453 [Assemblé* utioaaie | ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [30 «ttü 17914 (Ce projet de décret est adopté sans aucune modification.) M. d'Allarde, au nom du comité des finances. Il s’est glissé une erreur dans la loi relative au bail passé avec Colandiin, adjudicataire du bail général des fermes: Il y est dit que ce bail est résilié à compter du 1er janvier 1789. Or, c’est à compter du 1" janvier 1791 que l’Assemblée entendait annuler ce bail. Je demande la rectification de cette erreur. (Celte rectification est décrétée.) L’ordre du jour est un rapport des comités diplomatique et d'Avignon sur la réunion à la France Avignon et du Comtat Venaissin. M. de Menou, au nom des comités diplomatique et d'Avignon (1). Messieurs, je viens, au nom des comités diplomatique et d’Avignon, soumettre de nouveau à votre délibération une question sur laquelle il est temps enfin de prononcer définitivement, si vous voulez prévenir la destruction de 150,000 individus livrés à toutes les horreurs d’une guerre civile alimentée par les passions les plus violentes. L'état d’Avignon et le Comtat Venaissin seront-ils réunis à la France? Telle est la question sur laquelle vous avez à délibérer. Cette question se subdivise en plusieurs parties. DIVISION DU RAPPORT. Première question. De qui dépendaient Avignon et le Comtat Venaissin avant d’être sous la domination des papes? Deuxième question. Ces deux pays ont-il3 pu être aliénés ou cédés aux papes? Troisième question. Ces deux pays ne devaieDt-ils pas être réunis à la France, en vertu du testament de Charles IV, dernier comte de Provence? Quatrième question. La possession des papes a-t-elle été paisible ? Est-elle, quant à la France, à titre irrévocable ou, à titre d’engagement, révocable à volonté? Cinquième question. En supposant que le droit d’hérédité ou de haute propriété n’eût pas existé en faveur de la France, et que les papes eussent joui, jusqu’à présent, par la volonté des Avignonais et des Gomtadins, ces deux peuples ont-ils aujourd’hui le droit de se déclarer libres et indépendants? Sixième question. Si ces deux peuples sont libres et indépendants, n’ont-ils pas le droit de demander leur réunion à la France? (1) Lo Moniteur ne donne que des extraits de ce rapport. Septième question. La France, en vertu du droit d’hérédité ou de haute propriété, n’a-t-elle pas celui de rentrer, quand il lui plaît, dans les domaines d’Avignon et du Comtat Venaissin? Huitième question. Si la France, en vertu du droit d’hérédité ou de haute propriété, peut prononcer la réunion, n’a-t-elle pas, à plus forte raison, le droit d’accepter l’offre des Avignonais et des Gomtadins, libres et indépendants? Neuvième question. Est-il de l’intérêt de la France d’ordonner la réunion en vertu de son propre droit, ou de l’accepter en vertu de l’indépendance des Avignonais et des Gomtadins? Dixième question. Celte réunion devra-t-elle causer de l’ombrage aux nations et aux princes étrangers? Onzième question. Par cette réunion, l’Assemblée contreviendra-t-elle à ses décrets ? Douzième question. Si la réunion est ordonnée ou acceptée, sera-t-il dû quelque indemnité au pape ? Treizième question. La justice du droit de la France ayant été préalablement établie, est-il de son intérêt politique d’ordonner la réunion ? Le contraire serait-il dangereux ? Quatorzième question. Avignon et le Comtat ont-ils fait et font-ils encore deux états séparés ? Quinzième question. Le vœu des Avignonais et des Comtadins est-il suffisamment exprimé ? Première question. De qui dépendaient Avignon et le Comtat Venaissin avant d'être sous la domination des papes ? Avignon. Avignon, après avoir été successivement la proie des Bourguignons, des Visigoths, des Français et des rois de Bourgogne, tomba sous la domination de la première race des comtes de Provence, qui en jouirent jusqu’en 992, qu’Emme, tille deRotbold, épousa Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, et lui porta en dot une partie d’Avignon et du Comtat Venaissin. L’autre partie, avec le surplus de la Provence, resta aux descendants de Rotbold, qui en jouirent jusqu’à 1100 ou environ ; Gerberge, héritière de Geoffroy l*r, porta ces biens en mariage à Gilbert, vicomte de Gévau-dan. Auembifo utional«.l ARCHIVES PA&LKMBVTAlltKS» {30 avril 1791. J 4» D’autres rejetons de la môme maison eurent en partage le comté de Forcalquier, avec quelques droits dan 8 Avignon. Mais, en 1208, Forcalquier rentra dans le domaine des comtes de Provence, par le mariage de Garsende de Sabran avec Alphonse 1er, comte de Provence. Gilbert, vicomte de Gévaudan et comte de Provence par sa femme Gerberge, n’eut qu’une fille, nommée Donce, qui, en 1112, porta la Provence, une partie d’Avignon et du Gomtat dans la maison de Barcelone, par son mariage avec Raymond Bérenger, ce qui forma la seconde race des comtes de Provence. Il s’éleva une guerre entre ce prince et Alphonse Jourdain, comte de Toulouse, qui, par son aïeule Emme, femme de Guillaume Taillefer, était possesseur d’une partie d’Avignon et du Gomtat Ve-naissin. Cette guerre se termina par un traité passé entre les deux princes, en 1125. Ils se partagèrent la Provence de manière que le Comtat et moitié de la ville d’Avignon demeurèrent à Alphonse Jourdain, sous le nom de marquisat de Provence. Ce traité renferme, en outre, la clause très remarquable de substitution réciproque et de défense d’aliénation. A cette époque, Avignon profita des divisions qui continuèrent entre ces princes et acquit une sorte d’indépendance qu’elle conserva jus-?u'en 1251, que Charles d’Anjou et Alphonse de oitiers, tous deux frères de Saint-Louis, roi de France, qui avaient épousé, l’uu Béatrix, héritière de Provence, et l’autre, Jeanne, héritière de Toulouse, s’emparèrent de cette ville, en reprirent possession, et cependant confirmèrent plusieurs de ses privilèges. Il est à remarquer que, malgré cette espèce d’indépendance des Avignonais, les comtes de Toulouse et ceux de Provence avaient souvent fait, depuis 1125jusqu’en 1251, des actes qui prouvaient leur supériorité territoriale. Bn 1270, Jeanne, comtesse de Toulouse, fit son testament par lequel elle légua à Charles d’Anjou, roi de Naples et comte de Provence, son beau-frère, tout ce qu’elle possédait au delà du Rhône, c’est-à-dire la moitié d’Avignon et du Comtat Ve-naissin. Mais Philippe le Hardi, roi de France, crut devoir garder Avignon, qui ne lui appartenait pas, puisque Jeanne en avait disposé, et ce ne fut qu’en 1290 que Philippe le Bel le rendit à Charles II, roi de Naples et comte de Provence, qui devint par là possesseur de la totalité de cette ville. En 1308, Charles II fit un testament, par lequel il appelle à lui succéder, à Naples et en Provence, Robert; et, à leur défaut, ses autres enfants, substituant ses biens à perpétuité et défendant de les aliéner. En 1343, Robert fait un testament, par lequel il appelle à lui succéder Jeanne, sa petite-fille, et à son défaut, Marie, sa sœur, leur substitue ses Etats, leur fait défense d'aliéner et donne à Jeanne, l’aînée, un conseil composé de cinq personnes, sans lequel elle ne pourra rien décider jusqu’à ce qu’elle soit majeure. En 1348, Jeanne, mineure, âgée de 22 ans, vendit à Clément VI l’état d’Avignon où résidaient les papes, depuis qu’en 1309, sous le pontificat de Clément V, le Saint-Siège y avait été transféré. Tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, Messieurs, étant appuyé sur les pièces les plus authentiques, il est évident que les comtes de Toulouse et ceux de Provence ontpossédéla ville d’Avignon, tantôt par indivis, tantôt séparément, jus-qwen 1290, que Charles 1er roi de Naples et comte de Provence, devint possesseur de la totalité de cette ville. Il est également prouvé qu’il a été fait, dans l’espace de 218 ans, trois substitutions de cet état, avec défense expresse d’aliéner ; l’une en 1125, entre Raymond Bérenger l#r, comte de Provence, et Alphonse Jourdain, comte de Toulouse ; l’antre eu 1308, par Charles II, roi de Naples et comte de Provence ; et l’autre par Robert en 1343. Comtat Venaissin. J’ai prouvé, dans l’article précédent, que le Comtat Venaissin était devenu une propriété substituée et non aliénable des comtes de Toulouse, par le mariage d’Emme avec Guillaume Taillefer en 992. En 1194, Raymond VI, comte de Toulouse, devint, par la mort de son père, propriétaire du Comtat Venaissin, et c’est sous ce prince que commencèrent les malheurs, trop fameux dauB l’histoire, des comtes de Toulouse, et la conduite scandaleuse des papes à leur égard. L’hérésie des Albigeois avait fait à cette époque de grands progrès. Raymond VI fut accusé de la favoriser. Innocent III fit publier une croisade contre lui; et Simon de Montfort, général de l’armée orthodoxe, fut autorisé, sous le prétexte de la religion, à s’emparer des Etats de Raymond VI. En 1209, ce prince, cité par Milon, légat et ministre des passions d’innocent III, comparut au concile de Valence, où il obtint l’absolution en se soumettant aux conditions les plus durés. Pour sûreté de sa promesse, il fut obligé de remettre au légat plusieurs terres et châteaux, situés de l’autre côté du Rhône, dans le Comtat Venaissin ; et, sous prétexte que ce prince n’étàit pas fidèle à ses engagements, le pape les garda. En 1215, se tint le fameux concile de Latran, où Raymond VI fut condamné à perdre le comté de Toulouse, qui fut adjugé à Simon de Montfort. Mais, par une grâce spéciale, le Comtat Venaissin et quelques autres domaines furent laissés à Raymond VII, son fils, qui en prit possession en 1216. En 1222, ce prince hérita, par la mort de Raymond VI, son père, de tous les Etats des comtes de Toulouse. Mais, ayant voulu reconquérir tout ce qui avait été donné à Simon de Montfort, il fut excommunié par le pape ; et après une succession non interrompue de malheurs et de succès, il conclut à Paris, en 1229, un traité de paix, par lequel il céda à la France la plus grande partie de ses Etats, situés de ce côté-ci du Rhône; maria Jeanne, sa fille, à Alphonse, comte de Poitiers, frère de saint Louis, et abandonna à l’Eglise ce qu’il possédait de l’autre côté du Rhône, c’est-à-dire le Comtat Venaissin. A ce prix on lui accorda la faveur de faire amende honorable, la corde au cou et nu en chemise, dans l’église de Notre-Dame de Paris. En 1234, le pape Grégoire IX, honteux de s’Ôtre prévalu de la situation de Raymond VII, vaincu par les remontrances de saint Louis, et effrayé des menaces de l’empereur Frédéric II, qui se prétendait suzerain du Comtat Venaissin, rendit A Raymond VII ce qui avait été cédé à l’Egiise pat. le traité de Paris. Ce prince eû jouit jusqu’en 1249, qu’il mourût, après avoir institué pour son héritière universelle Jeanne, sa fille, mariée à Alphonse de France, comte de Poitiers. Celui-ci fit son testament en 1270, et légua le marquisat de Provence, c’est-à-dire la moitié Ig! Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 avril 1791.] d’Avignon et le Comtat Venaissin à Charles de France, son beau-frère, roi de Naples, et comte de Provence par son mariage avec Béatrix, héritière de ce comté. Mais Philippe le Hardi, au lieu d’exécuter le testament de Jeanne, garda le Comtat Venaissin jusqu’en 1274, qu’il le céda contre toute justice, à Grégoire X ; et la moitié d’Avignon ne fut rendue qu’en 1290, par Philippe le Bel, à Charles II, roi de Naples et comte de Provence. H résulte des faits précédents, qu’en 1209, Innocent III s’empara de quelques châteaux du Comtat Venaissin, que Grégoire IX se fit céder ce pays en 1229, par le traité de Paris, mais le rendit en 1234, et que, malgré un testament dans les dispositions étaient formelles, Grégoire X se le fit donner en 1274 par Philippe le Hardi, auquel il n’appartenait pas. Il est vrai qu’il appuya sa demande sur la clause du traité de 1229, qui cédait ce pays à Grégoire IX, pour prix des excommunications que ce pape avait lancées contre le malheureux Raymond VII. Il est nécessaire de se rappeler ici que Charles, roi de Naples et comte de Provence, était le seul héritier légitime du Comtat, non seulement par le testament de Jeanne de Toulouse, mais encore ar la substitution faite en 1125, entre Raymond érenger et Alphonse Jourdain, ainsi que je l’ai déjà rapporté ; car il avait épousé Béatrix, seule héritière du comté de Provence et de la substitution de 1125, puisque, par la mort de Jeanne, il n’existait plus de représentants de la maison de Toulouse. Je laisse à penser si la possession des papes était légitimement acquise. SECONDE QUESTION. Ces deux pays ont-ils pu être cédés au pape? J’ai prouvé, quant à Avignon, que jusqu’à la vente de cette ville, faite en 1348 par Jeanne de Naples, il y avait eu trois substitutions qui mettaient cette princesse dans l’impossibilité d’aliéner : La première, en 1125, faite par Raymond Bérenger et Alphonse Jourdain; La seconde, en 1308, par Charles VIII, bisaïeul de Jeanne; Et la troisième, en 1343, par Robert, aïeul de cette princesse. Charles II, par son testament, institua pour héritier de ses Etats de Naples et de Provence, Robert, son second fils, aïeul de Jeanne, lui substituant, en cas de mort sans enfants, celui des enfants mâles du testateur, que le roi appellerait à la succession de la couronne de Naples. Mais, prévoyant le cas où Robert ne laisserait que des filles, qui, d’après les lois, étaient habiles à succéder au royaume de Naples, il réduisit le fidéi-commis masculin au comté de Provence, terres dépendantes et adjacentes. Robert, son fils, changea ces dispositions, qui étaient contraires à la coutume de Provence, où les filles pouvaient hériter; et, par des lettres atentes de 1331, déclara Jeanne, sa fille aînée, éritière de Naples, Provence, Forcalquier, terres dépendantes et adjacentes ; et, en cas de mort sans entants, substitua ces domaines à Marie, sa seconde fille. La même année, les Provençaux et Avignonais firent hommage et serment de fidélité à Jeanne et Marie (1); ainsi, le consentement des peuples concourut avec le testament du roi Robert. En 1334 (1), Robert déclara par un acte solennel, le comté de Provence inaliénable. En 1343, Robert fit son testament, qui n’était que le développement de ses lettres patentes de 1331. Il substitue ses Etats à Jeanne et à ses enfants ; et en cas de décès d’elle sans enfants, à Marie, sa seconde fille et à ses enfants. Il renouvelle ses défenses d’aliéner ; déclare que si, malgré ses défenses, il se fait quelques aliénations, elles seront nulles ; et défend à ses sujets d’y avoir égard. Il donne à sa tille un conseil d’administration, composé de 5 personnes, sans lequel elle ne pourra, jusqu’à ce qu’elle soit majeure, exercer aucun acte d’administration. A la tête de ce conseil, il place la reine Jeanne, sa femme ; il recommande ses enfants et ses dispositions testamentaires à Clément VI et aux cardinaux, et fait jurer à ses deux filles qui étaient présentes, l’observation de toutes les clauses de son testament. En janvier 1348, Jeanne, reine de Naples et comtesse de Provence, déclare solennellement que ses domaines sont inaliénables : elle le jure et promet en présence d’une grande quantité de Provençaux dénommés dans l’acte et rassemblés à Aix. Cependant, le 19 juin de la même année, elle vend Avignon au pape Clément VI, par acte passé dans la ville même d’Avignon, pour le prix de 80,000 florins d’or. L’acte porte qu’elle renonce à tout privilège de minorité, qu'elle fait présent au pape de la plus-value, en considération, dit-elle, que, selon l'apôtre, il vaut mieux donner que recevoir. (Rires.) Elle déclare qu’elle emploie cette somme de 80,000 florins à ses pressants besoins ; elle défend que personne ne mette opposition à l’exécution de cette vente, et fait intervenir dans l’acte, Louis de Tarente, son second mari, qui, malgré qu’il n’eût aucun droit sur Naples, ni sur la Provence, en promet et jnre l’exécution. Pour prouver la nullité de cet acte, il faut se rappeler : Mes substitutions de 1125, de 1308 et de 1343 ; l’acte de 1334, qui prohibe toute aliénation ; l’acte de 1348, du mois de janvier, par lequel Jeanne elle-même jure aux Provençaux de ne rien aliéner. 2* Il ne faut pas perdre de vue que Jeanne était mineure quant à la coutume de Provence, car elle était née en 1326, et n’avait par conséquent que vingt-deux ans lorsqu’elle vendit Avignon. Les meilleurs historiens conviennent de ce fait. Les bulles mêmes de Clément VI le prouvent évidemment, et, pour bien sentir la force de cette preuve, il faut savoir qu’en 1265, lors de l’in-vestituredu royaume de Naples, accordée àCharles de France, duc d’Anjou et comte de Provence, il fut stipulé que les successeurs de Charles ne pourraientadministrer ce royaume qu’après avoir atteint leur dix-huitième année, et que, pendant leur minorité, la garde en serait confiée au Saint-Siège. Robert, par son testament de 1343, avait établi un conseil de régence pour gouverner ses Etats, jusqu’à ce que Jeanne, sa petite-fille, eût atteint sa majorité. Cette disposition déplut à Clément VI, parce qu’elle était contraire à celle de 1265, qui mettait le royaume de Naples sous la garde du Saint-Siège. jusqu’à la majorité des rois, et non sous celle drua conseil de régence. En conséquence, (i) Acte du 12 avril 1331. (1) Acte du 21 décembre 1334. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 avril 1791.} 48$ par ooe bulle du 26 novembre 1343, il cassa cette disposition, et défendit au conseil de ré-Î;ence établi par le roi Robert, de se mêler de 'administration du royaume de Naples ; et, considérant que Jeanne n’avait pas encore l’âge fixé par la loi, il chargea du gouvernement de ce royaume le cardinal Aimeric, son légat. Jeanne n’avait donc pas encore dix-huit ans au mois de novembre 1343; elle ne les avait même pas en février, en juillet et en novembre 1344; car nous avons des bulles de Clément VI, en date des 2 février, 2 juillet et 18 novembre 1344, par lesquelles ce pape renouvelle la Commission du cardinal Aimeric, et enjoint à Jeanne de lui obéir. Cette princesse n’avait donc pas 22 ans au mois de juin 1343, époque de la vente d’Avignon; et la majorité des princes, en Provence, était fixée à 25 ans; 3° Je dois encore observer que Jeanne avait été mariée en 1333 (elle n’avait alors que 7 ans) avec André, fils de Charobert, roi de Hongrie, ui lui-même n’avait que 6 ans. Les historiens iseot que Jeanne, douée de tous les dons de l’esprit et de la figure, était très adonnée à ses plaisirs. André, au contraire, était d’une figure désagréable, d’un caractère dur et sauvage. Ce prince fut étranglé en 1345, dans la ville d’A-versa, où il se trouvait avec la reine Jeanne sa femme. Cette princesse fut accusée d’avoir trempé dans le meurtre d’André; et Louis, roi de Hongrie, son beau-frère, après avoir porté ses plaintes au pape Clément VI, se prépara à entrer à main ar-méedans le royaume de Naples. Lepapenepouvant se refuser aux justes plaintes du roi de Hongrie, ordonna qu’on procédât à l’ipformation contre les meurtriers d’André. Il nomma, à cet effet, Bertrand de Baux grand justicier du royaume, et lui adjoignit deux notables choisis parmi les Napolitains; mais il lui ordonna de tenir les informations secrètes, en cas que la reine ou les princes se trouvassent impliqués dans l’affaire. Plusieurs personnes furent suppliciées; mais Louis, roi de Hongrie, n’étant pas encore satisfait, poursuivit sa marche vers le royaume de Naples. Jeanne alors se remaria le 20 août 1346, avec Louis de Tarente, son cousin, qui était aussi suspecté d’avoir trempé dans le meurtre d’André. Sur ces entrefaites, Jeanne, effrayée des progrès ue le roi de Hongrie faisait dans le royaume de aples, se détermina à se retirer en Provence, où elle aborda le 20 janvier 1348. Son mari l’y suivit de près; elle y donna aux Provençaux cette déclaration dont j’ai déjà parlé, et ensuite elle se rendit à Avignon, où, en plein consistoire, elle plaida elle-même sa cause devant le pape et les cardinaux. Son mariage avec Louis de Tarente y fut validé, et peu de jours après, elle vendit Avignon au pape pour 80,000 florins d’or, somme bien modique pour une si belle acquisition. Trois ans après, en 1351, celte princesse fut définitivement absoute par le pape. Il résulte de tout ceci que, pour les gens qui jugent avec impartialité, la vente faite à Clément VI est de toute nullité, et ne peut être regardée, tout au plus, que comme un engagement. Premièrement, il y avait trois substitutions de 1125, de 1308 et 1343; 2° Charles II et Robert avaient défendu d’aliéner sous quelque prétexte que ce fut; 3° Les Provençaux et les Avignonais avaient confirmé par leur consentement les dispositions de Robert ; 4° Jeanne eUe-même s’était engagée à ne rien aliéner ; 5° Elle était mineure lorsqu’elle vendit Avignon; 6° fille ne pouvait faire aucun acte sans le consentement et l'intervention de son conseil; 7° Son mari, Louis de Tarente, n’avait aucun droit sur Naples ni sur la Provence, et était mineur lorsqu’il consentit à la vente; 8° Clément VI était son juge ; 9° Ce pape n’ignorait pas les dispositions de Robert, puisque ce prince lui avait recommandé ses filles, et avait mis, pour ainsi dire, ses volontés sous sa sauvegarde ; 10° La somme était évidemment trop modique pour une acquisition de cette importance; 11° Clément VI avait lui-même senti l’irrégularité de l’acte, puisqu’il avait voulu, pour réparer autant que possible le défaut de pouvoir de la part de Jeanne, faire insérer dans l’acte qu’elle renonçait au bénéfice de la minorité, et qu’elle faisait don de la plus-value. Peut-on croire au xvui® siècle qu’un des chefs de l’Eglise ait employé de semblables manœuvres pour satisfaire à son intérêt personnel? Il est donc évident que la vente d’Avignon ne peut être considérée que comme un simple engagement ; encore faut-il pour cela s’écarter de la sévérité des principes ; car, dans aucun cas, ml mineur ne peut contracter, à plus forte raison quand il est grevé de substitution. On a cherché à valider la vente d’Avignon, par le diplôme que Charles IV, roi des Romains, accorda à Clément IV en novembre 1348. Ce diplôme est daté de Gorlitz en Lusace. Mais Charles IV n’était pas à cette époque légitime empereur; car il ne fut sacré et reconnu à Aix-la-Chapelle, en cette qualité, par l’unanimité des électeurs qu’en 1349 ; il n’avait donc aucun pouvoir, ni qualité pour donner un diplôme en 1348. L’Empire était alors disputé par plusieurs compétiteurs, Frédéric, marquis de Misnie, Gonthier de Schwazbourg, et Louis, margrave de Brandebourg. Charles IV ne devint réellement empereur qu’après avoir acheté les droits de tous ses compétiteurs. Mais, en supposant même qu’il eût été légitime empereur en novembre 1348, le diplôme n’aurait pa3 plus d’efficacité ; l’empereur ne peut aliéner la suzeraineté sans le consentement de l’Empire et des électeurs ; et le diplôme de 1348 renferme formellement l’abandon de suzeraineté sur Avignon, sous prétexte qu’il est indécent que les papes, chefs de l'Eglise, habitent dans un lieu qui ne leur est pas soumis. Ce diplôme n’est donc d’aucune utilité pour va lider la vente d’Avignon; 2° Le Comtat Venaissin a-t-il pu être aliéné au pape ? J’ai déjà eu l’honneur de vous dire, Messieurs, qu’en 1209, Raymond VI, excommunié, fut forcé, pour obtenir l’absolution, de subir les traitements les plus durs, et de remettre pour sûreté de sa parole, à Milon, légat du pape Innocent III, plusieurs châteaux et domaines situés de l’autre côté du Rhône dans le Comtat Venaissin ; châteaux que ce pape garda, sous prétexte que Raymond n’avait pas tenu sa parole. C’est ainsi que les papes commencèrent à envahir ce beau pays. Dans les années suivantes, nouvelles excommunications contre Raymond VI, concile de Lairan en 1215, qui le dépouille, donne le comté de Toulouse à Simon de Montfort; mais 486 lAaMBtblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ISO avril 11M.] réserve )e Gomtat Venaissin & son fils Raymond VII. Nouvelles foudres de l’Eglise, nouvelles excommunications. Honoré III succède à Innocent III en 1216, et hérite de la haine de ce pape pour la famille des comtes de Toulouse. Raymond était rentré dans sa capitale ; Simon de Montfort avait été tué ; Honoré III fit publier une nouvelle croisade et confirma en 1221 la sentence du concile de Latran, qui avait dépouillé Raymond du marquisat de Provence. Raymond VI étant mort en 1222, son fils Raymond VII devint encore suspect d’hérésie au pape qui ambitionnait ses dépouilles : il fut de nouveau excommunié. Louis VIII, roi des Français, à l’instigation du pape, se mit à la tôte de l’armée des croisés, et vint assiéger et prendre Avignon en 1226. Enfin, aecablé sous le poids des foudres et de la haine des papes, Raymond VII conclut en 1229, à Paris, ce fameux traité qui semble n’avoir été dicté que par la haine et la cupidité. Par ce traité, Raymond VII céda au pape Grégoire IX et à l’Eglise toutes les terres qu’il avait au delà du Rhône, c’est-à-dire, le Comtat Venais-sin ; à ce prix, ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, il fut admis à faire amende honorable en chemise. L’indignation d’un homme libre, d’un Français, a peine à se retenir au récit d’indignités semblables. C’est ce même traité de 1229, que tous ceux qui ont défendu le prétendu droit des papes nous {présentent comme le titre de la cour de Rome sur e Comtat Venaissin. Cependant Grégoire IX lui-même, ce pape si avide et si haineux, eut honte de ce traité : il n’osa conserver dans ses mains le Comtat Venaissin : mais il en confia la garde à saint Louis, roi de France, en le prévenant que ce n’était que pour le bien de Raymond VII qu’il s’était provisoirement fait céder le marquisat de Provence, pour y maintenir la foi, et purger cette terre d’hérétiques ; qu’ensuite il verrait ce qu’il y aurait à faire. Le légat du pape, dans une lettre qu’il adresse à celui que saint Louis avait envoyé dans ce pays, pour le gouverner, dit positivement, que, lorsque le roi de France ne voudra plus le garder, il en avertira le pape deux mois à l’avance; et qu’alors le pape ou lui verront à qui ils pourraient rendre ou assigner ces terres. En 1230 (1), Grégoire IX écrivit à Frédéric II, empereur; en 1232, à saint Louis, à la reine Blanche, mère de saint Louis, et au comte de Toulouse, our s’excuser de n’avoir pas encore rendu le omtat, sous prétexte que ces terres étaient encore infectées d’hérésie et que Raymond n’était pas suffisamment affermi dans la foi. Autre lettre du même pape au comte deToulouse en 1234, renfermant les mêmes prétextes. Enfin, saint Louis ne pouvant nas supporter plus longtemps l’idée de paraître ae connivence avec le pape, pour la détention du Comtat Venaissin, lui écrivit dans le mois de mars 1234 une lettre fort laconique et fort sèche, par laquelle il lui annonce qu’il ne veut plus être chargé de la garde du Comtat Venaissin. Cette lettre est datée de Loris en Gàtinais. Par une autre lettre de même année, saint Louis écrit encore au pape pour l’engager à rendre le Comtat Venaissin a Raymond. (1) 10 décembre 1230. Enfin, en 1234, Frédéric II donna l’investi tw« du Comtat Venaissin à Raymond VII, et le rétablit dans la dignité de marquis de Provence. En 1235, Grégoire IX écrivit deux lettres le même jour à saint Louis ; l’une, pour s’excuser de n’avoir pas encore rendu le Comtat à Raymond; assurant cependant que ce n'est ni pour loi, ni pour l’Eglise qu’il le garde, mais pour le triomphe de la religion et l’avantage de Raymond. L’autre lettre, pour prier saint Louis de garder encore le Comtat; mais en même temps pour lui désigner celui à qui il le prie de remettre ce rys , en supposant qu’il soit absolument décidé ne plus le garder. Il paraît cependant qu’à cette époque. Grégoire IX, n’ayant plus d’excuses valables, laissa reprendre le Comtat Venaissin à Raymond, qui obtint en 1235 de nouvelles lettres d’investitures de l’empereur Frédéric II. Plusieurs actes prouvent que, depuis cette époque, Raymond et Jeanne, sa fille, jouirent paisiblement du marquisat de Provence jusqu’en 1271, ue Jeanne, femme d’Alphonse de France, comte e Poitiers, mourut après avoir fait un testament, par lequel elle lègue a Charles 1OT, son beau-frère, la moitié d’Avignon et le Comtat Venaissin; testament à l’exécution duquel Philippe le Hardi, roi de France, s’opposa injustement, en cédant en 1274, le Comté Venaissin au pape Grégoire X, dans une entrevue qu’il eut avec lui à Lyon. Cette cession fut précédée d’une lettre au roi, dans laquelle le pape assure, que c’est après avoir bien examiné sa conscience qu’il fait cette répétition. Certes les consciences des papes à cette époque n’étaient pas extrêmement timorées. (Rires.) Il résulte de tout ce que je viens avoir l’honneur de vous dire, que rien n’est plus illégal que la possession des papes à l’égard du Comtat Venaissin. 1° La substitution de 1125 s’y opposait; 2° Les foudres de l’Eglise et les excommunications étant purement spirituelles, ne donnent aucun droit sur le temporel; 3° Les papes qui, dans cette grande affaire des comtes de Toulouse, n’ont agi qu’en qualité de chefs de l’Eglise, n’avaient aucun droit à s» faire adjuger en 1209, des châteaux et domaines dans le Comtat Venaissin ; 5° Ils n’avaient pas plus de droits en 1215, au concile de Latran, de priver le comte de Toulouse de ses Etats ; 6° Honoré III n’avait pas acquis plus de droits en 1221, lorsqu’il confirme la sentence qui dépouille le comte de Toulouse ; 7° Pour les hommes qui jugent avec impartialité, le traité de Paris de 1229, qui cède au pape les terres au delà du Rhône, ne peut être regardé que comme le résultat de la haine et de la passion ; il est l’ouvrage de la force ; c’est en accablant Raymond VII de toutes les foudres de l’Eglise, en armant contre lui une foule aveugle qui, croyant être l’instrument de Dieu, n’était que celui de l’intérêt et de la cupidité des papes; c’est en le menaçant de la misère la plus affreuse, que l’on parvient à lui faire signer les conditions honteuses qui attirent les larmes de la pitié sur son sort, mais qui excitent l’indignation, je dirai presque la naine, contre ceux qui ont aussi audacieusement abusé de sa situation. Ce traité jetterait même des nuages sur la conduite de saint Louis et sur sa réputation, si l’on ne se rappelait que, né en 1215, ce prince avait à peine 14 ans à l’époque du traité de Paris; d’ail- (Assemblée natkmale.1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 avril 1791.| leurs, sa conduite ultérieure indique combien il désapprouvait celle de Grégoire IX; 8* Grégoire IX lui-même prouve, par ses lettres à saint Louis, à Blanche, reine de France, à l’empereur Frédéric II et au comte de Toulouse, ?[u'il n’osait pas avouer publiquement qu’il se ùt emparé, pour lui et pour l’Eglise, du Comtat Venaissin : il assure, au contraire, que ce n’est qu’un dépôt qu’il garde pour extirper l’hérésie, et affermir Raymond dans sa foi ; 9* Saint Louis, l’un des rois qui ait leplus honoré le trône de France, ne pouvant résister au cri de sa conscience, rend au pape en 1234 la garde qu’il lui avait confiée du Comtat Venaissin. Sa lettre, extrêmement laconique, prouve assez son opinion; et, s’il ne témoigna pas à Grégoire IX son mécontentement d’une manière pins prononcée, on ne doit l’attribuer qu’à la crainte profonde et superstitieuse qu’inspiraient même au roi les chefs de l’Eglise. 10» Raymond VII rentra en possession du Comtat Venaissin en 1235; il en reçut même deux fois l’investiture de l’empereur Frédéric II; 11» Plusieurs actes prouvent la jouissance paisible de Raymond et de Jeanne sa fille ; . . 12» Jeanne, respectant la substitution de 1125, disposa par testament, en 1270, de la moitié d’Avignon et du Comtat Venaissin, en faveur de Charles Ier, son beau-frère, qui, ayant épousé Béatrix, héritière de Provence, réunissait tous les droits et la substitution de 1125; 13° Ces terres n’appartenaient donc pas à Philippe le Hardi, qui n’a pas eu le droit d’en disposer en 1274, en faveur de Grégoire X; 14° Ce pape n’a pu appuyer sa prétention sur le traité de 1229, que j’ai démontré par les faits, et de l’aveu même de Grégoire [IX, n'avoir pas produit une aliénation réelle, mais un dépôt momentané, d’où je conclus que la possession des papes, à l’égard du Comtat Venaissin, est nulle et illégale. TROISIÈME QUESTION. Ces deux pays, en vertu du droit d'hérédité , ne devaient-ils pas être réunis à l'Empire français? Vous me permettez, Messieurs, de ne pas entrer ici dans les détails arides et très ennuyeux de la généalogie des princes qui ont transmis aux rois de France tous leurs droits sur la Provence, Forcalquier, AvjgnoD, Comtat Venaissin, terres adjacentes et dépendantes. Tous ceux qui se sont donnés la peine d’étudier l’histoire, savent fort bien que les droits légitimes des différents princes de la maison d’Anjou, à partir de Charles 1er, frère de saint Louis qui épousa Béatrix, héritière de Provence, se sont réunis en 1480, en la personne de Charles IV, roi de Naples, comte du Maine, de Provence et qui mourut en décembre 1480, ayant par son testament institué pour son héritier universel, en tous ses royaume et duchés, comtés et seigneuries, Louis XI, roi de France. Ainsi, par ce testament, Louis XI, roi de France, réunit sur la Provence, Forcalquier, Avignon, Comtat Venaissin, terres adjacentes et dépendantes, tous les droits résultant des substitutions de 1125, 1308 et 1343, et du testament de Jeanne de Toulouse, de 4270. Il est donc évident, Messieurs, d’après tous les détails que tous venez d’entendre, que le Comtat Venaissin et l’Etat d’Avignon n’ont jamais du être 487 séparés des domaines des comtes de Provence; qu’en vertu du droit d’hérédité ils appartenaient à Charles IV, dernier comte titulaire, et que par lui ils ont été transmis, par un droit qu’aucun de 668 prédécesseurs n’a pu perdre, aux rois -de France qui représentent les comtes de Provence. QUATRIÈME QUESTION. La possession des papes a-t-elle été paisible , et est-elle, quant à la France , à titre irrévocable ou à titre d’engagement révocable à volonté ? Depuis la cession faite par Philippe le Hardi, en 1274, du Comtat Venaissin, et l’acquisition de l’Etat d’Avignon en 1348,1a possession des papes a souvent été troublée, soit par des actes révoca-toires, soit par des actes conservatoires, soit de la part des rois de France, par des prises de possession résultant du droit positif. Les papes jouirent assez tranquillement du Comtat Venaissin depuis 1274 jusqu’en 1308, que Charles II, par son testament, substitua à ses enfants les comtés de Provence et Forcalquier avec tous leurs droits et dépendances. Or, il est évident qu’Avignon et le Comtat étaient une dépendance inaliénable et substituée du comté de Provence. En 1334, Robert, par plus ample précaution, déclara tous ses domaines inaliénables, et ordonna de faire rentrer et racheter tous ceux qui pouvaient avoir été aliénés. Mais les papes avaient imprimé dans tout le monde chrétien une telle crainte qu’on n’osait pas combattre d’intérêt avec eux, m faire valoir les justes prétentions qu’on pouvait avoir sur quelques-uns de leurs domaines. En 1343, Robert substitua ses Etats de Provence, Forcalquier, terres adjacentes et dépendantes, et renouvela la défense d’aliéner, ainsi que l’ordre de faire rentrer ce qui pouvait avoir été aliéné. Il est évident que ces dispositions sont conservatoires et révocatoires, et qu’il n’excepte aucune des aliénations qui ont pu avoir lieu. En 1348, même acte fait par Jeanne, reine de Naples et comtesse de Provence. En 1348, le 24 juillet, un mois après la vente d’Avignon, Jeanne accorda des lettres de notariat au greffier des appellations de sa ville d’Avignon... Et elle dit positivement : « Nous constituons notaire et tabellion dans toute l’étendue de notre comté, notre fidèle Jean d’Osculo, notaire de notre cour d’Avignon. » En 1350, la même Jeanne accorde des lettres de châtelain au concierge du palais royal d’Avignon. Dans ces lettres elle se sert de ces termes : « Aux officiers de notre ville d'Avignon, etc... * Mais chose bien remarquable, en 1350, 1365 et 1368, la même reine Jeanne révoque, par cinq édits, toutes les aliénations qu’elle a pu faire ou qui ont été faites dans ses diverses possessions. Elle rappelle, dans le premier, les dispositions par lesquelles son aïeul Robert avait expressément défendu toute espèce d'aliénation. Ensuite elle dit, qu’après la mort de son aïeul, entraînée soit par le malheur des temps, soit par l’importunité des hommes puissants, soit par la faiblesse de son âge et de son sexe, et entourée de toutes espèces de pièges et d’astuces, elle a, au grand dommage de ses peuples et de la chose publique, aliéné plusieurs de ses domaines; en conséquence elle déclare que, eu raison de ce qu’elle était encore mineure lors de ces aliéna*. 458 (Assemblée nationale. ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 avril 1701.1 lions et qu’elle a été entourée de pièges et de séductions, toutes ces aliénations, de quelque nature qu’elles soient, sont nulies. Dans un autre édit de l’année 1365, elle déclare qu’un prince qui doit veiller & la conduite des autres, ne peut concevoir ancune honte de se corriger lui-même. Elle y rappelle encore les dispositions de Robert, et déclare nulle toute espèce de vente qui a pu être faite des domaines appartenant à elle ou à ses ancêtres. Elle en ordonne la rentrée. Dans un troisième, de 1365, elle ordonne la rentrée de ces aliénations, dans quelques mains qu'elles soient. Elle veut qu’on n’ait aucun égard aux clauses aue pourraient contenir ces actes d’aliénations. Elle ordonne même à son sénéchal de procéder à main armée à cette rentrée si cela est nécessaire ; elle ajoute cependant que ceux qui ont déboursé de l’argent pourront rester en ossession jusqu’à ce qu’ils aient été remboursés. oilà l’engagement bien marqué ; mais qui est-ce qui aurait osé proposer le remboursement au pape? 11 aurait fallu commencer par lui en demander la permission. On juge s’il l’aurait accordée. Le quatrième et le cinquième édit de Jeanne sont conçus à peu près dans les mêmes termes. Une autre circonstance est peut-être encore plus remarquable, c’est que Clément VI, lui-même, en 1349, déclara nulies, par un acte solennel, toutes les aliénations de Jeanne : mais comme, par sa suprême élévation, il était au-dessus de toutes les lois, il ne se crut pas apparemment obligé de donner l’exemple. Les Avignonais refusèrent de lui faire hommage et prêter serment de fidélité ; il n’osa les contraindre; et ce ne fut que 10 ans après, en 1358, que, n’ayant plus d’espérance de rentrer sou3 la domination de leurs anciens monarques, ils consentirent à prêter ce serment à Innocent VI. En 1387, Louis II, comte de Provence, révoque toutes les aliénations et ordonne qu'elles rentrent à son domaine, de quelque manière qu’elles aient été faites. En 1462, René, roi de Naples et comte de Provence, donne une déclaration contre les aliénations ; ensuite les rois de France, Charles VIII, François Ier, Henri II, François II, Charles IX et suivants, ont rendu une grande quantité de déclarations sur les aliénatious de leurs domaines de Provence. Plusieurs d’entre eux ont accordé des lettres de naturalité à des Avignonais. Ces lettres portent expréssement : Sans préjudice de nos droits par nous prétendus , et qui nous appartiennent en Ladite ville et cité d'Avignon. D’autres portent ces mots : « Toutefois causant que ladite ville d’Avignon et Gomtat Venais-sin sont à présent tenus et possédés par notre Saint-Père le pape, par engagement de nos prédécesseurs, duquel nous avons le droit » ; et ensuite la clause conservatoire. En 1612 les états et, en 1668, la noblesse de Provence firent des représentations sur les révocations d’aliénations; mais ils exprimèrent positivement qu’ils ne demandaient que la conservation des inféodations faites avec réserve de souveraineté et de majeure seigneurie et u’ils n’entendaient parler en aucune manière e ce qui pouvait avoir été aliéné à des étrangers ou à des princes. En 1622 et 1660, Louis XIII et Louis XIV Grent leur entrée solennelle à Avignon. Les clefs de la ville et 200 médailles d’or leur furent présentées; les prisons furent visitées par leurs ofGciers ; ils délivrèrent des prisonniers et donnèrent des lettres de grâce. En 1662, après l’attentat commis à Rome sur la personne de notre ambassadeur, Louis XIV écrivit au Parlement d’Aix: « Qu’ayant résolu < de rentrer dans ses domaines et considérant « que la ville d’Avignon et le Comtat Venaissin « ont été aliénés du comté de Provence, il lui « mande et enjoint de tenir la main à ce que le vi-« ce légat soit obligé d’exhiber à son Parlement « les titres en vertu desquels notre Saint-Père le « pape jouit de la ville d’Avignon et du Comtat « Venaissin. » Le vice-légat fut assigné et n’ayant pas comparu, le Parlement prononça la réunion « à la « Couronne de la ville d’Avignon et du Gomtat « Venaissin, comme étant dépendants de l’an-« cien domaine de Provence, duquel ils n’avaient « pu être aliénés ni séparés, sauf au roi d’ordon-« ner pour la Gnance qui a été effectivement « payée lors de l’aliénation de ladite ville d’Avi-« gnon, ainsi qu’il appartiendra. » Il est à remarquer que cet arrêt n’est que l’exé-cutâ» des édits de révocation donnés par la reine Jeanne, 300 ans auparavant. Le traité de Pi se ayant été sigué le 12 fé-vrie 1664, Louis XIV voulut bien rendre Avignon et le Gomtat au pape. Le Parlement de Provence ût réserve des droits inaliénables et imprescriptibles de la Couronne. En 1688, sur de nouveaux sujets de mécontentement, le roi ordonna simplement l’exécution de l’arrêt du Parlement de 1663. L’arrêt fut exécuté. En 1689, Louis XIV ordonne de nouveau de remettre le pape Alexandre VIII en possession d’Avignon et du Gomtat, pour en jouir comme par le passé. Le Parlement enregistra avec la clause : Sans préjudice de la propriété déclarée inaliénable et imprescriptible. En 1768, Louis XV, mécontent du pape Clément III, s’empara d’Avignon et du Comtat; mais en 1774, après une assez longue négociation, il en ordonna la restitution qui fut effectuée le 25 avril, sauf la clause conservatoire des droits inaliénables de la propriété. Il est utile d’observer qu’ Avignon a toujours été soumis à la gabelle de France. On peut s’en convaincre par la lecture d’un mémoire tiré des archives des affaires étrangères. Un bail passé par François Ier, en date du 26 mars 1532, porte expressément que les contestations qui naîtront à ce sujet, seront portées devant Sa Majesté en son conseil. La France a possédé jusqu’à présent plusieurs autres établissements dans la ville d’Avignon. C’est un fait connu de tout le monde. Il est évident que tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, Messieurs, étant appuyé fur les pièces les plus authentiques, prouve invinciblement : 1* Que la possession des papes n’a pas été paisible ; 2° Que ceux qui avaient aliéné ont eux-mêmes révoqué ces aliénations ; que tous ceux qui ont eu droit à la chose ont fait des actes ou révocatoi-res ou conservatoires ; que quelques-uns même, tels que nos rois, se sont mis en possession de ces domaines, comme étant leur propriété ; qu’ils ne les ont rendus que par condescendance pour les papes et pour le Saint-Siège, mais qu’ils les ont toujours considérés comme des engagements. [Assemblée aiuioatle.1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 130 avril 179L] 45» 3* Il résulte de ce qui vient 'd’être dit, que les pape3 ne possèdent pas. quant à la France, à titre irrévocable, mais bien a titre révocable à volonté de la part des hauts souverains. CINQUIÈME QUESTION. En supposant que le droit d’hérédité ou de haute propriété n'existât pas en faveur de la France , et que les papes eussent joui, jusqu' à présent, par la seule volonté des Avignonais et des Comtadins , ces deux peuples ont-ils aujourd’hui le droit de se déclarer libres et indépendants? Je présume, Messieurs, que cette question ne souffrira aucune difficulté, surtout si l’on veut la considérer sous son vrai poiût de vue. Un peuple qui existe sans aucune agrégation avec un autre peuple, qui ne fait partie d’aucune autre société que de la sienne propre, qui n’a formé aucun lien, qui n’a passé aucun contrat avec d’autres individus que ceux dont il est lui-même composé, est par cela même libre et indépendant; il peut, quand il lui plaît, adopter telle ou telle forme de gouvernement, république", monarchie, démocratie, aristocratie, despotisme même; il peut choisir ce que bon lui semble; il peut combiner toutes ces formes de la manière ui lui paraîtra la plus avantageuse, et nul n’a roit de l’en empêcher; car les gouvernements ne sont faits que pour les gourvernés et ne doivent être faits que par eux. Ces vérités ont été longtemps méconnues des peuples; et si le despotisme eût mieux calculé se3 intérêts, s’il eût moins appesanti son joug, eut-être serions-nous à cet égard dans les ténè-res de l’ignorance. C’est ainsi que de l’excès du mal naît le bien. La lumière vient de briller; espérons que ces progrès seront rapides. Qu’on applique les réflexions précédentes aux Avignonais et aux Comtadins ; qu’on oublie que leurs pays ont été aliénés ou cédés ; qu’on suppose qu’ils n’ont été soumis aux papes que par leur {ileine et seule volonté, ils étaient donc alors ibres et indépendants; ils le sont donc encore aujourd’hui. S’ils le sont aujourd’hui, ils peuvent donc changer leur forme de gouvernement. On nous parle quelquefois des contrats passés entre les peuples et les gouvernements, et ces contrats, dit-on, sont obligatoires par le peuple. Si, par contrat, on entend la promesse que font les administrateurs des nations, quelque nom qu’on leur donne, de gouverner à telle ou telle autre condition; promesse qui, de leur part, est entièrement libre, car ils peuvent refuser ou accepter, je conviens alors qu’il existe un contrat ; mais il n’est pas de la même nature pour les peuples et pour les administrateurs. Les peuples n’ont nul besoin du consentement de leurs administrateurs, pour changer leur gouvernement. 11 ne faut pour cela que leur volonté. Les administrateurs au contraire, ne peuvent faire aucun changement, sans le consentement formel des peuples; mais ils conservent toujours le droit d’examiner mûrement tel ou tel changement que le peuple propose, afin de prendre pour eux-mêmes telle détermination qui leur conviendra; car, dans aucune circonstance, ils ne peuvent être forcés à conserver les places auxquelles le choix des nations les a éleves. Je crois que ces vérités sont de principe, et qu’elles ne choqueront que les ennemis de la liberté. ( Applaudissements à gauche.) Mais, dira-t-on, si l’on admet ceB principes, il s’ensuivra, car il faut aborder la question, que telle ou telle province de France pourra se séparer delamo-narcnie?Non;car telle ou telle province des Français ne forme pas aujourd’hui un peuple indépendant. Sans doute, avant la Révolution, avant le pacte constitutionnel qui vient de réunir toutes les parties de la France, chacune de ces parties aurait pu se séparer; elle en avait le droit, car elle n’avait avec les autres aucun pacte social consenti par elle et par tous. ( Murmures à droite.) Mais aujourd’hui les 24,000,000 de Français sont liés entre eux, à l’exception peut-être de quelques ennemis du bonheur public. (Rires à droite.) Sont liés entre eux par un pacte social qui oblige chacun envers tou3, et tous envers chacun ; et nul ne peut rompre ce pacte que par la volonté des autres associés. Sans cela la société pourrait se dissoudre à chaque instant. Mais supposons, j’y consens, que le lien mutuel n’existe pas entre les différentes sections de l’Empire ; où ira, que fera, pour être mieux, celle qui voudra se séparer? (Murmures à droite.) Remplacez les Avignonais et les Comtadins. J’avoue que j’ai le plus profond respect pour le gouvernement du chef spirituel de l’Eglise ; mais je n’ai pas la même opinion de son gouvernement temporel. Et certes, ce 11’est pas une diatribe que je veux faire contre lui; car je suis profondément convaincu que, quelque mérite qu’ait un pape, il ne peut que très imparfaitement réparer les vices essentiellement attachés à la forme de ce gouvernement. Je répète que je ne parle ici que du gouvernement purement temporel. Pour en revenir à la question, je dis: 1° qu’en supposant que les Avignonais et les Comtadins obéissaient aux papes de leur pleine et entière volonté, ils étaient donc libres et indépendants; ils le sont donc encore aujourd’hui, et ils peuvent conséquemment changer la forme de leur gouvernement. 2° Que ce principe ne peut s’appliquer à aucune section du peuple français, dont tous les individus sont aujourd’hui réunis par le pacte social qu’ils ont librement consenti; que c’est la totalité de la nation qui est indépendante, et non une section de l’Empire. (Bruit.) 3° Que, quand même ce pacte social n’existerait pas, aucune section ne se séparerait, car que pourrait-elle faire, où pourrait-elle aller pour être mieux ? Sixième question. Si les Avignonais et les Comtadins sont libres et indépendants, n'ont-ils pas le droit de demander leur réunion à la France ? Il est évident qu’un peuple libre et indépendant, ayant le droit de faire tout ce qu’il croit le plus avantageux, peut continuer de former une société particulière, en adoptant telle forme de gouvernement qu’il lui plaît, ou se réunir à une autre société dont le gouvernement lui convient, en jurant son pacte fédératif. Or, j’ai supposé que les Avignonais et les Comtadins 'étaient libres et indépendants: donc ils ont le droit de demander leur réunion a l’Empire français. D’ailleurs ne pourraient-ils pas faire ce dilemme? Ou nous étions libres et indépendants lorsque les papes ont commencé à nous gouverner ; or nous n’avons pas pu perdre ce caractère ineffaçable de liberté et d’indépendance, et nous en 460 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 avril 1791.) osons aujourd'hui pour nous incorporer volontairement avec les Français. Ou nous faisions partie intégrante et inaliénable du peuple provençal et de son pacte social, lorsque nous avons été soumis involontairement aux papes ; alors nous demandons & jouir du bénéfice de cet ancien pacte qui, pour nous, était indestructible, et à nous réunir aux Provençaux, pour jouir avec eux du nouveau pacte social qu’ils viennent de former avec les autres Français. SEPTIÈME QUESTION. La France, en vertu du droit d'hérédité ou de haute propriété, n'a-t-elle pas celui de rentrer, quand il lui plaît, dans les domaines d'Avignon et du Comtat Venaissin? Je crois avoir suffisamment prouvé, Messieurs, qu’Avignon et le Comtat Venaissin n’avaient jamais pu être aliénés légitimement; qu’ils faisaient partie intégrante du comté de Provence, et aujourd’hui ae la monarchie française, depuis la réunion de ce comté à la Couronne ; que la possession des papes ne pouvait être considérée que comme un engagement. Il est donc incontestable que la France peut, quand il lui plaît, rentrer dans les domaines d’Avignon et du Comtat Venaissin. Je sais qu’on m’obiectera la prescription en faveur des papes; quron dira qu’il n’y a rien de certain, puisqu’une possession de 517 ans du Comtat Venaissin, et de 443 ans de la ville d’Avignon, ne suffit pas pour assurer la propriété. Sans doute la prescription doit être admise en certains cas ; mais c’est lorsque la possession est immémoriale, lorsque le principe n’en est pas connu, lorsqu’elle est chargée d’une telle obscurité, que celui qui revendique et celui qui possède n’ont que des titres imparfaits et défectueux, auquel cas le possesseur doit être à l’abri des recherches ; lorsqu’elle n’est pas fondée sur un titre vicieux, lorsqu’elle a été paisible et sans réclamation, lorsqu’on n’a pas de titres à lui oser. r, la possession n’est pas immémoriale, puisque tout le monde sait que c’est ou en 1229, si l'on veut dater du traité de Paris, ou en 1274, si l’on veut dater de la cession faite par Philippe le Hardi, que les papes sont entrés en possession du Com-lat Venaissin, et que c’est en 1348 qu’ils ont acquis la ville d’Avignon. Le principe en est connu, puisque nous savons que, quant au Comtat Venaissin, ce sont, ou Grégoire IX, en 1229, ou Grégoire X en 1274 ; et quant a Avignon, Clément VI en 1348, qui ont commencé à jouir. Le commencement et la suite de la possession ne sont pas chargés d’obscurité, puisque les vendeurs et acquéreurs sont parfaitement connus; que l’existence des titres, soit des acquéreurs, soit des vendeurs, n’est pas incertaine, puisqu’ils sont entre les mains de tout le monde; et que, d’après l’examen qui tant de fois en a été fait, et qu’on peut renouveler chaque jour, il n’y a pas lieu à l’application de la règle de droit civil et de droit des gens, qui porte que, dans l’obscurité et dans le doute, le possesseur et surtout le très ancien possesseur, doit être à l’abri des recherches. Il n’y a pas d’obscurité dans la suite de la possession, car on en connaît toutes les périodes. Elle est fondée sur un titre vicieux ; car, quant au Comtat Venaissin, j’ai prouvé : 1° Que le traité de 1229, par lequel Raymond céda ce pays au pape, fut le résultat de la haine, de l’intérêt, de la crainte, de la fourberie et surtout de l'abus du pouvoir religieux dont, à cette époque, abusaient étrangement les papes ; 2° Que la cession, faite en 1274 par Philippe le Hardi au pape Grégoire X, était d’une injustice manifeste et de toute nullité, puisque le Comtat n’appartenait pas à ce prince, ayant été légué eu 1270, par Jeanne de Toulouse, à Charles d’Anjou, comte de Provence. Quant à la ville d’Avignon, j’ai également prouvé que la vente en était vicieuse, puisqu'elle fut faite, par une mineure, grevée de substitutions, qui conséquemment n’avait pas qualité pour Vendre, et d’ailleurs l’objet vendu était, de sa nature, inaliénable. La possession n’a pas été paisible; car j’ai prouvé que depuis l’époque, soit de la session, soit de la vente, jusqu’à nos jours, tous ceux qui avaient droit à la chose, n*ont cessé de faire des réclamations; quelques-uns même ont fait valoir leurs droits dans toute leur étendue. On a des titres légitimes à opposer à la possession; car on peut représenter les actes répétés, qui.grèvent de substitutions les objets vendus ou cédés; ceux en grand nombre qui les déclarent inaliénables, et plusieurs testaments faits par ceux qui avaient droit ou qualité pour en disposer. La prescription ne peut donc pas être alléguée en faveur des papes. Mais, dira-t-on, il n’y a rien de certain entre les nations, puisqu’une possession de plus de cinq cents ans ne suffit pas pour assurer la propriété. Je réponds à cette question par une autre question. En droit politique, un roi mineur peut-il, a-t-il j'amais pu, dans quelque pays que ce soit, aliéner une partie du domaine national, sans le consentement de son conseil de régence, et même de la nation? J’irai plus loin, François Ier était majeur en 1526, lors du traité de Madrid, où il était prisonnier ; il céda la Bourgogne à Charies-Quint. De retour en France, un cri général s’éleva contre ce traité; partout on répéta qu’on ne con* sentirait jamais à la cession des provinces désignées dans le traité de Madrid. Les Bourguignons notamment dirent qu’ils ne le souffriraient pas. Eh bienl Quant à Avignon, Jeanne était mineure ; elle ne pouvait aliéner sans le consentement de son conseil de régence et de la nation provençale. Quant au Comtat Venaissin, Raymond était à Paris en 1229, à peu près dans la même position que François I8r, a Madrid, en 1526. Mais le droit de conquête? Quelque barbare, quelque atroce qu*il soit, je suis forcé de convenir qu’il existe; et que les traités qui suivent les guerres sont obligatoires, jusqu’à ce qu’il s’élève une nouvelle guerre; car les parties lésées cherchent toujours à prendre leur revanche. Mais, en tout état de cause, je ne crois pas que le père commun des fidèles voulût alléguer en sa faveur le droit de conquête, surtout quand, comme Grégoire IX. on abuse du pouvoir religieux, et qu’on emploie, pour combattre, les excommunications et les foudres de 1 Eglise. J'ai encore, Messieurs, une observation qui me paraît importante à faire. Jusqu’à présent, quelques-uns de nos rois ont pris ou rendu Avignon et le Comtat, selon qu’ils étaient contents ou mécontents des papes. J’avoue que cette mesure me parait peu aigne et de nos rois et des papes; c’est mettre, pour ainsi dire, à l’enchère les grà- I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 avril 1791.] 4A] ces da Saint-Siège. Nos liaisons avec le pape sont & peu de chose près purement spirituelles, à l’exception de quelques traités de commérce entre les Français et les habitants des domaines de l’Eglise en Italie; ces relations politiques n’exigent pas cette espèce de ballottement des Avi-gnon&is et Comtaains entre la France et Rome. D’ailleurs, ce trafic� des peuples est-il permis? Non, j’ose dire qu’il est tout à la fois attentatoire à la dignité des peuples, immoral et indécent : Il faut, ou réunir pour toujours à la France les Avi-nonais et les Comtadins, ou leur laisser la liberté e choisir tel gouvernement qu’ils voudront. HUITIÈME QUESTION. Si la France , en vertu du droit d'hérédité , ou de haute propriété, veut prononcer la réunion, n'a-t-elle pas, àplus forte raison, ledroit d'accepter l'offre des Avignonais et des Comtadins, supposés libres et indépendants ? l’ai déjà prouvé plusieurs fois que la France ayant un droit positif sur Avignon et le Comtat Venaissin, pouvait en vertu de ce droit, ordonner la réunion de ces deux pays à l'Empire français. Il est tout aussi évident que, en supposant les Avignonais et les Comtadins libres et indépendants, elle peut, sans blesser le droit politique des nations, accepter l’offre que ces peuples lui font de se réunir à la France. Elle n’a pour cela d’autres motifs à consulter que celui de son intérêt, dès que son droit et celui des deux peuples sont bien reconnus et constatés. NEUVIÈME QUESTION. Est-il de l'intérêt de la France d'ordonner la réunion en vertu de sonpropre droit, ou de l'accepter en vertu de l'indépendance supposée des Avignonais et Comtadins? Cette question est très facile à résoudre ; car, soit que la France ordonne la réunion en vertu de son droit, soit qu’elle l’accepte en vertu de celui des Avignonais et Comtadins, le résultat sera le même pour son intérêt et pour celui des deux peuples réunis; car je ne présume pas que l’un ou l’autre mode de réunion puisse apporter quelque changement dans les conditions à stipuler. La Constitution, décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi, deviendra, dans le cas de réunion, celle des Avignonais. Nos lois leur seront communes, à l’exception peut-être de celles relatives à nos dettes; car il ne serait pas juste qu’ils contribuassent à l’acquittement des sommes qui, en aucune manière, n’ont tourné à leur avantage; ils ne devront être soumis qu’aux subsides nécessaires pour l’entretien annuel du gouvernement et de l’administration religieuse, civile, politique et militaire, à moins que, ayant eux-mêmes des dettes nationales à acquitter, ils ne réfèrent les confondre avec les nôtres pour tre acquittées par la partie de nos subsides destinée à cet emploi. Dans ce cas, ils supporteraient tous les impôts que payent actuellement les autres Français. Mais ceci doit être renvoyé aux moyens d’exécution, si l’on effectue la réunion. DIXIÈME QUESTION. Cette réunion dev/a-t-elle causer de l'ombrage aux nations ou aux princes de l'Europe. Les nations étrangères et les princes pourraient concevoir de l’ombrage de la réunion d’Avignon et du Comtat à la France, si nos droits sur ces deux pays n’étaient pas aussi légitimes. Personne en Europe ne les ignore. La prise de possession de ces deux pays par Louis XIV en 1662 et 1668, et par Louis XV en 1768, ont fait connaître, à tous ceux qui veulent s’instruire, la légitimité de nos prétentions sur ces deux pays. Les cabinets des différents princes renferment certainement les traités, conventions et négociations qui ont eu lieu dans ces temps, notamment le traité de Pise sous Louis XIV. Toutes les bibliothèques contiennent les preuves incontestables de nos droits. La situation d’Avignon et du Comtal au milieu de nos provinces est connue de tout le monde. Quelles seraient donc les causes raisonnables des jalousies et inquiétudes des princes de l’Europe? C’est une conquête, dira-t-on, mais une conquête est le résultat, ou d’une guerre faite franchement entre deux ou plusieurs peuples, ou d’une agression hostile et imprévue Ç Murmures à droite.) -, et le mot conquête ne s’applique qu’à un territoire qu’on n’a jamais possédé, ou qu’on ne possède plus, en vertu d’un traité solennellement fait entre deux parties qui avaient qualité pour traiter. Aucun de ces caractères ne se trouve dans la réunion proposée. Ce n’est point une conquête; car la réunion ne sera le résultat d’aucune guerre, ni d’aucune agression hostile de la part de la France. Ce n’est point une conquête, car ce territoire ne formera pas pour nous une nouvelle possession. De tout temps, il a été reconnu pour être une partie inaliénable du comté de Provence. La France en a toujours conservé la haute propriété. Seulement elle a bien voulu, par certaines considérations pour la cour de Rome, en laisser la jouissance aux papes. C’est donc dans cette jouissance que nous rentrerons, en indemnisant le pape, s’il y u lieu, des sommes que ses prédécesseurs ont pu débourser pour l’acquérir. Ce ne sera donc pas la loi du plus fort contre le plus faible. La loi du plus fort entraîne toujours avec elle l’idée d’une injustice. Elle ne peut s’appliquer qu’à un objet dont on s’empare sans y avoir aucun droit... M. Pabbé Maury. Hé bien! Soyez les plus faibles et venez-y. Plusieurs membres : A l’ordre 1 à l’ordre ! M. de Menou. Ce caractère se retrouve-t-il dans la réunion d’Avignon et du Comtat? Le plus fort ne commet donc aucune injustice, lorsqu’il reprend ce qui lui appartient : il ne fait qu’user de son droit. Pour mieux faire sentir cette vérité, je demande la permission d’appliquer le principe à un fait. Il existe, dans l’intérieur de la France, deux pays qui nous sont entièrement étrangers, quant à la souveraineté; la principauté de Montbéliard, enclavée entre les terres de l’ancienne Franche-