ggg [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.1 individus n’est point à comparer au tort qui résulte de revenir sur un décret prononcé. M. Rocque de Saint-Pons. Je suis étonné de voir le préopinant confondre la justice de l’Assemblée avec des considérations particulières. La vérité m’oblige à déclarer que les vicaires des provinces du Midi n’ont point ou presque point de part au casuel. Si donc vous adoptiez l’opinion du préopinant, il en résulterait que les vicaires des campagnes seraient infiniment mieux traités que ceux des villes; cette bizarrerie serait choquante, et vous savez d’ailleurs que les derniers sont obligés de se lenir plus proprement et d’une manière plus décente que les premiers : ils servent tous le même Dieu, ils remplissent les mêmes fonctions, ils ont le même caractère; je demande qu’ils soient traités également. M. Martineau. Je maintiens mon opposition à l’article 1er, et je trouve également fort extraordinaire que les dispositions des articles 3 et 4 soient telles que le traitement des titulaires actuels reste le même, quoiqu’il fût grevé de l’augmentation des portions congrues. Qui aurait supporté cette charge, dans l’hypothèse que les revenus des bénéfices simples, les dîmes, fussent restés entre les mains du clergé? Le bénéficier! Pourquoi ne pas la lui faire supporter? Mais, dira-t-on, il ne pourra point vivre. Quoi 1 un père de famille, dans l’abolition des droits féodaux aura perdu une partie de sa fortune, on ne parlera pas même de l’indemniser; et le bénéficier, qui n’a aucune suite, 11e fera aucun sacrifice ! Je demande la question préalable. M. Chasset. Sans entrer dans de longs développements, je ferai remarquer à M. Martineau que toutes ces questions ont été résolues par l’Assemblée nationale, dans un esprit de justice qu’elle entend certainement maintenir, et que les articles que nous vous proposons aujourd’hui ne sont que la conséquence de vos décrets antérieurs. (On demande de nouveau à aller aux voix.) Divers membres présentent encore quelques observations de rédaction. M. Chasset, rapporteur , modifie la rédaction, et les articles, mis successivement aux voix par M. le président, sont adoptés ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, expliquant différents articles de son décret du 24 juillet dernier, sur le traitement du clergé actuel, décrète ce qui suit : « Art. l«r. Le traitement des vicaires des villes, pour la présente année, sera, suivant l’article 9, du décret du 24 juillet dernier, outre leur casuel, de la même somme qu’ils sont en usage de recevoir ; et dans le cas ou cette somme réunie ne leur produirait pas celle de 700 livres, ce qui en manquera leur sera payé dans les six premiers mois de l’année 1791. « Art. 2. Si les titulaires de bénéfices éprouvent dans leur traitement une diminution résultant de celle qui proviendra de l’augmentation des portions congrues des curés jusqu’à concurrence de 500 livres et des vicaires jusqu’à concurrence de 350 livres, et du retranchement des droits supprimés sans indemnité, les pensionnaires supporteront une diminution proportionnelle à celle des titulaires sur leurs revenus des bénéfices sujets à pension. « Art. 3. La réduction qui sera faite par le retranchement des droits supprimés sans indemnité, ne pourra, de même que celle mentionnée dans l’article 25 dudit décret, et résultant de ladite augmentation des portions congrues, opérer la diminution des traitements des titulaires, ni des pensions, au-dessous du minimum fixé pour chaque espèce de bénéfices et pour les pensions. « Art. 4. Les évêques et les curés qui auraient été pourvus, à compter du 1er janvier 1790 jusqu’au jour de la publication du décret du 12 juillet suivant, sur l’organisation nouvelle du clergé, n’auront d’autre traitement que celui attribué à chaque espèce d’office par le même décret. » Art. 5. A l’égard des titulaires des autres espèces de bénéfices en patronage laïc, ou de collation laïcaie qui auraient été pourvus, dans le même intervalle de temps, autrement que par voie de permutation de bénéfices qu’ils possédaient avant le lei: janvier 1790, ils n’auront d’autre traitement que celui accordé par l’article 10 dudit décret du 24 juillet, sans que le maximum puisse s’élever au delà de 1000 livres. « Quant à ceux qui auraient été pourvus pendant ledit temps par voie de permutation de bénéfices du genre ci-dessus, qu’ils possédaient avant le 1er janvier 1790, le maximum de teur traitement pourra, suivant ledit article 10, s’élever à la somme de 6,000 livres. « Art. 6. Les bénéficiers dont les revenus anciens auraient pu augmenter, en conséquence d’unions légitimes et consommées, mais dont l’effet se trouverait suspendu en tout ou en partie, par la jouissance réservée aux titulaires dout les bénéfices avaient été supprimés et unis, recevront au décès desdits titulaires une augmentation de traitement proportionnelle à ladite jouissance, sans que cette augmentation puisse porter leur traitement au delà du maximum déterminé pour chaque espèce de bénéfice. » M. de Bonneville. Je fais la motion d’autoriser les titulaires des bénéfices supprimés à résilier les baux passés par eux pour loyers de maisons dans les lieux de leurs bénéfices. M. Martineau. Cette motion a déjà été produite et elle a été écartée par la question préalable. M. Chasset. Je suis chargé, par le comité ecclésiastique, de vous demander d’entendre un dernier rapport sur la manière d’effectuer le traitement du clergé. (Ce rapport est ajourné à la séance de samedi prochain, au soir.) (La séance est levée à neuf heures et demie du soir.) PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 3 AOUT 1790. Le PACTE DE famille entre la France et l’Espagne ; avec des observations sur chaque article , par M. Dupont, dévutê de Nemours. Observations préliminaires. Lorsqu’on est obligé de discuter les intérêts [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.] 587 des nations, il faut tâcher de s’élever à la hauteur d’un si noble devoir, écarter tout ce qui est minutieux, repousser tout ce qui serait passionné, mépriser tout ce qui pourrait tenir à des intérêts particuliers, résister à l’entraînement des circonstances, ne pas se déterminer par des considérations d’un jour, ne chercher ses opinions que dans la nature, et les exprimer sans art, avec la simplicité, la clarté, la grandeur qui appartiennent â la vérité. J’avoue que, dans la plupart des discussions que j’ai vu commencer, relativement à l’alliance de la France et de l’Espagne, cet esprit vraiment philosophique et vraiment patriotique ne m’a pas paru suffisamment déployé. Il m’a semblé qu’on incidentait sur les mots, qu’on n’approfondissait pas les choses, qu’on cédait aux préventions d’un autre temps, qu’on ne jugeait ni ce qui convient aux nations en général, ni ce qui importe à la nôtre en particulier. H s’agit de savoir s’il est utile aux Français et aux Espagnols d’être alliés, de se garantir mutuellement leurs possessions, de jouir les uns chez les autres de tous les avantages civils et commerciaux qu’il est possible d’accorder dans son propre pays, à ses propres concitoyens. Ces conventions réciproques sont la base d’un traité solennel, fidèlement exécuté depuis trente ans. Ce traité a été conclu dans un temps où la philosophie politique n’avait fait presque aucun progrès ; ses formes sont surannées, son langage est devenu vieux, son style est, en plusieurs endroits, impropre ou mal sonnant. 11 renferme même quelques stipulations dérogatoires à son esprit général, et qui pourraient devenir fort nuisibles à la sûreté commune, qu’on a voulu établir. Mais tous ces défauts de l’écorce de ce traité, dont il est très facile de le dépouiller, n’empêchent pas que le fonds n’en soit équitable et salutaire. Que font en France les amis de l’Angleterre et du trouble, ceux qui veulent nous précipiter dans l’isolement au dehors, ceux qui veulent entretenir l’anarchie au dedans, ceux qui veulent nous conduire, comme la Pologne, au démembrement de l’Etat? Ils s’attachent aux expressions, ils n’égligent l’essentiel, ils nous crient: « Rom-« pez le traité; abandonnez vos alliés; engagez-« vous dans une discussion très embrouillée ; en « attendant qu’elle soit éclaircie, laissez accabler « la seule puissance qui vous ait jamais effica-« cernent prêté son secours, ou laissez-là s’unir « avec la seule puissance qui ait constamment « montré l'intention de vous nuire, et qui croit « avoir des intérêts opposés aux vôtres : vous ver-» rez ensuite ce que vous aurez à faire. » La raison, le bon sens, l’honneur, ne diraient-ils pas, au contraire : « Confirmons de nos traités t ce qui est évidemment honnête et utile, re-« voyons ce qui peut être injuste ou dangereux ; « et comme cet examen doit être fait avec le « sang-froid, le temps et la maturité convenables, « déclarons que nous ne souffrirons pas qu’on « nous donne là-dessus des conseils les armes à n la main . >> C’est ce que j’avais proposé à l’Assemblée nationale, le 19 mai, dans l’article 2 du projet de décret que j’ai soumis à ses lumières, et qui était ainsi conçu : « La nation française maintient et maintiendra, « eu toutes leurs dispositions défensives, les g « traités qui ont été conclus en son nom ; mai « ils seront successivement soumis à l’examen « des représentants de la nation, pour aviser aux « changements, modifications ou améliorations « qui pourraient être nécessaires dans les autres « dispositions de ces traités. » Des dispositions défensives ne sauraient être nuisibles à personne. Des dispositions réciproques, pour favoriser et faciliter le commerce entre deux nations, ne sauraient faire tort à qui que ce soit. Ces conventions protectrices et commerciales sont évidemment licites ; car elles sont évidemment bienfaisantes : elles sont donc évidemment obligatoires. Qu’est-ce qui peut n’être pas obligatoire dans les traités? C’est ce qui peut s’y être glissé d’injuste, de malhonnête ou de criminel; car nul ne saurait être obligé à faire un crime, quelque engagement qu’il ait pu contracter par imprudence ou par erreur; mais nul aussi ne peut être dispensé de faire une action boune, raisonnable et bienfaisante, lorsqu’il a promis de la faire : il y serait même encore obligé, quoique moins strictement, quand il n’aurait rien promis. Il faut se former une idée de la position où sont entre elles les diverses nations. Elles font une société générale, mais encore peu réglée, qui n’obéit à aucune autorité supérieure,, et où chaque nation, ne formant qu’un seul corps, se trouve vis-à-vis des autres, comme serait un simple individu dans un assemblage peu nombreux de voisins indépendants. Chacun d’eux y aurait intérêt à ce qu’aucun d’eux n’en opprimât un autre; et lorsqu’il s’élèverait des querelles, ceux mêmes qui n’y seraient pas compromis, auraient intérêt à ce qu’elles se terminassent à l’amiable et sans effusion de sang ; chacun, en conséquence, pourrait et devrait s’opposer à toute violence, et demander à s’entremettre pour faire droit, par raison et justice, aux prétentions respectives. Si quelques-uns avaient, par eux-mêmes ou par confédération, une puissance prédominante, on pourrait et l’on devrait les balancer par d’autres confédérations. Celles qui n’auraient pour objet que la sûreté commune devraient être respectées par tout le monde, et leurs engagements défensifs devraient être religieusement observés par les contractants. Les confédérations, au contraire, qui pourraient s’étendre à nuire aux droits d’un tiers, devraient inspirer de la sollicitude et appeler des résistances. L’intérêt général serait de montrer que rien ne peut en garantir l’exécution entre des associés honnêtes, et que tout y doit mettre obstacle de la part de ceux qui les voient se former. C’est d’après ces principes extrêmement simples, que l’on doit juger tous les traités, et que nous allons examiner le Pacte de famille , et les conventions explicatives auxquelles il a donné lieu. Lorsque nous aurons discuté chacune des parties et des dépendances de ce traité, nous tâcherons de fixer, par quelques observations très claires, le résultat pratique que les bons Français, que les amis de l’humanité, que les hommes doués de probité, de courage, de raison, de prudence en doivent tirer. Pacte de Famille. — Préambule . « Les liens du sang qui unissent les deuxmo- 588 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.] « nargues qui régnent en France et en Espagne, « et les sentiments particuliers dont ils sont « animés l’un pour l’autre, et dont ils ont donné « tant de preuves, ont engagé Sa Majesté très « chrétienne et Sa Majesté catholique à arrêter et " conclure entre elles un traité d’amitié et d’union, « sous la dénomination de Pacte de famille, et « dont l’objet principal est de rendre permanents « et indissolubles, tant pour leurs dites Majestés, « que pour leurs descendants et successeurs, les « devoirs qui sont une suite naturelle de parenté « et de l’amitié. L’intention de Sa Majesté très « chrétienne et de Sa Majesté catholique, en con-« tractant les engagements qu’elles prennent par « ce traité, est de perpétuer dans leur postérité les « sentiments de Louis XIYde glorieuse mémoire, « leur commun et auguste bisaïeul, et de faire «subsistera jamais un monument solennel de « l’intéiêt réciproque, qui doit être la base des « désirs de leurs cœurs et de la prospérité de leurs « familles royales. « Dans cetle vue, et pour parvenir à un but « si convenable et si salutaire, Leurs Majestés très «chrétienne et catholique ont donné leurs pleins « pouvoirs, savoir : Sa Maji sté très chrétienne au « duc de Choiseul, pair de France, chevalier de « ses ordres, lieutenant général des armées de « Sa� Majesté, gouverneur de Touraine, grand « maître et surintendant général des courriers, « postes et relais de France, ministre et secrétaire « d’Etat, ayant le département dos affaires étran-« gères de la guerre; et Sa Majesté catholique au « marquis de Grimaldi, gentilhomme de sa cham-« breavec exercice, et son ambassadeur extraor-« dinaire auprès du roi très chrétien, lesquels, « informés des dispositions de leurs souverains « respectifs, et après s’être communiqué leurs « pleins pouvoirs, sont convenus des articles sui-c vants : Observations sur le préambule. Pour juger ce préambule, il faut se porter au temps où le traité a été conclu. Toutes les négociations politiques entre les nations qui ont un roi, se faisaient alors et se sont faites, jusqu’à ce jour, entre les princes et eu leur nom. Les Français et quelques Républiques sont les seuls qui aient songé qu’il serait plus noble, plus philosophique et plus utile, de parler et d’agir au nom de la société. Nous ne pouvons blâmer les rois de France et d’Espagne d’avoir fait, il y a trente ans, ce qui s’était toujours fait et ce que font encore les rois même d’Angleterre. Ils ont pu être déterminés par des raisons de parenté et d’amitié qui nous paraissent aujourd’hui n’avoir aucune importance, lorsqu’il s’agit de l’intérêt des peuples, et qui influaient autrefois beaucoup sur les mariages de toutes les têtes couronnées. Nous avons vu encore, il y a deux ans, le roi de Prusse renverser, par la force, une République indépendante; nous le voyons chaque jour opprimer, avec la plus odieuse tyrannie, tous les citoyens vertueux de cette République, pour obliger sa sœur, son beau-frère, ses neveux. Et, parce qu’il est l’ami des Anglais, les autres amisqueles Anglais savent se procurer, semblent craindre de verser sur ce despote et sur ses alliés le mépris et l’indignation que leur conduite en Hollande doit exciter dans tous les cœurs, où vit quelque respect pour la liberté et pour l’humanité. Mais ce n’est pas à cause que le roi de Prusse agit pour sa sœur en Hollande, qu’il est blâmable ; c’est à cause qu’il agit contre la justice, contre la raison, contre le droit naturel, contre la liberté politique et civile d’une nation, contre les droits de toutes. Les Anglais, qui payent les frais de ces expéditions, ne sont pas moins répréhensibles, quoiqu’elles ne tiennent, de leur part, à aucun 'pacte de famille. La que stion relative à la France et à l’Espagne n’est donc pas de savoir si le motif énoncé dans le préambule de leur alliance, est ou non puérile ; mais si cette alliance est, en soi, utile et honnête, si ses principales stipulations sont licites, si elles sont avantageuses aux deux peuples, si elles ne sont pas nuisibles aux autres, et ce qu’il y faut ajouter, ce qu’on en peut retrancher, pour eu faire un modèle d’alliance, vertueuse et profitable. Art. 1er. « Le roi très chrétien et le roi catholique dé-« clarent qu’en vertu de leurs intimes liaisons de « parenté et d’amitié, et par l’union qu’ils con-« tractent par le présent traité, ils regarderont à « l’avenir comme leur ennemie toute puissance « qui le deviendra de l’une ou de l’autre des deux « couronnes. » Observations sur l'article premier. Le motif tiré de la parenté et de l’amitié des deux rois, quoiqu’il ait été l’occasion de ce traité avantageux des deux parts, est certainement au-dessous de la dignité des deux nations, et peu conforme à leurs droits. Mais qu’on dise: « La nation et le roi des Fran-« çais, et le. roi catholique, en possession de sti-« pu 1er pour sa nation, déclarent qu’en vertu des « intimes liaisons de commerce, d’intérêt, d’es-« time, d’amitié et de reconnaissance réciproques « qui existent entre les deux nations, ils regar-« fieront à l’avenir comme ennemie toute puis-« sance qui le deviendra de l'une ou de l'autre « nation » , l’article n’aura plus rien que de raisonnable; si les articles subséquents expliquent bien le casus fœderis, et la manière fie devenir ennemie. Or, cette manière est très nettement expliquée dans l’article 4; qui attaque l'une attaque l’autre. Il en résulte qu’on sera beaucoup plus réservé à attaquer l’une et l’autre, et que, par conséquent, toutes deux seront beaucoup plus assurées de vivre en paix. Art. 2. « Les deux rois contractants se garantissent « réciproquement, de la manière la plus absolue « et la plus authentique, tous les Etats, terres, « îles et places qu’ils possèdent, dans quelque « partie du monde que ce soit, sans aucune ré-« serve ni exception ; et possessions, objet de « leur garantie, seront contractées suivant l’état « actuel où elles seront au premier moment où « l’une et l’auire couronne se trouveront en paix « avec toutes les autres puissances. » Observations sur l'article 2. Les deux nations contractantes par leurs deux [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.] rois (et il faut répéter que ni l’une ni l’autre u’avaient en 1761 ; que l’une d’elle n’a encore aucune autre manière de contracter), les deux nations se sont garanties mutuellement toutes leurs possessions en l’état où elles se trouveraient à la paix qui devait suivre le traité, et qui s’est faite en 1763. Cette stipulation est à la fois prudente et raisonnable. Elle est accompagnée, ainsi que le traité qui la renferme, d’une circonstance propre à toucher une nation comme la nôtre. C’est au milieu d’une guerre malheureuse que nous avions à soutenir, que les Anglais avaient commencée en pirates avec la dernière injustice, et dans laquelle nous avions déjà fait de grandes pertes, que l’Espagne est venue à notre secours, sur notre demande, avec beaucoup de péril et de générosité. La morale française ne sera jamais assez dépravée par ceux qui voudraient la corrompre, pour que de telles considérations soient sans pouvoir. Elle saura toujours opposer à leurs insinuations l’invincible égide du mépris. Art. 3. « Sa Majesté très chrétienne et Sa Majesté ca-« tholique accordent la même garantie absolue et « authentique au roi des Deux-Siciles et à l’infant « Doiii Philippe, duc de Parme, pour tous les « Etats, places et pays qu’ils possèdent actuelle-« ment: bien entendu que Sa Majesté sicilienne « et ledit infant, duc de Parme, garantiront « aussi de leur part tous les Etats et domaines « de Sa Majesté très chrétienne et de Sa Majesté « catholique. » Observations sur l’article 3. Si la confédération est purement défensive, comme elle doit l’être, l’extension de confédération est, en généra), une augmentation desûreté. Les Etats de Parme, il est vrai, ne sont pas une puissance; mais les Deux-Siciles en sont une très importante dans la Méditerranée. Au reste, les etioses à cet égard sont entières ; l’adhésion réservée aux Etats des Deux-Siciles et de Parme n’a pas eu lieu. Art. 4. « Quoique la garantie inviolable et mutuelle « à laquelle Leurs Majestés très chrétienne et ca-« tholique s’engagent, doive être soutenue de « toute leur puissance, et que Leurs Majestés « l’entendent ainsi, d’après le principe qui est « le fondement de ce traité que, qui attaque une « couronne attaque V autre ; cependant les deux « parties contractantes ont jugé à propos detixer « les premiers secours que la puissance requise « sera tenue de fournir à la puissance requé-« rante. » Observations sur l'article 4. Remarquons que les deux puissances déclarent que cet article est le fondement du traité, qu’il en pose le véritable principe et la condition essentielle : qui attaque l’une attaque l’autre: le mot nation substitué comme il est toujours entendu au mot couronne. 589 L’obligation de se soutenir de toutes ses forces s’il est nécessaire, celle de commencer par un secours dont l’étendue est déterminée, n’ont rien que d’utile et de sage. L’objet qui est de réprimer la puissance qui attaquerait l’une ou l’autre nation, est parfaitement conforme aux droits de toutes les nations et à ceux de l’humanité ; car nul ne doit attaquer. Art. 5. « Il est convenu entre les deux rois, que la « couronne qui, sera requise de fournir le secours, « aura dans un ou plusieurs de ses ports, trois « mois après la réquisition, douze vaisseaux de « ligne et six frégates armés, à la disposition « entière de la couronne requérante. « Art. 6. « La puissance tiendra dans le même espace de « trois mois, à la disposition de la puissance « requérante, dix-huit mille hommes d'infante-« rie et six mille hommes de cavalerie , si la France « est la puissance requise; et l’Espagne, dans le « cas où elle serait la puissance requise, dixmille « hommes d' infanterie et deux mille hommes de « cavalerie. Dans cette différence de nombre on « a eu égard à celle qui se trouve entre les trou-« pes que la France a actuellement sur pied et « celles qui sont entretenues par l’Espagne ; mais « s’il arrivait, dans la suite, que le nombre des « troupes sur pied fût égal de part et d’autre, « l’obligation serait dès lors pareillement égale « de se fournir réciproquement le même nombre. « La puissance requise s’engage à assembler ce-« lui qu’elle doit fournir, et à le mettre à portée « de sa destination, sans cependant le faire d’a-« bord sortir de ses Etats ; mais de le placer dans « la partie requérante, afin qu’il y soit plus à « portée de l’entreprise, ou l’objet pour lequel « elle demande lesdites troupes; et comme cet « emplacement devra être précédé de quelque « embarquement, navigation, ou marche de trou-« pes par terre, le tout s’exécutera aux frais de « la puissance requise, à laquelle ledit secours « appartiendra en propriété. » Observations sur les articles 5 et 6. Les stipulations de ces deux articles ne sont que réglementaires ; ce sont de simples moyens d’exécution. Si la garantie réciproque est bonne, on a pu et dû régler les mesures à prendre pour la faire respecter par les usurpateurs. Art. 7. « Quant à ce qui regarde la différence dudit « nombre de troupes à fournir, Sa Majesté catho-« lique excepte les cas où elles seraient néces-« saires pour défendre les domaines du roi des « Deux-Siciles, sort fils, ou ceux de l’infant, duc « de Parme, son frère ; de sorte que reconnais-« sant l’obligation de préférence, quoique volon-« taire, que les liens du sang et de la proche part renté lui imposeraient alors, le roi catholique, « dans ces deux cas, promet de fournir un se- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.] 590 « cours (le dix-fruit mille hommes d'infanterie et « de six mille de cavalerie, et même toutes ses « forces, sans rien exiger de Sa Majesté très « chrétienne que le nombre de troupes ci-dessus « stipulé, et les efforts quesa tendre amitié pour « les princes de son sang pourra lui inspirer de « faire en leur faveur. Art. 8. « Sa Majesté très chrétienne excepte aussi de « son côté les guerres dans lesquelles elle pour-« rait entrer ou prendre part en conséquence des # engagements qu’elle a contractés par le traité « de Westphalie et autres alliances avec les puis-' « sances d’Alfemagne et du Nord ; et considérant « que lesdites guerres ne peuvent intéresser en « rien la couronne d’Espagne, Sa Majesté très « chrétienne promet de ne point exiger aucun « secours du roi catholique, à moins cependant « que quelque puissance maritime ne prît part « auxdites guerres, ou que les événements en « fussent si contraires à la France, qu’elle se vît " attaquée, dans son propre pays, par terre ; et, « dans ce dernier cas, Sa Majesté catholique pro-<« met au roi très chrétien de lui fournir, sans au-« cune exception, non seulement les dix mille « hommes d’infanterie et deux mille hommes de « cavalerie, mais aussi de porter, en cas de be-« soin, ce secours jusqu’à dix-huit mille hommes « d’infanterie et six mille de cavalerie, ainsi qu’il « a été stipulé par rapport au nombre à fournir « au roi catholique par Sa Majesté très chrétienne, « Sa Majesté catholique s’engageant, si le cas ar-« rive, de n’avoir aucun égard à la dispropor-« tion qui se trouve entre les forces de terre de la « France et celles de l’Espagne. ». Observations sur les articles 7 et 8. Les deux nations stipulant, par les deux rois, (et il ne faut pas cesser de remarquer qu’en 1761 elles n’avaient, que même l’une d’elles n’a encore aucune autre manière de stipuler), out pu faire les exceptions que leurs engagements antérieurs ou leur intérêt particulier ont rendu convenables dans leur confédération. Ces exceptions sont encore dans la classe des dispositions réglementaires auxquelles les intérêts réciproques peuvent faire apporter en tout temps toutes les modifications qui. pourraient sembler utiles. Au reste, on voit que ces exceptions ne s’étendent pas aux guerres maritimes qui sont celles où les deux nations ont essentiellement besoin d’être unies pour résister à la grande puissance maritime de l’Angleterre. On voit, de plus, que toute exception cesse dans le cas où la France serait attaquée par terre dans son propre pays, même pour une guerre germanique, et qu’alors l’obligation du secours reprend toute sa force. Que l’Espagne soit tenue à de plus grands efforts ; que fa France, lorsqu’il s’agira du royaume de Naples, que la France soit seule chargée des guerres d’Allemagne si elles n’arrivent pas sur le territoire français ; qu’elie soit néanmoins secourue par l’Espague toutes les lois qu’elle sera attaqué� sur son ierntoire, même au sujet des guerres d’Espagne : il n’y a rien en tout cela qui soit désavantageux à la France. Art, 9, « Il sera libre à la puissance requérante d’en-« voyer un ou plusieurs commissaires choisis « parmi ses sujets, pour s’assurer par eux-mêmes « que la puissance requise a rassemblé dans les « trois mois, à compter de la réquisition, et tient « dans un ou plusieurs de ses ports les douze « vaisseaux de ligne et les six frégates armés en « guerre, ainsi que le nombre stipulé de troupes « de terre, le tout prêt à marcher. » Observations sur l'article, 9, Nul inconvénient aux mesures que les deux nations se prescrivent pour assurer, de part et d'autre, l’exécution de leurs engagements. Art. 10. « Lesdits vaisseaux, frégates et troupes agi-« ront selon la volonté de la puissance qui en « aura besoin, et qui les aura demandés, sans « que, sur les motifs ou sur les objets indiqués « pour l’emploi desdites forces de terre et de « mer, la puissance requise puisse faire plus « d’une seule et unique représentation. » Observations sur l'article 10. Cet article peut avoir quelques inconvénients. La nation qui fournira les secours peut craindre que son allié n’expose les auxiliaires pour ménager ses propres sujets; et quoique le danger soit réciproque, il semblerait à la fois plus noble et plus utile de convenir que les expéditions seront combinées pour l’avantage commun entre les deux puissances. Au reste, lorsqu’une petite force est incorporée dans une grande, elle est bien obligée d’en suivre l’impulsion. Art. 11. « Ce qui vient d’être convenu aura lieu toutes « les fois que la puissance requérante deman-« derait le secours pour quelque entreprise offen-« sive ou défensive de terre ou de mer, d’une « exécution immédiate , et ne doit pas s’entendre « pour les cas où les vaisseaux et frégates de la « puissance requise iraient s’établir dans quelque « port de ses Etats ; puisqu’il suffira alors qu’elle « tienne ses forces de terre et de mer prêtes dans « les endroits de ses domaines qui seront indi-« qués par la puissance requérante, comme plus « utiles à ses vues. » Observations sur l'article 11. Cet article demande explication. Il parle d'entreprises offensives, et Içs guerres offensives doivent être proscrites ; elles ne doivent jamais être l’objet des confédérations politiques. Si l’on s’en rapportait, à l’article 4 qui renferme la base du traité, et l’exprime par ces mots sans équivoque : qui attaque l'une attaque Vautre; et à la teneur même du présent article qui déclare 591 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.) qu’il est question à.' entreprises offensives ou défensives d'une exécution immédiate, on pourrait dire que la stipulation porte sur les entreprises offensives auxquelles une guerre défensive donnera lieu. L'article, restreint à ce sens, u’aurait rien que de juste, de prudent et de sensé. Il est reconnu à la guerre qu’aucune défensive ne peut être bonne, si elle laisse échapper une occasion d’agir offensivement. Il faut dans la guerre défensive très souvent attaquer, c’est la défensive du courage et du génie. Mithridate, poursuivi dans ses Etats par Lucullus et Pompée, voulait aller se défendre à Rome. Si nous étions attaqués en Amérique ou aux Ipdes, il pourrait nous convenir de nous défendre à Plymouth, Chatam et à Londres. Mais il faut déclarer nettement que tels sont l’esprit et le sens de l’article, il faut y en ajouter un qui expose, de manière à bannir toute incertitude : « que le traité n’a pour objet que la sû-« reté réciproque, et ne peut être invoqué lors-« qu’une des nations voudrait porter atteinte à « celle d’autrui. » Il faut pour cela supprimer ou plutôt changer les articles 12 et 13, et un mot de l’article 15 qui présentent un sens tout différent. Art. 12. « La demande que l’un des deux souverains « fera à l’autre des secours stipulés par le présent « traité, suffira pour constater le besoin, d’une « part, et l’obligation, de l’autre, de fournir ledit « secours, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans « aucune explication de quelque espèce qu’elle « puisse être, ni sous quelque prétexte que ce « soit, pour éluder la plus prompte et la plus « parfaite exécution de cet engagement. » Observations sur l'article 12. Get article est absolument insoutenable. L’objet de la confédération étant la défense respective, il est indispensable que le danger soit constaté, soit par une attaque réelle, soit par des préparatifs indubitables d’attaque. Mais la simple réquisition d‘un des deux monarques ne saurait engager aucune des deux nations à fournir les secours stipulés, lorsqu’il n’y aurait aucun besoin de secours . Nous sommes justement indignés de voir aujourd’hui le statnouder, roi de Hollande, et les malheureux sujets que lui soumettent les baïonnettes prussiennes et les guinées anglaises, armer contre nos alliés et contre nous, qui leur avons sauvé le cap de Bonne-Espérance et tous leurs établissements de l’Inde dans la dernière guerre, armer sur la seule réquisition des alliés du prince d’Orange, usurpateur et destructeur de la liberté hollandaise, armer sur la seule réquLition d’une puissance qui fit, il y a dix ans, à la Hollande, la guerre la plus injuste, la plus imprévue, et qui, sans nous, eût été la plus cruelle ; armer, lorsque le nouvel allié du despote hollandais n’a même aucun risque à courir, lorsque c’est lui qui engage la guerre pour un sujet dénué de toute importance. Tels sont toujours les effets des alliances qui ne seraient pas purement défensives. Nous devons apprendre à l’Angleterre , à la Hollande, à l’Espagne, au moûde, à rougir de telles alliacés. devons dire quelles ne soient lus, et elles cesseront d’être dans l’Europe entière. e cri de la France et celui de la raison, énergiquement prononcés, suffiront pour empêcher les princes de compter sur les alliances offensives et les peuples de s’y prêter; ils suffiront pour y suppléer partout des alliances uniquement défensives. La paix deviendra solide et générale, si nul ne peut être aidé pour attaquer et si chacun l’est pour se défendre. Art. 13. « En conséquence de l’article précédent, la dis-« cussion du cas offensif et défensif ne pourra « point avoir lieu par rapport aux douze vaisseaux , « aux six frégates et aux troupes de terre à four-« nir; ces forces devant être regardées, dans tous « les cas, et trois mois après la réquisition, comme « appartenant en propriété à la puissance qui les « aura requises. » Observations sur l'article 13. L’esprit de cet article est d’assurer à chaque puissance, au-dessus de ses forces naturelles, celle du premier secours stipulé dont elle ferait arbitrairement l’usage qu’elle voudrait, ne réservant à la puissance qui donnerait le secours, le droit d’en juger le motif, la convenance ou l’utilité, que lorsqu’il serait question d’engager toutes les forces ; encore l’article 16 semble-t-il éluder ce droit naturel que l’article 13 reconnaît. Le duc de Choiseul avait de l’habileté, et, comme tous les hommes d’un caractère brillant et facile, il se croyait encore plus d’habileté qu’il n’en avait. Pressé par une guerre très funeste, dans laquelle l’Angleterre s’était assuré la supériorité par une attaque imprévue, voulant en sortir le moins mal possible, et désireux de se venger à la première occasion, il crut ne pouvoir donner dans le traité trop d’avantage à la puissance requérante, ni trop engager la puissance requise : c’était lui qui comptait requérir. Mais cette politique individuelle, astucieuse et temporaire, est une politique pitoyable; les nations sont de si grands corps environnés d’autres corps si grands et si indépendants les uns des autres, qu’il leur est impossible de subsister sans être justes et sans manifester perpétuellement qu’elles ne veulent pas cesser de l’être, et que nulle d’elles ne veut opprimer ses augustes sœurs. Les conventions de tous les traités d’alliance doivent donc être : « Je vous défendrai si l’on « vous attaque; je me tiendrai eu mesure de « vous défendre si l’on vous menace; je frapperai « même pour vous si je vois le péril imminent, « et si c’est le seul moyen de le prévenir. « Mais, dans ies cas douteux, n’attendez de moi « que la préservation des hostilités, la rnédia-« tion, l’arbitrage, et enfin, un jugement contre « vous, si vous avez tort. » Art. 14. « La puissance qui fournira le secours, soit en « vaisseaux et frégates, soit eu troupes, les € payera partout où son allié les fera agir, comme « si ces forces étaient employées uirectempnt « pour elle-même, et la puissance requérante |Assemblée nationale.] « sera obligée, soit que lesdits vaisseaux, frégates « ou troupes restent peu ou longtemps dans ses « ports, de les faire pourvoir de tout ce dont elles « auront besoin, au même prix que si elles lui « appartenaient en propriété, et à les faire jouir « des mêmes prérogatives et privilèges dontjouis-« sent ses propres troupes. Il a été convenu que, « dans aucun cas, lesdites troupes ou vaisseaux « ne. pourront être à la charge de la puissance à « qui ils seront envoyés, et qu’ils subsisteront à « sa disposition pendant toute la durée de la « guerre dans laquelle elle se trouvera en - « gagée. » Art. 15. « Le roi très chrétien et le roi catholique s’obli-« gent à tenir complets et bien armés les vais-« seaux, frégates et troupes que Leurs Majestés se « fourniront réciproquement, de sorte qu’aussitôt « que la puissance requise aura fourni les secours « stipulés par les articles 5 et 6 du présent traité, « elle fera armer dans ses ports un nombre suffi— « sant de vaisseaux pour remplacer sur-le-champ « ceux qui pourraient être perdus par les événe» « ments de la guerre ou de la mer. Cette même « puissance tiendra egalement prêtes les recrues et « les réparations nécessaires pour les troupes « de terre qu’elle aura fournies. » Observations sur les articles 14 et 15. Ces deux articles sont purement réglementaires, et appliqués, au cas défensif, parfaitement raisonnables. Art. 16. « Les secours stipulés dans les articles précé-« dents, selon le temps et la manière qui a été « expliquée, doivent être considérés comme une « obligation inséparable des liens de paremé « et d’amitié, et de l’union intime que les deux « monarques contractants désirent de perpétuer « entre leurs descendants ; et ces secours stipulés « seront ce que la puissance requise pourra « faire de moins pour la puissance qui en aura « besoin; mais comme l’intention des deux rois « est que la guerre commençant pour ou contre « l’une des deux couronnes, doit devenir propre « et personnelle à l’autre, il est convenu que, « dès que les deux se trouveront en guerre « déclarée contre le même ou les mêmes enne-« mis, l’obligation desdits secours stipulés ces-« sera, et à sa place succédera, pour les deux « couronnes, l’obligation de faire la guerre con-« jomtennmt, en y employant toutes leurs forces; « et, pour cet effet, les deux hautes parues con-« tractantes feront alors entre elles des couven-« tions particulières relatives aux circonstances « de la guerre dans laquelle elles se trouveront « engagées, concerteront et détermineront leurs « efforts et leurs avantages respectifs et réci-« proques, comme aussi leurs plans et opérations « militaires et politiques; et ces conventions « étant faites, les deux rois les exécuteront « ensemble et d’un commun et parfait accord. » Observations sur l'article 16. Rien n’est confus et inconciliable comme cet article rapproché de l’article 13. [3 août 1790.] Le premier secours stipulé est, dit-il, ce que les deux puissances pourront faire de moins l'une pour l'autre. Il semble donc qu’elles pourraient se tenir à ce moins , pour lequel sentiment la discussion du cas offensif ou défensif est interdite par l’article 13, s’être autorisée pour tout emploi de force supérieure, àce moins, que la nation requise puisse faire. Cependant, dit-on ensuite, si la guerre est déclarée pour ou contre l’une des deux nations, elles seront obligées toutes deux de la faire de toutes leurs forces, et en commun. Il s’ensuivrait qu’a-près n’avoir pu discuter le cas offensif et le cas défensif , pour fournir le premier secours, lors-qu’ensuite ce premier secours aurait conduit à une guerre déclarée pour la nation requérante, la nation requise ne serait plus admise à discuter ces cas ; ce serait à dire qu’elle ne pourrait jamais discuter, quoique l’article 13 lui en réserve le droit pour tous secours à donner au delà du premier, et que la nature des choses et les règles de la morale le lui donnent même pour ce premier. Les deux articles 13 et 16 se détruisent donc l’un i’autre : la raison et la justice les détruisent encore plus; ce qui n’est ni raisonnable ni juste n’a pas pu devenir une loi entre les nations. Ces deux articles 13 et 16 sont donc essentiellement nuis et comme non avenus. Il faut l’avouer, et il faut convenir, pour la suite, que « les deux nations « s’aideront de toutes leurs forces en toute guerre « défensive et non dans aucune autre; et que, « pour commencer cette assistance, elles devront, « trois mois après la réquisition, se fournir le « premier secours stipulé, lequel devra être suivi « de tous ceux qui seront nécessaires et possi-« blés. y> Art. 17. « Leurs Majestés très chrétienne et catholique « s’engagent et se promettent, pour le cas où elles « se trouveraient en guerre, de n’écouter ni faire « aucune proposition de paix, de ne traiter ni « conclure avec l’ennemi ou les ennemis qu’elles « auront, que d’un accord et consentement mu-« tuel et commun, et de se communiquer réci-« proquement tout ce qui pourrait venir à leur « connaissance qui intéresserait les deux cou-« ronnes, et en particulier sur l’objet de la paci-« ïication : de sorte qu’en guerre comme en paix, « chacune des deux couronnes regardera comme « ses propres intérêts ceux delà couronne de son « allié. » Observations sur l'article 17. Cet article est d’une évidente justice, conforme aux premiers principes de l’honneur et de la probité. Il est une condition essentielle, obligatoire et sacrée de toute alliance. Art. 18. « En conformité de ce principe et de l’engage-« ment contracté en conséquence, Leurs Majestés « très chrétienne et catholique sont convenues « que lorsqu’il s’agira de terminer, par la paix, « la guerre qu’elles auront soutenue en commun, « elles compenseront les avantages que l’une des « deux puissances pourrait avoir eus, avec les « pertes que l’autre aurait pu faire; de manière archives parlementaires. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.] *j93 « que sur les eon li lions de la paix, ainsi que sur « les opérations de la guerre, les deux monar-« chies de France et d Espagne, dans toute l’é-« tendue de leur domination, seront regardées et « agiront comme si elles ne formaient qu’une « seule et même puissance. » Observations sur U article 18. Cet article est extrêmement fraternel; il tend à prévenir encore plus les paix particulières, à mieux réunir les intérêts et les forces des nations confédérées, à rendre leur puissance� plus une, et leur protection réciproque plus elfieaie, à conserver mieux par conséquent ies droits et les possessions de l’une et de l’autre. Il a de la morale et de la dignité; c’est un modèle d’article pour les alliances. Art. 19. « S. M. le roi des Deux-Siciles ayant les mêmes « liaisons de parenté et d’amitié et les mêmes « intérêts qui unissent intimement Leurs Majestés « très chrétienne et catholique, Sa Majesté catho-« linue stipule pour le roi des Deux-Siciles, son « fils, et s’oblige à lui faire ratifier, tant pour lui « que pour ses descendants à perpétuité, tous les « articles du présenttraité, bien entenduque pour « ce qui regarde la proportion des secours à « fournir par Sa Majesté sicilienne ils seront dé-« terminés dans son acte d’accession audit traité « suivant l’étendue de sa puissance. » Observations sur l'article 19. Cet article n’a pas eu son exécution. Il serait dangereux, si l'alliance devait être offensive; car, en multipliant le nombre de ceux qui peuvent offenser, on pourrait multiplier les cas de guerre. Mais toute alliance offensive étant nulle par sa nature, l’article borné au cas défensif devient bon et utile; car plus de confédérés pour se défendre, et plus il y a d’espoir d’en imposer à ceux qui voudraient attaquer. Les Deux-Siciles forment une puissance à peu près égale à celle du roi de Sardaigne par terre, et qui par mer n’est pas lom du niveau de la république de Venise. La nation napolitaine et sicilienne est, après l’espagnole, celle dont le commerce est le plue utile à la France. L’accession de cette puissance à un pacte défensif et commercial, ne peut donc avoir que des avantages. Les principes de la politique extérieure sont d’une extrême simplicité; Les alliances offeusives sont nulles ; Les alliances défensives sont utiles et sacrées; Les alliances commerciales sont avantageuses en raison de ce qu’elles se rapprochent de la liberté. Art. 20. « Leurs Majestés très chrétienne, catholique « et sicilienne s’engagent non seulement àcon-« courir au maintien et à la splendeur de leurs « royaumes dans l’Etat où ils se trouvent ac-« tuellement, mais encore à soutenir, sur tous « les objets sans exception, la dignité et ies « droits de leurs marnons ; de sorte que chaque lw Série. T. X.VÜ* « prince, qui aura l’honneur d’être issu du même « sang, pourra être assuré en toute occasion de « la protection et de l’assistance des trois cou-« ronnes. » Observations sur V article 20. Que les nations liées d’affection à leur chef ne voient pas, avec indifférence, ce qui peut intéresser la dignité et les droits des princes, liés avec lui de parenté : c’est un sentiment naturel et qui aura lieu, sans qu’il soit besoin d’en faire mention dans un traité. Ces princes doivent donc s’attendre constamment à toute espèce de bons offices ; et, s’ils étaient opprimés, à toute espèce de protection, et bien plus encore de la part de la nation française que de toute autre; mais les nations ne peuvent faire d’alliance formelle qu’avec les nations, et, lorsqu’elles en font avec les princes, c’est, autant que le droit public de leur pays autorise ceux-ci, à stipuler pour leurs nations. Alors le cas d’alliance défensive rentre dans celui de toute autre alliance défensive ; et, si la nation qui a pour chef un prince de la même nation, est opprimée par uue troisième nation, ce ne doit pas être à cause de son chef qu’elle doit être défendue, mais à cause de ses droits et de l’intérêt commun. Art. 21. « Le présent traité devant être regardé, ainsi « qu’il a été annoncé daus le préambule comme « un pacte de famille entre toutes les branches « de l’auguste maison de Bourbon, nulle autre « puissance que celles qui seront de cette mai-« son ne pourra être invitée ni admise à y accé-« der. » Observations sur l'article 21. Rien n’est plus étrange que cet article. Le traité fait pour établir la paix et pour conserver à chacun ses possessions, toute puissance qui voudra s’unir dans les mêmes vues de conservation et de protection réciproque, et qui pourrait faire entrer dans la confédération des forces proportionnées, aux risques que sa position peut y apporter, doit pouvoir être admise à y accéder de l’avis des puissances déjà confédérées, qui ne peuvent ni ne doivent s’interdire d’avance cette liberté de recevoir dans leur confédération les puissances dont le concours peut ensuite leur paraître utile à la sûreté commune. La seule stipulation raisonnable est « qu’il faudra l’aveu de toutes les nations considérées pour en admettre uue nouvelle dans leur confédération. » Art. 22. « L’amitié étroite qui unit les monarques contractants, et les engagements qu’ils prennent par ce traité, les déterminent aussi à stipuler que leurs Etals et sujets respectifs participeront aux avantages et à la liaison établis eutre les souverains; et Leurs Majestés se promettent de ne pas souffrir qu’en aucun cas, ni sous quelque prétexte que ce soit, leurs dits 38 ç94 [Assemblés nationale.] “ Ktatg ou sujets puissent rien faire ou entre-« prendre de contraire à la parfaite correspon-« dance qui doit subsister inviolablement entre « les trois couronnes. » Observations sur V article 22. Depuis que les progrès des lumières nous ont appris que tout entre les nations se doit faire our elles, que leur intérêt et leur bonheur oiventêtre la base de tous les engagements que prennent leurs chefs, nous ne pouvons qu’être scandalisés de la rédaction de cet article, dans lequel nous voyons les monarques déclarer que c’est à raison de leur amitié personnelle qu’ils vont stipuler quelque chose sur les avantages civils et commerciaux que leurs nations peuvent se procurer. Mais si l’on se rapporte au temps où le traité a été conclu, on verra que les rédacteurs ont pu être conduits à cette forme d’expression par un mouvement louable. Ce que l’on avait encore pu imaginer de plus avantageux au genre humain dans les monarchies avait été d’inspirer aux rois un sentiment paternel pour leur peuple. Les bons rois se complaisaient dans cette idée que leurs sujets étaient leurs enfants , et k philosophie se reposait sur elle. 11 y avait donc quelque chose de bon et d’honnête a étendre cet esprit de famille des monarques aux nations qu’ils commandaient, et par les monarques d’une nation à l’autre. Les princes, il est vrai, se voyaient en première ligne, mais jamais ceux qui lesavaient approchés ne leur avaient appris à se regarder, ni à se montrer autrement. Ils ae disaient : Nous sommes unis , et mus voulons que mt enfants le soient : c’est précisément le langage que tiendraient deux bons pères de famille, et il n’estdoncpas douteux que lesministres-rédacteurs du traité ne s’en soient applaudis. C’est si bien dans ce sens que l’article 22 et les suivants ontétéconçus, que les dispositions qui se sont présentées les premières à l’esprit des négociateurs sont qu’on « ne souffrira pas que les su-« jets respectifs se fassent aucun mal, et qu’en « aucun cas, ni sous aucun prétexte, iis entrent prennent rien de contraire à la parfaite corres-« poodance qu’on veut établir. » Ou a songé à prévenir le désordre dans la grande famille qu’on voulait former de plusieurs nations, même avant d« régler les avantages ultérieurs de leurs relations commerciales. Irt. 23. a Pour cimenter dkutant plus cette intelligence * et ces avantages réciproques entre les sujets « des deux courouaes,!! a été convenuqne lesEs-« pagnols ne seront plus réputés aubainsen FVaece, « et, en conséquence, Sa Majesté très chrétienne s’en-« gage à abolir en leur faveur le droit d’aubaine, « en sorte qu’ils pourront disposer, par testament, « donation ou autrement, de tous leurs bieus sans « exception, de quelque nature qu’ils soient, qu’ils « posséderont dans son royaume, et que leurs hé-* ritiers sujets de Sa Majesté catholique, demeu-« rant tant en France qu’aiiieurs, pourront recueillir leurs successions même ab intestat t soit « par eux-mêmes, soit par leurs procureurs eu « mandataires, quoiqu’ils n’aient point obtenu de s lettres de waturahté, «t tes transporter hors des [3 août 1790.1 « Etats de Sa Majesté très chrétienne, nonobstant « tontes lois, édits, statuts, coutumes ou droits à ce « contraires, auxquels Sa Majes'é très chrétienne « déroge autant que besoin serait. Sa Majesté ca-« tolique s’engage, de son côté, à faire jouir des « mêmes privilèges et de la même manière dans « tous les Etats et pays de sa domination, tous les « Français et sujets de Sa Majesté trèschrétienne, « par rapport à la libre disposition des biens « qu’ils posséderont dans toute l’étendue de la * manarchie espagnole. De sorte que les sujets « des deux couronnes seront également traités en « tout et pour tout ce qui regarde cet article dans « les pays des deux dominations, comme les pro-« près et naturels sujets de la puissance dans les « Etats de laquelle ils résideront : tout ce qui est « dit ci-dessus, par rapport au droit d’aubaine et « aux avantages dont les Français doivent jouir « dans les Etats du roi d’Espagne, en Europe, et « les Espagnols en France, est accordé aux sujets « du roi des Deux-Siciles, qui sont compris aux « mêmes conditions dans cet article, et récipro-« quementlessujetsdeSa Majesté très chrétienne et « catholique jouiront des mêmes exemptions et « avantages dans les Etats de Sa Majesté sici-t tienne. » Art, 24. « Les sujets des hautes parties contractantes « seront traités relativement au commerce et aux « impositions dans chacun des deux royaumes en « Europe, comme les propres sujets du pays où ils « aborderont ou résideront; de sorte que lepavil-« Ion espagnol jouira en France des mêmes droits « que le pavillon français , et pareillement que le « pavillon français sera traité en Espagne avec la « même faveur que le pavillon espagnol. Les su-« jets des deux monarchies, en déclarant leurs « marchandises, payeront les mêmes droits qui < seront payés par les nationaux. L'importation « et l’exportation leur semât également libres « comme sujets naturels, et il n’y aura de droits « à payer de part et d’autre, que ceux qui seront « perçus sur les propres sujets du souverain, ni « de matières sujettes à confiscation, que celles « qui seront prohibéesaux nationaux eux -mêmes; « et pour ce qui regarde ces objets, tous traités, -•conventions ou engagements antérieurs entre < les deux monarchies, resteront abolis ; bien en-« tendu que nulle puissance étrangère ne jouira en « Espagne, non plus qu’en France, d’aucun privi-« lège plus avantageux que celui des deux na-« fions. Gn observera les mêmes règles en France « et en Espagne, à l’égard du pavillon et du roi « des üeux-'Siciles, et Sa Majesté sicilienne les « fera réciproquement observer à l’égard du pa-« villon et des sujets des couronnes de France et « d’Espagne. * Observations sur les articles 23 et 24. Les dispositions des deux articles pour abolir le droit d’aubaine, pour rendre les individus de chaque nation habiles à succéder chez l’autre, pour leur donner réciproquement tous les droits de la naturalité, la pari té a bsolue quant aux dispositions, et tous les privilèges commerciaux réservés chez chaque nation, à ses propres concitoyens, sont à l’avantage évident et mutuel des deux peuples. répète 4 Paris, d'après efe Xatoly, et ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’on a imprimé deux fois, depuis quelques jours, que les dispositions si raisonnables, si utiles, si bienfaisantes de ces deux articles, sont révoquées, et n’ont plug lieu. On répète une erreur de fait, et rien n’est plusnaturel, ni plus commun, lorsqu’on est obligé de se bâter de parler sur des matières dont on n’a pas été à portée d’acquérir une connaissance approfondie : l’erreur d’un homme célèbre occasionne encore mille erreurs après qu’elle a été relevée et refutée. L'abbé de Mably, homme vertueux, penseur profond, écrivain patriote, mais d’un commerce difficile, avait étudié la diplomatie dans les livres : son caractère chagrin l’avait rendu peu propre à en acquérir l'expérience, et son ambition désappointée à cet égard, ayant rendu son caractère encore plus chagrin, lui avait également ôté la faculté d’interroger et cede d’ecouter. Il a trouvé, dans le traité de Paris, article 2, que les parties contractantes déclarent « qu’elles « ne permettront pas qu’il subsiste aucun privi-« lège, grâce ou iudulgence contraires aux traités « confirmés. » Il en a conclu très mal à propos que les stipulations des articles 23 et 24 du Pacte de famille étaient annulées. Cette conclusion n’était pas même fondée sur l’article cité, qui ne confirme que les traités simplement politiques qui ont eu lieu depuis 1648 jusqu’au 12 février 1761, dont sont exceptés les articles commerciaux du traité d’Utrecht, qui sont comme non-avenus, ayant été rejetés dans le temps par le parlement d’Angleterre. Les conventions qui subsistent de ces traités purement politiques ne peuvent interdire et n’interdiront à aucune puissance le droit de régler chez elle, comme elle le juge convenable, les lois relatives aux successions et celles qui concernent ses finances et son commerce. M. l’abbé de Mably pouvait donc, avecplus de réflexion et par la simple connaissance qu’il avait des traités, savoir que les articles 23 et 24 du Pacte de famille ne sont pas révoqués par le traité de Paris ; et si M. l’abbé de Mably eût consulté les personnes attachées par état ou par goût à la diplomatie, il aurait su qu’aucune des puissances contractantes, dans le traité de 1763, n’a jamais regardé ce traité comme ré voeu toi re des conventions civiles et commerciales du Pacte de famille. Il aurait même pu savoir, sans consulter personne, que ces articles, qui ne sont pas les moins intéressants de notre alliance avec la nation espagnole, ont été confirmes et développés par plusieurs conventions subséquentes. Les écrivains estimables, qui ont répété l’assertion de M. l’abbé de Mably, auraient pu avoir connaissance de ces conventions explicatives et confirmatives des articles 23 et 24 du Pacte de famille : elles sont imprimées et servent de règle au commerce réciproque de la France et de l’Espagne. Les deux nations ont, en plusieurs occasions, contracté, non seulement entre elles, mais vis-à-vis des autres nations, i’exisience de ces deux articles que l’on annonce à Pans comme ayant été révoqués. Elles oqt constamment opposé aux puissances qui ont désiré, en France et eu Espagne, un traitement pareil à celui de l’une et de l’autre des deux nations confédérées, l’article 25 du Pacte de famille, qui dit que la manière dont elles se traiteront réciproquement ne fera titre pour aucune autre des nations, même les plus favorisées. {3 août 1790.] tjgu Enfin, ces deux articles importants du Pacte de famille ont tout dernièrement été allégués à l’Angleterre et à la Russie lors de leurs traités de commerce avec la France, et reconnus par elles comme une raison de ne pouvoir prétendre en France aux mêmes privilèges que la nation espagnole. Il faut donc cesser d’argumenter sur ce point d’après la parole de l’abbé de Mably. Mais je né serais pas surpris que les mêmes personnes qui, dans notre alliance avec l’Espagne, blâmaient la révocation qu’elles supposaient des articles commerciaux, ne demandassent, en apprenant que cette révocation n’a pas eu lieu, si c'est wt\ avantage d'accorder ainsi des préférences à quelques nations ? et je suis convaincu qu’elles établiraient, par des principes généraux très philosophiques et très sages, que la liberté et l’égalité sont l’âme du commerce. En supposant l’observation qui ne peut guère manquer d’être faite, je répondrai que si les nations étaient suffisamment éclairées pour ne donner elles-mêmes aucun privilège, pas même | leurs propres sujets, et pour établir une complété fraternité entre elles toutes, il est manifeste que ce serait à la fois une folie et uu délit que d’établir des privilèges exclusifs, même réciproques entre quelques nations. Mais quand elles ont différentes manières d’agir, soit envers les diverses nations, soit à 1 egard de leurs sujets et des étrangers, il est clair qu’on trouve un grand avantage à s’assurer réciproquement le traitement le plus favorable; et nous aurions d’autant plus de tort de renoncer à cet avantage essentiel en Espagne, que les principes de cette puissance sur le commerce sont beaucoup moins libres que les nôtres, et, par conséquen t, que les exceptions y sont beaucoup plus nécessaires pour ceux qui veulent faire un commerce profitable. Nous aurions grand tort de donner au commerce anglais, en France, les mêmes privilèges dont y jouissent Je commerce français et le commerce espagnol, tant que les Anglais réserveront chez eux, par leur acte de navigation, des privilèges particuliers au commerce britannique. Les Anglais nous traitant beaucoup moins favorablement que ne le font les Espagnols, il serait injpste de ne pas traiter les Espagnols en France plus favorablement que les Anglais. La parfaite réciprocité, vis-à-vis de chaque nation, est la seule loi qu’elles puissent invoquer, et peut-être le seul moyeu de ramener à une meilleure conduite celles qui ont des principes peu favorables à la liberté des communications respectives. Il faut remarquer que les articles commerciaux du Pacte de famille fout loi entre les Deux-Siciles et la France, quoique l’accession des Deux-Siciles n’ait pas eu lieu. Art. 25. « Si les hautes parties contractantes font dans « la suite quelque traité de commerce avec d’au-« très puissances, et leur accordent ou leur ont -( déjà accordé dans leurs ports ou Etats le trajte-« meut des Espagnols en France et dans les Deux-« Siciles, et des Napolitains et Siciliens en France « et en Espagne, sur le même objet, est excepté « à cet égard, et ne doit point être cité ni servir « d’exemple, Leurs Majestés très chrétienne, ca-« thoiique et sicilienne, ne voulant pas faire par-m ticiper aucune autre nation «an* privilèges août g00 [Assemblée nationale.} c elles jugent convenable de faire jouir leurs su-« jets respectifs. » Observations sur l'article 25. On vient de remarquer que cet article renferme la réponse à la méprise dans laquelle sont tombés M. l’abbé de Mably et les écrivains qui ont transcrit ses expressions. 11 avait cru l’article même révoqué et l’a dit dans son ouvrage sur le droit public; mais, loin qu’il ait été révoqué, c’est cet article qui a été le conservateur des deux autres. Ces deux autres articles ne sont point d’une petite importance. C’est en Espagne que nous avons le principal débouché de nos toiles, objet immense de notre commerce, qui n’attend pour doubler encore qu’une bonne administration. C’est en Espagne et par elle dans ses colonies, que passe la meilleure partie de nos draps superlins, de nos petits lainages, de nos galons, de notre passementerie, de nos tafte-tas légers, de nos bas de soie, de nos fleurs artificielles, et des quantités considérables de bijouterie. Notre commerce avec l’Espagne se monte, année commune, entre quarante et cinquante millions, selon les estimations très fautives de la balance du commerce : ce qui suppose que réellement il doit être de soixante millions au moins. C’est après le commerce des colonies, celui qui emploie le plus notre navigation nationale, de cent vingt-sept ou cent trente mille tonneaux de fret qu’il exige annuellement; il y en a soixante-onze à soixante-quatorze mille tonneaux qui sont poriés par navires français, trente-six à trente-sept mille par bâtiments espagnols, vingt à vingt-et-un mille seulement par navigation étrangère aux deux nations ; c'est d’Espagne que nous tirons l’argent nécessaire à notre circulation et à la solde des achats que nous avons à faire aux autres nations. Déranger, pour l’attrait d’une nouvelle politique, ces grandes relations commerciales, ce serait ruiner nos manufactures, et réduire à la mendicité plusieurs millions de Français industrieux. Les déranger par faiblesse, par crainte, se laisser entraîner par de si vils motifs à commencer par un acte de mauvaise foi notre carrière de politique étrangère, à montrer à nos autres alliés qu’ils doivent, d’avance, regarder tous nos traités comme rompus ; ce serait à la fois une honte et une imprudence, dont l’bonneuret le patriotisme sont également effrayés. C’est une horrible injure que nous font les Anglais et leurs amis, que de nous croire capables de cette lâcheté et de cette démence. Art. 26. « Les hautes parties contractantes se confieront « réciproquement toutes les alliances qu’elles « pourront former dans la suite, et les négociations « qu’elles pourront suivre, surtout lorsqu’elles « auront quelque rapport avec leurs intérêts com-« muns. En conséquence, Leurs Majestés très « chrétienne, catholique et sicilienne ordonneront « à tous les ministres respectifs qu’elles entretien-« nentdans les autres cours de l’Europe, de vivre « entre eux dans l’intelligence la plus parfaite et « avec la plus entière confiance, afin que toutes « les demandes faites au nom de quelqu’une des u trois couronnes, tendant à leur gloire et à leur « avantage commun, soient uu gage constant de [3 août 1790.} « l’intimité que Leursdites Majestés veulent établir « et perpétuer entre elles. » Observations sur l'article 26. Quoi de plus noble, de plus fraternel et déplus utile que cet article, que cette obligation de se communiquer réciproquement toutes (es alliances projetées, toutes les négociations, des’entr’avertir, de s’entr’aider dans toutes les affaires et de se mettre en société, non seulement de puissance, mais de lumières, et d’une officieuse, constante, mutuelle et perpétuelle bienveillance! Multipliez ces rapports entre les nations, et vous les rendrez nécessairement meilleures et plus respectables. Art. 27. « L’objet délicat de la préséance dans les actes, « fonctions et cérémonies publiques, est souvent « un obstacle à la bonne harmonie et à l’intime « confiance qu’il convient d’entretenir entre les « ministres respectifs de France et d’Espagne; « parce que ces sortes de discussions, quelque « tournure qu’on prenne pour les faire cesser, « indisposent les esprits. Elles étaient naturelles « quand les deux couronnes appartenaient à des « princes de deux différentes nations ; mais actuel-« lement et pour tout le temps pendant lequel la « providence a déterminé de maintenir, sur les « deux trônes, des souverains de la même mai-« son, il n’est pas convenable qu’il subsiste entre « eux une occasion continuelle d’altercation et de « mécontentemeni. Leurs Majestés très chrétienne « et catholique sont convenues, en conséquence, « de faire entièrement cesser cette occasion, en « fixant pour règle invariable à leurs ministres, « revêtus du même caractère, tant dans des cours « étrangères que dans les cours de famille, comme « sont présentement celles de Naples et de Parme, « que les ministres du monarque, chef de la « maison, auront toujours la préséance, dans tel « acte, fonction oucérémoniequece soit; laquelle « préséance sera regardée comme une suite de « l’avantage de la naissance, et que, dans toutes « les autres cours, le ministre, soit de Fi ance, « soit d’Espagne, qui sera arrivé le dernier, ou « dont la résidence sera plus récente, ce sera au « ministre de l’autre couronne, et de même « caractère, qui sera arrivé le premier, ou dont « la résidence sera, plus ancienne; de façon qu’il « y aura désormais à cet égard une alternative « constante et une fraternité à laquelle aucune « autre puissance ne devra ni ne pourra être « admise, attendu que cet arrangement, qui est « uniquement une suite du présent Pacte de fa-« mille, cesserait, si des princes de la mêmemai-« son n’occupaient plus les trônes des deux « monarchies, et qu’alors chaque couronne ren-« trerait dans ses droits ou présentations à la pré-« séance. « Il a été convenu aussi que, si par quelque « cas fortuit, des ministres des deux couronnes « arrivaient précisément en même temps dans « une cour autre que celle de famille, le mi-« nistre du souverain, chef de la maison, précé-« dera à ce titre le ministre du souverain, cadet « de la même maison. » Observations sur l'article 27. C’était, dans le principe et dans l’intention, avoir ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.) 597 [Assemblée nationale.] marché vers un meilleur ordre de choses, que d’avoir fait cesser une des querelles de préséance. Mais nous aurions grand tort de nous borner à cette convention qui, d’ailleurs, n’a fait que mul-tiplierles difficultés: car plusieurs puissances, qui avaient, jusqu’alors, cédé le pas à la France, ont contesté pour le faire, lorsqu'elles ont vu la France l’abandonner en quelques occasions à l’Espagne, à qui elles le disputaient. Il y a de quoi rougir et frémir quand on songe que les nations ont été tellement avilies, que la morale a été si dépravée, que la raison et les véritables droits des hommes ont été mis en oubli au point que l’on a, pendant plusieurs siècles, regardé, comme un sujet légitime de guerre, une place dans une cérémonie, une révérence, ou un fauteuil. De longues dépêches ont été écrites, des conseils multipliés se sont tenus, des négociations importantes ont échoué, le sang des peuples a coulé quelquefois pour ces frivolités orgueilleuses. L’impératrice de Russie est la seule tête couronnée qui se soit conduite, à cet égard, avec une véritable raison et une véritable dignité. « Je « ne demande, a-t-elle dit, la préséance sur per-« sonne et je ne l’accorderai à personne. » C’est la maxime que la France devrait adopter, et dont il convient de donner l’exemple. Rien n’est plus conforme aux principes de la raison et à ceux de Légalité, qui deviennent la base de notre Constitution, que de regarder, comme revêtus de la même dignité, tous les corps politiques qui jouissent des droits de la souveraineté. Il ne nous siérait pas d’avoir une règle de conduite au dedans, et une autre au dehors. Nous devons donc établir, en Europe, qu’aucune autre préséance ne soit ni exigée ni reconnue, que celle des grades entre les ministres respectifs et celle de la date de leur arrivée dans la cour où ils se trouveront. Proposons une convention en vertu de laquelle nos ministres de même grade céderont sans difficulté le pas à celui de Raguse ou de Saint-Marin, lorsqu’il sera le plus ancien, et jamais à celui de l’empereur, s’il ne l’est pas. Nous sommes sûrs qu’une telle convention ne sera pas rejetée venant de nous qui avons toujours joui de la seconde place; car elle aura pour elle tous les autres souverains, et l’empereur seul, contre. Il dépend donc de nous de tarir une source, la plus honteuse et la plus ridicule source d’inimitiés et de contestations politiques. Plût au ciel que les autres pussent être détruites aussi aisément ! Art. 28. « Le présent traité au Pacte de famille sera « ratifié, elles ratifications seront échangées dans « le terme d’un mois, ou plus tôt si faire se peut, « à compter du jour de la signature dudit traité. « En foi de quoi, nous ministres plénipoten-« tiaires de Sa Majesté très chrétienne et de Sa « Majesté catholique, soussignés; en vertu des « pleins pouvoirs qui sont transcrits littérale— « ment et fidèlement au bas de ce présent traité, «< nous l’avons signé et nous y avons apposé les « cachets de nos armes. » Fait à Paris, le 15 août 1761. Signés : (L. S.) Le duc DE GhoiseüL. (L. S.) Le marquis dé Grimaldi. | Observations générales Nous venons de voir en quoi consiste le Pacte de famille. Une convention réciproque, dans laquelle on stipule pour les deux nations que qui attaque Puna attaque Vautre (art. 1er et art. 4), et toutes deux se trouvent obligées de se garantir toutes leurs possessions en l’état où elles se sont trouvées à la paix de 1763 (art. 2). Un engagement d’exercer cette garantie d’abord par un secours déterminé, ensuite par l’emploi de toutes les forces de chacune d’elles, s’il est nécessaire (art. 5, 6, 8 et 16). Plusieurs mesures particulières pour l’exécution de cet engagement (art. 9, 11, 14 et 15). Deux réserves; l’une relative au royaume des Deux-Siciles, pour lequel l’Espagne promet de contribuer dans une plus forte proportion (art. 7); l’autre au traité de Westphalie, pour lequel l’Espagne ne veut pas faire la guerre à moins que la France, qui en est garante, ne se trouve attaquée à ce sujet par une puissance maritime ou sur son propre territoire : réserve que l’Espagne, sollicitée, a été en droit de faire et qui n’est pas nuisible à la France, car ce n’est que dans les guerres maritimes, que le secours mutuel est indispensable aux deux puissances (art. 8). Une promesse de l’accession des Deux-Siciles, qui n’a eu lieu que pour les articles commerciaux (art. 3, 19). L’obligation très juste de ne jamais faire de paix particulière (art. 17). L’obligation très noble de compenser, dans le cas de guerre occasionnée par la garantie, tous les avantages et toutes les pertes (art. 18). L’obligation très fraternelle de se communiquer, en paix comme en guerre, toutes les négociations et de s’entr’aider de tous les bons offices politiques (art. 16). Les privilèges de naturalité, assûrés chez chaque nation aux individus de l’autre, et la participation entière et mutuelle à tous les mêmes avantages civils et commerciaux (art. 23 et 24). La défense expresse, à tout membre d'une des deux nations, de rien entreprendre qui puisse troubler la bonne correspondance entre elles (art. 22). La renonciation respective à la vanité de la préséance (art. 27). Un article réglementaire (10) qui demande explication sur l’emploi des secours. Un autre où l’intérêt des peuples est trop subordonné à celui des maisons (art. 20). Deux articles (12 et 13) et un mot dans un troisième (16) dont on peut inférer, quoique leur énonciation ne soit pas formelle, que l’alliance embrasse les guerres offensives. Articles qui, par conséquent, sont nuis; puisqu’aucune nation n’a le droit de faire une guerre offensive, et que l’on ne peut s’engager à ce qu’on n’a pas droit de faire. Un préambule, un style, des formes qui ne conviennent plus à nos principes actuels, mais qui étaient ceux du temps, et qu’il est facile de corriger, d’après le progrès des lumières. Or qu’est-ce qui constitue les traités? ne sont-ce pas les choses qu’ils contiennent, les stipulations qu’ils renferment, non les mots plus ou moins bien choisis pour les exprimer? Quand on aura corrigé ces mots et ces forme peu convenables, quand les articles offensifs se 598 [Assemblés nationale.] ront supprimés, ne restera-t-il pas tout un traité de vingt-et-un articles, raisonnable en soi, juste, sage, utile, avantageux, salutaire aux deux peuples, inviolable par conséquent? Si ce traité est inviolable aux yeux de la raison dans toutes ses dispositions défensives, pacificatrices, civiles et commerciales, qu’est-il aux yeux de l’honneur? Il a été conclu, à la demande de la France, dans la cinquième année de la guerre la plus malheureuse que nous ayons jamais eue à soutenir; après que nous avions perdu presque tous nos matelots, partie par la piraterie des Anglais contre la foi des traités, partie depuis par les événements de cette guerre inégale ; lorsque nos colonies étaient tombées entre les mains de l’ennemi, que nos armées de terre étaient battues, que nos finances se trouvaient épuisées sans ressource et sans espérance. L’Espagne alors vint partager nos malheurs pour les diminuer et nous procurer la paix. Nos pertes étaient considérables et notre puissance affaiblie, ses domaines et sa puissance étaient dans leur entier, lorsqu’elle fit cette généreuse stipulation, que les avantages et les pertes seraient compensés entre les deux nations quand il faudrait finir la guerre. Depuis ce temps, nous n’avons encore eu qu’une occasion dé reconnaître par un service réel un aussi grand service; ce fut lors de la contestation élevée relativement aux îles Falkland, où une négociation appuyée d’un armement respectable de notre part, une négociation telle qu’il convient à la France d’en faire pour ses alliés, eut l’efficacité qu’elle aura toujours en pareil cas et empêcha la guerre. L’Espagne a été obligée à un plus grand effort; elle a fait sérieusement la guerre pour nous appuyer dans celle qui a eu lieu relativement à la liberté des Etats-Unis de l’Amérique : pendant un moment elle nous a rendu maîtres de prendre Plimouth. Et lorsque là faiblesse incroyable et honteuse de l’archevêque de Sens, a, contre notre plus évident intérêt, sacrifié trente vaisseaux de guerre, trente mille hommes de troupes, cent millions d’argent comptant, gue l’habileté du précédent ministre avait mis à notre disposition, par le droit des bienfaits ; lorsqu’il a, contre nos engagements formels, contre toute bonne foi, contre les droits naturels de l’humanité, livré la Hollande à la despotique tyrannie de la Prusse, de l’Angleterre et du stathouder ; c’est encore l’Espagne qui, par un armement imposant, a prévenu la guerre dont l’Angleterre nous menaçait, et qu’appelaient sur nous l'impuissance et la lâcheté que montrait notre ministère. Et nous nous croirions déliés de l’obligation de la défendre à notre tour, sous le seul prétexte que le traité que nous l’avons priée de conclure, qui a suspendu notre ruine dans la guerre de 1756, que deux fois depuis nous avons encore invoqué dans la guerre, et cent fois pour le commerce, est conçu dans un style qui ne nous convient plus, et renferme deux stipulations qui n’y sont pas essentielles, qui excèdent les droits des nations, et qui, par conséquent, ne peuvent avoir de valeur ! Nous avons cru devoir mettre, sous la garde de l'honneur et de la loyauté française, les engagements pris par nos rois et par nos ministres envers pos créâttciërs, même usuraîres, et pour contracter les dèttes qui ont fourni aux prodigalités dont üotiè gémissons, Nous Parons fait d’après [3 août 1790.] un sentiment noble et juste, c’est qu’il n’y avait, lorsque ces dettes ont été contractées, aucune autre manière de stipuler avec ta nation française, et que c’est sur la foi de l’estime qu’on lui portait, que les prêteurs ont livré leurs fonds. Mais y avait-il donc quelque autre manière de négocier et de contracter les traités politiques, que celle qui a été employée dans le Pacte de famille? N’est-ce pas sur la foi du nom français qu’il a été conclu? Et nous croirions pouvoir rompre entièrement ce traité, et toutes les stipulations louables qu’il renferme et qui sont très nombreuses, au lieu de nous borner à réformer les deux seules conventions qui ne soient pas raisonnables ! nous le romprions au lieu de le corriger ! Personne ne s’y tromperait, chacun verrait que nous le romprions par la seule raison que le traité qui nous a trois fois été utile, nous paraîtrait aujourd’hui ri’être pas sans péril. Les représentants de la nation française se sauveraient à travers les nuages d’une ‘subtile philosophie, au moment du danger ! Les Français seraient si peu représentés ! On nous ferait déroger à ce point à notre caractère national! Non. Mais quelle que fut la lâcheté de cette conduite, l’imprudence serait plus grande. Nous ne pouvons manquer à notre traité avec l’Espagne, qu’en révélant le sentiment de terreur qu’on cherche à nous inspirer, sous le prétexte que nous croyons notre nation liée par aucun des traités défensifs et commerciaux qui ont été signés en son nom; que nous ne croyons pas qu’elle doive aux nations étrangères, considérées comme corps politiques, la même bonne foi qu’elle s’est honorée de montrer à ses créanciers, de toutes les nations, dont plusieurs ont fait avec elle des contrats moins égaux et moins loyaux, que ceux qui ont fixé les conditions réciproques de nos relations extérieures. Ainsi, ce n’est pas seulement envers l’Espagne qu’on nous propose de trahir nus plus légitimes engagements; on veut nous conduire à déclarer, par un même acte, à tons nos alliés, qu’ils auraient tort de compter en aucune façon sur nous et sur la probité française, du moins quant à nos conditions passées; que tous nos traités sont résiliés. L’insidieux conseil que l’Angleterre a fait répandre parmi nous, d’abandonner tous nos alliés, pour que tous nos alliés nous abandonnent : cet étrange conseil, sur lequel l’apparence même du doute est déjà un grand mal, deviendrait notre loi ! St nous devons craindre nos ennemis jusque dans leurs présents (1) à combien plus forte raison dans leurs conseils? L’isolement effrayant dans lequel l'Angleterre a voulu nous précipiter, parce qu’elle en a naguère éprouvé le malheur, serait décrété dans un seul mot. Quand nous est-ii donné ce conseil perfide? Au moment où nous voyons la puissance qui cherche à nous priver de nos alliés se renforcer elie-même d’alliances et d 'alliances offensives , que nos orateurs n’osent blâmer, qu’ils affectent de passer sous silence : au moment où sans guerre existante, au sujet d’une négociation, qui même, dit-on, laisse encore des espérances de paix, la Hollande a fait, avec une célérité sans exemple dans cette République, un armement considérable, et i’a mis en mer aux ordres de l’Angleterre. Ainsi, tout ce qui se fait ou se ferait en Europe, contre nous et nos amis, les ligues évi-fi) Tiflaeo feanâoS et dopa, fercntes. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 4790.} 599 dentes qui nous menacent aujourd’hui ne paraîtraient mériter aucune attention de notre part; et tout ce que nous voudrions faire, ou conserver pour nos alliés de propre à maintenir notre sûreté mutuelle, serait représenté comme incompatible avec notre Constitution. Ceux qui diffèrent à ce point, dans l’application de leurs principes politiques, s’ils sont amis de notre Constitution , n en sont pas amis éclairés, ni logiciens; et certes, ils ne sont pas amis de notre sûreté extérieure, et de la conservation intégrale de notre Empire. Us disent, il est vrai, qu’en rompantnos traités, nous pourrons en conclure d’autres beaucoup plus raisonnables et qui seront plus solides, parce qu’ils seront complètement et uniquement nationaux. Mais voudraient ils que l’on fît un traité dans un jour? Ne conçoivent-ils pas que tout traité demande une discussion et une négociation préalables ? N’est-ce pas même pour que cette discussion et cette négociation aient lieu de nouveau et à loisir, qu’ils désireraient que l’on commençât par rompre nos traités? Si notre sûreté, si celle que nous devons à nos alliés en échange, tiennent à nos conventions réciproquement défensives, ne voient-ils pas qu’un temps considérable s’écoulerait nécessairement, pendant lequel n'ayant plus notre ancienne garantie, n’ayant pas encore établi la nouvelle, nous serions dénués de toute sûreté politique; et ce temps suffirait peut-être pour que les puissances confédérées contre nous et qui paraissent l’être si intimement chez nous-mêmes avec les fauteurs de l’anarchie, parvinssent à nous rayer de la liste des nations? Que dirait-on de ceux qui croiraient les systèmes de foriification de M. de Montalembert ou de M. de la Clos, supérieurs à celui de Vauban, et qui proposeraient, en conséquence, de faire sauter, en un jour, toutes nos places fortes pour les reconstruire à neuf et à loisir dans l’un ou dans l’autre système; qui nous conseilleraient de laisser nos frontières ouvertes en attendant? , L’expérience montre que la passion, l’ambition, les intérêts particuliers, la démence peuvent hasarder ces sortes de conseils. Mais la raison et le patriotisme crient qu’il ne faut pas détruire l’édilice du salut public, avant d’en avoir construit un autre; que notre plus pressant besoin, quant à nos traités politiques, est de tranquilliser nps alliés qu’on alarme et de déclarer authentiquement que, dignes de leur amitié et de leur estime, nous sommes sérieusement résolus de remplir, avec la plus sévère exactitude, nos engagements défensifs; enfin que l'examen que nous réservons des autres conditions de nos traités, ne portera aucune atteinte à la parfaite et puissante garantie que nous avons promise aux nations qui garantissent elles-mêmes nos possessions et nos droits. Tout ce que peuvent désirer les citoyens vraiment bons, qui veulent avec raison perfectionner toutes nos conventions politiques, et y porter à la fois la prudence, l’équité, la loyauté qui conviennent à une grande nation rentrée dans ses droits, est cette résolution, cette déclaration si nobles : Toutes les dispositions défensives, prises par les traités faits au nom de la France, sont sacrées. Toutes leurs dispositions offensives sont nulles. Toutes leurs dispositions commerciales seront examinées, mais subsisteront jusqu’au résultat de l’examen. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 3 AOUT 1790. Observations sur la réclamation faite au roi d’Espagne, par son ambassadeur à la cour de France, M. le comte de Fernan-Nunez, et communiquée à V Assemblée nationale, le 3 août 1790, par M. Le Couteulx de Canteleu, député de Rouen. I L’Assemblée nationale ne peut différer de donner la plus sérieuse attention à ses relations extérieures. Si dans lout ce qu’elle a fait pour la régénération de la France, il lui eût été si utile de bien distinguer les vrais amis de la patrie, il ne lui est pa� moins imporiant de bien connaître quelle est la nation qui est sincèrenbent et essentiellement unie aux Français par la nature, ainsi que par ses intérêts réciproques. L’Assemblée nationale a déclaré que la nation française renonçait à toute espèce de conquête, et qu’elle n’emploierait jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. Cette déclaration, si honorable pour les représentants d’une nation qui, depuis tant de siècles, jouit d’une si grande prépondérance dans les intérêts politiques de l’Europe, peut contribuer à affermir l’équilibre établi depuis plusieurs années entre les puissances qui nous environnent ; mais l’Assemblée nationale a paru en même temps se persuader que la nation française ne pourrait être entraînée dans une guerre que dans le cas des hostilités imminentes ou commencées, d’un allié à soutenir, d’un droit à conserver par la force des armes. Lorsque son comité diplomatique lui rendra compte des traités qui vont être soumis à son examen, elle reconnaîtra que ce ne sont plus les conquêtes ni les violences à mains armées qui divisent aujourd’hui les nations; qu’au moment même où on entame les négociations de la paix entre deux puissances épuisées par la guerre, commencent des entreprises d’un autre genre qui sont de la plus grande conséquence, et dont les effets sont d’autant plus dangereux, qu’ils sont déguisés sous des paroles de paix, et par une prétendue réciprocité d’intérêts à laquelle la nation la plus fatiguée de la guerre ou la moins éclairée dans son administration, donne toujours une aveugle confiance. Ces entreprises sont celles qui s’exercent par des conventions commerciales, Il n’est pas sans exemple que, par le seul article d’un traité, une puissance ait anéanti une branche de commerce et d'industrie de celle avec laquelle elle paraissait s’allier. La France en a fait une cruelle expérience ; mais ce n’est pas seulement dans les traités directs de là France, que ses intérêts peuvent être compromis : ils peuvent souffrir sensiblement dans un traité ou dans des c inventions auxquelles elle n’aurait aucune part. On peut adroitement la supplanter dans les marchés étrangers, où les productions de son industrie obtenaient le débouché le jiiuà