[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre 1790.J 467 ment les provinces qui en renferment une très grande quantité. Calculez, Messieurs, si vous devez vous exposer à des pertes aussi funestes. Pour moi, Messieurs, après avoir rempli ce dernier de mes pénibles devoirs, je serai réduit à retourner dans mes foyers, le cœur navré de douleur; et je doute fort que les autres députés des provinces que je viens de nommer ne fussent réduits à la même douloureuse démarche. Rentré c|ifZ moi, je ferai tous mes efforts pour inspirer à mes concitoyens le courage de fous les sacrifices; mais sûr de devenir la yictime de mon zèle, je m’estimerai heureux de périr avant le jour affreux où les Français, transformés en satellites de la ferme ou d’une régie oppressive et atroce, au raient fait succomber la liberté de mes compatriotes , ou auraient eux-mêmes éprouvé les plus grands malheurs par une résistance à l’oppression, soutenue de tout ce que l’amour de la liberté et la coalition de tous les mécontentements peut donner de force et d’énergie. Ce n’est pas cependant, Messieurs, que je croie qu’il faille renoncer à toute espérance de tirer un impôt de la consommation du tabac. Si vous ne voulez rester, relativement au tabac, tels que vous êtes, et nous laisser tels que nous sommes; si vous ne voulez pas des offres d’une compagnie qui, en nous laissant tels que nous sommes, vous offre trente millions; si vous refusez de vérifier si ces offres peuvent se combiner ayec le décret du reculernent des barrières; si vous vous déterminez enfin à rejeter nettement ces offres, et je ne puis vous le méconseiiler, permettez-moi, Messieurs , de vous proposer un terme moyen, de vous présenter un mode qui, en conservant la culture libre, peut vous procurer, principalement sur la consommation du tabac, un impôt au moins égal à son produit, possible avec la Constitution actuelle, et de vous lire en conséquence le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET. C/introduction du tabac fabriqué, venant de l’étranger, est prohibée ; 2° Le tabac en feuilles, venant de l’étranger, ne pourra être introduit quu par les ports qui seront désignés par l’Assemblée nationale, et payera vingt-cinq livres par quintal de droits d’entrée (1); 3° Pour faciliter le payement de ces droits d’entrée, les tabacs en feuilles seront mis dans des entrepôts, d’où les acquéreurs pourront les retirer au fur et à mesure de leurs besoins, en payant les droits d’entrée et d’entrepôt, ou en donnant caution pour Je payement île ces droits; 4° La culture du tabac sera libre dans toute la France; 5° L’Assemblée nationale décrète que l’impôt de la consommation du tabac sera fixé à douze ou à vingt-quatre millions, si les besoins de l’Etat l’exigent, indépendamment -des droits d’entrée sur les feuilles étrangères déjà décrétés; 6» Que cette imposition diminuera tous les ans d’un trentième; 7° Que ces 12 ou 24 millions seront répartis sur les quatre-vingt-trois départements, à raison de la population de chaque département; 8° Que chaque département sera autorisé à prendre les mesures nécessaires, pour que la (4) Ces droits pourront produire 5 à 6 millions. quote-part de cet impôt soit principiilepieQt supportée par les consommateurs; 9° En conséquence , que chaque département sera autorisé de vendre les licences dans chaque canton, à raison d’une licence par deu� cents citoyens actifs (1); 10° De défendre à tout autre qu’à un acquéreur de licence, la vente ou le débit du tabac f i - briqué, tant dans l’intérieur qu’à l’étranger; 11° De défendre à chacun la fabrication dû tabac, sans en avoir obtenu la licence ou permission expresse; 12° De taxer cette licence a raison de la quotité de la fabrication, qui ne pourra excéder quinze ou vingt sous par livre, lesquels seront cependant rendus au fabricant pour tous les tabacs de sa fabrique, qui seront exportés à l’étranger (2) ; 13° Et enfin, en cas d’insuffisance du produit des licences, du débit et des droits sur la fabrication, de répartir le déficit, seulement par addition, sur l’impôt direct (3) ; 14° Et comme, pour la première année, les départements ne pourront connaître d’avance quel sera le produit du droit sur la fabrication, chaque département répartira en la preqaière aunée, par addition, sur l’impôt direct, ce qui restera à répartir pour sa quote-part, après fe prélèvement du prix des ventes de la licence dp débit; mais pour la seconde année, R mettra en première ligne le produit des droits de la fabrication de l’année précédente; ep seconde ligne, le produit de la vente de la licence du débit de l’année épurante. Et quant au déficit , s’il Y en a, pour atteindre sa quote-part, il le répartira sur l’impôt direct. Il en sera usé de même pour chaque année subséquente; 15° L’Assemblée nationale charge son comité d’imposition de lui présenter un règlement pou'r assurer aux acquéreurs de licence, le débit et la fabrication exclusive du tàbac, et constater ' les fraudes, en excluant cependant les visites domiciliaires; ' ” ' u: 16° Elle le charge pareillement de rédiger des lois pénales contre les contrevenants, parmi lesquelles il mettra celle de privation dès droits de citoyens actifs à temps ou à perpétuité, et l’exclusion de toutes fonctions publiques quelconque�, tant contre ceux qui débiteraient et fabriqueraient sans licence, 'que contre ceux qui achèteraient du tabac fabriqué chez lès fraudeurs. n J’observe que le déficit sur l’impôt du tabac devant, dans le système proposé, être reversé sur les impôts directs, chacun serait intéressé à surveiller les fraudeurs. ! N.-B. — Gomme on n’a proposé la répartition d’une somme fixe sur chaque département, que pour donner une assurance positive de perception d’irnpôt, il n’y a rien de plus facile que de ne pas adopter cette répartition par 'département ; on ne serait pas moins assuré de l’impôt, eu conservant les articles 1, 2, 3, 4, 15 et 16 du prq-(1) La vente des licences de débit pourrait produire 4 à 5 millions. ' (2) Ces droits sur la fabrication pourraient seuls produire 30 à 40 millions, et seraient d’une perception peu coûteuse et aussi sûre que facile. (3) Il y a des départements qui, au ljeu de déficit auraient de V excédent, et il est évident, que si au lieu de repartir par département, oii faisait la perception en général sur les droits de fabrication et’ du débit, où aurait à coup sûr plus de 40 millions d’impôts, en y joignant les droits d entrée sur les feuilles étrangères. jAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (16 novembre 1790.] 468 jet de décret, et en substituant aux autres articles les articles suivants : Art. 5. il sera perçu un impôt sur la consommation du tabac, de la manière suivante : Art. 6. Il sera vendu, dans chaque canton, des licences de débit de tabac, à raison d'une licence par deux cents citoyens actifs. Art. 7. Il sera défendu, à tout autre qu’à un acquéreur de licence, de vendre ou débiter du tabac fabriqué, tant dans l’intérieur qu’à l’étranger. Art. 8. Il sera défendu à chacun de fabriquer le tabac, sans en avoir obtenu la licence ou permission expresse. Art. 9. Le droit sur la fabrication des tabacs sera de quinze à vingt sous par livre, payables suivant le mode qui sera prescrit, et lesquels seront cependant rendus au fabricant pour les tabacs de sa fabrique, qui seront exportés à l’étranger. Les articles 15 et 16 peuvent devenir ici les articles 10 et 11. Plusieurs membres demandent l'impression du discours de M. Rewbell. D’autres membres réclament seulement l’impression du projet de décret. Cette dernière proposition est adoptée. M. Pierre Delley. M. Rewbell vous a dit qu’il était nécessaire de bien éclairer la question qui vous est soumise, parce qu’il paraissait que les fermiers généraux avaient un grand parti dans la salle. La phrase n’était pas gauche : M. le député d’Alsace savait bien ce qu’il disait. Eclairons la question; je le désire comme lui; mais convenons avant tout : 1° qu’il n’y a plus et qu’il n’y aura plus, je l’espère, de fermiers généraux ; la nation aura seulement des préposés Îiour la perception des impôts; 2° que si, dans 'ancien régime, le gouvernement et les Français faisaient quelquefois deux, dans le nouveau, le gouvernement et les Français ne font qu’un : c’est la nation. Donc, à cetté lutte, presque toujours nécessaire autrefois entre les Français qui payaient et soupçonnaient et le gouvernement qui arrachait et dilapidait, substituons le sentiment de confiance qui nous convient. Ne retrouvons plus dans nos opinions ces expressions que la Constitution a bannies de notre idiome : génie fiscal, armée fiscale, etc., n’ont plus d’application; ils sont devenus vides de sens î c’est prélérer le sarcasme aux raisons ; c’est montrer de petites passions dans la discussion des plus grands intérêts. L’Assemblée nationale ne peut être mue par de semblables moyens. Nous éviterons donc les exagérations auxquelles se sont livrés les divers opinants qui nous ont précédé dans cette tribune, et ramenant la question au grand et véritable point de vue sous lequel nous devons la considérer, nous nous demanderons : 1° Si la vente exclusive du tabac en faveur de la nation et la prohibition de sa culture, modifiées par un nouveau régime, sont inconstitutionnelles et plus contraires à la vraie liberté que ne le serait un autre impôt. Aucun impôt ne peut exister sans des gênes et des contraintes pour forcer au payement; le tabac serait seul un tribut volontaire légalement consenti. L’anéantissement du revenu sur le tabac rendrait plus difficile, en augmentant leur poids, la perception des autres impôts. 2° Si cette vente exclusive et cette prohibition ne sont pas dans leurs résultats le simple sacrifice d’une portion de la propriété à l’intérêt général. Elles sont comme l’impôt sur les actes, les mutations, les ports de lettres, les aides, les tailles, les loteries, et généralement tous les impôts. 3° Si cette même vente et cette prohibition, sagement combinées, ne peuvent pas présenter la manière d’imposer la moins arbitraire, la moins gênante, la moins coûteuse, et peut-être un jour la plus productive. Manière d’imposer qui n’oblige personne au delà de sa volonté, dont les frais de régie sont, pour ainsi dire nuis, d’après la nécessité de maintenir des barrières pour les traites ; qui produira au moins 40 millions lorsqu’elle sera étendue à tout le royaume, même en en abaissant le prix d’un tiers et en en réformant tous les gardes de l’intérieur, à l’exception d’un ou de deux par district pour em pêcher les plantations ; qui fournira , par la perfection des tabacs fabriqués dans les manufactures nationales, un grand objet d’exportation, puisqu’elles pourront le fournir à l’étranger à un prix très inférieur à celui où elles le lui vendent aujourd’hui. Considérant ensuite cette vente exclusive et cette prohibition de culture relativement à son influence avec nos richesses commerciales et celles de nos alliés, demandons-nous : l°Si la liberté de la vente et de la culture du tabac en France augmenterait la masse de nos productions? Ce serait seulement une récolte substituée à d’autres récoltes bien plus précieuses pour notre industrie et plus nécessaires à nos subsistances. Le tabac serait substitué aux prairies artificielles, dont la rareté diminu-eraitles engrais, les bestiaux et l’immensité d’objets de commerce qu’ils fournissent; aux chanvres , dont la pénurie nous oblige de payer à l’étranger un immense tribut; à toutes les graines oléagineuses, qui nous fournissent de si grands objets d’exportation. 2° Si elles favoriseraient le commerce d’échange qu’il nous serait si intéressant d’établir avec les Américains? Le véritable obstacle au commerce d’échange n’a pas été la vente exclusive et la prohibition de la culture ; d’autres causes y ont concouru. Les Américains ne peuvent nous apporter leur tabac, parce que ce chargement, qui tient beaucoup de place, ne leur fournirait pas, après la vente, le quart de ce qui leur serait nécessaire pour charger en retour des marchandises de France ; il faudrait ou qu’ils apportassent avec eux du numéraire, ou que nos négociants consentissent à leur faire d’immenses avances ; or, la nation seule peut établir ce commerce d’échange par l’organe de ses préposés, en les obligeant à aller chercher le tabac en Amérique sur des vaisseaux chargés de nos productions. Le port de Glasgow n’avait réussi à concentrer dans son sein le commerce du tabac qu’en faisant près de 22 millions d’avances à la Virginie et au Maryland. Un autre obstacle à ce commerce d’échange a été jusqu’ici le bas prix de la main-d’œuvre en Angleterre; ses objets manufacturés étaut même préférés par les Français (au grand détriment de nos propres manufactures), est-il étonnant que les Américains aient continué de se pourvoir en Angleterre ? 3° Si elles diminueraient le tribut que nous payons en Amérique dans l’achat de ces tabacs? La liberté de la culture décuplerait la consom-