304 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 avril 4790.1 acte de cette nature ? Pour moi, je n’ai pas cru, d’après son serment, qu’il eût jamais fait de protestations. Quelques membres ont annoncé un sentiment différent; il s’est élevé contre eux un cri d’indignation, qui était celui de la conscience. Je vous demande de quel œil vous pouvez voir, de quel œil le public verra cette restriction mentale et vraiment jésuitique ? A Dieu ne plaise que je veuille qualifier de semblables moyens! Je les abhorre sans oser les combattre, et la conscience de l’Assemblée les jugera bien mieux que la raison ; mais je demande comment M. de Virieu a pu avouer qu’il a signé des protestations et jurer ensuite qu’il n'a rien signé qui tendît àaffaiblirle respect et la confiance dus aux décrets de l’Assemblée nationale ?.. On vous propose la question préalable. Par respect pour la majorité du Corps législatif, pouvez-vous ne pas délibérer sur un semblable objet? Cette circonstance peut avoir une influence sur le sort de l’État : vous allez jeter un nouvel éclat sur vous-mêmes, ou ternir la majesté de l’Assemblée nationale. M. l’abbé Maury. La délibération qui vous occupe est liée à plusieurs principes que je demande la permission d’ex poser, parce qu’ils ont été totalement oubliés. C’est un premier principe reconnu par vous, qu’une loi ne peut être décrétée à l’instant de son exécution; car alors elle serait plutôt un jugement qu’une loi; c’est un principe que votre règlement donne à tous les membres de cette Assemblée le droit de parvenir aux fonctions honorables qu’on peut obtenir de votre confiance; c’est un principe, que le serment particulier exigé de vos officiers serait une injure pour votre Assemblée; c’est un autre principe, que personne n’a le droit d’interpeller légalement non seulement le président, mais un membre de cette Assemblée, quel qu’il soit. Une interpellation n’appartient qu’à un juge après un commencement de preuve acquise. Quand elle n’a pas la certitude d’un fait, une Assemblée telle que celle-ci ne doit pas s’en occuper. Je n’examinerai pas si le décret dont il s’agit a été accepté; mais je dis que je regarde comme naturel à tous les membres de l’Assemblée d’être persuadés que quand les circonstances les obligent à souscrirent un acte de précaution, ce n’est pas à l’Assemblée, mais à leurs commettants qu’ils doivent compte de leurs actions. Ce principe tient au droit qu’ont eu nos commettants de nous donner leurs ordres; mais je pense que quand un homme d’honneur est interpellé, même sans qu’on ait droit de le faire, il doit dire la vérité. Je n’ai donc pas approuvé le silence de M. le comte de Virieu, et sans m’expliquer sur la conduite que, pour sa gloire, j’aurais voulu qu’il eût tenue, je me bornerai à dire que le vœu exprimé dans un scrutin par la majorité est un décret. Je ne réclame pas contre le décret par lequel vous exigez un nouveau serment. Je déclare publiquement que j’ai signé le même acte que M. de Virieu. ( Une partie des membres placés au côté droit se lèvent pour s'unir à cette déclaration.) En conséquence, comme il est impossible que la minorité donne des lois à la majorité, si vous persistez à exiger le serment, je ne dis pas à M. le comte de Virieu ce qu’il doit faire, mais je déclare] que je me regarde comme à jamais exclu de cette Assemblée. M. le comte de Virieu. Rendu dans ce moment à moi-même, à ma qualité de simple membre de cette Assemblée, il m’est permis de m’expliquer; peut-être ne le pouvais-ie pas quand je n’étais pas moi, et que j’étais à l’Assemblée. Je n’ai pas répondu avec détail, pour éviter des questions épineuses qui pourraient exciter du trouble non seulement dans l’Assemblée, mais même dans le royaume entier. J’atteste tous ceux de mes collègues qui m’ont témoigné quelque confiance, et je les prie de se ressouvenir combien j’ai désiré de rester simple citoyen ; on m’a vu repousser toutes espèces d’idées ambitieuses; on m’a vu, le 13 juillet, proposer des décrets dont le succès a été utile à la liberté; et si jamais les excès auxquels on s’est livré permettent qu’elle .s’établisse en France, on me devra la justice de dire que j’ai concouru à la faire triompher. Quand les choses ont changé, j’ai mis ce même caractère à résister à l’oppression de.la multitude, la plus dangereuse de toutes les oppressions; j’y ai résisté au péril de ma fortune, de ma liberté, je dois dire de ma vie, puisque personne ne l’ignore. C’est d’après toutes ces circonstances que j’ai considéré la situation où je me suis trouvé ce matin; j’ai cru qu’il ne m’était pas permis de refuser l’honneur que vous m’accordiez; j’ai dû prendre les qualités de la place où vous m’aviez élevé, et l’oubli de mon caractère a été mon premier sacrifice. Quand on a proposé le décret, je n’ai pas cru devoir des explications qu’on ne me demandait pas et qui auraient pu devenir dangereuses. Le décret prononcé, j’ai dit un fait certain. J’ai vu depuis, par un singulier contraste, des personnes bien opposées prendre soin de ma gloire. Je demande d’abord, comme individu, dans quel cas, dans quel temps, dans quel lieu il peut se faire qu’un homme soit obligé à plus que la loi n’exige, et qu’il soit inculpé pour n’avoir pas présumé plus que la loi ne renfermait ? J’ai dû, comme homme revêtu de la confiance de l’Assemblée, éviter ce qui pouvait en troubler la paix ; j’ai offert toute espèce d’explication avec la loyauté de mon caractère; j’ai dit que s’il s’élevait quelque réclamation, je descendrais à l’instant du poste où vous m’aviez placé. Me suis-je mal expliqué? C’est un tort de ma diction, et non de mon cœur. Je me suis renfermé dans le texte précis du décret; maintenant l’Assemblée peut en expliquer le sens. Si on y avait mis autre chose, j’aurais quitté cette place dangereuse, et j’aurais fait ma profession de foi. Que l’Assemblée déclare donc ce qu’elle a voulu dire; qu’elle prononce; je remplirai alors les devoirs que mon caractère m’impose. Il s’agit ici d’une simple explication et rien ne m’est personnel. Je ne me suis jamais regardé comme inculpé; je n’ai pas mérité de l’être, et, quand on m’accuserait, je croirais devoir braver des jugements que je regarderais comme l’effet de l’égarement. (Une partie du côté droit applaudit.) M. Alexandre de Lameth propose une motion qui consiste à ajouter au serment: « Ou contre les décrets qui ne devaient pas être acceptés ou sanctionnés. » Elle a encore pour objet de décider que, dans le cas où M. de Virieu ne pourrait prêter ce serment, il soit nommé un autre président. M. Dubois de Crancé. La question n’est pas de savoir si le sens du serment doit être étendu ; il s’agit seulement de demander à M. de Virieu s’il a signé un acte quelconque tendant à affaiblir le respect et la confiance dus à vos décrets.