[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 août 1789.] 396 effet seront obligés de se retirer, faute des moyens de subsister! Les tribunaux seront déserts, et nous aurons la douleur d’avoir contribué à les désorganiser : il faut donc attendre à faire exécuter' pleinement votre arrêté, que vous ayez pourvu d’une manière digne de la nation à l’organisation de ces tribunau x pour rendre la justice gratuite. La seule errreur à laquelle cette Assemblée peut se laisser aller est la noblesse et l’amour du bien public. Vous en êtes pleins, il faut vous en délier. M. le duc de Larochefoucauld demande qu’on se borne à déclarer : 1° La suppression de la vénalité des offices, en pourvoyant au remboursement des titulaires : 2° Que la justice soit gratuite, à la charge de payer les ofiieiers de justice comme on paye les officiers militaires ; 3° Que les juges soient élus par les justiciables de leur ressort. M. d’André. Les sacrifices que l’on demande des officiers de justice ne sont pas au-dessus des facultés des officiers des cours souveraines ; mais les juges inférieurs ne seront peut-être pas en état de supporter ce sacrifice. (Plusieurs officiers de bailliage se lèvent pour dire que ces sacrifices sont déjà" faits.) Ces sacrifices ont été faits par les officiers qui sont ici présents; mais en est-il de même de tout le royaume? Je pense que Ja vénalité doit être abolie; mais on ne peut dépouiller les officiers de justice de leur état, sans leur assurer leur remboursement. M. de Foucault insiste sur un article de son cahier, relatif à la justice gratuite. Au moyen de quelques changements, l’article est adopté. On décrète successivement les articles Xll et XIII, qui n’ont pas donné lieu à de grandes discussions. Avant la fin de la séance, M. de Fally-Tol-lcndal fait lecture d’une lettre du syndic des banquiers expéditionnaires en cour de Rome, qui envoient à l’Assemblée un mémoire sur les annales. On renvoie à ce soir pour en prendre connaissance. La séance est levée. Séance du mardi 1 1 août au soir. La séance est ouverte par la lecture du mémoire envoyé par le collège des expéditionnaires en cour de Rome, sur les annates. Ce mémoire présente comme impolitique la suppression de cette contribution, qui est modique, et qui facilite le commerce de la France avec l’Italie. V article 12 concernant les annates et les déports est mis en délibération. M. Camus (1 ;. Messieurs, le mémoire dont on vous a donné lecture contient deux parties : l’une qui concerne les annales , l’autre le déport ; il est aussi peu complet dans l’une de ces parties que dans l’autre. (1) Le discours de M. Camus n’a pas été inséré au Moniteur. Les annates sont le revenu d’une année des bénéfices consistoriaux qu’on l’on paye à Rome, lorsqu’on demande au pape des bulles pour en être pourvu. C’est une des plus dures vexations de cette cour. Et de là vient que très-fréquemment, dans le langage ordinaire, les plaintes contre les annates, indiquent les plaintes contre toute servitude qm1 la ccur de Renie nous impose. Réclamer contre les annates, c’est réclamer contre toutes ces servitudes , et tel a été certainement l’esprit de l’Assemblée dans la séance du 4. II faut maintenant entrer dans quelques détails sur ces servitudes. Le payement des annates entraîne, sans objet, un transport d’argent hors du royaume. Rome est le centre d’unité de la religion catholique; le pape est le chef visible de l’Eglise. Je suis très-éloigné d’attaquer ces vérités que je respecte ; mais il me semble qu’on peut reconnaître un centre d’unité, sans porter un tribut d’argent à l’évêque qui l’occupe. Les autres servitudes consistent dans l’expédition d’une multitude de bulles et de signatures pour des provisions, des dispenses, etc. Pourquoi s’adresser au pape à raison de tous ces objets auxquels il est du pouvoir et du devoir des évêques de subvenir. D’ailleurs, les expéditions ne sont pas gratuites ; Rome nous envoie ses bulles scellées de plomb, et nous lui remettons l’or du royaume. Nos pères ont sans cesse réclamé contre ces abus. Nous ne devons pas échanger l’or de France contre le plomb de Rome. Qu’on veuille bien me passer cette expression, c’est celle des Pithou , des Dupuy. Autre abus : ce n’est pas seulement à Rome qu’on envoie ainsi chercher des bulles et des provisions ; on envoie également en la vice-légation d’Avignon pour le Dauphiné et la Provence; en la nonciature de Lucerne pour quelques pays voisins de la Suisse, et dans tous lieux, on paye. Autre abus encore : nous ne connaissons que des pays libres. L’Eglise gallicane entière est une Eglise “libre. Mais a Rome, on distingue dans la France des pays libres et des pays d’obédience, parce qu’on les regarde comme sujets à une domination particulière de la part du pape ; telles sont la Provence et la Bretagne. Là, les expectatives, les réserves ont lieu, les bénéfices sont conférés alternativement parle pape et par l’évêque. Voilà des abus qu’il faut abolir du même coup. 11 n’est pas nécessaire de parler, dans le décret de l’Assemblée nationale, des préventions, résignations et dévoluts ; les noms de tous les actes introduits dans les derniers siècles souilleraient la pureté de son décret. Il faut dire que toutes les églises de France sont, également libres, et statuer que, sous quelque prétexte que ce soit, on n’enverra plus d’argent à Borne. Mais qui donnera, dit-on, les provisions aux évêques? La réponse est dans les anciens canons des conciles : les évêques seront confirmés par le métropolitain, et celui-ci par le concile national. Un député observe que le collège des expéditionnaires avait adressé un mémoire à l’Assemblée relativement au produit des annates. Et M. Roussillon ajoutait que François Ier ne consentit au droit d’annates qu’en considération du commerce exclusif que la France ferait avec les Etats du pape. Il a présenté ensuite les avantages que l’importation et l’exportation donnaient à la province de Languedoc et les rapports de ce AKCIîl VES PARLEMENTAIRES. (Il a o ' ! t 17-9. 307 |Ass<-mbI('e n Uiunale.j genre qui existaient entre les villes de Lyon, de Marseille et l’I'alie, et dont les Anglais demandaient depuis longtemps à jouir. M. Camus. Ces vues mercantiles et fausses ne doivent pas influer sur les principes d’une matière qui est d’un ordre plus important; passant ensuite aux déports, je ferai remarquer que cet usage qui consiste à percevoir les fruits d’une année des cures vacantes en faveur de l’évêque ou de l’archidiacre, est plus abusif en Normandie que partout ailleurs. Dans la plupart des can-tous de celte province, les curés gagnent la totalité des fruits de l’année la veille de Pâques, de manière que s’ils meurent après, le successeur n’ayant rien’à recevoir, ne dessert pas la cure; les héritiers la font desservir : vient ensuite l’année de déport pour l’archidiacre ; on adjuge au rabais la desserte; souvent un moine, qui veut sortir du cloître, écarte tous les concurrents par l’offre du prix le moins considérable. A Paris, le déport n’a pas lieu sur toutes les vacances qui arrivent pendant l’année, mais sur celles qui arrivent depuis le mercredi des cendres jusqu’à la Trinité. Il faut convenir cependant que dans plusieurs diocèses même de la Normandie, dans le diocèse du Mans et celui de Paris, le désintéressement des prélats qui les gouvernent et la véritable idée qu’ils ont de leurs devoirs, diminuent l’abus de la perception des déports; mais ces événements heureux ne sont qu’accidentels et l’abus est dans la chose même ; il faut donc supprimer les déports, mais avec cette réserve de pourvoir à la dotation des archidiacres qui n’en ontd’autre que ce droit. Il est des archidiacres qui remplissent un ministère utile, celui de visiter annuellement les paroisses, ce qu’ils ne pourraient faire sans dotation. Il est encore des droits de ce genre, tels que le droit de dépouille, de cotte-morte, de meilleur animal, de celui dcvacat dans plusieurs diocèses des provinces méridionales, et autres droits de pareille nature, qui, sous différents noms, ont lieu en divers diocèses, en faveur des évêques, archidiacres, chapitres et églises. Dans quelques-uns, l’archidiacre ou l’archiprêtre prennent après la mort du curé son bréviaire, son bonnet carré, son cheval ou sa vache. On a vu à Paris un procès assez singulier sur ce sujet. Un curé de Saint-Eustache laissa un carrosse et deux chevaux ; l’archidiacre voulut s’en emparer. Les héritiers le refusaient, parce qu’ils soutenaient que l’archidiacre n’avait droit qu’àla monture du curé et qu’un carrosse n’était pas une monture. On agita donc sérieusement la différence qu’il pouvait y avoir à être porté par un cheval ou traîné par deux chevaux, et de graves audiences furent employées à entendre une si savante discussion. « Il faut donc terminer de pareilles contestations et tarir dans son principe la source de toutes ces perceptions injustes. » Plusieurs membres présentent encore des observations sur l’article 12. Cet article est ensuite adopté. Les articles 13 et 19 sont adoptés sans grande discussion, et le décret est rendu dans les termes suivants: DÉCRET RELATIF A L ABOLITION DES PRIVILEGES. « Art, 1er. L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. Elle décrète que, dans les droits et devoirs, Lan L féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la main-morte réelle ou personnelle, et a la servitude personnelle, et ceux qui les représentent, sont abolis sans indemnité; tous les autres sont déclarés ra-clietables, et le prix et le mode du rachat seront lixés par l’Assemblée nationale. Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés par ce décret continueront néanmoins a être perçus jusqu’au remboursement. «Art. 2. Le droit exclusif des fuies et colombiers est aboli. « Les pigeons seront enfermés aux époques fixées par les communautés ; durant lequel temps, ils seront regardés comme gibier, et chacun aura le droit de les tuer sur son terrain. «Art. 3. Le droit exclusif delà chasse etdesgarennes ou vertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. «Toutes capitaineries même royales, et toute réserve de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du lloi. « M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l’élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l’abolition des procédures existantes à cet égard. «Art. 4. Toutes les justices seigueuriales sont supprimées sans aucune indemnité, et néanmoins les officiers de ces justices continueront leurs fonctions jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée nationale à l’établissement d’un nouvel ordre judiciaire. « Art. 5. Les dîmes de toute nature, et les redevances qui en tiennent lieu, sous quelque dénomination qu’elles soient, connues et perçues, même par abonnement, possédées par les corps séculiers et réguliers, par les bé-nélieiers, les fabriques, et tous gens de main-morte, même par l’ordre de Malte, et autres ordres religieux et militaires, même celles qui auraient été abandonnées à des laïques, en remplacement et pour option de portions congrues, sont abolies, sauf a aviser aux moyens de subvenir d’une autre manière à la dépense du culte divin, à l’entretien'des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises, et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l’entretien desquels elles sont actuellement affectées. « Et cependant, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu, et que les anciens possesseurs soient entrés en jouissance de leur remplacement, l’Assemblée nationale ordonne que lesdiles dîmes continueront d'être perçues suivant les lois et en la manière accoutumée. « Quant aux autresdîmes, de quelque nature qu’elles soient, elles seront rachetables de la manière qui sera réglée par l’Assemblée; et jusqu’au règlement à faire à ce sujet, l’Assemblée nationale ordonne que la perception en sera aussi continuée. «Art. 6. Toutes les rentes foncières perpétuelles, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu’elles soient, quelle que soit leur origine, à quelques personnes quelles soient dues, gens de main-morte, domanistes, apanagistes, ordre de Malte, seront rachetables; les champarts de toute espèce, et sous toutes dénominations, le seront pareillement, au taux qui sera fixé par l’Assemblée. Défenses seront faites de plus à l’avenir créer aucune redevance non remboursable. « Art. 7. La vénalité des offices dejudicature et de municipalité est supprimée dès cet instant. La justice sera rendue gratuitement. Et néanmoins les officiers pourvus de ces offices continueront d’exercer leurs fonctions et d’en percevoir l£s émoluments jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée aux moyens de leur procurer leur remboursement. « Art. 8. Les droits casuels des curés de campagne sont supprimés, et cesseront d’être payés aussitôt qu’il aura été pourvu à l’augmentation des portions congrues et à la pension des vicaires, et il sera fait un règlement pour fixer le sort de curés des villes. « Art. 9. Les privilèges pécuniaires, personnels ou réels, en matière de subsides, sont abolis à jamais. La per-