232 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I *§ SéSS*r“i793 truction publique, soit dans les productions de la nature, rassemblées de toutes parts dans des jardins ou des cabinets nationaux, soit dans celles des arts, consacrées aux démonstrations de toutes les branches de la physique et des arts et métiers. Séparez plusieurs de ces tré¬ sors, fécondez-les en ordonnant qu’ils seront également partagés dans toute la République; que ces portions soient offertes aux sans-culottes instruits, à qui leur fortune ne per¬ mettrait pas d’établir des cabinets d’histoire naturelle, de physique, des laboratoires de chimie, des ateliers pour y démontrer les arts; que la République leur prête ces moyens qui leur manquent, et qu’elle leur fournisse ainsi les mobiles dont ils ont besoin pour faire connaître et pour communiquer leurs talents; que tous les hommes éclairés, qui se sentent propres à la démonstration, soient appelés dans tous les points de la République, et invités à ouvrir des écoles ; que le nombre des élèves qui leur seront fidèles, après un temps donné, soit la mesure réelle de leur succès et de leur mérite; que les jeunes gens qu’un goût plus ou moins décidé entraîne pour telle ou telle étude, et dont la République doit faire servir quelque jour les talents à sa prospérité, soient libres de choisir le professeur qui leur conviendra; que la Répu¬ blique paie elle-même les frais de leurs cours et de leur entretien, lorsque la fortune de leurs parents ne leur suffira pas pour se livrer à ces études. Alors aucune connaissance ne vous échappera, rien ne sera inutile; il n’y aura ni choses, ni hommes parasites dans la Répu¬ blique; plus de rapprochements, de corpora¬ tions, de privilèges dangereux pour la liberté qui a tant de raison d’être soupçonneuse et timorée; la mesure juste des talents utiles, des connaissances nécessaires aux besoins de la République est trouvée ; il n’y a plus à craindre ni trop, ni trop peu d’institutions, plus d’admi¬ nistration qui entrave et qui ralentit, plus de surveillance ni de directoire, plus de minis¬ tère des études, plus de sacerdoce et de doctorat à redouter. Tout est organisé sans frotte¬ ment, sans concours, sans élection, sans intrigue, sans cabale, sans préférence, sans protection ni influences ministérielles. Les sciences et les arts deviennent tout à coup libres et débarras¬ sés des excroissances doctorale, académique, pédantesque. La République française n’a plus à craindre qu’il se forme dans son sein, contre son unité, une République des lettres, une Répu¬ blique des sciences, une République des arts, etc.; l’égalité reprend ses droits. On ne distingue plus les professeurs par les places qu’ils occupent, mais par les élèves qui les suivent. Le vrai talent est récompensé, l’intrigue n’a plus de nominations à faire ni à espérer : les intrigants et les accapareurs de places sont repoussés; la médiocrité reste à sa place, le vrai mérite reprend son rang; chaque homme, que sa conscience appelle à remplir le poste honorable d’enseigner aux autres, puise dans ses travaux la gloire et l’indemnité réunies. La République trouve dans les élèves libres comme leurs maîtres tout ce qui lui convient d’hommes instruits, pour remplir toutes les places militaires et civiles nécessaires à sa sûreté, à son administration, à ses manufactures, à son commerce. Elle pourvoit même à ses besoins dans ce genre, en faisant choisir par les insti¬ tuteurs des écoles primaires et les corps admi¬ nistratifs un nombre fixe de jeunes gens que leurs talents naissants, attestés par leurs pre¬ miers succès, font bientôt reconnaître comme propres à acquérir des connaissances néces¬ saires pour former des géomètres, des ingénieurs, des marins, des poètes, des musiciens, des ora¬ teurs, des médecins, et en les envoyant, aux frais du trésor public, auprès des professeurs que leur goût et leur choix leur indiquent. Ajoutez à ces avantages le bienfait des livres élémentaires, non par un concours qui exige un temps trop long et qui multiplie les difficul¬ tés, mais par un choix fait parmi ceux qui existent déjà et que la rédaction de ceux qui manquent soit confiée à des patriotes éclairés, par votre comité d’instruction publique. Qu’en même temps que cette organisation simple de l’instruction des sciences et des arts aura heu, les bibliothèques, les cabinets d’his¬ toire naturelle, les collections de tableaux, d’antiques, les jardins de botanique et tous les trésors nationaux des monuments de la nature et des arts, également distribués dans les dépar¬ tements, et confiés à la garde de républicains instruits, soient exposés, tous les jours, à la curiosité et à l’étude; que les productions du génie national frappent partout les regards; et rien ne manquera pour l’instruction libre et indépendante, comme elle doit être. Avant que ce projet simple soit entièrement exécuté par le talent et le zèle patriotique aux¬ quels il sera confié, conservez provisoirement les écoles anciennes de géométrie, de physique, de chimie, de génie, de marine, d’artillerie, de médecine, de chirurgie, d’histoire naturelle, d’éloquence, de poésie, des arts d’imitation, qui, si elles étaient tout à coup détruites sans rem¬ placement, produiraient un vide dangereux, une secousse redoutable. Entretenez -les encore jusqu’à ce que le nombre des professeurs libres soit suffisant aux besoins de la République. Attendez le succès de l’amour de la patrie et du génie des Français, et soyez sûrs que vous aurez bientôt atteint le but que vous vous pro¬ posez pour seconder les efforts de tous les hommes éclairés que la France possède dans son sein, et pour répandre toutes les connais¬ sances qui doivent élever la nation à la splen¬ deur et à la prospérité que promettent la beauté et la richesse de son sol, et l’heureuse facilité de ses habitants. Projet de décret. Art. 1er. « Les citoyens éclairés dans les lettres, les sciences et les arts, sont invités à se livrer à l’enseignement, dans toute l’étendue de la République française. Art. 2. « Ceux qui choisiront cette profession, se feront inscrire dans les municipalités des com¬ munes où ils désireront s’y livrer. Art. 3. « Ils ne pourront le faire qu’après avoir prouvé qu’ils sont citoyens français, et après avoir obtenu un certificat de civisme et d’une [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ™ �Xel793 233 probité pure, avant et depuis la révolution, de leurs municipalités, ou l’appui des sociétés populaires établies dans leurs communes. Art. 4. « Lorsqu’ils auront rempli cette première formalité, ils feront mettre sur la porte de la maison où. ils donneront leurs leçons, un tableau portant leurs noms et l’énoncé de la science ou de l’art qu’ils se proposeront de démontrer. Art. 5 . « Les citoyens qui voudront se livrer à l’enseignement des sciences physiques ou des arts, et à qui leur fortune ne permettra pas de former des établissements de machines ou de productions naturelles et des arts, nécessaires à leurs démonstrations, s’adresseront au con¬ seil exécutif, qui, d’après les certificats des corps municipaux et des sociétés populaires des lieux de leur résidence, leur donnera la jouis¬ sance d’un emplacement national et des maté¬ riaux nécessaires à leurs leçons. Art. 6. « Il sera dressé un inventaire des objets natio¬ naux confiés à ces citoyens, et ils en donneront une reconnaissance au conseil exécutif. Art. 7. « Le nombre des professeurs admis à jouir des établissements nationaux, sera proportionné à celui des habitants de la commune où ils dési¬ reront enseigner, et aux besoins de la Répu¬ blique. Il sera fixé par la Convention sur le rapport de son comité d’instruction publique. Art. 8. « Les élèves ou les citoyens qui voudront assister aux leçons des professeurs des sciences ou des arts, seront tenus de les payer au prix fixé par ces professeurs. Ce prix ne pourra pas excéder celui que l’on payait en 1790. Art. 9. « Les cours donnés par ces professeurs, auront pour objet les sciences physiques et mathéma¬ tiques, la littérature, l’histoire, la législation, la théorie et la pratique des arts d’imitation. Art. 10. « Les professeurs auront soin de joindre à leurs démonstrations toutes les applications utiles des sciences aux arts qui ont pour but de conserver, de défendre, d’abriter, de vêtir et de nourrir les hommes, la formation des manufactures et des ateliers, et généralement tout ce qui peut concourir à la prospérité de la République une et indivisible. Art. 11. « Les professeurs des sciences et des arts enverront chaque année, à la municipalité du lieu où ils seront établis, le nom des élèves qui suivent leurs cours. Ces états remis aux départements, seront par eux envoyés au con¬ seil exécutif. Les portes des lieux où ils donne¬ ront leurs leçons seront ouvertes, et un officier municipal assistera de temps en temps à ces leçons. Les juges de paix auront le même droit, afin de veiller au maintien de l’ordre, des mœurs, et d’être témoins des principes de morale pure qui doivent distinguer des hommes chargés de l’enseignement. Les sociétés popu¬ laires sont invitées à se livrer à la même sur¬ veillance. Art. 12. « La République entretiendra auprès des professeurs de littérature, de sciences et d’arts, des élèves peu fortunés choisis par les munici¬ palités voisines, en nombre suffisant, pour que la nation ait toujours des sujets propres à rem¬ plir les places nécessaires à sa défense ou à sa prospérité. Ce nombre d’élèves de la patrie, choisis d’après leurs dispositions particulières, sera fixé par le corps législatif, sur le rapport du comité d’instruction publique. Art. 13. « Le conseil exécutif rendra compte deux fois par an, au corps législatif, de l’état des études supérieures, du nombre d’élèves salariés auprès des professeurs, de celui des élèves qui suivront ces cours à leurs dépens, et des sujets les plus distingués qui les fréquentent, ainsi que des succès obtenus par les différents pro¬ fesseurs. Art. 14. « Après vingt-cinq ans d’exercice, les profes¬ seurs recevront de la République une pension de 3,000 livres et seront logés dans les mai¬ sons nationales, destinées à servir de pryta-nées. Ces pensions seront accordées par le corps législatif, sur le rapport de ses comités d’ins¬ truction publique et des finances. Art. 15. « Le comité d’instruction publique est chargé de faire promptement un choix des meilleurs livres élémentaires dans les sciences et les arts utiles, d’en faire un rapport à la Convention et de lui proposer les récompenses que méritent leurs auteurs, ainsi que les moyens d’en ré¬ pandre promptement des exemplaires aux frais de la République. Art. 16. « Le même comité comprendra dans son rapport, l’état des livres élémentaires qui man¬ quent, et un choix de patriotes éclairés, pour procurer le plus promptement possible à la République, la jouissance des livres nécessaires à toutes les parties de l’instruction. . _ , 234 [Convention nationale.] ARCHIVES. PARLEMENTAIRES, j 4® Art. 17. « Il sera fait promptement un inventaire de toutes les collections, de tous les produits de la nature et de l’art, et des bâtiments ainsi que des établissements nationaux destinés à l’ins¬ truction publique dans tout le territoire de la République; afin que le partage en soit fait le plus également possible entre tous les départe¬ ments, et que las sources de l’enseignement soient ouvertes de toutes parts. Art. 18. « Pour que l’inventaire et le partage égal des collections et des établissements nationaux utiles soient promptement exécutés, le comité d’instruction pubhque, réuni au comité de Salut public, pourra proposer à la Convention d’envoyer, jusqu’à la concurrence de dix, de ses membres dans tous les départements de la République. Art. 19. .< La Convention charge son comité d’ins¬ truction publique de s’occuper sur-le-champ, et en se concertant avec les différents comités qui doivent en connaître : 1° des maisons qui peuvent être consacrées dans toute l’étendue de la République, soit aux démonstrations des sciences et des arts, soit au rassemblement et à la distribution des richesses nationales utiles à toutes les parties de l’instruction dans les sciences et les arts, soit au logement des pro¬ fesseurs qui ont bien mérité de la patrie; 2° d’un rapport sur la situation actuelle des citoyens français qui ont consacré leur vie à instruire les hommes, par des ouvrages, des leçons, et des découvertes utiles, et surtout à leur faire ché¬ rir la liberté, l’égalité, afin qu’ils soient promp¬ tement récompensés pour les services qu’ils ont rendus à la patrie. Art. 20. « Toutes les écoles actuellement subsis¬ tantes, où l’on enseigne les sciences et les arts, et surtout l’histoire naturelle, la médecine de l’homme et des animaux, le génie civil et militaire, l’artillerie, la marine, les langues étran¬ gères, l’histoire, la législation, l’architecture, la peinture, la sculpture et la musique, sont maintenues jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. Art. 21. « Le comité d’instruction publique présen¬ tera incessamment un mode d’examen pour reconnaître et employer à l’utilité commune les sujets qui se destinent à la marine, à la médecine, à la chirurgie et à toutes les profes¬ sions en général qui exigent des connaissances exactes et positives, puisées dans les sciences, pour faire disparaître les formes anciennes qui subsistent encore dans l’admission à l’exercice de ces différentes professions, pour leur en substituer de plus conformes au génie de la liberté et de l’égalité, et pour réunir à la théorie qui sera enseignée par les professeurs la pratique dans les places, les arsenaux, les ateliers, les hôpitaux, et en général dans tous les établisse¬ ments publics où l’ expérience doit servir à consacrer les principes des sciences et les rendre véritablement utiles à la République. Art. 22. « Les professeurs qui auront exercé pendant vingt-cinq ans l’enseignement des sciences et des arts, tous les citoyens qui auront bien mérité de la patrie par leurs travaux littéraires et leurs découvertes, et qui auront obtenu la pension et le logement aux frais de la Répu¬ blique, auront une place distinguée dans les fêtes et les cérémonies publiques, dans les spec¬ tacles populaires, et les jeunes gens se lèveront à leur arrivée. » Discours sur la révision du décret pour l’organisation des premières écoles, FAITE PAR LE COMITÉ D’INSTRUCTION PU¬ BLIQUE, ET SUR QUELQUES NOUVEAUX SYS¬ TÈMES d’éducation, par Michel-Edme Pe¬ tit, DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DE L’AiSNE, MEMBRE DU COMITÉ D’INSTRUCTION PUBLIQUE, PRONONCÉ LE 19 FRIMAIRE, L’AN DEUXIÈME de la République française. (Imprimé par ordre de la Convention nationale ) ( 1 ). Citoyens, un an s’est écoulé depuis que nous nous sommes occupés pour la première fois de l’instruction publique; les idées les plus prof on* des, les plus savantes vous ont été présentées; au milieu de tout cela, et dès le commencement même de la discussion, des conceptions simples ont osé se faire voir; mais l’esprit les a si bien obscurcies sous son brillant étalage, qu’après tant et de si scientifiques combats, où l’on a mis à contribution tous les talents, toute la nature, nous ne savons pas encore comment nous apprendrons à lire à nos enfants ! J’ai plu¬ sieurs fois insisté au comité d’instruction pu¬ blique pour une révision de la révision du décret pour les premières écoles; je désirais que nous nous réunissions tous dans notre commun désir de faire le bien; que nous mêlions toutes nos idées après avoir fixé les grands principes sur lesquels nous sommes tous d’accord; que nous renoncions individuellement aux petits avan¬ tages de la réputation ; que nous fussions moins grands hommes, afin que la République fût véritablement grande : je demandais à énoncer mes idées sur cette seconde révision; le comité m’a refusé la parole, fondé sur la nécessité d’une discussion dont la nature est d’être publique. Je crois que le comité a eu raison. Le plan de Bouquier a été lu : j’ai observé que ce plan était un enfant contrefait de celui que je vous ai présenté le 1er octobre, et que vous ave?; accueilli avec quelque plaisir. Plusieurs idées contraires ou conformes aux miennes ont été mises au jour. Yoilà où nous en sommes de cette discussion où le sort de la République est attaché. (1) Bibliothèque nationale ; 38 pages in-8°, Le38, n° 599. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), t. 93, n° 57, et 441, n° 5.