68 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [16 novembre 1789.] M. Martineau. Le plan du comité présente de grands avantages, et est d’une exécution très-facile, tandis que celui que proposeM.PisonduGa-land est tout à fait inexécutable. Il ne faut pas compter sur la réunion des villages par la distribution des cures ; il est certain que cette réunion ne pourra être fort considérable, parce qu’on ne fera .pas faire une lieue aux habitants des campagnes pour aller à la messe. Considérons donc les choses dans l’état où elles sont actuellement. 11 y a des paroisses de dix, de huit et de cinq feux; leur donnera-t-on une députation directe, ou les privera-t-on de leurs droits ? M. Pison du Galand devrait répondre à ces questions. On parle de l’aristocratie des communautés; mais ne se ferait-elle pas également sentir dans les assemblées de district et de département? On objecte aussi l'éloignement où les villages se trouveraient du chef-lieu du canton : ce chef-lieu, placé au centre de quatre lieues carrées, sera à peine à une lieue ou à une lieu et demie du village qui se trouvera sur la lisière du canton : on faisait bien plus de chemin pour aller tirer à la milice. M. Destutt de Tracy. Vous craignez de donner lieu à l’aristocratie des grandes communautés, en leur adjoignant les petites pour l’élection *, mais en donnant une députation directe aux petites paroisses, on s’exposerait à l’aristocratie des personnes. Pour peu que le seigneur soit aimé, pour peu q_ue le curé soit digne de son caractère, quelle ne sera par leur influence ? On propose de réunir les paroisses trop petites : c’est former un canton, c’est revenir au plan du comité. On en objecte aussi la distance : qu’est-ce que l’inconvénient de faire faire à des campagnards une lieue ou une lieue et demie une fois dans deux ans, comparé à celui de livrer les élections des villages à la disposition du seigneur et et du curé ? M. Thibault, curé de Souppes. Le comité se propose sans doute de faire représenter toutes les municipalités; mais lors de la réunion des électeurs dans l’endroit le plus important du canton, ils seront corrompus par les riches habitants de cet endroit. D’autres personnes ont proposé de réunir les petites municipalités; si elles sont unies à de grandes paroisses, il résultera de cette union l’inconvénient qui a déjà été représenté; si elles doivent l’être à de petites communautés, il faudra souvent s’écarter à une distance considérable pour opérer cette réunion. M. Target. Nous sommes tous animés du même esprit ; la seule question est donc de savoir si les moyens sont appropriés au but que nous nous proposons également. Que voulons-nous?... ( L’Assemblée avait déjà témoigné le désir de terminer la discussion, ét l’on crie : Nous voulons aller aux voix 1 ) Le point qui nous occupe est de la plus haute importance pour le bonheur du royaume, je ne puis donc croire qu’on veuille aller si rapidement aux voix. Opérer une représentation libre, universelle, et qui ne soit le produit d’aucune influence étrangère, voilà notre objet. On propose de réunir les petites communautés ; mais qui ordonnera cette réunion ? Ce devrait être l’assemblée provinciale, et elle n’existera pas alors. M. Target représente ensuite quelques observations faites par les préopinants, et notamment celle de M. Destutt de Tracy sur l’influence individuelle, et conclut en faveur du plan du comité, par le moyen duquel il n’y a, dit-il, aucune influence à craindre, tandis qu’on les craindrait toutes en adoptant les autres plans proposés. M. Gaultier de Biauzat. Le plan du comité est inutile, dangereux et impraticable. En divisant les districts en six cantons, chaque canton serait composé de six mille personnes, et pourrait députer directement au district. L’influence du curé, du seigneur, et les intrigues du brouillon du village suivraient aisément les votants à rassemblée du canton; il n’en sera pas de même pour celle du district ; la réunion d’un grand nombre de citoyens actifs anéantirait cette influence. On demande qui est-ce qui ordonnera la jonction des communautés? Cette réunion se fera d’elle-même. Une petite paroisse se confondra avec la paroisse voisine: et quoiqu’on affecte de ne pas prendre en considération l’objection de la distance du village au chef-lieu, je ne puis m’empêcher de la trouver très -raisonnable. M. Prieur. Vous n’êtes pas venus ici pour épargner quelques pas aux habitants de la campagne, mais pour assurer leur liberté ; établissez des cantons, si vous voulez avoir, par la suite, une représentation digne des grandes destinées de la nation. M. Dubois de Crancé. Il me paraît très-inutile de défendre le plan du comité. Si vous adoptiez celui de M. Pison du Galand, autant vaudrait décréter que vous n’admettez pour électeurs et pour éligibles que le curé, le seigneur et l’homme d’affaires. M. le duc de Ta Rochefoucauld appuie, ainsi que le préopinant, l’observation de M. Destutt de Tracy, qu’il regarde comme très-importante. M. le Président ayant exposé les diverses motions et établi la priorité des articles proposés par le comité, l’Assemblée a décrété successivement les articles suivants : 1° Chaque district sera partagé en divisions, appelées cantons, d’environ quatre lieues carrées, lieues communes de France; 2° Que dans tout canton il y aura au moins une assemblée primaire ; 3° Que lorsque le nombre des citoyens actifs d’un canton ne s’élèvera pas à 900, il n’y aura qu’une assemblée dans ce canton; mais, quand il s’élèvera au nombre de 900, il s’en formera deux de 450 chacune au moins ; 4° Chaque assemblée tendra toujours à se former, autant qu’il sera possible, au nombre de 600, qui sera le taux moyen, de telle sorte néanmoins que s’il y a plusieurs assemblées dans un canton, la moins nombreuse soit au moins de 450. Ainsi, au delà de 900, mais avant 1,050, il ne pourra y avoir une assemblée complète de 600, puisque la seconde aurait moins de 450; de ce nombre 1,050, et au delà, la première assemblée sera de 600, et la dernière de 450 au plus. Si le nombre s’élève à 1,400, il n’y en aura que deux, une de 600 et de l’autre de 800; mais à 1,500, il s’en formera une de 600 et deux de 450, et ainsi de suite, suivant le nombre des citoyens actifs de chaque canton. On propose de délibérer sur l’article suivant : « Chaque assemblée primaire députera au dis- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre 1789.] 00 trict à raison d’un membre sur deux cents votants. » M. Barnave. Il faut renvoyer la décision de cet article au moment où vous aurez réglé les degrés d’élection. On n’explique pas d’ailleurs si les mêmes électeurs nommeront pour les assemblées de district, pour celles de département, et pour l’Assemblée nationale, et s’ils seront en même nombre pour chacune de ces élections. J’observerai, en passant, qu’un seul électeur sur deux cents votants restreindrait beaucoup trop l’assemblée chargée d’élire. M. Dupont adopte l’avis de M. Barnave, et demande qu’en délibérant sur cet article on prenne en considération la motion qu’il fera, de proportionner le nombre des électeurs à celui des familles. On fait lecture d’un autre article ainsi conçu : « Les députés seront nommés directement par les électeurs, qui se réuniront au chef-lieu de chaque département. » On fait plusieurs observations sur cet article, et on propose de remplacer le mot département par celui district. M. Démeunier. Avant de délibérer sur cet article, qui présente une question très-importante et très-compliquée, il faut décider : Premièrement, s’il y aura deux degrés intermédiaires, c’est-à-dire si les électeurs nommeront directement les députés à l’Assemblée nationale et aux assemblées administratives. Secondement, s’il convient d’adopter les trois bases combinées de représentation. L’Assemblée décrète : Qu’il n’y aura qu’un degré intermédiaire d’élection entre les assemblées primaires et les assemblées nationale et administratives. M. le Président. L’Assemblée va passer maintenant à son ordre du jour de 2 heures, c’est-à-dire à l'audition de quelques rapports. M. I�a Poule, député de Besançon. Je dénonce à l’Assemblée nationale qu’il se fait une exportation considérable des grains de Franche-Comté pour la Suisse et que les Suisses donnent un sou de prime par setier. La ville de Besançon a envoyé des députés pour dénoncer cet abus et offrir un projet d’arrêté. L’arrêté ayant été lu a été mis aux voix et décrété ainsi qu’il suit : L’Assemblée nationale, persistant dans ses décrets des 29 août, 18 septembre et 5 octobre dernier, concernant la libre circulation des grains et farines dans l’intérieur du royaume, et la défense d’en exporter hors du royaume, a décrété et décrète ; Que dans les cas où il. y aura lieu à la confiscation portée par l’article IV de son décret du 18 septembre, des grains et farines saisis en contravention, le produit de la confiscation appartiendra, pour les deux tiers, à ceux qui auront fait la saisie et la dénonciation, ou à ceux qui auront saisi et arrêté les grains et farines, s’il n’y a point de dénonciateur, les frais de saisie et vente prélevés ; le surplus sera appliqué au profit des hôpitaux ou des pauvres des lieux où la saisie aura été faite. L’Assemblée a statué de plus que le Roi sera instamment supplié d’envoyer le présent décret à tous les tribunaux, municipalités et corps administratifs du royaume, pour être inscrit, publié et affiché, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour en assurer la pleine et entière exécution. M. Blin a rendu compte de quelques empêchements mis à la libre circulation des grains achetés par la ville de Nantes ; mais il a été observé que l’affaire était arrangée. M. Milscent, membre du comité de judicature, a demandé qu’attendu la suppression prononcée de la vénalité des offices, on ne scellât plus de provisions, sauf au garde des sceaux à donner provisoirement des commissions, et que les titulaires actuels ne soient plus soumis au payement du centième denier : il a proposé , au nom du comité de judicature, un modèle d’arrêté qui a été décrété en ces termes : L'Assemblée nationale, considérant que, d’après la suppression de la vénalité des offices de judicature, qu’elle a prononcée par son décret du 4 août, toute résignation ou traité des offices de judicature ne doivent être regardés que comme un simple transport ou cession de la finance , sur lequel il ne peut être accordé aucunes provisions; Considérant en outre qu’il serait contraire aux règles de la justice de laisser les titulaires ou propriétaires de la finance desdits offices de judicature assujettis plus longtemps aux droits de mutation ou de centième denier, puisque ces droits n’ont été introduits qu’en considération de la transmissibilité, laquelle n’existe plus ; Ouï le rapport du comité de judicature, a décrété et décrète ce qui suit : Art. premier. A compter du jour de la promulgation du présent décret, il ne sera plus expédié ni scellé aucunes provisions sur résignation, vente ou autre genre de vacance des offices de judicature compris au décret du 4 août, sauf à être provisoirement expédié des commissions pour l’exercice des fonctions de magistrature, et ce, dans le cas de nécessité seulement. Art. 2. 11 ne sera plus payé aucun droit de mutation, d’annuel ou centième denier pour raison desdits offices de judicature. Art. 3. Les offices dépendant des apanages des princes sont compris dans le présent décret. M. le baron de Wiinpfen expose la situation inquiétante dans laquelle se trouve la ville de Caen, par l'administration vicieuse d’un comité permanent, la désunion des milices nationales, l’indiscipline des troupes réglées , la désertion des juges, et le défaut de publication de plusieurs décrets importants. L’Assemblée renvoie cette affaire au comité des rapports, pour le rapport en être fait jeudi. M. le Président fait lecture d’une lettre écrite par M. le garde des sceaux, pour accompagner l’envoi d’un arrêt du conseil, par lequel le Roi casse un arrêt du parlement de Metz ;