[5 décembre 1789.] 390 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. soumettent, si vous l’agréez. Je ne vois dans tout cela rien qui puisse exciter tant de reproches; je ne vois point sur le papier de cette caisse la flétrissure et le mépris. Je vois, au contraire, qu’on en redouterait beaucoup l’anéantissement ; qu’il en résulterait des catastrophes dont les contre-coups sont incalculables; qu’avec tout autre numéraire fictif, le change serait de plus en plus à notre désavantage, et que le haussement du prix des denrées serait un nouveau malheur de plus. Je sens combien il sera pénible de commencer l’année 1790 avec un papier, garanti par la France, qui ne s’échangera pas sur-le-champ, contre un numéraire effectif. Voilà, je l’avoue, la plus grande objection qu’on puisse faire, selon moi, au plan du ministre des finances ; il se l’est faite le premier; il convient qu’il faut choisir entre les inconvénients; mais, Messieurs, un nouveau papier en présente de bien plus grands. Irez-vous, par des billets d’Etat, renouveler aux yeux de la France étonnée l’humiliante et désastreuse opération de l’archevêque de Sens : ou la suspension des anticipations, qui fut la ressource de l’abbé Terray? Soit qu’on substitue totalement un nouveau papier à celui de la Caisse d’escompte, soit qu’on risque de le mettre en concurrence avec lui, on s’expose aux plus grands malheurs; et, au milieu des incertitudes qui nous agitent maintenant sur la vérification des états de recettes et de dépenses, sur l’examen des contrats originaires, vous ne pouvez pas encore établir une caisse nationale; vous compromettriez un établissement qui peut devenir si utile. L’Europe, qui nous contemple, n’exige pas de nous l’impossible : elle apprécie nos efforts ; elle sait qu’on ne peut conquérir la liberté qu’au milieu des résistances, que d’elles naissent et le discrédit et le resserrement du numéraire et qu’au milieu d’une foule de dangers il serait imprudent de trop ou trop tôt entreprendre. Sera-t-il plus défavorable à ses yeux de-débuter par le papier de la Caisse d’escompte, languissant pendant quelques mois, mais qui bientôt reprendra toute son activité, que de répandre sur-le-champ une grande masse de billets d’Etat, ou de papier-monnaie sans valeur spéciale, qui perdront sur la place dès leur naissance? C’est entre ces différents inconvénients qu’il faut opter; et le choix, selon moi, n’est pas difficile. Quand je me ferais illusion, en pensant qu'on pourrait par la suite, avec les billets actuels de la Caisse d’escompte, se procurer le signe dont nous avons besoin pour, avec l’hypothèque des biens du clergé, rembourser successivement les dettes les plus instantes, qui gênent notre marche, il n’en serait par moins vrai que la Caisse d’escompte, dont l’établissement est monté avec un ordre si recommandable, dont l’organisation est si heureusement combinée, dont les 100 millions de capitaux sont si bien connus, est maintenant la seule force active dans l’Etat sur laquelle nous puissions raisonnablement fonder nos espérances. Considérez combien peut influer sur l’opinion le nom d’un ministre justement estimé, combien les efforts réunis de tant d’actionnaires, combien leur intérêt même peut vous offrir de ressources ; et osez vous en priver dans un moment aussi critique I g Je ne sais par quelle fatalité les hommes, en I s’occupant de l’administration, sont aisément | séduits par les projets brillants qui tendent à une I destruction : je me suis toujours refusé au premier mouvement, qui souvent m’entraînait moi-même dans cette route; plus je médite à cet égard, plus je crois qu’il est raisonnable de perfectionner, au lieu de détruire. Je suis bien éloigné de vous détourner des grandes vues que vous a offertes votre comité des finances; mais, si vous êtes obligés, comme cela est vraisemblable, de différer les réformes qu’il vous propose, pensez sérieusement, Messieurs, au déficit de 1790; songez qu'une caisse nationale, chargée de payer l’intérêt de la dette reconnue, ne peut marcher étant vide; qu’elle le sera en 1790, parce que la plus grande partie des revenus de cette année est dévorée d’avance par les anticipations; que si vous suspendiez le payement de ces anticipations, ce serait une faillite réelle vis-à-vis des possesseurs de bonne foi, de ce genre d’effets, dont le remboursement n’est point de nature à être différé; que des suspensions de ce genre sont aussi désastreuses qu’humiliantes ; que vous n’avez point de valeurs actuelles et spéciales, et disponibles, pour fonder un papier-monnaie, et que cette ressource, dont le nom effraye d’avance, ne peut être employée dans les circonstances présentes. Je conclus donc à ce qu’il soit décrété : 1» que le papier de la Caisse d’escompte sera préféré à tout autre; 2° que le plan du premier ministre sera adopté, sauf quelques amendements. Mes amendements sont : 1° , que la Caisse d’escompte ne soit point dénommée banque nationale ; 2° qu’elle n’aura point un privilège exclusif. (22 orateurs ayant encore demandé la parole, la discussion est ajournée à demain.) M. le comte de Barbançon demande la permission de s’absenter pour 15 jours, à cause du mauvais état de sa santé; l’Assemblée y consent. L’heure de 2 heures devait amener la délibération sur le décret proposé par le comité des rapports, au sujet des subsistances et de la sortie des grains; mais la discussion des différents projets de finances ayant été prolongée jusqu’à 3 h. i/2, M. le président lève la séance, et indique celle de demain à 9 heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGEL1N, ARCHEVÊQUE D’AIX. Séance du samedi 5 décembre 1789, au matin (1). Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre, par laquelle M. le marquis deVitlette, président du club national, offre les boucles d’argent des membres de celte Société. Un commissaire, chargé de présenter ce don patriotique est autorisé à assister à la séance. M. Dubois de Crancé, Vun de MM. les secrétaires, donnelecturedu procès-verbal. M. le marquis de Foucault-Lardinalie pensequeiesopinionsysont un peu trop détaillées. M. Camus observe, d’autre part, que d’après (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.