[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 décembre 1789.] 527 manière étrange, parce qu’ils ne voient rien de réglé, ni pour leur sort futur, ni pour ieur subsistance. Quelques-uns, différemment affectés, inquiets sous d’autres rapports, et ennuyés de leur condition qu’ils regardent comme un état de captivité, s’affligent et s’irritent de la lenteur qu’oi met à opérer leur délivrance, peu soucieux de la tranquillité de leurs confrères, ils souillent le feu de la discorde, et entretiennent dans les esprits une fermentation qui scandalise et fait cesser lliarmonie qui doit régner dans une société religieuse. Il serait peut-être, Messieurs, de votre sagesse et d’une heureuse prévoyance, de rassurer ceux qui aiment leur état, et que votre plan pourrait avoir alarmés, et dé ne pas trop éloigner les espérances üe ceux que le dégoût a surpris. 11 vous serait facile, Messieurs, sans rien changer à vos décrets, de procurer aux deux partis le soulagement qui convient à leur mal; il subirait d’arrêter qu’en attendant que l’Assemblée nationale puisse s’occuper en définitive de la conservation, ou de la suppression ou réduction des ordres réguliers de l’un et de l’autre sexe, les religieux qui se plaisent dans leur état, demeureront, avec toute assurance de protection, dans les maisons où ils sont actuellement, ou celles qui leur seront désignées pour y vivre selon leur règle, soit avec la pension honnête qui serait assignée à chacun d’eux, soit avec les biens dont on leur laisserait la jouissance. A l’égard de ceux qui, par faiblesse de tempérament, dégoût ou autre cause, ne voudraient plus, ou ne pourraient suivre leur règle et vivre en commun, leur permettre de s’adresser à la puissance ecclésiastique pour se faire séculariser, le tout aux frais de leurs maisons de profession, ainsi que la pension qui serait fixée et déterminée par l’Assemblée. Et pour que les choses se passent avec plus de décence et moins d’irrégularité, arrêter que ceux qui seront dans cette intention, la manifesteront dans le mois aux supérieurs majeurs, qui leur assigneront une ou plusieurs maisons, selon le nombre, où ils seront tenus de se rendre pour attendre le bref de leur sécularisation. D’après ce que je viens d’avuir l’honneur de vous observer, Messieurs, j’ai celui de vous proposer de déclarer et de décréter de la manière suivante : « Art. l#r. L’Assemblée nationale déclare que lorsqu’elle s’occupera du sort des individus qui composent les ordres réguliers de l'un et de l’autre sexe, elle assurera à chacun d’eux une existence honnête, en raison de leur état actuel-, qu’il sera désigné un nombre suffisant de maisons de chaque ordre, à ceux qui voudront vivre en commun, suivant leur règle, avec une pension déterminée d’après leurs revenus, et eu outre la jouissance delà maison, jardiu et espace convenable pour un enclos. « Art. 2. Décrète en outre que ceux qui ne voudront plus suivre la règle qu’ils ont embrassée, sont dès à présent autorisés à s’adresser à la puissance ecclésiastique, pour se faire séculariser et vivre dans la société, au moyen d’une pension qui sera réglée par l’Assemblée, payable par les maisons professes, tant qu’elles jouiront de leurs biens ; et par la nation, quand elles n’en jouiront plus; «Art. 3. Que ceuxqui voudront rentrer dans la société, manifesteront dans un mois, à compter du jour de la notification, leur intention aux supérieurs majeurs, et seront tenus de se rendre dans la maison, qui, par eux, leur sera indiquée, pour y attendre le bref de leur sécularisation. M. le Président. L’Assemblée reconnaît, dans les offres que vous lui présentez, les sentiments généreux d’un ordre qui a toujours pratiqué avec tant de ferveur les vertus de son état, et qui a appris, dans la méditation des vérités éternelles, que la plus saine philosophie est celle qui se concilie avec la morale patriotique que prêche la religion de l’empire. L’Assemblée ordonne que le discours de Dom Gerie et la réponse de M. le président seront imprimés. Quelques membres font observer que l’Assemblée a décrété de ne pas délibérer délicitivement, dans les séances du soir, sur des objets d’intérêt général. Ils disent que la motion dé Dom Gerie est d’intérêt général. M. Branche, député de Riom. L’objet de la demande est trop instant, même pour les religieux, pour qu’il soit différé. M. de Bonnal, éoêque de Clermont. Je propose de renvoyer la moiion au comité ecclésiastique qui, d’ailleurs, est prêt à faire un rapport. L’Assemblée décide le renvoi au comité ecclésiastique et arrête qu’elle attendra, pour l’entendre, qu’il demande lui-même la parole. On reprend la discussion de l'Affaire d’Amiens. Voici les faits : Les ofticiers municipaux d’Amiens, réunis aux membres du comité permanent, sont parvenus à rétablir la perception de la gabelle, qui était de ¬ venue nulle dans l’anarchie; de là un grand mécontentement dans le peuple, de là des attroupements, des quolibets lâchés contre les troupes qui prêtent maiu-lorte à la perception des impôts ; on les a traités de gabeleurs. Il y a eu une petite guerre et le sang à euulé; de là aujourd’hui des comités militaires qui s’arrogent toutes les fonctions de la municipalité; de là l’insubordination des citoyens enrôlés qui, contre l’esprit du règlement provisoire fait par l’état-major, font tout ce qu’ils ne devraient pas faire. Ges raisons ont porté le comité des rapports à proposer un projet de décret ainsi conçu : « L’Assemblée nationale considérant que par son décret du 2 de ce mois , les ofticiers municipaux de toutes les villes et communautés du royaume ont été provisoirement maintenus dans les fonctions dont ils étaient alors eu possession, et que ce serait compromettre la tranquillité publique qu’elle s’est proposé d’assurer par ce décret, si des corporations, soit civiles, soit militaires, qui, par leur institution, doivent être subordonnées aux municipalités, les contrariaient dans leurs fonctions, a décrété et décrète que le règlement de discipline militaire, concerté entre le conseil permanent de la ville d’Amiens, et de l’état-major de la milice nationale de ladite ville, et arrêté par délibération du 30 septembre dernier, sera provisoirement exécuté jusqu’à l’organisation des municipalités et milices nationales du royaume; et qu’en conséquence, défenses sont faites à toutes personnes enrôlées dans ladite milice, de s’assembler en comité militaire, sans y avoir été préalablement autorisées, tant par les chefs de ladite milice nationale, que par les officiers municipaux. » 528 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 décembre 1789.] [Assemblée nationale.} L’Assemblée a chargé son président de présenter incessamment au Roi ce décret, en le suppliant de le revêtir de sa sanction. M. Rewbell. Le projet de décret est contraire à l’article constitutionnel qui permet à tous les citoyens de s’assembler , meme en armes, pour faire des pétitions. M. Emmery. Je propose de dire que les citoyens enrôlés ne pourront s’assembler, sans l’ordre de leurs chefs, pour tout ce qui regarde le service militaire. M. liaurendeau, député d’Amiens. Je réclame avec instance l’adoption du projet de décret tel qu’il vous a été proposé. Si vous ne vous hâtiez de prendre des précautions, vous causeriez certainement une insurrection sanglante dans une ville où plus de 18,000 ouvriers sont presque sans ouvrage depuis la conclusion du traité de commerce avec l’Angleterre. L’Assemblée prononce la question préalable sur l’amendement et adopte le projet de décret, sans modification. M. le Président. L’Assemblée reprend maintenant la suite de la discussion sur les impositions de Bretagne. Le comité propose de généraliser le décret et de le rendre applicable à tous les pays d’Etats. M. üérard , député de Bretagne , fait une motion pour la suppression des droits de détail et la répartition de leur produit sur toute la province, sans distinction, par un autre impôt représentatif. Cette motion est applaudie et ajournée. M. Camus propose de renvoyer le décret au comité des finances pour présenter un mode d’impôt uniforme sur les châteaux et les maisons de campagne. M. le comte Lévls de llirepoix. Pourquoi s’écarter de l’objet remis à votre délibération? 11 ne s’agit en ce moment que de la Bretagne; ne sortons pas de cette question. Cet avis est vivement appuyé. Le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale, instruite que les anciens Etats de Bretagne ont donné aux commissaires intermédiaires, pour l'administration de Ja province, des pouvoirs qui doivent expirer le 31 décembre présent mois, et n’ont prorogé que jusqu’à cette époque la régie des impôts connus en Bretagne sous le nom de devoirs , impôts , billots et droits y joints; considérant que le travail de l’organisation des municipalités et des assemblées de département sera incessamment terminé ; que néanmoins il est presque impossible que les assemblées de département soient réunies en activité le 31 de ce mois ; qu’il est par conséquent nécessaire de veiller à ce que la province de Bretagne ne soit pas sans administration, et à ce que la perception de ses impôts ne soit pas interrompue; « A décrété les articles suivants : « Art. ler.Les commissaires intermédiaires nommés par les anciens Etats de Bretagne, continueront leurs fonctions jusqu’à ce que les assemblées administratives soient réunies, et qu’elles puissent établir le régime d’administration fixé par la con-titution. Les commissaires veilleront aux affaires de" la province de Bretagne ; l’Assemblée leur continue, à cet égard, tous les pouvoirs nécessaires. « Art. 2. Les commissaires additionnels nommés par la délibération du 16 février dernier, pour concourir à l’administration, sous le bon plaisir du Boi, se réuniront, dans tous les évêchés, aux autres commissaires actuellement en exercice; et, comme il n’y a plus de distinction d’ordres en France, les ordonnances des commissions seront valables, et auront leur exécution dès qu’elles auront été prises en commission, et seront souscrites de trois commissaires indistinctement, tous réglements contraires demeurant abrogés. « Art. 3. Lesdits commissaires intermédiaires procéderont à la confection des rôles d’impositions de 1798, par un seul et même rôle, sur toutes personnes indistinctement pour les impôts personnels, et de même sur tous les biens-fonds pour les impositions réelles, ils procéderont pareillement à la confection du rôle supplétif sur les ci-devant privilégiés, ordonné par l’Assemblée nationale pour les six derniers mois de 1789. « Art. 4. Le trésorier des Etats de la province de Bretagne payera comme au passé les arrérages des rentes constituées sur les états, les appointements, et même les gratifications ordinaires accordées aux commis de leur administration, et à leurs ingénieurs, les ordonnances pour payement des travaux faits et à faire en la présente" année pour compte de la province, et tous autres payements pour traitements, pensions et gratifications, demeureront suspendus jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. « Art. 5. Tous les octrois des villes de Bretagne continueront d’être perçus comme au passé, jusqu’à ce qu’il ait été statué à cet égard par l’Assemblée nationale, mais sans aucun privilège, exemption, ni distinction de personne. « Art. 6. L’Assemblée nationale proroge pour un an, à compter du premier janvier procnain, la régie des impôts connus sous le nom de « devoirs, impôts , billots, » et autres droits y joints, pour être faite ainsi et de la même maniéré qu’en 1789 par les régisseurs actuels, suivant le renouvellement de leur soumission, sans nouvelle prestation de serment par les commis, aux exceptions seulement ci après: « 1° L’eau-de-vie sera distribuée à toutes personnes indistinctement aux bureaux de la régie, et en telle quantité qu’elles le désireront, à raison de 50 sols le pot, faisant deux pintes mesure de Boi. Personne ne pourra acheter de l’eau-de-vie, ni en pièces ni en bouteilles, ailleurs qu’auxdits bureaux de la régie, ni en introduire en Bretagne, si ce n’est pour le commerce maritime ou en transit; ceux qui fabriquent des eaux-de-vie pourront en destiner à leur usage les quantités qu’ils jugeront convenables, en le déclarant aux bureaux de la régie, et en payant, lors de leurs déclarations, le droit de 20 sols par pot. Payeront également les marchands grossiers le droit de 20 sols par pot d’eau-de-vie employé à leur consommation seulement; et en cas qu’ils veuillent cesser le commerce d’eau-de-vie, sera tenu le régisseur de prendre leur reliquat au prix marchand, au moment qu’ils auront fait leurs déclarations. « 2° Sans rien changer aux dispositions de l’article 61 du bail des anciens Etats de Bretagne, les liqueurs étrangères, introduites dans la province pour y être consommées, seront assujetties, à un droit unique de 20 sols par pot lors de leur entrée en cette province. Il n’en sera introduit