SÉANCE DU 11 FRUCTIDOR AN II (28 AOÛT 1794) - N° 44 55 43 Sur la proposition d’un membre, la Convention nationale charge le comité des Décrets de rendre compte à la Convention de l’exécution de celui du 10 prairial, par lequel il a été décrété que les commissaires de la Convention rappelés par le comité de Salut public, qui ne seroient pas revenus dans la quinzaine de l’arrêté de rappel, seroient censés avoir abdiqué. Un membre propose que ce rappel n’ait lieu qu’à compter du jour du rappel connu par les membres rappelés. La Convention passe à l’ordre du jour, motivé sur le décret ci-dessus rappelé (90). 44 Tallien a la parole pour une motion d’ordre : il prononce un discours sur l’harmonie qui doit régner dans la Convention, sur la terreur qui a régné, etc., et présente un projet de décret. TALLIEN : L’organisation de vos comités est terminée; le gouvernement va reprendre sa marche; toutes les parties de l’administration publique, surveillées d’une manière plus active, vont enfin remettre à flot le vaisseau de l’Etat, si longtemps battu par toutes les factions. Mais nous ne devons, nous ne pouvons pas nous le dissimuler, l’ombre de Robespierre plane encore sur le sol de la République; les esprits si longtemps divisés, si violemment agités par le génie infernal de ce tyran de l’opinion, de cet ennemi déclaré de la liberté de son pays, ne sont point encore rapprochés, comme le désirent tous les bons citoyens. Quelques dissentimens sur l’adoption de quelques mesures, sur l’application actuelle de quelques principes, ont pu faire concevoir un instant d’espérance à nos ennemis communs. Il faut donc s’expliquer aujourd’hui avec franchise; il faut, dans cette enceinte où les complots liberticides de Capet et Robespierre ont été découverts et punis, déjouer aussi les projets de l’aristocratique malveillance; il faut, par une exposition loyale de nos sentimens, prouver à la France et à l’Europe entière que nous sommes dignes de représenter vingt-cinq millions d’hommes, et d’assurer leur bonheur après avoir établi et consolidé la liberté publique. Il faut surtout que l’on sache que la Convention nationale est fermement déterminée à soutenir le gouvernement révolutionnaire. Il faut enfin réduire au silence ces hommes pour lesquels diviser est un bonheur, et calomnier, un besoin. Il faut apprendre à ceux qui parlent d’un cinquième acte révolutionnaire, que la Convention nationale seule opérera ce dénouement, et (90) P.-V., XLIV, 205; Décret n° 10 611. Rapporteur : Goupilleau (de Fontenay), d’après C* II20, p.271. qu’il ne sera terrible que pour les mauvais citoyens, les intrigans et les fripons. Depuis la mémorable époque du 9 thermidor, la Convention nationale a beaucoup fait sans doute, mais il lui reste encore beaucoup à faire. Il est temps enfin que l’état d’oscillation dans lequel nous vivons depuis trois décades cesse; il est temps que nous nous occupions du bonheur public, et non de querelles particulières; il est temps que nous enlevions aux ennemis de la révolution leur dernier espoir, celui de détruire la représentation nationale. Je viens aujourd’hui à cette tribune vous apporter le résultat de mes réflexions. Puissent les principes que je vais développer, devenir le point de réunion de tous ceux qui m’entendent ! Puissions-nous dans cette séance, voir s’éteindre toutes les animosités, toutes les passions ! Puissent tous les sentimens, toutes les opinions venir se confondre dans l’unique amour du bien public et dans la stricte observation de nos devoirs. Le Peuple français appréhende que la Convention ne soit à la veille d’éprouver une nouvelle secousse, et ses débats me paroissent avoir tous les caractères qui ont toujours précédé celles qu’elle a essuyées : des causes secrètes se mêlent aux causes apparentes qui la préparent; les causes secrètes sont, d’un côté l’aversion et le ressentiment excités par les hommes qui ont partagé la tyrannie de Robespierre; de l’autre, l’aversion, la crainte ou l’envie, qui animent contre ceux que l’on sait disposés à combattre ses émules en tyrannie ou ses égaux en cruauté. Les causes évidentes de scission sont envenimées par les causes secrètes, et portent en elles-mêmes un principe de violente explosion; un simple dissentiment, s’il se prolongeoit, s’il se reproduisoit fréquemment, s’il travailloit sans cesse plus ou moins sourdement dans toutes les délibérations, suffiroit pour tout renverser, parce que, dans la république, toutes les têtes sont pour ainsi dire imprégnées de poudre, et que les moindres étincelles qui jette-roient à droite ou à gauche les discussions de la Convention, mettroient inévitablement le feu dans quelque partie de la république; qu’alors la Convention se trouveroit forcée de prononcer au gré des passions, des haines et des ressenti-mens; et pour cela, de frapper encore sur elle-même. Il est d’une souveraine importance de prévenir de tels événemens; le moyen d’y réussir est d’éclairer sans délai, mais d’éclairer à fond et solemnellement la question qui divise les esprits. L’on convient généralement qu’il faut un gouvernement révolutionnaire; on convient en même temps qu’on veut la liberté, qu’on veut la justice; mais on n’est pas d’accord sur la question de savoir ce qui est révolutionnaire sans être tyrannique, et terrible sans être injuste; tout consiste donc à déterminer nettement ce qu’on entend par gouvernement révolutionnaire. Loin de nous, dans cette discussion, tout ce qui tient aux individus. Il faut rappeler les principes, et les placer comme des jalons qui doivent diriger notre marche dans la route révolutionnaire que nous avons à parcourir.