529 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 avril 1790.] vrai, comme on l’a prétendu, que détruire le privilège de la compagnie des Indes, c’est attenter à la propriété. La même raison qui vous a fait supprimer les droits féodaux qui n’avaient pas pour titre la concession primitive d’un fonds, peut aujourd’hui déterminer votre jugement. M. l’abbé Maury vous a soutenu que le commerce de l’Inde était nuisible à l’Etat, et il a conclu de là qu’il devait être livré à des particuliers. Je dis d’abord que je ne connais de commerce nuisible que celui qui arrête l’industrie; que si nous n’allions pas chercher nous-memes les marchandises de l’Inde qui nous sont devenues indispensables, nous serions obligés de les tirer de l’Angleterre ou de la Hollande, ce qui serait beaucoup plus dispendieux; mais même en supposant, avec M. l’abbé Maury, que ce commerce est pernicieux pour l’Etat, je n’en conclurais pas comme lui qu’il fallût le livrer exclusivement à une compagnie, car une compagnie peut, après avoir quelque temps couvert ses pertes et ses revers, finir par entraîner l’épuisement, non pas des administrateurs, qui ne manquent jamais de s’enrichir, mais des actionnaires, qui ne connaissent pas les mystères de l’opération. A l’époque du rétablissement de la compagnie des Indes, la province du Languedoc ne cessa de réclamer ; elle ne fut point écoutée. Et pouvait-elle l’être par M. de Galonné, justement soupçonné d’avoir vendu le privilège? Cette opération préjudiciable à tout le commerce du royaume, a privé le Languedoc de la vente de huit millions de pièces de draps, ce qui équivaut à peu près à la valeur de deux millions de numéraire effectif. — Ce n’est pas, sans doute, une liberté purement morale et contemplative qu’on a voulu donner aux citoyens actifs : permettrez-vous qu’il existe des corporations despotiques qui condamnent l’industrie nationale à une espèce de paralysie ? Je conclus, comme le comité, à la révocation du privilège de la compagnie des Indes ; mais je rejette l’article qui indique le seul port de Lorient pour le retour et le désarmement des vaisseaux qui feraient le commerce de l’Inde, attendu que je suis expressément chargé par mes commettants de demander la suppression des privilèges de tous les ports du royaume. M. llalouet. De toutes les opinions qui se sont développées, celle de l’ajournement me paraît la plus fortement appuyée. Nous ignorons l’état actuel de nos relations politiques dans l’Inde, et il s’est élevé dans cette contrée une grande puissance qui a recherché notre alliance par ses ambassadeurs. On voit bien que c’est de Tippoo-Saïb que je veux parler. Depuis que nous sommes dans l’impossibilité de défendre nos comptoirs, nous sommes réduits à la nécessité de les mettre sous la sauvegarde de ce souverain. Si, pendant que nous retirons nos troupes, la compagnie est forcée de ramener tout à coup ses magasins, elle cherchera probablement à faire des établissements dans les Etats de Tippoo-Saïb, et alors ne sera-t-il pas tenté de croire que, de gré ou de force, nous renonçons au commerce de l’Inde? Dans ce moment-ci, nous ne devons, je crois, ni défendre la compagnie, ni provoquer les entreprises particulières de nos armateurs. Mon avis serait que, pour satisfaire en même temps aux réclamations de tous les négociants, et pour préparer une révolution utile dans le commerce de l’Inde, nous décidassions que la navigation de la mer Rouge sera ouverte à. tous les négociants du royaume; le passage de l’isthme de Suez sera Série, T. XII. retranché du privilège exclusif de la compagnie des Indes; et que les marchandises introduites par cette voie seront soumises au droit d’induit, dont on emploierait le produit à l’encouragement de nos manufactures. Je propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d’agriculture et de commerce, et les observations contradictoires pour et contre la révocation du privilège exclusif de la compagnie des Indes, ajourne la décision de celte question au fond à la prochaine législature; et néanmoins ayant égard aux réclamations des commerçants du royaume, en ce qui peut s’unir aux intérêts politiques de la nation, l’Assemblée nationale décrète provisoirement: « 1° Que la navigation dans la mer Rouge, le golfe Persique par Bassora et Alep, et le libre transport des marchandises de l’Inde par l’isthme de Suez, seront dès à présent retranchés du privilège exclusif de la compagnie des Indes ; « 2° Que les marchandises introduites en France par cette voie, et celles qui arriveront à Lorient sur les vaisseaux de la compagnie, seront désormais soumises au droit d’induit ; « 3° Que l’exemption des droits de traite pour la compagnie cessera à compter du 1er mai prochain ; « 4° Que le produit entier du droit d’induit sera employé en primes d’encouragement pour la fabrication et l’exportation des toiles de coton peintes ou non peintes, provenant des manufactures nationales ; « 5° Que le roi sera supplié de faire solliciter par son ambassadeur à la Porte la protection du Grand Seigneur pour le commerce par caravanes que voudraient entreprendre les négociants français par l’isthme de Suez et la mer Rouge. » M. Guinebaud de Saint-Mesme, député de Nantes. La demande de la suppression du privilège est celle du commerce de toute la France ; c’est elle qui veut rentrer dans ses droits violés par des particuliers qui ont eu, sous l’empire du despotisme ministériel, le crédit de se faire concéder gratuitement à eux seuls le droit qui appartient également à tous les citoyens ; etaujourd'hui on ne rougit pas, devant les pères de la liberté, d’appeler propriété l’usurpation du bien public et du droit naturel du commerce qui n’a pu être enlevé à la nation. En 1785, non seulement on n’a pas consulté les villes de commerce, mais elles n’ont cessé de réclamer contre la concession du monopole des Indes. J’ai un mandat exprès de la sénéchaussée de Nantes et c’est le vœu unanime de toutes les villes de commerce. D’ailleurs, les habitants des îles de France et de Bourbon sont Français, ils sont frères ainsi que les habitants aban donnés de Pondichéry. Je vous demande pour eux la liberté du commerce. On la promet aux habitants de l’île de France dans l’Inde et on leur défend la Chine. On permet aussi aux armateurs français d’aller à l’île de France, mais aux négociants de cette île et aux négociants deFrance, la compagnie ne permet pas d’apporter librement en Europe d’autres fruits de leur commerce que ceux du cru des îles de France et de Bourbon, ce qui réduit le commerce aux besoins des colons. La nature les a placés cependant pour faire de i’île de France l’entrepôt de tout le commerce des Indes, ainsi que l’avait conçu le fameux La Bour-donnaye ; et nous, après avoir brisé nos fers, nous laisserions nos frères gémir sous le poids de la tyrannie d’un privilège auquel ils n’ont pas 34