiétudes qui nous agitent dans ce moment-ci, et les supplier avec instance de les faire cesser. « Nous n’avions point été alarmés des disposition s du décret par lequel vous avez maintenu les juifs Portugais, Espagnols et Avignonais, dans les droits dont-ils avaient joui précédemment. Nous n’y avons vu qu’un grand acte de justice, et certes il aurait été étonnant que les législateurs, dont le respect pour la propriété est la première règle, n’eussent pas conservé la propriété la plus précieuse, celle des droits de citoyen français, à des individus qui, ayant mérité sans doute une exceptionsousl’empiredu despotisme, ne devaient pas la perdre sous celui de la liberté. Nous n’avons vu là qu’une conservation et non une création nous nous sommes reposés sur la différence qui existe entre les j uifs auxquels il faudrait en donner une nouvelle. Nous avons pensé que la position n’étant pas la même, la conséquence devait nécessairement être différente. « Les juifs d’Alsace n’en ont pas pensé ainsi. Ils ont pensé que, quoiqu’ils n’eussent de commun avec les juifs Portugais qu’une origine commune et le même nom, ce nom seul de juifs allait les rendre citoyens français dans toutes les parties de l’empire ; déjà, Nosseigneurs, ils vous avaient présenté une pétition dans laquelle leur prétention n’était pas douteuse ; déjà, ils avaient trouvé des défenseurs zélés dans une société particulière qui s’est formée parmi nous ; déjà des mémoires imprimés pour eux annonçaient leur intention de se répandre dans notre ville avec d’autant plus d’empressement, qu’ils en avaient été plus fortement repoussés. « Pour parer à cette invasion, plusieurs de nos concitoyens ont suivi la marche qui leur était dictée par la loi. Réunis au nombre déterminé par le décret qui constitue les municipalités, ils ont demandé que la commune fût assemblée pour constater son vœu sur la question relative à l’admission des juifs aux droits des citoyens actifs ; le conseil général de la commune s’est empressé de la convoquer; et dans quinze assemblées pàrtiaires, composées de personnes de tous les états, l’unanimité la plus entière a été contre cette admission. « Un vœu aussi général est sans doute un ter rible argument contre les juifs ; il est impossible d’imaginer que ce vœu ne soit fondé que sur des préjugés populaires ; et si les législateurs eux-mêmes ont pensé que la loi n’est bonne qu’autant qu’elle se met au niveau de l’opinion publique, jamais cette opinion publique n’a été plus fortement prononcée. « Nous ne craignons pas davantage que les représentants de la nation veuillent nous faire un crime de chercher à nous prémunir contre les effets funestes d’un décret dont nous étions menacés, que les protecteurs des juifs vantaient d’avance comme une conséquence nécessaire de la déclaration des droits de l’homme, que des députés même de l’Assemblée nationale nous annonçaient comme devant être incessamment rendu. Nous reconnaissons que la loi, ayant une fois les caractères que lui donne ce titre sacré, il ne reste plus d’autre parti à prendre que celui de la soumission et de l’obéissance ; mais il n’y a qu’un peuple esclave qui puisse être condamné à attendre en silence la loi qui lui sera dictée, et il est de l’essence d’un peuple libre d’éclairer ses législateurs sur les lois qui ne spnî que pré- 712 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] parées, puisque la loi n’est autre chose que l’expression de la volonté générale. « C’est ainsi que vous l’avez pensé vous-mêmes, vous, Nosseigneurs, qui, représentants d’un peuple que vous avez rendu libre, avez voulu avant tout vous investir de l’opinion publique ; vous avez pensé que l’admission indéterminée des juifs aux droits de citoyens actifs ne dérivait pas nécessairement de la déclaration des droits ae l’homme, puisque vous n’avez prononcé que sur le sort de quelques individus de la nation juive. En vous déterminant à ajourner la question sur les droits à accorder aux autres juifs, vous avez senti que des considérations majeures pouvaient amener des exceptions au principe général ; et ce sont ces considérations que nous vous soumettons avec d’autant plus de confiance, que nous avons cru y être en quelque sorte invités par l'ajournement, que vous avez prononcé. « Nous sommes bien éloignés de vouloir rendre les juifs odieux en nous reportant aux époques de notre histoire qui semblent accuser leurs pères de crimes atroces ou au moins de complots odieux. Si ces crimes ont été avérés, la vengeance l’est également, et nous désirerions que le crime ainsi que la vengeance fussent effacés de notre histoire, comme il n’en reste aucune trace dans nos cœurs. « Nous sommes également éloignés de chercher dans la différence de la religion que les juifs professent un motif d’exclusion des droits de citoyen. Si nous les croyons dans l’erreur, nous nous bornons à les plaindre ; et nulle part peut-être il n’a été mieux prouvé que, malgré la diversité de croyance, tous les Français étaient égaux à nos yeux; qu’ils avaient les mêmes droits à exercer comme les mêmes devoirs à remplir. « L’idée des droits à exercer amène nécessairement celle des devoirs à remplir, et les premiers ne doivent pas être accordés à ceux qui sont incapables de satisfaire aux seconds ; et c’est le cas dans lequel se trouvent les juifs. « Ils prétendent, à la vérité, que les charges publiques pèsent sur eux comme sur les chrétiens, et il est au moins douteux qu’ils soient véritablement de bonne foi quand ils veulent parler de proportion. Qu’ils calculent avec sincérité leur fortune réelle, celle qui est apparente et celle qui échappe à l’impôt ; qu’ils la comparent avec les richesses des autres citoyens ; qu’ils calculent ensuite la masse des impositions qui pèsent sur nous avec celles qu’ils supportent, et qu’ils nous disent de quel côté penchera la balance. Qu’ils nous disent, ces juifs qui parleut de sacrifices faits à la chose publique, si dans tous les temps, dans les moments des besoins les plus pressants, ils n'ont pas employé toutes les ressources de leur crédit, toutes les finesses de l’intérêt pour échapper aux augmentations que les autres citoyens étaient obligés de supporter. Qu’ils nous disent si, dans le moment où la corvée en nature pour la confection des routes, a été convertie en une prestation en argent, ils n’ont pas fait tous leurs efforts pour échapper à cette imposition, en prétendant que l’exemption dont ils avaient joui sous le prétexte de leur religion, devait encore exister lorsqu’il était question de leur bourse. Et ce sont ces hommes toujours récalcitrants lorsqu’il s’agissait de contribuer aux besoins de la société, qui veulent participer aux avantages de cette même société. « Dans la pétition que les juifs yç>us ont présentée, dans le mémoire qui a été rédigé en leur faveur, l’on annonce qu’à l’avenir ils supporteront comme tous les autres Français leur portion des impositions destinées aux dépenses publiques. Nous ne voyons dans cette offre qu’un peu plus d’argent qu’ils consentent de sacrifier. Mais les juifs croient-ils donc que l’argent suffit à tout, doit tenir lieu de tout? Pensent-ils que le devoir du citoyen se borne à faire le sacrifice d’une portion de sa fortune particulière pour la défense, pour le maintien de la fortune générale? Il est des devoirs personnels à remplir, des devoirs indépendants de la fortune; et ce sont ces devoirs que jamais les juifs ne pourront remplir avec les chrétiens tant qu’ils resteront attachés à leur loi. « C’est moins nous qui les repoussons que nous qui sommes repoussés par eux. A leurs yeux, nous sommes des profanes qui souillons tout ce que nous touchons ; et leur loi leur défend comme un crime de faire usage d’autres comestibles, d’autres boissons que de ce qu’ils ont eux-mêmes préparé dans ce genre. Pour nous borner à un seul exemple de l’impossibilité de la réunion proposée par les juifs, nous le demandons à tout homme non prévenu, aujourd’hui que tout soldat est citoyen, et que tout citoyen doit être soldat, est-il possible qu’avec un préjugé semblable, les juifs puissent se réunir avec les chrétiens pour voler au secours de la patrie, si elle était attaquée? Est-il possible que les uns et les autres puissent vivre sous la même tente ? Et si les juifs ne peuvent pas être soldats, ils ne peuvent pas être citoyens. Cet exemple pourrait s’appliquer à mille cas de la même espèce. <>• L’on nous objectera sans doute que nous parlons ici de préjugés ; que cette répugnance de la part des juifs est moins fondée sur leur loi que sur les superstitions que les hommes y ont ajoutées. Mais qu’importe que ce soit préjugé, superstition, si les juifs le regardent comme un article de leur croyance, s’ils y sont invinciblement attachés, si leur conscience leur en fait une règle de leur conduite? Ne savons-nous pas tous que malheureusement dans toutes les religions, les hommes tiennent plus aux pratiques extérieures de la religion, qu’aux grands principes de la morale qu’elle enseigne, et que souvent, ce que d’autres hommes y ont ajouté, fait plus d’impression que ce qui a véritablement été prescrit par le législateur ? « Quelque chose que l’on fasse, il existera toujours un mur de séparation entre les juifs et les chrétiens. La raison devrait le détruire, mais le préjugé le soutiendra longtemps encore. La loi des juifs leur défend de se mêler avec les autres nations ; tout ce qui n’est pas juifs doit être étranger pour eux ; et tant que cette opinion subsistera, la nation juive sera toujours une nation dans une nation : il n’y aura jamais entre eux et nous une véritable société, parce qu’une société bien ordonnée ne peut exister qu’avec toutes les communications réciproques ; et les juifs ne peuvent, suivant leur loi, en avoir que très peu avec nous. Et pourquoi traiterions-nous les juifs comme membres ae nos société, comme nos concitoyens, lorsque ces mêmes juifs nous regardent et doivent nous regarder comme des étrangers, et que dans leurs principes, ils espèrent toujours d’avoir un roi qui doit leur soumettre toutes les autres nations? et rien n’est plus opposé à la sociabilité qu’une opinion de ce genre. « Que serait-ce donc si ces juifs qui demandent à jouir des avantages de la société, sans pouvoir remplir les conditions du contrat social qui près- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] 713 crit les devoirs, étaient nuisibles à cette même société? nous sommes fâchés de le dire, mais jusqu’ici nous n’avonsque trop éprouvé combien ils étaient pernicieux Que l’on ouvre les registres de de nos tribunaux, et dans un grand nombre de rocédures destinées à constater les délits qui lessent la société, l’on y verra figurer un juif au moins comme recéleur. Que l’on examine leur conduite dans ce qu’ils appellent le commerce, et qui serait mieux appelé le brigandage, on les verra constamment occupés de toutes parts à guetter les besoins, à les faire naître peut-être, à présenter des appâts trompeurs, à augmenter ces mêmes besoins par des facilités perfides, à exciter les jeunes gens et les domestiques à leur porter les objets de leur commerce, et à n’abandonner les victimes de leur cupidité que lorsqu’ils ont consommé leur ruine. « Ce tableau qui n’est malheureusement que trop ressemblant, ne porte pas sans doute sur tous les juifs. 11 en est, sans contredit, qui doivent leur fortune à des moyens que la probité et la délicatesse peuvent avouer ; mais il est également démontré que ce tableau n’est point chargé, relativement au plus grand nombre de ceux qui sont répandus en Alsace. « Quelques écrivains ont pensé qu’il était d’autant plus difficile d’espérer que les juifs renonçassent à des manœuvres réprouvées par la probité, que non seulement leur loi ne leur en faisait pas un crime, mais encore qu’elle l’autorisait vis-à-vis de ceux qui ne professent pas la même religion. Nous ne ferons pas à la loi ancienne, qui a précédé et amené la loi nouvelle, l’injure de croire à cette assertion. Nous ne nous déterminerons jamais à croire que la religion des juifs leur prêche une morale aussi perverse. Mais qu’importe que la loi leur défende ou non de faire usage des moyens illégitimes que nous leur reprochons s’ils les employaient tous les jours, et que fait la morale si elle est transgressée dans la conduite ? Ce n’est point la religion des juifs que nousattaquons, ce n’est point leur morale que nous critiquons, nous n’en voulons qu’à des vices qui sont si habituels qu’ils semblent inhérents à l’existence de de ceux qui en sont affectés ; nous ne demandons qu’à être préservés des dangers qui résulteraient de leur admission aux droits de citoyen, et nous les redoutons comme des gens vicieux et corrompus de quelque part que vienne cette corruption. «Les philosophes, en convenant des vices habituels des juifs, prétendent à la vérité que c’est à nous seuls que nous devons attribuer l’existence de ces vices; que les juifs sont condamnés à y être éternellement livrés par nos barbares institutions qui les éloignent de toutes les professions honnêtes; ils soutiennent que, puisque nous leur interdisons les moyens légitimes de pourvoir à leurs subsistances, il faut bien que le cri de la conscience soit étouffé par celui du besoin. Ils en concluent que s’ils pouvaient se livrer à tout l’essor de l’industrie, qui est l’apanage de l’homme, ils abandonneraient les moyens illégitimes pour ne faire usage que de ceux que l’honnêteté peut avouer hautement. « Nous ne nous dissimulons pas que ce raisonnement est spécieux, qu’il est séduisant, qu’en le considérant d’une manière isolée des faits, il force en quelque sorte l’assentiment de la raison. Mais vous nous permettrez, Nosseigneurs, de vous observer que les raisonnements qui portent avec eux le plus grand air de vérité, viennent échouer contre l’expérience, lorsque cette expérience démontre le contraire. Le peu de solidité de ce raisonnement est prouvé par ce qui s’est passé dans la province dont notre ville est la capitale, par ce qui est arrivé chez nos voisins. En 1784, des lettres patentes contenaient des dispositions particulières aux juifs de l’Alsace et en leur donnant un régime, elles leur offraient des moyens de se rendre utiles. Qu’est-il résulté de ces dispositions? ce qui arrivera toujours. Les juifs ont profité des faveurs qui leur étaient accordées ; ils ont négligé les moyens qui pouvaient les leur mériter. En Lorraine, cent quatre-vingts familles juives ont reçu de Stanislas le bienfait de l’existence civile. En vertu de lettres patentes, enregistrées au parlement, ils jouissent, dans cette province, de tous les droits de citoyens. Et cependant depuis 1751 que celte faveur précieuse leur a été accordée, l’on compte à peine cinq ou six de ces familles qui se soient livrées à un commerce honnête et avoué. Tous les autres se sont livrés à ce commerce obscur, que la clandestinité seule rendrait suspecte; ils s’adonnèrent à toutes les manœuvres pernicieuses dont nous nous plaignons. Pas un seul ne s’est adonné à l’agriculture, pas même à la culture de leurs jardins ; ils ne se sont livrés à aucun métier utile, et en Lorraine comme en Alsace, le plus grand nombre des juifs est regardé comme un fléau. Ceux qui connaissent tous les actes de bienfaisance dont la Lorraine est redevable à Stanislas, regrettent tous les jours que celui que ce roi philosophe a exercé envers les juifs, soit devenu par le fait une disposition nuisible à une province dans laquelle son nom n’est encore prononcé qu’avec vénération. « Si plus de trente années n’ont pas suffi pour rendre les juifs de Lorraine, quoique le nombre des familles soit limité, des véritables citoyens, livrés à des occupations utiles à la société, que peut-on espérer des 20, 000 juifs qui sont répandus dans l’Alsace, qui ont contracté l’habitude de l’usure, d’un brocantage clandestin et ruineux ! Une expérience de plus de trente années ne doit-elle pas faire craindre que les vices que nous leur reprochons soient inhérents à leur caractère particulier et peut-être à une constitution qu’ils nous cachent et dont ils ne paraissent vouloir, dans ce moment-ci, faire le sacrifice que pour abuser d’une manière plus ouverte du bienfait qu’ils sollicitent 1 « Au surplus, Nosseigneurs, si les juifs sont de bonne foi, s’ils veulent véritablement devenir citoyens, si, désirant jouir des avantages de ce titre, ils consentent en même temps à remplir tous les devoirs qu’il impose, qu’ils renoncent à leurs usages particuliers, qu’ils ne reconnaissent d’autre loi que celle qui sera commune à tous les Français, qu’ils détruisent eux-mêmes le mur qui les sépare de nous, qu’ils ne nous considèrent plus comme des profanes et des étrangers, qu’ils s’établissent librement dans les communes qui consentiront à les recevoir, qu’ils y exercent les métiers auxquels leur industrie pourra les appeler ; qu’ils s’adonnent à l’agriculture; qu’ils se rendent utiles enfin ; alors nous pourrons les recevoir comme nos frères et comme nos concitoyens : mais dans le moment actuel, nous vous supplions, avec les plus vives instances, de ne pas nous imposer la loi de les admettre comme tels. « Et que viendraient-ils faire parmi nous ? Viendraient-ils augmenter une population déjà proportionnée à l’espace dans lequel nous sommes circonscrits et au delà duquel’ nous ne pouvons pas nous étendre? A quoi pourrait servir une augmentation de population, lorsqu’il ne s’ouvre 714 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.] aucune ressource nouvelle qui puisse l’alimenter ? Serait-ce l’agriculture ? elle est nulle pour notre ville. Seraient-ce les métiers? Mais déjà voyons-nous avec douleur que les circonstances malheureuses dans lesquelles nous nous trouvons, privent beaucoup d’ouvriers des moyens d’exercer leur industrie, et, par une suite nécessaire, des moyens de subsistance pour eux et leurs familles. D’ailleurs, nos corporations existent ; tous les ouvriers existants ont été obligés de passer par des épreuves, de faire des premiers sacrifices d’argent, et n’y aurait-il pas de l’injustice que les juifs vinssent partager leurs bénéfices sans avoir supporté les charges qui leur ont donné le droit d’y aspirer ? N’y aurait-il pas du danger pour nos concitoyens, les juifs n’ayant pas passé par les épreuves qui sont les garants de la fidélité et de l’expérience de l’ouvrier ? « Seraient-ce les arts ? Mais les arts ne prospèrent qu’avec le luxe ; et ce n’est pas dans les moments des besoins les plus pressants que les arts peuvent trouver un aliment qui excite l’invention ou la perfection. « Serait-ce le commerce ? Il ne prospère qu’avec la confiance publique, et cette confiance n’existe qu’avec la bonne foi reconnue. Personne n’ignore que le commerce des juifs ne subsiste que par des moyens contraires ; et la défaveur occasionnée par leur mauvaise foi rejaillirait sur le nôtre, et l'un et l’autre seraient inévitablement détruits. Quelle ressource pourrait-il donc rester aux juifs, si nous les admettions parmi nous ? a Point d’autre que celle que les juifs ne se procurent que trop, celle de l’usure et d’un brocantage clandestin ; voilà le malheur dont nous demandons à être préservés. Nous le redoutons d’autant plus que notre ville renferme dans son sein une jeunesse nombreuse, que nos établissements attirent une jeunesse étrangère que nous regardons comme un dépôt précieux, et que la facilité que les juifs chercheraient à procurer pour satisfaire les passions, ne lui ferait contracter que des vices là où nous voudrions ne leur inspirer que l’amour de toutes les vertus. « Tel est, Nosseigneurs, le vœu unanime de la commune de Strasbourg. Nous vous supplions de peser, dans votre sagesse, les motifs pressants sur lesquels il est appuyé. Nous vous l’avons exprimé avec toute l’énergie du sentiment qui nous anime. Nous espérons que vous voudrez bien l’accueillir. Vous ne voulez que notre bonheur, et nous le croyons attaché à la non-admission des juifs dans notre ville comme citoyens. « La commune de la ville de Strasbourg forme encore un vœu secondaire ; et quoique, dans ses assemblées partiaires, il n’ait pas été unanimement prononcé, parce qu’il n’en a pas été question dans toutes, il n’est pas moins certain qu’il est le vœu général, puisqu’il était exprimé d’avance dans le cahier remis aux députés. Par un ancien statut de la ville de Strasbourg, aucun juif ne pouvait y résider et encore moins y taire des acquisitions. Au mépris de ces statuts, et sous prétexte des entreprises accordées au sieur Gerfbéer pour le service des troupes, ce juif a obtenu du magistrat, d’après les instances réitérées du ministre du roi, la permission de résider dans notre ville pour un hiver seulement. Sur de nouvelles instances, la même tolérance a eu lieu pour la durée du service dont le sieur Gerfbéer était chargé, et lui-même ne l’a demandée que sous cette condition. Une simple tolérance a été bientôt convertie en abus de la part du sieur Gerfbéer ; il a acquis clandestinement des maisons pour lui et sa famille ; et sous la dénomination de sa famille, il a attiré dans notre ville un essaim considérable d’individus de sa nation. Le sieur Gerfbéer a depuis obtenu des lettres patentes qui lui accordent tous les droits de régnicole ; et quoique le magistrat soit opposé à l’exécution de ces lettres patentes, et que le procès soit encore pendant au conseil du roi, la famille du sieur Gerfbéer, ou du moins les individus nombreux qui sont considérés comme formant sa famille, ont continué de jouir de l’habitation parmi nous. Les maux qui résultent de cette habitation ne sont peut-être pas aussi graves que ceux qui naîtraient de l’admission des juifs aux droits de citoyens ; mais enfin ces maux existent, et c’est à vous, Nosseigneurs, que nous venons avec la même confiance en demander le remède. Il est évident que la permission accordée dans l’origine au sieur Gerfbéer n’a été qu’une simple tolérance accordée momentanément à l’importunité, et qui depuis longtemps, n’a plus d’objet. Il est encore évident que les lettres patentes accordées sur la demande particulière du sieur Gerfbéer n’ont pu déroger à un statut qui était une loi publique de notre ville, et qu’au moins l’opposition judiciaire qui a été formée doit en suspendre l’effet. Nous vous supplions de faire cesser ces grâces abusives, qui ne sont autre chose que des privilèges contraires aux principes que vous avez consacrés. Nous vous supplions de condescendre aux désirs que nous avons de n’avoir dans nos murs que des citoyens qui puissent en remplir les devoirs et jouir des droits qui sont attachés à ce titre. Signé : ûietrich, Maire ; Spielmànn ; Hervé ; Fischer ; Ottmann ; Saum ; Weber ; Metzler ; Pasquày ; Humbourg ; La-qüiante ; Dorsner ; Thomassin ; Poirot ; Brackenhoffer ; Grun. M. le Président dit que la discussion est ouverte sur la motion présentée dans la séance d’ hier par Dom Gerle qui a pour but de décréter que « la religion catholique, apostolique et romaine est et demeurera pour toujours la religion de la nation, et que son culte sera le seul public, autorisé. » M. l’abbé Sa mary, curé de Carcassonne, commence la lecture d’un discours entièrement consacré à la religion. C’est elle, dit-il, qui remplit les législateurs de la sagesse d’en haut; devant elle, tous les citoyens sont égaux ; à ses yeux, point d’autre noblesse que celle de la vertu; c’est elle qui a consacré les grandes maximes de la morale, base de toute législation . Ne serait-ce pas nuire à la constitution de l’empire que de laisser régner toutes les religions sans donner une prééminence marquée à la religion de l’Etat? Ne serait-ce pas exposer la nationaux horreurs du fanatisme? Divers membres demandent à l’orateur de rentrer dans la question. M. l’abbé Samary, après avoir replié les feuillets de son discours, ajoute : Je rentre dans la question, puisqu’on trouve que je m’en écarte. Je demande au nom de mes