546 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du mardi 6 avril 1790 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture des adresses dout la teneur suit : Adresse des religieux de la charité des provinces d’Auvergne et du Bourbonnais, qui adhèrent avec la plus respectueuse reconnaissance aux décrets de l’Assemblée nationale, et particulièrement à celui qui les rend à la société. « Mais, disent-ils, quel que soit, Nosseigneurs, le sort que vos décrets bous destinent, nous ne pouvons méconnaître nos devoirs et nos engagements envers la société; nous ne cesserons, même après la dissolution de notre état, si le nouvel ordre de choses l’exige, de donner aux malheureux confiés à nos soins, tous les secours que commande impérieusement l'humanité. » Adresse de la communauté d’Hendicourt; elle offre, pour sa contribution patriotique, la somme de 2,448 liv. 13 s. Adresse de la Chartreuse du Yal Sainte-Marie, de Bou vante en Dauphiné; elle fait le don patriotique de la somme de5,000Jivres et de vingi-huit mares d’argenterie; elle se plaint que les communautés voisines ont usurpé ses bois, et réclame Ja protection de l’Assemblée. Adresses des nouvelles municipalités des communautés de la Baffe en Lorraine, de Montmartre, de Serres en haut Dauphiné, d’Etalle, d’Etables, de Gapelles, de Bomont, d’Annonay en Maine, de Saint Julien, de Venssal, de Gbenonceaux, de Musinan en Bugey, d’Allevard en Dauphiné; des villes de Louviers et de Ri mont en Languedoc. De la communauté de Lurent en Auvt rgne; elle demande, ainsi que plusieurs communautés voisines, l’érection de son annexe, en cure. De la communauté de Sablonnière en Brie; indépendamment du produit des impositions sur tes ci-devant privilégiés, elle offre, pour sa contribution patriotique, la somme de 1,909 livres. Elle annonce que les pauvres, et même les mendiants, ont fait un généreux effort, et auraient rougi de n’ètre point inscrits sur la liste des contribuables. Les communautés de Perignat en Auvergne et de Mazé en Anjou; elles font le don patriotique du moins imposé au profit des anciens tailla blés. La communauté de Mazé offre, en outre, pour sa contribution patriotique, lasommede3, 364 liv. 4 s. Des communautés de Cuzorn, Bonneguil-h s-Treilles, Sauveterres, Blanquefort et Saint-Fron en Agenois; elles sollicitent leur réunion pour la formation d’un canton. De la communauté de Sainte-Mague, déparle-, meut de Bordeaux; elle. demande la suppression du régime odieux de la taille personnelle. Procès-verbal de la prestation de serment civique des habitants de la ville de Verdun-sur-Saone, et du bourg de Guignes en Brie. Adresse de la communauté de Villevieille en Languedoc ; elle offre, pour sa contribution patriotique, la somme de 450 livres. Adresse du bataillon des chasseurs royaux du [6 avril 1790.] ! Dauphiné, en garnison à Romans, qui, sur l’invitation desgardes nationale, delà villed’Auxonnes d'adhérer à leur fédération, ont délibéré qu’ils s’unissaient avec transport à l’adresse di s gardes nationales de la fédération de la ville de Romans. « L’Assemblée nationale, disent-ils, verra avec joie que par toute la France la milice soldée et Ja milice nationale font le même vœu pour le rétablissement de l’ordre et l’exécution de ses décrets, et que1, pour l’une comme pour l’autre, l’amour de la liberté est inséparable de l’amour de leur roi. » Adresse des citoyens actifs, tanneurs et mégis-siers de la ville de Romans. Ils offrent à l’Assemblée nationale le tribut de leur vive reconnaissance en faveur du décret qui abolit l’impôt sur les cuirs, et la supplient de recevoir l'assurance de leur inviolable fidélité envers la nation, la loi et le roi, de leur soumission aux paiements des impôts qui ont été établis, et du sacrifice qu’ils offrent à la pairie, de leurs vies, de leurs fortunes, pour le maintien des décrets de l’Assemblée nationale. Adresse des officiers municipaux de la ville de Die en Dauphiné, qui, après avoir présenté à l’Assemblée l’assurance de leur soumission respectueuse pour tous ses décrets, s’engagent à donner à leurs concitoyens l’exemple de la fidélité la plus inviolable au meilleur et au plus cher des rois, au respect le plus sincère pour les lois, et promettent, au nom du patiotisme qui distingue les habitants de leur province, le paiement le plus exact des impôts. Adresse de la commune de Chanteloup, qui, soumise avec respect à la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale, et acceptée par le meilleur des rois, et pénétrée de reconnaissance pour tant de généreux travaux si couiageuse-ment enirepris, et si constamment soutenus pour le bonheur des Français, offre à la patrie une contribution patriotique, payable en trois paiements, aux termes lixés pur le décret. Cette commune observe qu’aucun de ses habitants ne po-sède 4UU livres de revenu, et que la grêle et l'épizootie, qui désolent leur contrée, sont les malheureuses excuses qu’ils emploient pour justifier la modicité de leur offre. Adresse de M Dulaure, qui fait hommage à l’Assemblée des quatre premiers volumes u’une description de la France, et se félicite d’avoir à présenter, dans la suite de cet ouvrage, le tableau de la France régénérée par ses représentants, succédant à celui de la France malheureuse et avilie par le despotisme. M. le Président annonce que M. le garde des sceaux vient de lui adresser la note des décrets auxquels le roi a donné sa sanction. Il est fait lecture de la note. Elle contient que le roi a donné sa sanction : 1° Au décret de l’Assemblée nationale, du 25 du mois dernier, portant que les commandants, lieutenants de roi, majors, aide-majors et -ous-aide-majors des places de guerre, en activité, continueront d’étre payésde leurs appointements; 2° Au décret du 21, qui autorise la municipalité de Besançon à faire un emprunt de 150,000 livres, sans intérêts; 3° Au décret du même jour, portant établissement d’une nouvelle commission du Béarn, composée de dix-huit députés, à l’effet de procéder à l’assiette des impositions pour l’année 1790; 4° Au décret dudit jour, portant établissement d’une pareille commission pour le pays de Soûle ; (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1790.] 5° Au décret du dit jour, concernant la contribution patriotique; 6° Au décret dudit jour, qui autorise les officiers municipaux de Valenciennes à faire un emprunt de 120,000 livres ; 7° Au décret dudit jour, qui autorise la municipalité de Martel à faire un rôle de contribution pour secourir les pauvres; 8° Au décret dudit jour, qui déclareque la connaissance du délit, dont est prévenu le sieur Dambert, appartient à la sénéchaussée de Marseille ; 9° Au décret dudit jour, pour le rétablissement des droits de traite dans la ville et le port de Lorient; 10° Au décret du 28 sur la formation de la nouvelle municipalité de Vercel en Franche-Comté; 1 1° Au décret du 29, concernant les pouvoirs des commissaires du roi, chargés de surveiller et de diriger la formation des administrations de département et de district ; 12° Au décret du 30, portant que les collecteurs recevront pour comptant les quittances du don gratuit, en déductionde l’imposition des ecclésiastiques pour les six derniers mois de l’année 1789; 13° Au décret du même jour, portant que les accusés condamnés par jugements prévôtaux à quelques peines, autre toutefois que des peines afflictives, seront provisoirement élargis. M. le garde des sceaux transmeta M. le président trois expéditions en parchemin, pour être déposées dans les archives de l’Assemblée nationale: 1° D’une proclamation sur le décret concernant les magistrats qui composaient la dernière chambre des vacations du parlement de Rennes ; 2° De lettres-patentes sur le décret du 22 du mois dernier, concernant l’emploi des dons patriotiques ; 3° Enfin, de lettres-patentes sur le décret du même jour, relatives au service public de l’année 1790. Signé: Champion de Cicé, Arch . de Bordeaux. Paris, ce 5 avril 1790. M. le prince de ISroglie, secrétaire , fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Il est adopté sans réclamation. M. de Folleville. Je demande que ie comité d’imposition soit chargé de comprendre dans le rapport qu’il doit faire sur les iraites, les précautions nécessaires pour empêcher la diminution graduelle des revenus provenant de la, vente du tabac en France , afin d’éviter de surcharger encore la propriété territoriale d’un impôt de 40 millions. M. le marquis d’Estourmel. Comme conséquence de l’abolition des privilèges, je crois que l’Assemblée doit prendre uu parti très prompt sur le remplacement définitif de la ferme du tabac, et charger, à cet effet, le comité des finances de se concerter avec celui d’agriculture et du commerce. M. de Coulmiers, abbé d’Abbecourt. J’ai aussi une motion à faire sur le tabac et je prie l’Assemblée de m’entendre. (M. de Coulmiers, fitimprimer et distribuer deux éditions de sa motion. La deuxième édition étant la plus complète, nous l’insérons en annexe à la séance de ce jour, p. 559.) m Un grand nombre de membres : A l’ordre du jour, à l’ordre du jour ! (L’Assemblée ne statue pas sur les motions.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'organisation du pouvoir judiciaire. La première question àré-oudre est celle de savoir si l’on établira la procédure par jurés ei si cet établissement aura lieu eu matière criminelle et en matière civile. M. Mougius de Roquefort (1). Messieurs, l’établissement deia procédure par jurés en matière criminelle est un bieufait que l’humanité attend de votre justice. Elle a pour principal objet de constater le délit, de fixer des faits qui sont toujours indépendants des questions de droit, qu’il est même avantageux d’en séparer, pour venirà la découverte ducrime, ou assurer le triomphe de l’innocence. Mais en croyant indispensable d’avoir un jugement préliminaire sur l’accusation, j’estimerais qu’il ne faut pas adopter, dans toute sou étendue, la forme des jurés en Angleterre. Et, eu empruntant les expressions d’un littérateur de nos jo rs, d’un magistraldtoyen connu par ses talents et son patriotisme, que ma province se glorifie d’avoir vu naître (je veux parler de M. de Pastoret, dans son ouvrage intitulé : Les lois pénales , duquel il vient de présenter l hommage à l’Assemblée nationale), je dirai avec lui, et comme lui, que la forme des jurés qui avait lieu chez les Romains, parait préférable. Les Romains, comme tous les peuples dignes de la liberté, avaient senti la liaison étioite qui existe entre les principes du gouvernement et les principes de la législation ciiminelle. Ils avaient senti quelle terrible loree donnerait, dans l’ordre politique, le droit de prononcer sur l'innocence et la vie des hommes; et le juge n’avait été chez eux que l’organe, et si l’on peut dire ainsi, l’applicateur de la loi. Mais les jurés n’y étaient pas élus pour chaque crime en particulier. Au commencement de l’année, on nommait quatre cent cinquante citoyens qui devaient en remplir les fonctions jusqu’à l’année suivante. 8ur ce nombre, le sort en désignait cent pour prononcer sur telle ou telle accusation à mesure qu’elle était intentée, et sur les cent l'accusé pouvait en récuser cinquante. Dette institution, très peu connue quoiqu’elle mérité de l'être, duut le mode serait réglé sur l’importance di-s lieux-et leur population, paraîtrait devoir être préférée surtout dans ce moment, comme assurant les droits de l’innocence et de l'humanité, et offrant un passage moins subit de la forme ancienne à une forme trop étrangère à nos mœurs, et peut-être à ce caractère national qu’il est si essentiel de consulter avant que d’établir des lois, par-e que, sans cela, des lois sages et humaines s’écrouleraient bientôt par leur propre incompatibilité. G’est donc avec ce tempérament que j’adopte-terais la forme des jurés en matière criminelle. Je crois inutile de développer d’une manière plus étendue les motifs qui sollicitent J’adniission de celte forme ; ils sont reconnus par tous ceux qui me fout l’honneur de m’entendre et qui savent si bien apprécier les droits de l’bumanité et de ia justice. (1) Le Moniteur ne donne qu’un* analyse du discours de M. Mougins de Roquefort.