[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1790.] 685 «Quand on achète une marchandise, on échange contre elle ses écus, qui sout aussi une sorte de marchandise. « En tout échange de deux marchandises, l’une contre l’autre, s’il s’en présente beaucoup de l’une au marché sans qu’il y en ait davantage de l’autre, ceux qui veulent se défaire de la marchandise surabondante en donnent une plus grande quantité. « ün dit que les assignats vaudront l’argent et serviront au�si bien que l’argent: si cela est, comme il n’y aura pas plus ne pain, ni plus de vin qu’auparavant, ceux qui voudront avoir du pain ou du vin avec des assignats ou avec de l’argent seront donc obligés de donner plus d’assignats ou plus d’argent pour la même quantité de pain et de vin. < On veut mettre autant d’assignats qu’il y a déjà d'argent dans le royaume, c’est donc comme si l’on doublait la quantité de l’argent. » Mais s’il y avait le double d’argent, il faudrait acheter les marchandises le double plus cher, comme il arrive en Angleterre, où il y a beaucoup d’argent et de papier, et où une paire de souliers coûte 12 francs. « Ceux qui proposent de faire pour deux milliards d’assignats, et qui font leurs embarras comme s’ils étaient de bons citoyens, ont donc pour ob,et de faire monter le paiu de quatre livres à vingt sous, la bouteille de vin commun à seize, la vian ie à dix-huit sous la livre, les souliers à douze francs. « Ils disentque cela n’arrivera pas, parce qu’avec les assignats on achètera des biens du ciergé : mais ils attiapent le peuple, car les biens du clergé ne pourront pas être vendus tous au même moment et du jour au lendemain. » Quand on veut acheter un bien, on visite les bâtiments, les bois, les prés, on examine si les vignes sont vieilles ou jeunes; on en voit plusieurs pour savoir celui qui convient le mieux; pendant qu’on prend toutes ces précautions très sages, le temps coule. « Les assignats resteront donc assez longtemps sur la place et dans le commerce. « Geux qui les auront en feront usage pour leurs affaires ; et comme ils seront en grand nombre, ils seront obliges de donner beaucoup d’argmit, pour ce qu’ils voudront acheter. « Pendant tout ce temps-là, toutes les marchandises à l’usage du peuple, et surtout le pain qui est la marchandise la plus générale et la plus utile, se vendront le double, et il se fera de buus coups aux dépens des citoyens. « Il n’en serait pas de même, si au lieu des assignats ou ne donnaitquedesquiuances de finance. « Car Ce s quittances de finance ne pouvant servir que pour acheter les biens du clergé, elles ne viendraient pas troubler le commerce du pain et du vin, ni déranger tous les prix des marchandises. « Cependant les biens du clergé ne s’en vendraient pas moins, puisqu’il y aurait pour les payer précisément la même somme en quittances de finance que l’on veut donner en assignats. « Mais les quittances de finance seront libres ; on ne pourra pas forcer le pauvre peuple de les prendre eu payement; elles ne circuleront qu’entre ies gros créanciers du gouvernement et le Trésor national qui vend les biens du clergé : aucune denrée n’augmentera de prix. Ainsi les assignats sont bons pou?' les gens riches, qui ont beaucoup de dettes à payer au pauvre peuple, qui voudraient bien lui donner du papier, tel quel, au lieud’écus, et qui voudraient bien encore lui vendre leur blé et leur vin, le double de ce qu’ils valent. « Les quittances de finance, au contraire, sont bonnes pour toute LA nation, qui ne payera ses subsistances qu’au même prix, qui recevra ses salaires en argent, comme par le passé, et qui n’en vendra pas moins ses biens du clergé, pour les quittances de finance qu’elle aura données à ses créanciers. « Voilà ce dont un véritable ami du peuple se croit, en conscience, obligé de l’avertir. » ( Quelques membres du côté droit applaudissent.) M. Dupont (de Nemours). L’Assemblée peut voir que cette brochure n’a d’autre objet que de balancer l’effet des motions incendiaires contre ceux qui voudront faire connaître au peuple que l’émission proposée pourrait causer les plus grands malheurs, serait complètement inutile à la vente des biens nationaux, et nuirait au commerce et à l’agriculture. Je déclare que je suis le citoyen qui ai fait cette brochure. (Le côte droit applaudit.) Je n’ai pas voulu mettre mon nom à cette brochure, parce que je craignais, comme député, de lui donner trop d’influence, et j’ai mis le titre û’Ami du peuple, parce que je me crois digne de le porter. S’il s’agissait d’une opinion prise par l’Assemblée nationale, tout citoyen devrait s’interdire le plus léger commentaire. Tous les Français ne doivent parler des décisions de l’Assemblée qu'avec respect. Il y a plusieurs mois que vous avez décrété l’émission de 400 millions d’assignats; je m’étais opposé à la proposition qui vous en avait été faite; j’avais fait imprimer mon opinion. Le décret a été rendu avant que je l’eusse publiée, et je n’en ai pas donné un seul exemplaire, et l’édition entière m’est restée; mais dans le moment où l’on soulève le peuple, il m’a paru important de jeter quelque lumière sur son plus grand intérêt (il s’élève des murmures) ; il m’a paru que je faisais un acte debon citoyen, que ce n’était point abuser de la liberté de la presse, que de prévenir le peuple par des raisons sensibles, par des vérités claires et mises à sa portée sur un projet qui me semble si désastreux pour le peuple, pour l’agriculture et pour le commerce. Si l’on me croit coupable, je me soumets à la peiné que l’Assemblée voudra m’infliger; je me soumets à la poursuite par devant les tribunaux ( les murmures continuent). Je dois déclarer, et je déclare que, par les gens qui font leurs embarras, et que j’appelle mauvais citoyens , je n’entends que ces faux amis du peuple qui distribuent de l’argent, et qui, par des motions, dans les promenades publiques, ne cherchent qu’à égarer le peuple, qu’à le tromper sur ses véritables intérêts. ( Les murmures d’une partie de V Assemblée augmentent.) La partie gauche demande qu’on passe à l’ordre du jour. Lu partie droite vote des remerciements à M. Dupont. Après quelque temps d’une insistance tumultueuse sur l’une et l’autre proposition, l’Assemblée décide, à une très grande majorité, de passer à l’ordre du jour. (La S'éance est levée à trois heures.)