gog (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (31 janvier 1791.) ateliers de secours sera également répartie dans les départements, au titre des conditions prescrites dans l’article Y du titre 1er. Art. 4. Il sera réservé une somme de 5 millions, pour faire face aux dépenses générales, traitements des commissaires du roi, frais de transportation et secours extraordinaires à verser dans les départements dans les moments calamiteux. La distribution des secours extraordinaires sera faite ainsi qu’il est expliqué à l’article VII du titre 1er. Art. 5. Les directoires des départements adresseront, dans les 10 premiers jours de chaque mois, au ministre des finances un bref état de la dépense des secours publics, et de celles relatives à la mendicité. Art. 6. Le roi fera connaître à chaque législature, et dans les premières de ses séances, les comptes des différents directoires, et l’instruira des travaux qu’ils ont opérés avec les ateliers de secours, de l’état des hôpitaux, hospices, maisons de répression, et de tout ce qui a rapport aux dépenses de la mendicité. Le compte de chaque département sera rendu public par la voie de l’impression. Art. 7. La somme de 50 millions, décrétée dans le premier article, n’aura lieu que pendant chacune des 2 années de la prochaine législature. Art. 8. Chaque législature nouvelle, sur le compte qu’elle se fera rendre de la situation des divers départements, de leur besoin, votera la somme qu’elle jugera nécessaire pour la dépense des secours et de la mendicité. QUATRIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 JANVIER 1791. Mémoire sur la. mendicité, présenté à V Assemblée nationale, par M. Papion le jeune. (Imprimé par ordre de i’Assemblée nationale.) Messieurs, c’est chez un peuple libre qu’il est question de la mendicité; elle doit disparaître de toute la surface de l’Empire. Si le vagabondage s’est accru d’une manière effrayante, dès que l’absence des sangsues publiques a laissé à découvert toute l’indigence des peuples; si des mendiants étrangers ont inondé la capitale et le royaume ; si la corruption, nourrie de l’espérance des troubles, a détaché de tous les métiers une multitude d’ouvriers qui ont cru trouver, même dans une dissolution effrénée, une diversion à leur misère ; si à cet amas de maux, l’examen des maisons de charité et des hôpitaux n’a joint lui-même qu’un spectacle de barbarie et de mort, vous n’en rassemblerez que plus de courage et de moyens, afin de réparer tant de malheurs. L’Assemblée nationale a rejeté avec horreur les expédients d’une police abominable, qui ne consistaient qu’à détruire les mendiants et à laisser durer la misère ; elle a vu dans la mendicité un objet essentiel de législation, elle a conçu que, dénonciatrice des calamités générales, ôn devait y reconnaître la faute et le relâchement des mœurs et des lois distributives; tous les maux qui assaillissent l’humanité, toutes les situations misérables par où l’homme doit successivement passer, lui ont paru mériter un égal intérêt et chacune une prévoyance particulière; cette liste fatale à la main, elle doit chercher à les prévenir dans leurs sources, dans nos foyers, dans les hôpitaux, dans les prisons; d’un même sentiment de compassion, embrasser toutes ces classes de malheureux, aborder tous ces lits de misère; et il me semble qu'elle ne peut, même en ce moment, porter des secours provisoires, sans traiter cette question dans sa généralité. Nous vous aiderons. Et pour quel être pensant la mendicité n’a-t-elle pas été un profond sujet de méditation ? Est-il aucun de nous qui, à la vue des misérables, justifiant la dureté de ses refus, par l’insuffi-ance de son aumône, n’ait pris au moins un formel engagement avec lui-même, d’attaquer, à la première occasion, cet opprobre des sociétés? Ainsi donc, nous sommes, nous devons tous être préparés sur celte importante matière, dont tous les jours de notre vie furent témoins. La Déclaration des droits, en proclamant la sainte égalité, a rendu ces devoirs plus prochains et plus sensibles; la dignité restituée d’homme libre, en rapprochant de nous les malheureux, nous avertira mieux de leurs souffrances, et nos soins seront plus efficaces lorsqu’ils répareront à la fois la misère et l’avilissement. Avant tout, il n’est pas hors de propos de convenir du principe qui doit nous guider. L’humanité consiste à rendre à l’homme ce qui manque essentiellement à son existence, la faculté de vivre avec la condition du travail, à lui donner, non la vie pour un jour, mais ses forces pour l’avenir, et lui ôter véritablement sa misère et non à la prolonger en le trompant par une aumône dont le besoin n’a pas de terme. Tant que vous ne délivrerez pas le pauvre de cette dépendance horrible de ne vivre que de l’aride pitié des hommes, vous ne lui avez rien donné; c'est, au contraire, le tromper, le retenir pour toujours dépourvu, le traîner dans l’ignominie; et, à cet égard, l’aumône est très positivement pour les pauvres ce que serait pour les malades un hôpital où on les recevrait, sans leur administrer de remèdes. Il importe donc infiniment de détruire cette première erreur sur la fausse compassion, et de se pénétrer dans cette maxime que : véritablement la charité n'existe pas où la mendicité est une profession. Mémoire sur la mendicité. J’ai lu avec attention les rapports du comité de mendicité; peut-être ne sont-ils pas assez connus, car on fuit trop généralement cette austère instruction, et les meilleurs ouvrages sur cette matière restent ignorés, comme si tout ce qui a trait au soulagement des misérables devait être marqué de négligence et d’oubli. Cependant aux divisions que le comité a adoptées, à ses projets de décrets, à ses diverses recherches et conceptions, je crains qu’il ne manque encore quelques éléments et une analyse mieux approfondie, et il me semble que les mesures quvil propose pourraient nous jeter encore loin du but : c’est ce qu’il importe surtout d’éviter aujourd’hui. Songez que ce que vous ferez dans la circonstance présente sera la règle de tous les temps. La proportion des pauvres, des ouvriers sans ouvrage, des vagabonds est immense, et votre tâche est plus grande aujourd’hui qu’elle [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.] g 29 ne le sera à l’avenir. Au milieu de tant de calamités, ce nombre prodigieux de misérables, cette masse aigrie et corrompue, est, n’en doutez pas, une déposition contre l’ancien régime, et non une calomnie contre la Révolution. Nos spoliateurs, en fuyant, ont beau nous invectiver, nous réparerons les maux qu’ils ont faits; l’indigence est une des entraves dont il fallait affranchir la nation la plus industrieuse; et nous devons regarder cet immense soulagement comme une partie des dettes énormes que les anciennes dissolutions nous ont laissé à acquitter. Les premières bases du comité sont fondées sur des observations très multipliées, qui font connaître le nombre d’individus à secourir. Ce nombre paraît pouvoir monter à 1 million. Il en a évalué la dépense annuelle à 50 millions, à peu près, et a proposé des règlements de distributions, le tout motivé et semé de réflexions morales (1). Le nombre des pauvres déclarés, variable selon une foule de circonstances, paraît avoir cependant une étendue assez déterminée, comprise entre des limites regardées comme constantes; on a cru pouvoir s’arrêter à ce résultat, que la plus forte proportion des pauvres est un dixième de la population, et la plus faible un vingtième; que le nombre des malades ou infirmes, sur cette première détermination, est encore un dixième du nombre des pauvres au plus, et un vingtième ou vingt-cinquième au moins; ce qui fait varier le nombre des pauvres à secourir du dixième au vingtième de la population, et le nombre des infirmes ou malades, du centième au cinq centième; termes trop éloignés pour qu’oo puisse en obtenir une estimation assez précise pour les dépenses; l’on peut d’autant moins se fier à ces sortes d’interpellations, qu’en des pays moins riches, et par conséquent moins couverts d’asiles hospitaliers, le nombre des pauvres n’a paru monter qu’à un quarantième ou cinquantième de la population ; (1) 50,000 malades habituellement, à raison de 12 à 15 sols par jour, toutes dépenses de traitements et de médecins comprises, ce qui monte de 200 à 250 livres par malade, et pour l’année, ce secours est évalué à ................................. 12,000,000 liv. 500,000 infirmes, pauvres, enfants et vieillards, à 50 ou 60 livres, estimation commune par individu. Cet article ............................. 27,500,000 Ateliers publics pour le travail des valides ............................ 5,000,000 Maison de force et de correction... 3,000,000 Fonds pour la caisse de réserve, et frais d’administration ............. . 4,000,000 51,500,000 liv. Cette première estimation générale prise sur l’élat des choses, dans les derniers temps, ne peut être bien exacte, et cette première disposition souffrira quelques chan-ements. Par exemple, les dépenses pour les maisons e force et de correction ne ressembleront en rien aces infâmes prisons, où l’on entassait les mendiants, et qui coûtaient 1,500,000 livres par an ; cependant c'est sur cette donnée de 1,500,000 livres que le comité,- regardant cette dépense comme ne devant pas exiger une grande augmentation, ne la porte pour l’avenir qu’à 3,000,000 livres. Je ne sais à quelle somme un bon système, dans cette partie, pourra en faire monter les frais; mais nous avons sous les yeux que les maisons de correction et de travail en Angleterre coûtent annuellement 20 millions et c’est là, des dépenses pour les pauvres, la mieux employée. tandis qu’il s’élève, dans les pays les plus opulents, à un vingtième. En Angleterre, on compte d'un seizième à un vingtième le nombre des pauvres secourus, et estimant à la moitié de ce nombre celui des pauvres non secourus, ou qui le sont occasionnellement par des particuliers, le total des pauvres y monterait à un douzième de la population ; quelques observateurs anglais l’ont même porté plus haut. Il y a d’ailleurs une grande inexactitude à compter tel nombre de malades ou d’iulirmes à secourir sur tel nombre de pauvres ; car les maladies étant la cause la plus commune qui fasse passer les individus des classes laborieuses à la dernière indigence, les maladies précèdent au contraire l’état de mendicité. Une observation plus élémentaire et plus utile a fait trouver assez régulièrement le nombre des pauvres déclarés au dehors des asiles, égal au nombre des pauvres reçus au dedans ; observation vérifiée chez diverses nations et dans différentes villes, et de laquelle on doit conclure simplement que le nombre de pauvres ne dépend pas d’une loi de quantité sur la population, mais de la quantité des places d’admission dans les hôpitaux, et des secours plus ou moins abondants qui y sont distribués; on doit en conclure encore le nombre des pauvres hospitalisés ou mendiants, ne nous indique pas celui des malheureux dont les besoins extrêmes ont droit d’émouvoir la commisération publique (1). La plus grande partie de la misère reste toujours cachée; vous ne connaissez guère que celle qui vous importune; et jusqu’à présent vous n’avez aperçu que la mendicité. Cette manière de poser une aussi grande question ne me paraît pas y répandre assez de lumières. Ne considérez donc plus la mendicité que comme une émanation, un symptôme d’une misère plus grave qui pèse sur la majeure partie des peuples, misère non manifestée par des clameurs et des persécutions, mais intiuiment plus cruelle. Or, ce sont toutes ces familles, tous ces malheureux à peine nourris et vêtus, mais qui ne mendient pas; tous ces journaliers accablés et abrutis par le dénuement le plus cruel; c’est cette multitude que vous ne comptez pas dans la mendicité, etbien plus recommandables cependant que ceux pour qui l’on s’est tant occupé de secours, que je vous présente, Messieurs, comme le digne objet de votre application. Nous nous croyons trop légèrement quittes envers eux, parce que la pudeur les écarte de nous ; la misère est humble, la mendicité est impudente, et cette dernière se venge toujours de son abjection par son penchant à nuire. Je ne crois pas iautile de marquer très fortement cette distinction de la misère d'avec la mendicité, distinction trop négligée en toutes circonstances. Dans ces derniers temps, vous avez beaucoup fait pour votre repos , de nourrir (1) Le comité regarde les mendiants comme la centième partie des pauvres, ce qui se présenterait comme une loi direct© de quantité sur les pauvres ; cela ne peut être ainsi; car le nombre des pauvres au dehors étant observé égal à celui des pauvres reçus au dedans des asiles hospitaliers, le nombre des pauvres admis Îiourrait varier selon la quantité d’établissements, et erait varier également celui des mendiants, sans que le nombre total des pauvres variât, au contraire même, le nombre des secours croissant, ferait croître immédiatement celui des pauvres déclarés au dehors ou mendiants, et diminuerait cependant la somme de la misère publique, et le nombre de� misérables. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3i janvier 17&1.) 630 & sgemblée nationale.) 30,000 vagabonds menaçants; mais pour 4 millions d’ouvriers paisibles et sans pain, qu’avez-vous fait (1)? Cette misère antérieure à toute mendicité, cette maladie interne et aieruë, saisit les peuples d’uni* manière bien plus funeste. Quand la population diminue, ce ne peut être que par un effort violent; et voilà strictement la mesure vraie et effrayante des effets de cette misère, sur laquelle il est temps de porter vos regards. Je l’aftirme, je l’ai vu : j’ai vu s’éteindre des multitudes d’ouvriers dans ces crises douloureuses qu’on ne soupçonnait seulement p s ; j’ai vu des familles entières dans un état de pauvreté et d’abandon tel, qu’il leur était impossible de passer d’un salaire in-uffisant à une profession qui pût les faire vivre; il y a une chaîne de circonstances, d'habitudes, d’oppression, qui fait de leur état abject, le seul état de ces misérables, et dont ils ne peuvent sortir. Je leur ai fait, au moins au fond de mon cœur, le serment de garder ce tableau toute ma vie, d’en prendre la cause dès que j’en trouverais l’occasion. Je bénis cette époque, qui fait rentrer dans l’espèce humaine des hommes que le malheur abrutissait, et dans qui, malgré les dernières extrémités, la rudesse, l’isolement de toutes jouissances, je découvrais une bonté, une piété mutuelle, un fond de mœurs et de probité qui, dans ce cas, il faut l’avouer, sont, non pas de la société, mais de l’homme. Ne regardez pas, Messieurs, cette analyse de faits comme superflue; ce n’est pas trop d’un quart d’heure de recueillement, contre des siècles d’erreur et de barbarie. Si l’on voulait se renfermer dans l’argument ordinaire des administrateurs, dansce principe austère et froid sur la mendicité, savoir que, « l’im-« prévoyance, les vices, les accidents particuliers « doivent nécessairement, comme l’arrière-faix « de l’ordre social, répandre un nombre queleon-« que de misérables mendiants; que par une con-« séquence éternelle, toute société, par cela même « qu’elle se maintient dans l’ordre le plus sévère, « renferme, à l’une de ses extrémités, une indi-« geuce, une mendicité inextirpable, derniers « résidus dont le déplorable abandon môme et la « douloureuse anxiété restent exposés comme « des avertissements contre la nonchalance et « les fautes, ainsi que les supplices contre les « crimes »; alors il serait inutile d’eritamer la discussion, et il suffirait de se reportera tous les règlements dictés pour la sécurité des riches, alors, dis-je, on remettrait en vigueur les galères, les flétrissures, un fer rouge sur le front, les prisons, la potence même, car voilà à peu près, jusqu’à présent, tous nos règlements sur cet objet (2). Mais si vous voulez êtreconséquents et humains, il faut vous assurer si, par injustice, négligence ou oppression, vous n’avez pas vous-mêmes accru la mendicité. Vous ne pouvez sévir avant d’avoir pratiqué la bienfaisance, et c'est le devoir rempli qui vous donnera le droit de la rigueur. Là il faut (1) Voyez Adresse sur les moyens de prospérité du commerce et sur les secours à lui donner , du meme auteur. (2) Loi en 1524 qui marque les mendiants d’un fer chaud; loi en 1332 qui ordonne qu’on les enchaîne deux à deux; en 1335 qui condamne à être pendus ceux qui ne sortiront pas de Paris; cette étrange jurisprudence remise en vigueur en 1543 et 1347 ; en 1366, la peine des galères à perpétuité pour les hommes, et celle du fouet pour les femmes, renouvelée ; les mêmes peines renouvelées encore depuis, entre autres en 1764 et 1767, des lois, là des secours, là de la sévérité; Songez que ce grand objet demande autaht de mesures particulières, qu’il y a d’afflictions différentes; que l’équité doit distinguer la misère innocente de la misère coupable, autant que la compassion doit séparer l’homme sain d’avec l’homme malade; que si vous voulez tirer parti des nombreux moyens que présente l’économie, les ateliers publics, le commerce, l’agriculture, si vous Voulez faire un usage convenable d’une police légale et d’une éducation publique; si vous voulez enfin faire avancer, de ce côté, la Constitution qui, eü rendant à l’homme sa dignité, lui imposa l’obligation de la reprendre et de s’en revêtir, vous ne pouvez y parvenir sans développer ces grands principes de moralité et de distribution. Ce n’est donc pas, encore un coup, de la mendicité isolée que je cherche à vous occuper ici, mais de la misère publique, et l’orbite que vos soins ont à parcourir, co mprend l’humanité entière. Maintenant examinons, dans cet esprit, quelques-unes des lois principales à porter, et surtout de quelle manière on doit en fixer les principes. Quoique je ne prétende pas Vous soumettre ici un projet entier de lois, et que je n’aie en vue que de vous présenter la méthode que je crois la plus propre à donner une bonne législation sur cette matière, je marquerai néanmoins, par* articles, les principes généraux dont j’aurai occasion de parler. Comme ce sont ces principes qui précèdent les lois, je voudrais qu’on pût les rassembler, et qu’on les appelât les droits de l’humanité souffrante. Quelques-uns des articles que je proposerai pourraient être joints à ceux que de longues méditations auraient déjà procurés. Le plus pressant regarde les hôpitaux; l’homme souffre et périt, et chaque jour coûte 1,000 victimes (1). (1) Sur 240,000 infirmes ou malades de bien soignés il n’en périt au plus qu’un sur 20 ; dans la plupart de nos hôpitaux il en périt un sur 8, et à l’Hôtel-Dieu un sur 4; c’est donc environ 40 à 45,000 au lieu de 12*000 qu’il périt; c’est 30,000 de plus. Or, chaque malade ayant, au terme moyeu, un mois de séjour dans les hôpitaux, car la durée des maladies est moins longue par rapport même à celte grande mortalité, il en périt donc 1.000 par jour au delà de ce qui aurait lieu avec des soins mieux administrés. Le comité ne compte que 50,000 malades toujours existants dans les hôpitaux, c’est-à-dire un vingtième sur un vingt-cinquième de la population, ou bien un cinq centième, mais c’est le minimum; le maximum est, comme nous l’avons vu, un centième, et ce centième a lieu aujourd’hui; le nombre quotidien des malades traités dans les hôpitaux de Paris, est à sa population comme i est à 105 (Mémoires de M. Thenon sur les hôpitaux, page 25); et encore tous les pauvres malades n’osent pas y avoir recours. De plus, considérez que les villes ont des hôpitaux, mais que les campagnes en manquent presque entièrement, elles qui composent la moitié de la population. De plus, la situation d’une multitude de misérables dans l’état le plus funeste de maladie nous échappe. Je connais Un malheureux, dont la femme, âgée de 18 ans et mise en prison pour un délit de police, y languit depuis 7 mois; elle y accoucha, le second jour de son emprisonnement, de 2 enfants bien constitués; l’un mourut au bout de 8 jours, l’autre très fort a résisté six mois, est mort, je puis dire de faim, sa malheureuse mère qui le nourrissait, n’étant pas nourrie, ou l’étant comme on l’est, dans les prisons; une de ses mamelles est enflée, son enfant l’a exténuée, et est mort, et la mère sera morte avant d’être compme au nombre des malades. En quel endroit aura-t-on tenu compte de ces malheureuses victimes ? Le nombre en est immense. 6S1 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.] L’observation la plus commune prouve que le mélange et la confusion des malades doublent au moins les causes de la mortalité. La première loi, dans la distribution des secours d’hôpitaux, doit donc être de séparer, avec l’observation la pins rigoureuse, les malades, les vieillards les horn-mes viciés, etc. Et cette loi, non seulement doit avoir lieu pour les établissements destinés chacun à une fin différente, mais aussi et principalement dans l’intérieur des hôpitaux, où maladies confondues s’aggravent l’une par l’autre. Elle peut être conçue ainsi : Art. lor. Deux cas différents de maladies , de corruption ou de vices quelconques, ne doivent être jamais confondus ensemble; le même principe commande aussi , pour son application exacte et générale , que deux malades ne soient jamais couchés dans le même lit (1). Cette dernière loi de rigueur, et si naturellement indiquée par l’humanité, est celle pourtant dont la violation est la plus commune dans les hôpitaux, et qui, à la connaissance éternelle des administrateurs et des peuples, y a toujours et impunément exercé le plus de ravages. Quelle qüe soit donc la forme adoptée dans la distribution des secours hospitaliers, il faut que celte première loi soit observée. Tous les maux présentés à la fois' font frissonner et fuir; un seul aperçu excite la compassion, le cœur en est pénétré, et Vole à son aide. On doit ce premier soulagement à l’humanité souffrante, de la préserver d’un mélange hideux ou infect; de ne jamais confondre l’objet du respect et de la compassion avec celui du mépris et de la sévérité, et ce seul ménagement aura fait plus de la moitié du bien que promettent les secours. (1) Eti Espagne, c’est une pratique générale, dans tous les hôpitaux, que les malades ont chacun leur lit séparé. La salubrité et la guérison dans les hôpitaux tiennent encore plus à la propreté, et à beaucoup de règles qu’oû peüt y pratiquer, qu’à tout ce qu’on peut attendre de la médecine et de la pharmacie. Howard, qui a parcouru tous les hôpitaux, prisons et maisons de correction de l’Europe, recommande ce qu’il a trouvé de bien ordonné en divers endroits, une situation élevée , voisine d'une rivière, les salles hautes, et sans autres salles au-dessus, comme à Boulogne et à Florence ; les fenêtres opposées l’une à l'autre, de niveau avec les plafonds, comme à Newport dans l’île Wight (c’est ce que recommandent aussi les commissaires nommés en 1786, que les planchers soient planes, plafonnés, les croisées ouvertes jusqu’au plafond, pour que la couche supérieure, toujours la plus infecte, ne séjourne nulle part, et ait une libre issue ); les maladies chirurgicales, et celles qui ne demandent que l’inspection d’un médecin, absolument séparées, comme à Burgos et à Bordeaux ; que les lits soient de fer, et ce fer peint ; qu’il y ait dans chaque salle un bassin, eau et serviettes à l'usage des malades, comme à Péters-bourg et Moscou; des chambres aérées et des réfectoires particuliers pour les convalescents, comme à Lyon, Pé-tersbourg Vienne et Paris ; qu’il y ait un bain convenable, et une descente aisée pour s'y rendre, comme à Worcester et Manchester ; qu’il y ait une promenade spacieuse ; que les chambres soient lavées Une fois par semaine, ratissées et blanchies avec de la chaux au moins une fois l'an, comme à Edimbourg et Haslar ; que les malades soient lavés quand ils entrent dans la maison. Certes, voilà un bien petit nombre de précautions, des égards bien simples; la vie des malades cependant dépend de l’observance de chacun de ces articles : et il faut parcourir toute l’Europe pour en recueillir un si petit nombre d’exemples, sans les voir nulle part tous observés ensemble! Les sentiments que vous offrez aux malheureux sont une partie essentielle et la plus efficace de la bienfaisance. L’homme est le plus sujet de tous les êtres aux infirmités; son esprit, son âme éprouvent toutes sortes d’altérations ; ses facultés morales, douloureusement affectées, jettent en lui les germes d’une multitude de maladies, compliquent les symptômes, empirent les infirmités; et le chagrin, l’inquiétude, te dédain, sont souvent les seules causes de sa destruction. Traitez donc, dans leur source, ces fléaux de l’espèce humaine. Durant une cherté de matières, qui détruisit en 1787 un assez grand nombre de manufactures, et dont la crise s’est prolongée 3 années, il n’y a pas eu de causes extraordinaires de mortalité; mai j’ai compté avec effroi que, sur un nombre donné d’ouvriers, il était péri de misère une quantité trois fois plus considérable que celle qu’eussent et prélevée les lois ordinaires de la mortalité. La consolation réussit dans toutes sortes de traitements, et à toutes sortes de malheureux ; commencez par leur offrir un état absolument contraire à celui qui les a accablés ; arrêtez d’abord cette cause. Votre comité vous a présentés, en opposition à la manière barbare et insensée dont on traite les fous dans nos hôpitaux, celle que le docteur Hunier, eu Angleterre, a mise en usage envers un grand nombre, que sadouceur, delà confiance et de bons traitements ont guéri, sans être obligé d’attacher même les plus furieux. L’humanité, Messieurs, a de semblables succès à obtenir du respect compatissant avec lequel oü accueillera toutes sortes de misères. Cette première séparation des malades doit être portée plus loin; mais ceci tient à un autre principe fondamental. Un malade présente deux objets de secours: premièrement, sa maladie; deuxièmement, la mendicité pour lui à l’avenir et pour sa famille, dès le moment présent, ce qui nous indique le sens d’uoe seconde loi. Art. 2. Un malade présente le besoin de deuoe secours , le malade qui attend guérison, et sa famille que son absence plonge dans la mendicité. Le secours public doit donc pourvoir à ces deux extrémités. Or, ou ne peut, eu ce cas, donner de secours complets que par des secours à domicile , car il faut bien porter le secours si vous ne voulez pas forcer les misérables à le venir implorer. De plus, l’enfant accoutumé à laisser son père se traîner aux hôpitaux lors de ses maladies, s’en chargera-t-il dans sa vieillesse ? Une troisième loi peut conséquemment s’exprimer ainsi : Art. 3. Ayant égard à la moralité, à la vie du malade , et à la répression de la mendicité., toutes circonstances également engagées dans l'état de maladie , il ne peut y avoir de secours hospitalier complet, que par des secours à domicile à quiconque a une famille. Ce n’est donc pas par choix de système uniquement que je crois les secours et traitements à domicile préférables aux hôpitaux, mais par un principe rigoureux qu’il fallait démontrer; car observez bien, Messieurs, que c’est une législation, et non pas des statuts variables qu’il importe de donner; qu’au lieu de convention et de règlements de détails, vous devez vous attacher à ces raisons fondamentales, où l’on doit en tout temps les puiser, et bien distinguer les principes toujours vrais des moyens d’exécution souvent fautifs. Les établissements peuvent, doivent se corrompre, mais vos lois resteront. 632 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 131 janvier 1791.] Vous avez été conduits, il est vrai, au même résultat, à la vue de l’horrible confusion de nos hôpitaux. Ici va redoubler l’intérêt, Messieurs, si lors de la discussion du code pénal, vous vous étiez enflammés d’une espérance si vive, mais si trompeuse, d’épargner la vie des scélérats pour conserver des hommes, quel courage, quelle application, quelle vertu n’aurez-vous pas, afln de conserver des hommes innocents, des parents utiles et chers, non une centaine de brigands, mais 100,000 citoyens? Il est connu que dans les hospices les mieux administrés, sur 25 malades, il en périt un; dans les hospices de France, où règne le plus d’humanité, sur 16, il en périt un; dans les grands hôjdtaux, il en périt une fois davantage; dans celui de l’Hôtel-Dieu (1), un quart y succombe. Et comment cela ne serait-il pas? O Messieurs! qu’il importe de conserver, de faire passer à tous les siècles cette grande leçon, ce tableau effroyable connu depuis longtemps, dénoncé, mais inutilement, parles commissaires nommés en 1786, et trouvé encore pire par vos commissaires! Ils ont vu comment sont confondus pêle-mêle les infirmités, les infortunes, les crimes; des maladies pestilentielles éternisées dans ces lieux de douleurs; les vices gangrenant d’une manière aussi funeste, aussi mortelle ces malheureuses victimes en tout sens; ils vous en ont rapporté les désordres, les abus, les barbaries; comment, et tous les jours, des malades entassés, au lieu de guérison, n’y rencontrent qu’un spectacle hideux et désespérant, pressés les uns contre les autres, 4, jusqu’à 6 à la fois, sans mouvements libres, assaillis, empoisonnés, des accès de tous les maux qui multiplient les leurs; calcinés par une chaleur fétide, inaccessibles au sommeil, et dans cette torture affreuse, forcés à partager, avec des agonisants, des spectres, des lits infectés, ces échafauds de la misère; ils vous ont dit avec quelle horreur ils ont vu des infirmes avec des scélérats, des épileptiques avec des fous; des enfants venus de la Pitié à Bicêtre, pour être traités de la gale, oubliés dans les prisons des malfaiteurs depuis 6 mois, et qu’on y aurait encore laissés, s’ils n’avaient témoignés, aux gérants de cet hôpital, l’abomination d’un tel oubli; avec quelle atroce invention on avait creusé des cachots où le jour ne pénétrait pas, réceptacles des vengeances de ministres, de femmes et de commis, et où même, sur la simple décision d’un économe ou d’un administrateur, on précipitait les malheureux qui avaient choqué leurs passions ou leur arrogance; comment dans un autre hôpital, et pour les moindres fautes, des jeunes filles sont enfermées des mois entiers avec des folles furieuses; et tant d’autres crimes dans l’enceinte des hôpitaux. Il est bon de le publier; il faut conserver ces détails affreux, il faut que le récit de cette confusion horrible porte à l’avenir une peinture fidèle de l’asile des pauvres, du temple de la Charité; que cet exemple serve, d’époque en époque, (1) Mortalité dans divers hôpitaux : Hôpital d’Edimbourg ................ 1 sur 25 1/2 Hôpital du Saint-Esprit à Rome ...... 1 sur 11 » Lyon .............................. il sur 11 2/5 ( l sur 13 2/3 Hôpital Saint-Denis ................. 1 sur 15 1/8 Hôpital de Versailles ................ 1 sur 8 2/5 I Hospice Saint-Sulpice ......... 1 sur 6 1/2 Hôpital de la Charité. ........ 1 sur 7 1/2 Hôtel-Dieu ................... 1 sur 4 1/2 {Rapport des commissaires en 1786, page 63.) à rappeler sur ces établissements si sacrés et sitôt corrompus, la surveillance publique et la piété chaste de ceux qui ne sont pas encore endurcis dans ces administrations; car celui qui les voit habituellement, regarde les hôpitaux comme un champ de travail et de fatalité qui se remplit; loin d’en arrêter les progrès, il prétend que c’est même un bonheur pour le misérable de terminer plus promptement une vie de souffrances; et sa cruauté, couverte ainsi d’nne perfide compassion, ne fait que rendre la vie des malheureux encore plus amère, et que doubler la portion de douleur qui les accable (1). A la vue de ces atrocités, ne vous étonnez plus que les fonds de la charité, livrés àdesmaius avides, ne soient plus alors que des occasions de pillage, en ferme et sous-ferme (2). (1) Voyez-en la description dans tous les mémoires qui traitent de celte matière. Rien ne déshonore plus les sociétés humaines que l’intérieur des hôpitaux. Les détails en sont révoltants. Il y a quelquefois jusqu’à 8 enfants ayant la petite vérole dans le même lit ; quand on met 4 ou 6 malades dans un lit de 52 pouces, on en place 2 ou 3 à la tète, autant à l’autre bout du lit, de sorte que les pieds des uns répondent aux épaules des autres, et réciproquement. La teigne et la gale y sont éternisées; à l’hôpital Saint-Louis, lors d’une visite qu’on y fit, tous avaient contracté la gale, au nombre de 6 à 700. La gale s’étendait aussi sur 300 serviteurs de la maison ae l’Hôtel-Dieu et sur 300 malades, sans compter comment de là elle se propageait au dehors. En mai 1754, il se trouva 1239 scorbutiques, preuves effrayantes de la fétidité de l’air. Quelle image épouvantable que le mélange des différents malades, des variolés avec les fiévreux, du voisinage de toutes les infections et de la putridité pour les malheureux opérés ! Sans parler des maladies qui ne sont pas toujours également graves, on jugera mieux de l’effet de cet entassement contagieux dans des cas de mortalité, communément plus uniformes, parmi les hommes opérés, par exemple, dont il périt un nombre prodigieux. Dionis, démonstrateur sous Louis XIV, avait observé que le trépan était heureux à Paris, qu’on n’en meurt presque pas, mais qu’à l’Hôtel-Dieu, les trépanés périssent tous, à cause de l’air infect qui agit sur la dure-mère. Les épidémies sur les femmes en couches y sont très communes ; on cite plusieurs années d’une mortalité extraordinaire. En 1746, sur 12 femmes, 7 en étaient atteintes, et sur 20 attaquées de cette épidémie, à peine en pouvait-il réchapper une. Depuis 1774 jusqu’en 1781, semblable épidémie, qui a lieu toujours plusieurs mois de l’année. L’Hôtel-Dieu perd donc, en certains temps, plus de la moitié des femmes en couches. Or, la mortalité observée sur les femmes en couches est bien éloignée de cela ; à Londres, sur un siècle d’observations, elle est trouvée une sur 59; à Dublin une sur 110; à Manchester une sur 128 ; dans l’hôpital britannique à Londres une sur 51; à un autre hôpital à Londres une sur 131 ; et à l’Hôtel-Dieu de Paris, dans les temps où l’épidémie sur les femmes en couches n’a pas lieu, elle est encore d’une sur 15. (Voyez rapport des commissaires en 1786, et les mémoires de M. Thenon sur les hôpitaux.) Dans presque tous les pays, les hôpitaux recèlent les mêmes barbaries; en Angleterre, où nous venons de citer le docteur Hunter pour le traitement plein d’humanité des maniaques, il existe en d’autres villes des cruautés semblables à celles que nous roprochons ici. Howard dit qu’à Dublin, en 1779, dans une maison de correction, il trouva des jeunes filles enfermées pour de légères fautes avec des fous furieux. (2) Aux extorsions et aux vols perpétuels qui ont lieu claudestiment sur les achats et dans les distributions, il y en a d’aulorisés, môme par des règlements. Comment l’administration des hôpitaux peut-elle se permettre un profit, qui, dans Bicêtre seul, monte à 46,000 livres par an, sur les boissons vendues aux mi- [Assemblé© nationale.I ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (31 janvier 1791.J 633 Et nous avions horreur des prisons d’Etat, des bastilles! Et nous laissons de telles choses exister encore au milieu de nous! Et là périssent des milliers de victimes, sans que nous y ayons encore porté aucun remède ! Eh ! Messieurs, c’est que là, c’est notre crime à tous ; l’insouciance et la tyrannie des hommes privés ; l’insouciance et l’abandon, aussi barbares, aussi sanguinaires que le despotisme le plus jaloux et le plus violent. Non que l’on manque des choses nécessaires ; argent, fondations, sacrifices, manipulateurs habiles, femmes compatissantes : tout s’offre en abondance. Que manque-t-il donc ? De ne pas opérer le bien dans la disposition naturelle qui lui convient, et qui empêcherait que rien ne tût perdu. Vous venez de voir que les secours à domicile sont de principes obligatoires, en ce que tout infirme présente deux extrémités, maladie et men-dicité.types mutuels l’une de l’autre. Comparez-les aux hôpitaux, vous reconnaîtrez encore dans les détails une infinité d’avantages. S’agit-il du but principal des secours de guérison? Quelle enceinte pour un malade que toutes les convulsions et les infections morbifères.! Un homme sain ne pourrait s’y exposer sans en être dangereusement atteint, et tomber malade lui-même. La liberté, l’air pur du dehors, les moindres soins des hommes que l’on connaît, seraient seuls plus efficaces, que ne le sont, dans les hôpitaux, toutes les drogues et tout l’art des médecins. S’agit-il d’économie ? le secours à domicile sert à deux objets; il guérit la maladie et soulage la misère; il est immédiat; il échauffe la bienfaisance particulière, et entoure les malades des soins officieux dont tous les hommes prendraient l’habitude. La somme des secours nécessaires en sérablos ? Le profit encore plus odieux sur les lits qu’on leur vend et puis qu’on leur saisit en forme de correction, et cel» par un simple arrangement d’ordre intérieur. Aussi devine-t-on par quel motif le bureau de l’ad-miaistration de l’Hôtel-Uieu s’obstina à refuser, aux commissaires nommés en 1786, les renseignements nécessaires, et qu’il fallut deviner et rassembler sur des notions générales, M. Crosat avait proposé de construire des hôpitaux propres à recevoir le même nombre de malades, mais ou chacun aurait son lit; de ne toucher que les mêmes revenus des hôpitaux et d’y suppléer de sa fortune, proposant de rendre un compte exact de l’emploi des deniers. L’humanité seule le guidait, on ne l’écouta point. Mais lorsque des architectes, secondés des administrateurs, ont proposé des édifices majestueux et d’immenses entreprises, ils ont trouvé partout accueil et protection. Les péristyles, les colonnes, la régularité des dehors nous frappent ; notre examen ne va pas au delà. Rien de plus beau que la composition architecturale du collège de chirurgie, plût à Dieu que nous pussions admirer également l’ordre et ta sensibilité dans l’intérieur des hôpitaux! Nous courons autour; les applaudissements, l’élégance, le bruit nous arrêtent à l'entrée et nous empêchent d’entendre les gémissements qui s’élèvent au dedans ; comme autour des bûchers indiens, des hurlements cadencés empêchent d’entendre les cris que font pousser des douleurs atroces dont les prêtres retirent quelques profits. On avait ouvert une souscription pour édifier quatre hôpitaux aux quatre extrémités de Paris. Il y avait plus de 2 millions de souscrits. Qu’est-ce devenu ? Et cependant les inutiles murs de Paris ont été élevés en un clin d’œil, et de distance en distance des temples pour les commis de fermes, ainsi que jadis on en consacrait aux mauvais génies. 12 à 13 millions y ont été enfouis; et avec 2 ans de tyrannie, de plus, ces monuments eussent porté à l’immortalité les noms des ministres qui avaient conçu une telle magnificence. serait aussi mieux connue, et moins incertaine pour tous les temps. Les hôpitaux ont d’ailleurs dans leur exercice une sorte de tyrannie, d’incarcération, qui eu mille occasion flétrit et tue. Aussi, toute admission à un hôpital devrait-elle être au choix du malade, en certains cas. Un misérable appartient à des parents; un infirme, un impotent, au moins a une famille ; en les divisant, en rompant ces liens respectifs de secours et de devoirs, ne lui ôtez-vous pas plus que vous ue lui donnez ? Le moment où vous le séparez des siens, pour le transporter à un hôpital, est nue crise funeste, la plus dangereuse de sa maladie (1) ; et quelque soulagement que vous lui promettiez, la porte que vous lui ouvrez est presque toujours pour lui le seuil du tombeau. La plupart des malheureux préfèrent l’abandon ; sauvés au moins de l’approche pestilentielle de 100 autres malades, et du traitement demi-bienfaisant et demi-barbare des hôpitaux. Je ne sais pourquoi faire un rassemblement, un lieu fermé et caché aux yeux de tous, des infirmités, des décadences humaines, leçons de la Providence, avertissements terribles, mais nécessaires au bonheur même et au maintien de l’homme. Nos institutions ne devaient se proposer que l’observation scrupuleuse et fidèle de celles de la nature; il ne faut donc pas, sur cela, mutiler de toutes parts, entasser ce qu’elle a distribué, séparer les hommes au moment où elle fait naître entre eux les occasions de la compassion et de la reconnaissance. La nature a disposé la seule manière dont les devoirs sans nombre de la pitié s’observeraient dans toutes les circonstauces; elle n’a pas versé ces sentiments dans le cœur de tous, pour n’en faire que le métier désagréable, répugnant et cruel de quelques-uns. Tour à tour nous recevons et nous devons des soins; ce devoir s’étend de sa famille à ses concitoyens; et alors nous concevrons que les secours hospitaliers n’ont pas dû seulement être une contribution pécuniaire, mais une contribution de sensibilité et de vertu, un acte auquel se doit tout citoyen. Aussi, je pense que l’homme qui tombe malade, et périt faute d’assistance, devrait être la honte et le remords de scs voisins. Il faut donc que chacun compatisse, veille, se soumette, s’il ne souffre pas, au moins qu’il soulage, qu’il constate et préserve des droits communs et si sacrés; c’est une fonction obligatoire, même de sa vie privée et libre. Préparés tous à souffrir, nous devons l’être à secourir ; nous ignorons encore sur qui tombera l’infortune et la douleur, et au milieu de tant de maux versés au hasard sur l’epèce humaine, chacun de nous doit contempler les souffrances d’autrui comme une partie de sa propre destinée. Une quatrième Joi doit donc astreindre chacun à participer à ces devoirs, et rendre d’obligation à tous, une assistance prompte et de sentiment. II faut, dis-je, fixer le principe par une loi constitutionnelle, quelle que soit ensuite la manière de le mettre en œuvre. Art. 4. IL faut que tout homme , en sa vie, passe à la surveillance , à une fonction quelconque d'assistance aux infirmes et aux pauvres , afin que cet objet ne soit étranger à personne , et qu’ ainsi la société entière sache toujours en quel état est cette partie d' administration commune. (1) J’ai observé sur un cerlain nombre de vieillards infirmes que l’on transférait à des hôpitaux, qu’il en meurt dans les 6 premiers mois plus de la moitié; que l’autre partie suit après la loi de mortalité ordinaire, 034 (Assenabléô üationale.] ARCHIVES C’est ai tisi, Messieurs, que la sagesse du législateur, redoutant la froide libéralité des fondai tions* né doit rendre éternelle que la vertu de l’hospitalité; les établissements publics ne sufti-ront jamais; et ce n’est pas la charité seule de nos pères, c’est la nôtre qui doit veiller à toute heure sur nos Concitoyens. Chaque génération a ses malheureux, chaque génération a ses vertus. Notre Constitution, d’ailleürs, ce réveil de la raison, a besoin de tous les rapports moraux qui nous Unissent. Elle se consolide autant à chaque loi de paternité, qu’à chaque précaution contre la tyrannie. Rien peut-il assurer mieux la liberté publique, que de rendre l’existence de chacun sensible à tous? Mais ce qui importe très particulièrement, c’est que l'artisan pauvre soit également visiteur, surveillant, administrateur désintéressé des secours hospitaliers ; il est prodigieux ce qu’on peut en obtenir pour la moralité, de faire partager aux ouvriers indigents ces fonctions respectables. Le pauvre qu’on honore est le meilleur et le plus digne des hommes. On en connaîtra les heureuses conséquences à bien des égards, surtout dans les détails, quand il s’agira de prévenir l’abus, le pillage, et d’as-sürer l’observation de la lot (1). Et la charité alors reparaîtra ce qu’elle devait toujours être, dans son véritable sens, rien autre que le devoir de l’hospita ité que nous avons tous à pratiquer dans notre vie, envers les infirmes et les misérables, comme envers l’homme chassé de son asile, ou qui a perdu ses foyers, Eh ! qu’était-ce donc que cette grande vertu de l’hospitalité, si religieusement observée par tous les peuples? Que devons-nous penser du sentiment qui l’inspirait, et qui punissait de la mort des lâches et des assassins quiconque en refusait ou en violait les devoirs? On ne trouve point, ou à peine, des hôpitaux chez les anciens peuples (z) ; mais laissaient-ils pour cela périr sans secours leurs concitoyens? Cette hospitalité active et prévenante ne leur tenait-elle pas lieu de nos grands établissements modernes, cette hos-italité qui créa ensuite ellemême les premiers ôpitaux du temps des croisades? C’est une vertu de plus que nous aurons recouvrée; et c’est particulière ment pour rendre à la charité ce saint caractère, que j’écarte expressément l’idée et le terme d’aumône. Les secours à domicile, dans le cas de maladie, ne suffisaient pas ; les compagnons des diverses professions, éloignés de leur pays, ont besoin d’hôpitaux. Les hôpitaux conviennent encore dans les grandes villes ; mais en évitant l’inconvénient extrême de les remplir d’un trop grand nombre, et cependant qu’ils soient assez considérables pour rassembler et fixer un concours de moyens et de choses qu’exige le traitement des malades. Parmi ces grands rassemblements, cette confusion de misères humaines, parmi ces énormes dépenses, ces monuments fastueux, ces vastes projets de la bienfaisance, il en est un d'oublié, (1) L’archevêque de Sens aurait-il dissipé les fonds que la piété avait consacrés au soulagement des malheureux réduits à la dernière extrémité par la grêle de 1788 ? Le cardiual de Rohan aurait-il englouti les fonds considérables de la vente des Quinze-Vingls, si l’œil rigide de l’artisan pauvre eût surveillé leurs mains ? (2) Il y avait des maisons pour recevoir les pauvres, d’autres pour les malades, d’autres pour les étrangers. 11 y avait même des hommes chargés de leur administrer tous les secours. Les tracesen sont rares cependant. PARLEMENTAIRES. 131 janvier 1791.] Messieurs, et le plus essentiel : ce sont les asiles d’invalidité aux artisans estropiés par toutes sorte' d’accidents et de mutilations trop communes en beaucoup de métiers. La guerre n’est pas le seul qui nous recommande des invalides; que de métiers difficiles et dangereux ! que de moments dans la vie de l’ouvriei*, et demandent autant de courage, font traverser autant de pé-rils ! que de métiers, avec la certitude constante d’abréger de beaucoup la durée de la vie ! Les dangers et le courage, loin de n’être que des crises rares et passagères, forment la situation habituelle et non forcée des hommes laborieux. Pourquoi donc manque-il des secours d’invalidité à ces victimes ? Leurs services, leurs malheurs ont-ils moins été pour la société? Et que d’exemples sous nos yeux! Interrogez ces misérables sur la cause dé leur dépérissement et de leur mutilation ; ce sont des ouvriers écra?éd dans les carrières, des maçons tombés du haut de nos maisons, des hommes brisés par nos voitures, d’autres usés et rompus par des travaux périlleux. Durant quelque temps, ils fatiguent la pitié de ceux qui les connaissent encore ; bientôt ils ne sont plus connus ; ils ne peuvent adresser une parole à aucun être qui leur soit uni sous un rapport quelconque; un profond désespoir détruit avec violence, en eux, tout sentiment consolateur : on ne meurt [tas; et ces cadavres se traînent devant nous, découvrant, saD9 fruit, leurs blessures à nos regards faits à ce spectacle atroce, qui ne sert plus qu’à nous endurcir et à détruire dans des cœurs flétris tout sentiment de probité et de compassion. Je demande donc, à cet égard, que toutes les professions pénibles et périlleuses trouvent les mêmes prérogatives, la même reconnaissance que le métier des armes; qu’il soit en principes que nos malheureux citoyens, condamnés pour toujours à souffrir, et à n’avoir plus d’espérance, ont un droit créé aux secours et à l’entretien publics. Tels seraient donc les motifs de deux lois encore. Art. 5. Tout homme mutilé, ou rendu impotent dans l'exercice d'un métier , doit trouver un secours d’invalidité aussi bien que l’homme blessé ou vieilli dans le métier des armes. Art. 6. Un asile sera également ouvert à tout malheureux brisé par un accident quelconque, dif-formé par la nature, ou dévoré par une maladie incurable, comme à des victimes expiatoires de ce que nous ne souffrons pas. Continuons. Le comité, afin de présenter une extinction des secours urgents à distribuer, s’en est rapporté à ce qu’il leur a paru devoir monter dans le moment présent, à répartir, à peu près, à un vingt-cinquième de la population, enfants, infirmes et vieillards; la dépense, comme nous l’avons dit, estimée à un total de 50 millions. C’est surtout à la dépense par individu, qü’on découvrira mieux ce que vaut une bonne législation sur la mendicité; mais nous n’entrerons pas, pour cette fois, dans les détails d’estimation de ces dépenses par individu. Auparavant, posons les principes. Le comité, dans son projet de décret, admet pour la distribution, des mesures qui me semblent on ne peut plus dangereuses. Il s’agit de faire des rôles de ceux qui auraient droit au secours; diverses classes de pauvres. Ehi pourquoi classer, établir de pareilles distributions? Déjà pour les mêmes bases, fonder des castes de misérables, qui, dans une ignorance totale des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.] gfânds principes sociaux, s’institueraient constitutionnellement au sein de la société, c’est éterniser la misère et non la secourir. Ne faites point passer le droit des malheureux aux secours publics, par cette fausse combinaison, celte dangereuse Classification dont on ne prévoit pas toutes lés suites. C’est peut-être la charité, qui, la pre-fnièfe aux Indes, institua une dernière caste parmi les hommes ; on leur jette des aliments Êar pitié, on peut aussi les tuer sans être coupa-les. Point de rôles, point de castes de pauvres. La misère excessive n’est pas un état où l’homme puisse rester; et selon toutes les relations humaines et sociales, elle doit cesser d’un moment à l’autre ; donc aucune loi qui la fasse présumer permanente; aucun règlement injurieux qui inflige au malheureux cette inscription humiliante; il à besoin au moment où il a recours, et n’a besoin que pour ce temps; épargnez-lui tout outrage préliminaire. Faire une liste, une inscription de misérables, est déjà l’excès d’une oppression et d’un abus. Et en faire de plusieurs sortes ! Quelle inconcevable doctrine 1 Je trouve donc, bien au contraire, ici l’occasion d’une loi qui prévienne toute démarcation odieuse entre l’aisance et la pauvreté, d’une toi qui surtout épargne au misérable les dépendances de la charité; quelque simple, quelque facile qu’eu soit l’accès, il faut que quelqu’un en soit l’organe; il faudra les aborder, ces administrateurs, et si vous y joignez la moindre condition qui puisse compliquer le droit de recourir, il faudra bientôt solliciter cette protection, dont le plus décidé républicain aime également à se targuer; et pour l’obtenir, ce sera encore là un bonheur qui se vendra peut être. L’article 7, proposé ainsi, aurait donc en vue: 1° de s’opposer à ce qu’il soit fait aucune liste d’abjection, aucun enrôlement conditionnel de pauvreté; 2° de rendre l’accès aux secours publics et leur distribution abolument indépendants de l’arbitraire d’aumn administrateur quelconque; car les secours publics en deviendraient bientôt la proie. Ce n’est pas autrement qu’en Angleterre les secours à domicile sont devenus en peu de temps le domaine de quelques familles inscrites, et que l’impôt attribué au soulagement des pauvres s’est accru à 80 millions, répartis à une multitude d’indigents privilégiés qu’on peut regarder comme formant aujourd’hui une espèce particulière de communautés monacales, sans empêcher la mendicité, qui n’en est que plus invétérée et plus dangereuse. Ajoutez (art. 8) une loi par laquelle celui qui aura recours, sera le maître de s’assister de deux témoins qu’il choisira parmi les citoyens de son arrondissement, mais qui fixe aussi un terme sévère à l’assistance, à raison de la mendicité que cause un accident, une maladie et sa convalescence. Je me sers de l’erreur de principes d’une classification de pauvres, en un rapport admirable d’ailleurs à bien des égards, afin de montrer combien il faut être en garde sur les plans et l’ordonnance qui semblent les mieux entendus, lorsque dans un système aussi vaste, et qui embrasse tant d’objets, quelques termes sont oubliés. La main invincible des habitudes nous replongerait sans cesse dans les mêmes erreurs. Quand on réforme, on pense toujours mieux faire ; mais ce qu’on trouve établi, on le trouve avec les abus; ce qu’on propose d’y substituer est encore sans les abus, il n’est pas étonnant qu’on s’y méprenne. Il s’en 638 glissera de nouveaux, n’en doutez pas, que Vouâ n’aurez pas prévus, mais que l'éternelle cupidité découvrira toujours. Il entre dans le projet du comité de faire marcher le-secours en raison dé ce qu’on paierait moins de contribution. On peut saisir toute la dis-* convenance d’une telle disposition. L’institution de chirurgiens ou tnédecîûâ des pauvres, avec appointements, et les dépôts de drogues ne sont pas aussi sans inconvénients. Aucun élément de cette étrange corporation ne doit être créé à part; le meilleur médecin, le plus éptotlvé, doit être celui des pauvres; ils seront obligés de recevoir celui que vous aurez choisi. Il faut que* tout ce qui les concerne soit pris dans le sein de la société, et à toute heure, et autant que Vous pourrez, de sorte que ce ne soit pas uü gain, mais un droit à l’estime publique; cette seule différence me semble extrêmement importante. Il n’est pas hors de propos, parmi les avantagés d’une application commune, de compter les pro* grès que doivent procurer à la science èt à lâ pratique de la médecine les observations en pleine nature, pour ainsi dire. Les faits plus prononcés, les maladies critiques de chaque âge moins confondues, les effets de l’air et de ta végétation, ceux des diverses saisons et de tous les règnes de l’existence offriront à l’analyse de grands développements et des connaissances plus complètes que celles qui n’ont pour matière que la décomposi-* tion anticipée de nos êtres débiles et dépravés. On doit donc éviter que ces établissements de médecins ne soient qu’ün chemin pour Venir des campagnes dans les villes, un temps de classes, un cours d’anatomie et d’essais, comme il n’ur-rive déjà que trop, et saisir, au contraire, cette occasion remarquable d’établir entre les médecins une correspondance intime, une surveillance mutuelle, une caution générale de lumières; qüé tenus à une association de travail, les plus habiles hommes fussent liés à ce corps d’une manière très expresse (i); et je ne doute pas que dans (1) On trouve peu d'hôpitaux, comme nous l'avons dit, chez les anciens peuples, mais une hospitalité particulière tenait lieu de ces rassemblements infects et immoraux; les médecins les plus célèbres se faisaient un devoir de porter la même assistance au pauvre comme au riche ; les particuliers se prêtaient assistance. En Egypte et à Babylone, on exposait les malades, afin que les passants qui auraient été attaqués et guéris de la même maladie, pussent leur donner ou indiquer les remèdes dont ils avaient fait usage. Chacun était tenu a déposer, par écrit, dans les temples les remèdes qui lui avaient réussis. Par la suite, quand un grand nombre d’expériences et d’observations portèrent de la méthode dans la médecine, et en firent une science, les hommes de génie regardèrent comme un devoir sacré de faire participer tous les hommes aux secours qu’ils pouvaient leur porter. Hvpocrate refusa du roi de Perse les honneurs décernés aux princes, disant qu’il devait tout à sa patrie; et il rentra à Loos, où tous les Grecs, pauvres comme riches, avaient également droit à ses soins. Les plus célèbres médecins depuis donnèrent toujours la même application au traitement des misérables. Les modernes les plus justement célébrés dans la médecine en ont autant accru la vertu que les lumières; on les a vus non seulement visiter constamment les pauvres, mais leur distribuer ce que le riche avait payé : tant il est vrai que le génie qui éclaire, est également destiné à être en toute occasion le bienfaiteur de l’humanité. Je n’ai jamais vu indifféremment cette disposition grande et naturelle qui porto les hommes les plus habiles à être aussi les plus secourables; attachés à un art d’une application affligeante et pénible, frappés sans cesse d’un spectacle de douleur, ils conservent 636 [Assemblée nationde-l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.1 l’état où se trouve cette science, des hommes recommandables par tant de lumières et d’utilité, ne se chargent avec ardeur de cette sublime fonction d’humanité, et ne cherchent, de concert avec le comité, les moyens de se distribuer ce partage de soins et de sacrifices; secondés d’ailleurs par de jeunes professeurs, tel que le comité propose d’en instituer, en exigeant que par des études authentiques et non frivolement examinées, ils se justifiassent dignes de participer à cette confiance éminente de la patrie, le traitement de ses pauvres. Prenez donc bien garde, Messieurs, dès les premiers pas, de manquer tout le succès d’un système bien conçu : prenez garde, encore un coup, que la bienfaisance ne sorte de la main de tous, que vous ne fassiez une autre espèce de fondation, des dépôts, des dépenses fixes, des places à donner, des moyens de fortune (1); et il est d’autant plus aisé dé tomber dans l’erreur à cet égard, que vous croiriez l’établissement dans sa plus grande simplicité et dans sa perfection , cependant une profonde sensibilité; attristés de souffrances qu’ils sont obligés de visiter par état, ils se consolent dans le traitement des mêmes maux qu’ils visitent par bienfaisance; j’en citerais de nombreux exemples; il en est à qui l’amitié me lie, et à qui je rends hommage du fond de mou cœur. Leur vertu nous indique ici de grands moyens de législation, qu’il ne nous est pas permis de négliger. Ce n’est pas qu’il n’y ait aussi de très experts praticiens qui ne sont ni humains, ni bienfaisants; mais ce ne sont pas non plus des hommes de génie; ce sont des ouvriers très exercés qui savent bien opérer, comme des bourreaux savent bien pendre. Aussi voudrais-je qu’on interdise la pratique de la médecine et de la chirurgie, à celui qui aurait commis des actes d’inhumanité, comme à celui qui aurait donné des preuves d’ignorance. (1) Quand des hommes ordinaires, ceux dont 1’uDiqua occupation est de se former une propriété, ne sont pas tenus, par des lois en vigueur, à l'observation des plus simples, des plus touchants devoirs de l’humanité, ils ne les remplissent presque jamais. Ils ferment leurs portes, et les dernières plaintes de l’homme qui périt, ne troublent pas même leur sommeil. Les règlements ont beau être bien faits, il y a toujours quelques points d’oubliés, et alors quels contrastes de charité et de barbarie, de précautions et de négligences ! Les manipulateurs d’administration et de comptabilité, là-dessus ne connaissent que leurs gains, et ne sont sévères que dans l’explication de ce qui regarde le malheureux. Je pourrais en citer des exemples chez nous-mêmes; j’aime mieux les prendre chez nos voisins. Quand Howard représenta, avec tous les honnêtes gens de l’Angleterre, les abus des droits des geôliers sur les prisonniers, et la négligence affreuse causée par les fièvres pestilentielles des prisons, deux lois furent portées; l’une qui libérait des frais de prison les prisonniers absous, l’autre qui ordonnait de veiller à la santé des détenus dans les prisons. Mais la loi n’ayant pas nommé spécialement des bridwells ou maisons de correction, on n’y veille point à la santé des prisonniers; de sorte, dit Howard, qu’on traîne tous les trois mois devant les juges des hommes exténués de maladies et de ces fièvres contagieuses; les absous les répandent dans le monde, les coupables les portent dans les prisons. Une autre loi, en Angleterre, ordonne do ratisser et de blanchir, au moins une fois l’année, les murs et les lambris des prisons où les criminels sont ordinairement renfermés. On s’est servi de l’expression littérale pour s’exempter de blanchir les chambres ou prisons des débiteurs, et de ceux qui n’ont commis que des délits de police. Ceux qui connaissent les prisons et les hôpitaux pourraient joindre une multitude d’exemples semblables à ceux-là. parce qu’il irait seul et de lui-même, qu’il sem" blerait ne plus exiger de prévoyance et de soins particuliers, et laisser chacun quitte et déchargé de toute assistauce et sollicitude envers les misérables, tandis au contraire, que la méthode pêcherait, par cela même que ce ne serait plus une occupation de tous les citoyens, qu’on en perdrait de vue les premiers devoirs, et que dans ceite nouvelle administration de secours, l’insouciance et les abus n’ont besoin, pour se glisser de nouveau, que l’ombre dont ils chercheront toujours à se couvrir. Le mode le plus heureux, sera par conséquent celui qui fera entrer et conservera dans l’occupation et la surveillance des soins hospitaliers le plus que nous pourrons de citoyens les mieux connus, et les plus confirmés dans la probité et les vertus civiques. Je le répète : en détruisant tant de chimères, aliments futiles des vanités et des opinions les plus ridicules, ne craignez pas de nous indiquer quelques vertus de plus à pratiquer (1). Après avoir jeté un coup d’œl sur ce qui a rapport aux infirmités, nous passerons aux mœurs, et de là sortiront de nouveaux moyens, des ressources inattendues, et d’un beaucoup plus grand effet. Avant d’y passer cependant, je remarquerai sur les enfants abandonnés, dont il sera question encore dans la suite de ce mémoire, que le fer meurtrier des hôpitaux s’est particulièrement marqué sur eux : les chances de mortalité, imposées sur ces premiers âges sont tellement accrues, que dans le court délai où l’administration en est chargée avant de les faire parvenir à des femmes, dans ce passage où les gérants, c'est-à-dire les machines de ces établissements, ont les enfants à leur gouverne, pour les transmetire à des nourrices, les enfants, dans ce peu de temps, sont réduits des trois cinquièmes au delà de ce que prélèvent les lois déjà si cruelles de la mortalité; mais dès que ces malheureux enfants sont parvenus à des femmes (2), ils rentrent dans les lois de (1) Les lumières et les découvertes si multipliées dans la médecine, qui n’ont rien diminué encore à la mortalité dans les hôpitaux, auront alors un succès assuré; dans cette matière, la pratique de la vertu aidera beaucoup à celle de la médecine, Si l’hospitalité scrupuleusement observée, tenait lieu chez les anciens peuples de ces établissements généraux, ce n’est pas que la surveillance publique fût moins occupée des soins dus aux malades : ç’a été une Eartie essentielle des institutions chez tous les peuples. a santé des hommes a dû paraître au moins aussi précieuse que tous leurs autres intérêts. La religion rendit obligées des coutumes utiles, afin de prévenir les maladies et les infirmités. Ainsi les bains si salutaires, surtout dans les pays chauds, étaient également ordonnés chez diverses nations; les ablutions dans le Nil, dans l’Inde, dans le Gange, furent également sacrées; les Grecs les adoptèrent; les bains à des temps marqués, dans leurs fleuves, devinrent des cérémonies religieuses ; des bains publics furent établis par la suite dans toutes les grandes villes. Ainsi la chair de certains animaux fut défendue. Ainsi le vin interdit chez les Rècabites, et depuis par Mahomet, l’avait été par un décret religieux dans la Chine avant l’invasion des Tartares, toujours par égard pour la santé des peuples. Le Lévitique contient tout le traitement des lépreux, les ablutions, la propreté, l’obligation de purifier les vêlements, de racler et de rocrépir les murs ; et une sorte de ce qui est aujourd’hui recommandé aux hôpitaux s’y trouve rassemblée. (2) 6,000 enfants sont apportés à la crèche annuellement; un grand nombre meurt avant d'être conduits [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvior 1791. J 537 leur espèce ; la nature veille alors sur eux, et des nourrices leur rendent des mères. Tout nous démontrera que, non seulement à ce premier âge, mais que dans toutes les circonstances de ta vie, l’homme n’est bien et ne résiste aux crises qui l'assaillissent, que quand il reste dans les rapports que la nature lui a fait contracter. Après ces premières vues sur les maux de l’humanité, nous allons donc parler de ceux de la société; ils sont voisins et peut-être les mêmes. Le comité, ainsi que divers systèmes présentés déjà sur la mendicité, a embrassé dans les objets de sa prévoyance, en même temps que les malades, les infirmes, les enfants et les vieillards, également les maisons de correction et de travaux publics. Certes, rien de mieux que de confier à une surveillance de charité la répression des moeurs dépravées; cette attribution à la pitié est un grand principe. La corruption est une infirmité, la plus hideuse et la plus contagieuse de toutes, et notre compassion doit s’étendre sur toutes ces victimes d’une longue misère et de l’abandon. Si l’on a recueilli tant d’observations sur les nombres de victimes des diverses maladies, ne pourrions-nous pas observer de môme comment se perpétuent non moins rigoureusement tous les supplices de la misère sur lesquels on pourrait donner des tables presque aussi constantes que celles des mortalités graduelles de tous les âges? Dans cette complication de maux ne pourrions-nous pas calculer, si nous l’osions, les ravages que les infirmités, le désespoir, le penchant au vice, et l’habitude du crime exercent avec bien plus de violence sur cet horrible fonds de pauvreté ! Alors, émus de pitié, nous attaquerions convenablement cette mendicité, cette infirmité profonde du corps en nourrice; deux tiers succombent dans le premier mois ; dans ces deux tiers, plus de moitié avant d’aller en nourrice, beaucoup encore dans le chemin, de sorte qu’on compte les trois quarts ou dix treizièmes, au lieu de trois treizièmes de mortalité qui a lieu en général dans la première année. Mais la mortalité est bien plus grande sur les enfants apportés des provinces ; c’est une des plus étranges barbaries ; dans les dix premiers mois de l’année 1772, il en était arrivé de Rouen 156, de Dijon 167, d’Artois et Cambrésis 178, de Flandre et de Hainaut 105, de Metz, Toul et Verdun 344, de Liège 65, etc. Ces malheureuses victimes souffrent tellement de ces transports forcés, que près des neuf dixièmes périssent avant l’âge de 3 mois. A l’hospice de Burgos, en Espagne, il y a toujours quatre nourrices prêtes, pour prendre soin des enfants u’on y porte, jusqu’à ce qu’ils puissent être portés à 'autres nourrices dans les campagnes. On a fait plusieurs essais pour nourrir les enfants avec du lait de vache ; j’ignore quel succès a couronné cet essai ; et sans doute les mémoires que d’habiles observateurs ont eu lieu de faire sur l’expérience, valent mieux que toutes les conjectures. Cependant j’ai pensé qu’il pourrait y avoir un point difficile auquel on ne prendrait pas assez garde. L’enfant pour se nourrir de lait de vache, a deux changements d’état à éprouver qui doivent être une crise forte pour la nature; l’une, où venu au jour et respirant, il change de manière de recevoir sa nourriture; l’autre, en ce que le lait de sa mère étant homogène à sa nourriture déjà reçue, et très appropriée à son bien-être, c’est un intervalle encore difficile que de changer cette nourriture, et de substituer le lait de vache à celui de femme. Je crois donc qu’on ne doit pas cumuler ces deux efforts sur les organes de l’enfant, dont un rien peut déranger ou choquer les fonctions, mais qu’il faut les placer l’un après l’autre en conséquence, et que le lait de vache fut substitué avec précaution, après 12 ou 15 jours du lait d’une nourrice. social, qui demande un traitement réfléchi et assidu. Nous devons, la loi en est portée, nous devons accueillir les pauvres avec la plus généreuse fraternité. En vain on vous dirait qu’ils ne sont pas tout à fait innocents : celui qui a tant souffert n’a plus de tort. Mais je vous proposerai moins des dons que des lois; soyons justes, et que l’aumône soit interdite : que la misère soit respectée, et la mendicité eu horreur. Il faut avoir visité souvent l’asile des misérables, leur avoir vu témoigner eux-mêmes une répugnance insurmontable à mendier, et préférer l’abandon des hommes à leur mépris, pour s’assurer de ce principe. Conservez donc à l’homme pauvre et honnête le grand caractère de sa réclamation ; présentez-vous à lui avec la pudeur delà bienfaisance : soulagez-le, ne l’avilissez pas; que le secours réponde à la dignité de citoyen, et faites qu’il lui parvienne, non comme chanté, mais par un meilleur ordre de travail et de distribution. Voilà le plus difficile. Oui, Messieurs, il sera toujours plus aisé d’obtenir de grands sacrifices, de rassembler des fonds considérables, que de ramener chaque particularité de l’ordre géaéral dans sa règle juste et convenable, et quand vous aurez vu tout ce qu’ou avait destiné à soulager les victimes de la nature et celles de la société, des asiles nombreux, des dotations immenses, tout ce que la morale, les mesures économiques, l’activité commerciale pouvaient procurer de moyens, rester cependant sans effet, et contraires même au vœu de leursinstitutions, vousconcevrezqu’uue bienfaisance aveugle ne suffit pas davantage qu’une sévérité inexorable, et qu'il faut recourir à des lois bien méditées, et qui puissent défier le temps et les abus. Une grande partie du peuple est souffrante. La crise forte qui rend à toute une nation ses droits, qui terrasse les abus de 12 siècles, qui dénonce et réprime à son tour le3 crimes d’un gouvernement insensé, n’a pu avoir lieu sans qu’une infinité de travaux se trouvassent instantanément suspendus. Combien d'hommes ont perdu leurs métiers ! Combien de malheureux 1 Beaucoup se sont égarés, un trop grand nombre de coupables s’est mêlé à cette multitude. Dans ce déluge de maux qui inondent la société, la dépravation va encore plus loin que la misère: car le secret de la tyrannie et de l’arrogance est, en dépouillant le peuple, de le dépraver, afin de pouvoir, avec quelque ombre de raison, le mépriser et le compter pour rien. Irrités par leur abjection, irrités par des instigations perfides, attroupés et se faisant un privilège d’une licence effrénée, ils s’enrôlent comme perturbateurs, ainsi qu’on s’enrôle comme soldat ; et si le zèle infatigable de tous les citoyens u’eùt veillé a la sûreté publique, des troupes de brigands auraient commis les mêmes ravages, les mêmes crimes que se permettent les ambitieux. On doit, sans doute, applaudir jusqu’ici à la prudence avec laquelle la force publique, en réprimant tant de désordres, a ménagé le sang des misérables ; ce qui devenait une loi d’ordre autant que d’humanité. Il ne fallait pas, par un spectacle de sang, accoutumer, irriter les passions, ni montrer à un peuple agité des exécutions multipliées, et l’exemple du meurtre. Alors les citoyens ont doublé de vigilance; ils ont été sur pied toutes les nuits : iis ont suppléé, par une surveillance de toute heure et partout présente à l’appareil des supplices destinés à épouvanter les scélérats. Dans le moment d’une révolution totale, il n’y a ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.J [Assemblée nationale.] qu’un crime public, parce qu’il est plus grand, plus sanguinaire que tous les autres: celui qui conspire, trame, combat contre elle; et peut-être, à cet égard, la clémt-nce que l’empire des événements a étendue sur de simples délits de police a épargné bien des crimes. Mais il est instant que, sans cruauté et sans faiblesse, l’ordre, la sûreté se rétablissent dans tous les points de l’Empire. Seule, la misère sera plus facile à réparer; de son côté, l’ardeur du travail et de l’industrie secondera puissamment vos dispositions; mais la misère aggravée par la dépravation opposera bien des obstacles à vos vues bienfaisant s. 11 est une masse de vagabonds rassemblés de toutes parts, et non pas d’ouvriers, qui se refusera au travail, et croit s’être fondé un établissement de ses violences; il faut ici secourir et châtier; il importe trop, Messieurs, de ne plus en souffrir aucun vestige. Je suis bien loin d’appeler la vengeance et la rigueur des lois sur des misérables; je sais combien ils sont à plaindre, que b ur dépravation même est une infortune : mais le crimea deux victimes, et si vous devez de la compassion à ces malheureux, vous en devez également aux campagnes et aux villes dont ils troublent la sécurité; la pitié ne doit pas dégénérer en tolérance, et ici votre indulgence distinguera le point où il faut s’arrêter. Sl vous voulez donc hâter le retour de la paix dans nos foyers, des mœurs et de l’activité ; si vous voulez prévenir une foule de maux et d'actions horribles qui souillent notre territoire et retardent les heureux effets de notre Constitution, réprimez de tous vos moyens cette mendicité, ce voile, ce ralliement de tous les malfaiteurs : car remontez à sa source, vous verrez qu’elle fut toujours préparée par une multitude de délits et d’horreurs impunis ; dès son origine, vous y découvrirez i'ignomime, la violence, le projet du crime. Qui veut bien tenir sa vie de l’aumône aime encore mieux la tenir du pillage. Vous savez, Messieurs, sous combien d’associations diflérentes ils troublent, en tous les temps, la société; comment les campagnes sont mises à contribution ou incendiées; comment les villes recèlent des troupes de bandits qu'on se contente de désigner sous le nom de gens sans aveu et suspects, mais qui ont commis bien des forfaits, et se sont toujours recrutés, avant d’arriver au châtiment. Sous l’ancien régime, on arrêtait, pour cause de vagabondage seulement, 15 à 16,0U0 ipiséiables par an. Etait-ce ia moitié, Ip quart, ou peut-être moins encore de tous ceux qui inondaient le royaume (1) ? Les vagabonds étrangers, accourus au premier cri de discorde, ont accru de beaucoup ce nombre, apportant eux-mêmes ia disposition à tous les troubles, et prêts à renouveler les scènes d’horreurs qui opt désolé le royaume, à chaque époque où les princes et les gens de la cour ont été quêter des soldats chez l’étranger pour venger leur cupidité Pompée, et déchirer leur patrie. Ne pouvant se rallier tant qu’une unité d’intérêt et de patriotisme règne dans tout 1 Empire, ces (1) Le comité croit que c’était la moitié, mais il se trompe; car les trois quarts des vagabonds arrêtés périssaient dans les prisons destinées à la repression ; ce n’était donc pas les mêmes qu’on reprenait ; or, il n’y avait guère de vagabonds arrêtés dès la première ou la seconde année, et avant d’être surpris, on pouvait sans doute compter 5 à 6 ans de cette vie dissolue; il y avait donc 100,000 de ces misérables dispersés habituellement qui troublaient la sécurité dans tout le royaume. vagabonds dispersés mendient, volent; ils alarment et cherchent à égarer la force publique par de séditieux attroupements qu’ils veulent faire passer pour les sentiments et l’état général du peuple, imitant en cela la perfidie de ce faux monnayage d’assignats, avec lequel nos ennemis alarment la confiance, et menacent la fortune publique. Enfin ces vagabonds étrangers enlèvent, épuisent les ressources et la nourriture de nos pauvres déjà trop nombreux ; les malveillants qui les ont envoyés les ont armés do cette sorte, et ont porté déjà ce ravage sur ia partie du peuple la plus souffrante. L’Assemblée nationale a donc pensé devoir, à la distribution des secours, joindre la sévérité tout aussi secourable de repousser dans leur pays ces vagabonds, et de nous purger d’abord de ce levain de vices et de mendicité. On ne peut refuser l’asile, le partage de l’air à quelque homme que ce soit, et de quelque pays qu’il vienne; mais les lettres de naturalisation, dont il ne peut s’exempter, sont les mœurs du pays, profession d’un métier et domicile. Continuez, Messieurs, de proscrire sévèrement tout vagabondage, non pas par de simples excursions de police, auxquelles je crains fort qu’on ne s’arrête, mais par le fait même que tout homme doit trouver à vivre sans mendier, et par le maintien constant d’une loi qui tienne aux mœurs et non à la tyrannie. Soyez très sévères, mais soyez très justes. Ouvrez d’abord à tous les malheureux les moyens de rentrer dans l’ordre social. Les moyens que les législateurs ont cru devoir mettre en œuvre sont les travaux publics, les maisons de correction, l’éducation publique. Sur ces trois objets, les comités ont présenté des projets de loi. Nous allons réunir nos conceptions aux leurs. Les travaux publics ont toujours trompé sur la fin qu’ils semblent promettre, parce que les travaux publics ne forment point une profession ; aussi ne sont-ils la plupart du temps que des occasions de vols et une école de lâcheté; la moitié des fonds ne parvient pas à sa destination et cette moitié est en mauvais travaux. On se promet de soulager le malheur, et on aggrave le vice. Je pense donc qu’on ne les a jamais bien conçus, et je vous proposerai quelques vues sur cela dans la suite de ce mémoire. Quant aux travaux de gêne et maisons de correction, vous éviterez sans doute de mêler ensemble différents degrés de corruption; de laisser séjourner les mauvaises inclinations auprès de la malfaisance invétérée. Le paresseux qui a reposé près du coupable est déjà coupable lui-même. Dans les prisons, les hommes se conseiL lent, s’apprennent, se promettent un avenir encore plus criminel, ils s’inoculent des penchants et des desseiûs qu’ils n’avaient pas, et en se touchant, le vice se fortifie de celui qu’il rencontre, Qu’est-ce qu’une maison de correction? Qu’est-ce que la correction? De remettre dans le train du travail, de faire contracter le courage et la tenue de l’activité. Or, on ne peut y réussir, qu’en faisant sentir à celui à qui elle manque les bons effets qui en résulteront pour lui. Mais l’enfermer, le faire agir de force, lui montrer l’obligation du travail avec la tristesse et ia rigueur de l’esclavage, c’est lui rendre le travail encore plus odieux, c’est le perdre, le corrompre avec principes et avec régies. Aussi combien dans nos prisons et dans celles des autres peuples, d’un étourdi on a fait un scélérat! [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 179J.J Une punition qui ne fait que souffrir, ne corrige pas; il faut, en infligeant une peine, en la mettant en vue devant une vie coupable, poser également le tableau d’un avenir assuré et heureux devant une vie appliquée, L’Assemblée nationale a bien posé une des lois convenables, en faisant participer les détenus au gain de leur travail, mais il ne suffit pas; il faut laisser encore aux détenus condamnés pour un temps déterminé, la possibilité d’en retrancher une partie par une conduite réglée et laborieuse, moyen bien plus puissant pour une véritable correcticm. On ne peut trop exciter en eux le projet de bien faire. Une partie de leur gain, c’est beaucoup pour leur appétit, ce n’est rien pour ieurréflexion, vous ne leur montrez-là que le fruit de leurs peines et non celui de leur conduite. Ce n’mt qu’en leur ouvrant cet empire de l’homme laborieux sur l’avenir, eu nourrissant leur espérance en leur faisant diminuer à mesure la longueur de leur condamnation par le redoublement d’activité et d’exactitude, que vousleur fen-z sentir et méditer ce qu’il faut leur apprendre, le travail. S’y refusent-ils, rien n’est changé à la longueur de leur détention, et cela même sert encore de châtiment à leur opiniâtreté, rentrent-ils dans le sentier de l’application et de l’ordre, vous les y fortifiez, et ils arrivent plutôt au mom nt de reparaître au rang des bons citoyens. Vous ne devez donc pas négliger un si grand moyeu. Enfermer strictement le malheureux pour un temps long, et que rien ne puisse abréger, c’est, encore un coup, le perdre, c’est lui marquer une carrière toute douloureuse, une autorité dure et inexorable, et rappeler en lui quelque chose d’inflexible qui rend le vice plus profond et plus dangereux. La peine est le premier moyen de la correction, la douceur doit achever. En Hollande, une application heureuse de ce principe prouve qu’on peut en attendre la plus grande réussite. Le premier dessein de bien faire ne suffit pas, il faut s’y maintenir par un mage répété, mais aussi par un succès déjà présent, et au bout de quelques années un homme ne peut plus changer. JSos vertus, nos plus fortes qualités morales sont d’heureuses habitudes. Ainsi donc : Art. 9. A la loi, qui, da is les maisons de correction attribue au détenu une partie de son gain, joignez un autre loi qui leur laisse la faculté d’abregerà mesure, par une bonne conduite, une partie du temps de leur condamnation. . Art. 10. Tout mendiant qui n’a pas de profession ne doit pas être détenu seulement pour un temps relatif à une profession. 11 est bien des états qui ne demandent point d’apprentissage, ils demandent au moins de ta constance et de la conduite: ainsi dos travaux domestiques, ces travaux de journaliers, de revendeurs, etc. Or, tout homme qui n’a rien ne peut vivre autrement que par le vol ou le travail, et la société peut lui commander de choisir le travail, et lui en imposer d’avance l’habitude et la faculté. D’après cela, tout homme ouvrier, surpris dans le délit de la mendicité, mérite unchâtiment qui peut aller à 3 mois de correction. Toute personne de profession vague, sans apprentissage, doit être détenue non pour 3 mois, mais pour un temps suffisant, afin d’apprendre un métier, tel qa’un laps de 25 ou 30 mois, que par une application assidue et un progrès sensible, elle pourrait abréger progressivement, mais jamais plus de moitié. Art. 1 1 . La,foree publique qui arrêtera les hommes m sans aveu, les vagabonds, les mendiants, ne recevra aucun payement extraordinaire, ni relatif au nombre d'arrestations. Art. 12. Je ne sais pourquoi le comité propose une liste de gens sans aveu, sans domicile et suspects, et avec une simple note, s’ils font une fausse déclaration; car voilà par ce moyen les vagabonds institués en profession avouée. Songez donc que tout inscrits qu’ils seraient, ils ne peuvent subsister que de forfaitures, et que 3, 4 crimes se commettent (toujours, avant qu’un coupable soit découvert. Ainsi donc mettez en principe que tout homme doit à la sû-reié commune la caution d’une yie connue ou d’un métier; et que tout homme en même temps sans dumicile,sans passeport et sans profession, sera traité comme mendiant, puisqu’il dq peut être autre chose. On enferme les hoinmes pour dettes; les gens sans aveu et sans métier sont-ils moins à charge? Art. 13. Aucun homme ne pourra répondre pour un vagabo d arrêté ou enfermé pour trois mois, ni lui épargner par aucun moyen ces trois mois, qui seront de rigueur; car c’est un homme. corrigé qu’il faut, et puisque des parents n’ont pu l’élever à bien, ils pe sont pas maîtres de remettre un homme dangereux dans la société, c’est l’affaire de la loi de corriger et do refaire l’homme. Art. 14. Quant au délit de mendicité, la dernière peine, quoiqu’à diverses reprises, ne pourra jamais être de plus d’un an de maison de correction. Il y a une débilité d’organes et de courage envers laquelle il faut réduire la rigueur du châtiment. Celui qui a bien observé les hommes dans le travail, a vu qu’il eq est beaucoup qui, pour toute leur vie, ne seront jamais laborieux ni criminels (1), Le comité propose la transportation à des (erres éloignées, après un certain nombre de récidives. Je ne sais pourquoi tendre son imagination pour découvrir cette dégradation de châtiment s, et arriver uniformément à des rigueurs extrêmes qui traitent toutes sortes de misérables de la même manière. Ce qui a rendu la plupart du temps les magistrats durs et cruels, pour tout génie, c’est qu’ils n’ont jamais connu l’homme des prisons. Mais ici nous traitons l’homme au milieu de la société : c’est sa paresse, sa mauvaise éducation, son infortune que nous avons à remédier. Ne nous bâtons pas de les jeter indistinctement, et comme incurables, sur des plages étrangères. G tte transportation me semble d’ailleurs furieusement arbitraire* et l’ouverture à des bannissements quelque jour funeste. Dans cette loi, trop indulgente, ou trop sévère, dans tous les cas, il n’y a de certain que le danger pour la liberté publique. Art. 15. Le père (ou la mère, ou le plus proche parent àson défaut), dantl’enfant mendiera, sera prévenu; si l’enfant est repris une seconde fois, le père sera puni d’un avertissement public, à (1) Marivaux représentant à un garçon grand et fort qui lui demandait la charité, qu’il ferait mieux de travailler: « C’est vrai, monsieur, dit-il; mais si vous sait viez comme je suis paresseux ! » Il se trouve une multitude de misérables qu’il sera impossible d’attacher jamais à l’ouvrage, venus de l’étranger, ou sortis de la lie des derniers temps, également étrangers chez un peuple qui a recouvré sa vertu. Il faudra donc redoubler de vigilance en ces derniers temps. Heureusement une génération est bientôt remplacée, c’est ce qui fait que les peuples sont toujours susceptibles d’une prompte ôpuratiqa. 640 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.J la troisième fois, le père sera puni de 3 mois lui-même dans les maisons de correction avec son enfant, à moins que, dès la seconde récidive, l’enfant n’ait été renfermé lui-même, du consentement du père, pour mois, dans lesdites maisons de travail. Art. 16. U y a une quantité de règles à joindre à ces articles, soit à l’extérieur, soit aussi dans l’intérieur de ces maisons par exemple, un prisonnier doit être , à tour de rôle , inspecteur de la nourriture des prisonniers , etc. (1). Ce qui concerne les prisons, le .bannissement, les peines diffamantes, devraient encore trouver place ici. Cette matière, voisine de ce qui touche la mendicité, viendrait naturellement, car les forfaitures sont les derniers termes delà misère, et leur examen entrerait de droit dans ce travail. Je suspendrai toutefois cette discussion, où, désespérant du coupable, il faut l’abandonner aux supplices; je ne suis point encore à ce dernier point, et c’est mon but le plus cher de n’y point arriver. Car la barbarie des peines témoigne presque toujours l’insuffisance des lois. En ctiâ-tiant les premières fautes, on s’épargne de sévir contre les forfaits. J’ai donc pensé que le législateur s’occupait davantage à prévoir qu’à venger, que sa prudence et jamais sa colère dict ait le châtiment. Le crime n’est pas encore commis. J’ai pensé, dis-je, qu’aux yeux du législateur, l’homme est encore innocent, et qu’il n’est jamais que malheureux. Quoique la graduation des châtiments soit une question particulière, et trop étendue pour entrer dans ce mémoire, j’observerai néanmoins, parce que cela tient expressément à celle de la mendicité, qu’on doit châtier, jamais flétrir. Un misérable, flétri ne vaudra plus jamais rien dans la société, et tout homme réputé une fois infâme le sera toujours. Ainsi le scélérat est souvent l’ouvrage des premières peines infligées par la loi; il a contracté, non pas l’habitude du crime, mais l’habitude du mépris. Howard rapporte que, dans l’Ecosse, il y a peu de prisonniers, et que c’est aux soins qu’on y prend d’instruire la jeunesse, ou en partie àla honte et à la flétrissure attachées à l’emprisonnement même, qu’on doit le petit nombre de prisonniers et d’exécutions. On n’y voit que 3 ou 4 exécutions par au ; à Amsterdam, les exécutions sont également très rares, les maisons de correction y sont aussi parfaitement ordonnées. Je ne connais pas le nombre d’exécutions nui ont lieu en France, mais il est quelquefois effrayant. A Montargis, il y a eu jusqu’à 200 exécutions dans une année, sans que les crimes en fussent plus rares. L’échelle des peines est donc une institution difficile, mais de la dernière importance; et j’appuie principalement sur ce point que de rendre par le châtiment un homme infâme, ce n’est pas le corriger, c’est le rendre pire. J’ajouterai dans un article à la suite de ce qui regarde les lois de correction. Art. 17. Tout acte qui doit remettre un homme (1) L'arrestation des mendiants a elle-même certaines difficultés, en ce qu’on ne peut guère les prendre sur le fait, et qu’on ne doit pas laisser à la force publique armée l’exercice arbitraire de la diligence et de la déposition. Ce devrait donc être un devoir sacré de tout citoyen de déclarer, non le mendiant, mais le fait; que chacun fit le serment de dénoncer toutes les fois qu’il a été témoin de la mendicité, qu’il soit libre de donner, mais tenu à faire sa déclaration du délit réel de la mendicité; car il prévient que la misère est trop grande pour que chacun puisse vivre, et que le lieu n’est pas en sûreté puisqu’il y a des vagabonds. puni dans la société , regarde nécessairement le régime de correction. Toute punition, dans ce cas , sera donc un laps plus ou moins long de travail plus ou moins pénible , jamais une marque de flétrissure. , ni une lettre d'infamie. Car autrement, Messieurs, comment pourriez-vous, avec justice, à un châtiment de correction qui doit être suffisant, par le principe même qu’il est terminé et que le coupable est censé avoir expié son délit, puisqu'il rentre libre dans le sein de la société; comment, dis-je, pourriez-vous joindre avec justice, la peine d’une flétrissure, qui, toujours présente, est une exécution perpétuelle, et tient le patient dans une crise toujours dangereuse, où il est naturellement porté à se venger du mépris dont chacun est autorisé à le frapper? Le comité a bien saisi l’absurde inconséquence des bannissements, espèce de trahison envers l’étranger ou envers nos propres concitoyens, ainsi nous n’en parlerons pas. Quant aux [irisons, aux maisons de force, l’homme qui est détenu n’est pas encore jugé; il appartient jusque-là à cette surveillance d’humanité qui embrasse tous les malheureux. Le principe en est porté dans la déclaration des droits. Si déjà, par une sorte d’imperfection de l’ordre social, il est in dis pensable de s’assurer de l’homme accusé ou soupçonné, toute rigueur au moins qui n’est pas nécessaire à cet acte de sûreié, est un crime envers lui. Aucune convention raisonnable, aucune loi ne peut donner le droit de blesser son existence dans un séjour infect et horrible, de lui faire souffrir avant le jugement, un long tourment qui, seul, suffirait pour punir la plupart des délits. Pourquoi donc cet article de la Déclaration des droits de l’homme n’a-t-il pas encore son effet, et n’est-il encore qu’en spéculation? Vous connaissez en quel état sont presque partout les prisons; vous savez que partout on les prendrait plutôt pour des lazarets de pestiférés que pour des maisons de sûreté, et que, certes, il périt bien plus de malheureux des maladies des prisons, que du glaive des lois. Je oe vous parle pas encore du joug brutal de lous ceux qu’on place à la garde des prisonniers, ni de 1 iniquité des retards de jugements qui, s'il était possible, devraient avoir lieu dès le lendemain de la détention; car jusque-là la détention est un surcroît de châtiment étranger au fait de la pour-suiie: ni de cette contagion de vices et de débauche, qui, hors des prisons, mériteraient d’être repris et châtiés. Mais il est certain que presque dans toute l’Europe les prisons recèlent les mêmes horreurs. Partout, lepûncipe préservateur a donc été oublié ou violé (1). (1) Nous avons vu comment les hôpitaux étaient contraires à leur véritable destination. 11 y a bien plus d’horreurs encore à reprocher aux prisons. Une multitude de maladies contagieuses y causent la plus cruelle mortalité, et souvent même se répandent au dehors. Stowe parle des ravages que la maladie des prisons exerça en 1414 à Newgate, à Ludgate, et dans les 6 années qui précédèrent en 1579 les bans du roi. Baker raconte qu’aux assises de 1577, dans le château d'Oxfcrd, tous ceux qui y assistèrent, le chef de la justice, le shériff et 300 personnes périrent dans l’espace de 40 heures. Cette maladie fut apportée dans le tribunal par les prisonniers. On appela cette assemblée «les assises noires». Bacon en cite plusieurs autres exemples dont il fut témoin. Dans les assises de mars, tenues àTaunton, en 1730, des prisonniers infectèrent de cette fièvre pestilen- [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.J 641 Malheureusement l’homme arrêté est aussitôt dans une défaveur publique. Mais la loi ne doit tielle le tribunal; plusieurs magistrats et quelques centaines d’hommes y périront. 25 ans après, un prisonnier absous infecta sa famille et une ville entière. En 1750, le nombre de ceux qui périrent à Londres et dans les environs, de cette contagion émanée des prisons, fut considérable. Le docteur Lind, médecin de l’hôpital de Haslar, près de Portsmouth, assure que la source de l’infection dans les armées et les flottes anglaises vient des prisons. Celles qui furent envoyées en Amérique, dans l’avant-dernière guerre, perdirent plus do 2,000 hommes ar cette contagion, que des gardes marines portèrent es cachots sur la flotte, et qui y causa plus de ravages que tous les autres genres de mort ensemble. Nous avons sous les yeux l’espèce de prisons flottantes, dans lesquelles on transporte les nègres de l’Afrique en Amérique, elles en feraient périr une bien plus grande quantité, si la cupidité, bien plus active et plus infatigable que la compassion, ne surveillait, non à à leurs douleurs, mais à leur destruction. J’ai choisi de citer chez un peuple distingué par son humanité, ses observations et ses richosses. En France, il n’y en aurait pas moins d’exemples; le rapport des commissaires, en 1786, cite les fièvres des prisons, et la perte qu’elles ont répandue à diverses époques ; celle dont les prisonniers furent atteints en 1548; sept autres contagions depuis 1481 jusqu’en 1580; on on cite encore une infinité d’autres depuis dues à la même cause. Les vices n’y pullulent pas avec moins d’activité, et no se répandent pas moins au dehors. Il est connu que plus de la moitié des vols et des assassinats se méditent dans les prisons. Une des plus cruelles et des plus étonnantes négligences de législation, c’est de livrer les prisonniers en entreprises aux geôliers. C’est une des horreurs dont Howard se plaint avec le plus d’amertume, que les hommes libérés ne puissent sortir de prison et y soient retenus des années entières et maltraités jusqu’à ce qu’ils aient acquitté les frais dus au geôlier, qui est là le maître et le persécuteur de sa proie. En Irlande, un prisonnier déchargé de l’accusation ne peut sortir de prison qu’il n’ait payé les frais de droit et d’usage pour le clerc de la couronne, les juges, geôlier et guichetier, et qui se montent à 42 livres tournois. Des enfants de 12 ans, au plus, y restent quelquefois plusieurs années pour cette cause. Les geôliers, dans plusieurs prisons en Angleterre, sont sans appointements, comme à Salisbury; le geôlier de la prison do Ches-terficld paye au duc de Portland 18 1. 12 s. sterling de rente pour la prison. Il faut qu’ils retrouvent, qu’ils reprennent tout cela par des vexations qui, ayant ce motif, semblent légitimées. La nourriture des prisonniers est aussi négligée que la salubrité de leur demeure. La loi assignait, en Angleterre, dans plusieurs prisons, un pain d’un sol, qui lors du règlement, pesait 16 onces ; aujourd’hui on leur donne toujours un pain d’un sol, qui ne pèse plus que 8 onces. Aussi un séjour de quelques semaines dans les prisons, dit Howard, suffit pour exténuer et réduire à l’extrémité l’homme le plus robuste. Combien un prisonnier, même innocent, a de supplices à subir ! En France, ils périssent encore plus promptement. Dans les dépôts de charité, un tiers des détenus périt de faim dans l’année. On a quelquefois examiné et réformé le régime de ces maisons de douleurs, on a sévi même, mais bien rarement. A Paris, en 1665, un geôlier fut Sendu pour avoir laissé mourir de faim un prisonnier. lais combien, non pas de geôliers, mais d’administrateurs n’ont pas été punis ! Je pense que si le principe énoncé dans ce mémoire, de faire participer tous les citoyens, dans leur vie, à l’assistance des malheureux, était bien institué; si la pratique s’en étendait à toutes les circonstances, dans les hôpitaux, les maisons de travail et les prisons, on épargnerait bien des horreurs à l’humanité. J’ai parlé dune malheureuse qui périt de faim, do maladie et de douleur dans les prisons. Sa mèro me vient trouver en pleurs; je cours chez le magistrat : j’ai de quoi plaider sans doute. Rien de juste peut-il porter le châtiment à un tel excès de barbarie ? Elle est déjà punie, et n’est ire SÉ1UE. T. XXII. pas être sujette à cette erreur, et la même justice, qui conduit l’accusé dans les prisons, ne doit pas le quitter à la porte; elle doit veiller à sa conservation et à ses droits, comme elle a veillé aux droits de l’accusateur. Telle action mérite telle peine; mais la prison change de loi, et au lieu d’une sûreté à prendre, donne la mort à un homme. C’est donc une partie essentielle de la loi, de prévenir cette exteusion donnée à la peine d’un délit. Dès ce moment, considérez donc avec effroi que les prisons sont positivement un supplice (IV, que ce supplice va très communément jusqu à donner la mort, et rendez à l’hospitalité le droit d’y pénétrer, de veiller sur elles, et jusqu’à ce que la loi ait prononcé, de traiter les prisons comme de véritables hôpitaux; reconnaissez, dis-je, qu’un malheureux, quel qu’il soit, a, dès qu’il entre dans les prisons, un des caractères sacrés de l’innocence, celui de ne pouvoir rien pour lui-même; ses bras, ses mouvements, ses prières, tout est nul ; il ne peut avoir soin de lui. Si vous les entassez plusieurs ensemble, si vous les placez dans un lieu humide et malsain, impuissants, tout est sourd àleur voix : ils périssent. Laissant donc à la législation criminelle ce qui concerne la peine des forfaitures, je me borne à joindre cet objet de loi sur les prisons. Art. 18. Les prisons recevront les mêmes soins et secours que les hôpitaux ; partout elles seront administrées , lisitées autant et aussi fréquemment , et avec la plus stricte obligation , par les mêmes citoyens surveillants des hôpitaux . Nous aurions beaucoup d’autres articles à ajouter; mais le projet de ce mémoire me borna à tracer par quelle méthode ou pourrait rassembler, dans le même sentiment, dans le même système de soulagement et de consolation, tout ce qui souffre. Passons maintenant à V éducation publique , qui demande de grands développements. Je me bornerai cependant à la considérer dans le sens général, qui se rapporte à l’objet que nous traitons ici. Oh! combien cette question est intéressante! Qu’il est attachant et doux pour le cœur du citoyen de donner des vertus aux enfants de la République, de mêler ses sentiments aux senti-meuis paternels, d’occuper sa piété et son patriotisme à préserver les hommes, non de la misère seulement, mais de l’abjection et du crime! Messieurs, cette fonction sera sublime, si l’éducation consiste à donner des mœurs; elle serait chétive et fausse, et contraire même à pas jugée ; lacérée par la mort de ses deux enfants expirés sur ses mamelles, elle se meurt elle-même. Et si la peine de sa faute ne doit être que 3 mois de maison de travail ! En voilà déjà sept. La seule réponse ue j’obtins fut une mauvaise plaisanterie. Car dans e si tristes occasions, c’est encore aux dépens du misérable que le riche s’égaye. Je pense, au moins sur ce fait, que l’intérêt, l’intercession préservatrice de l’honnête homme pour le misérable, ne doivent point être perdus; que celte compassion si active et si pare est un élément des plus nécessaires que la société puisse mettre en usage; et c’est pour cela que je voudrais conserver la plus exacte et légale communication entre les citoyens et les malheureux des hôpitaux et dos prisons. (1) En Danemark, lorsque le comte do Slruensée fut tiré de prison, après y avoir langui 3 mois pour être conduit à une mort terrible, il s’écria : « O quel bon-« heur de respirer un air frais ! » 41 642 lAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (31 janvier 1791.) l’esprit de son institution, si vous la réduisiez à une simple perfectibilité d’adresse et de talents. C’esl non l'ouvrier adroit, mais l’ouvrier honnête homme, qu’il nous faut; c’est la carrière des vertus et non celle de la fortune que vous devez ouvrir , ce soat des citoyens, des pères, des amis, c’est l’homme enfin dans sa famille, et non l’étudiant dans sa rivalité, que vous devez instruire et guider. Je me garderai donc bien de considérer l’éducation publique autrement que dans sa moralité, dans l’impression des sentiments qui conviennent à l’ordre, la décence, l’activité, la bienfaisance. Il est certain que la vue et le maintien des devoirs, chez tous les citoyens, sont une vertu publique, plus imposante que la conscience de chacun en son particulier, et qui le soutient plus éga'ement dans le cours de sa vie. Voilà la véritable institution publique que nous devons avoir en vue; et un de ces caractères particuliers, c’est d’être très généralisée. Parmi tous les principes que la société peut mettre en œuvre sur cela, un des plus importants est l’assujeitissement, la règle de l’apprentissage d’un métier. Sur cela, je vois s’élever de toutes parts des hommes qui ne m’entendent pas. Sans commenter ni vouloir expliquer la raison des décrets déjà portés, en partie, sur cet objet, et qui ont dû rendre la liberté et les droits de maîtrise à tous les ouvriers, j’examinerai en quoi les apprentissages réglés peuvent paraître indispensables, comme un des premiers éléments de l’éducation publique. L’apprentissage est le temps nécessaire, non as seulement pour apprendre, mais pour s’ha-ituer, pour se vaincre au travail; il s’agit moins de savoir un métier que d’en acquérir le courage et la persévérance, de s'adapter le ressort de la nécessité, de s’armer pour sa vie entière. D’une seule et même occupation, se forme, dans cet apprentissage, l’homme habile et l’homme moral, l’adresse et la sûreté de l’ouvrier. L'intelligence, lafoice, l’exactiiude se rassemblent et ne produisent qu’un homme; et soyez assurés que ce n’est pas seulement pour préparer un lit et quelques meubles à des indolents, que la Providence a imtilué toutes les professions des sociétés humaines. Je sais, encore un coup, combien on est prévenu contre cette proposition, parce qu’on en juge par les choses passées, qui ne ressemblent pas du tout à ce que je propose. Vous aviez des jurandes et point d’apprentissage; un enfant pouvait acheter une maîtrise sans rien savoir, et l’ouvrier le plus parfait, après l’exercice le plus long, ne pouvait encore pas travailler pour son compte. Ce n’était point là du tout un apprentissage, c’était une servitude. Je propose tout le contraire : c’est-à-dire que rien ne pourrait exempter l’ouvrier riche de l’obligation d’ap-premissage, ni frustrer l’ouvri r pauvre de la liberlé des entreprises. Ce n’est plus une loi d’exclusion ; je ne parle que d’une règle commune, un laps de temps de trois ans, par exemple, occupés exactement en travail, soit d’apprentissage, soit en journées ou à la pièce chez un ouvrier fait (1); au bout duquel temps il le serait (1) Le sentiment de M. Smith ne peut m’être contraire, car il est motivé sur ce qu’un apprenti est l’esclave d’un maître : car il est libre d’en changer et de faire son marché ; il objecte aussi qu’un ouvrier ne peut passer d’un genre de manufacture à un autre, ce qu’il n’est nullement question ici d’empêcher : il ne présente lui-même de droit. Tout homme pourrait ensuite exercer telle profession qu’il voudrait choisir. Et quand il faudrait même ajouter la clause, s’il voulait en changer, d’un apprentissage de sa nouvelle profession, alors il serait le plus court possible, deux à trois mois; et en beaucoup de métiers encore, ce second apprentissage t eiait inutile, parce qu’ici ce n’est plus que l’ouvrier à instruire, et que l’homme moral est formé. Un auteur dont l’autorité est d’un grand poids en ces matières, M, Smith, ne rencontre rien dans l’antiquité (1), dit-il, qui donne la moindre idée de ces lois d’apprentissage ; mais comment a-t-il donc vu ce que Plutarque dit des institutions de Nurna (2), qui partagea les Romains en diverses communautés de métiers, avec leurs privilèges particuliers, ce qui ne peut être autre chose que des lois et une discipline; et qui remarque que cette institution avait éié une des plus heureuses de la république? Et s’il est bon de scruter l’antiquité, Lycurgue, qui n’institua aucun métier que celui des armes, à quoi fait-il passer les premières années du jeune homme? A un véritable apprentissage, dans le sens que je le propose ici : « Toute « leur étude était d’apprendre à obéir, à endurer « le travail (3), » et ce rudiment était prolongé jusqu'à vingt ans. Oui, Messieurs, je pense que l’éducation publique a besoin de cette première assiduité, de cette discipline, de ce commencement obligé d’une vie laborieuse, comme d’un tuteur sur lequel s’appuie et se forme l’homme encore sans force et sans expérience. Ces dépendances mutuelles deviennent des intérêts communs; tous ces rapports, dans lesquels chacun doit successivement passer, en remplissant le cours entier delà vie, ne peuvent être avantageux à une époque sans le devenir à toutes, puisque tous les âges nous appartiendront tour à tour, et que, retrouvant chaque jour le prix de quelque sacrifice antérieur, on ne serait jamais tenté de s’en affranchir. C’est le calcul de l’économie qui réserve et féconde une partie du présent pour l’avenir. Il est d’aulres puissantes raisons à vous développer sur les avantages de cetle première institution pour les classes laborieuses; je les marquerai un peu plus loin, parce que cela tient à d’autres principes non moins essentiels. Souffrez, avant d’y passer, encore une observation particulière sur un objet aussi intéressant. On n’a pas, en général, assez d’égard à la progression des différents âges, dans ce que nous devons considérer comme éducation publique, La morale se perfectionne sans cesse en avançant dans la vie, et porte à chacun de ses intervalles de nouvelles obligations. Rien de moins achevé naturellement qu’un jeune homme qui s’élance pour allerdeses seules forces; il lui faut recueillir d’année en année des instructions et des épreuves qu’il ignorait encore; et toujours l 'expérience des âges passés donne à l’âge qui suit l’homme quiconvient; quelque instruit qu’il soit, c’est à trente ans, à quarante, qu’il apprend ce qu’il fera de quarante ans à cinquante ; il apprend encore, durant ces dernières années, ce qu’il doit aucune autre objection, il ne combat donc nullement ce que je propose. Au reste, M. Smith s’élève avec raison contre les jurandes et la longueur déraisonnable des apprentissages. Tout ce qui est hors de mesure et sans proportion est toujours mauvais. (1) Traduction de M. Rouchcr, t. I, p. 2(jl. (2) Plut, in Numa. (3) Idem , in Licur. [31 janvier 1791-1 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. être dans la 3uite. C’est ainsi que l’homme peut développer tout son caractère, c’est ainsi que cette expérience conservée, ce progrès d’instruction produira successivement, dans le citoyen, l’ètre intelligent, l’être utile, l’homme sublime, c’est-à-dire l’homme tel qu’il doit être naturellement. L’éducation publique ne s’arrête donc pas à l’enfance; elle dirige même dans le temps que chacun se croit hors de toutes leçons; elle a un ascendant continuel, un génie, des lois qui se succèdent, et nous gouvernent à toutes les stations de la vie : C’est ainsi, dis-je, que les mœurs, obligées également à tous les âges, et nous prescrivant des dépendances réciproques, des égards, une décence propre à chacun d’eux, font les parties d’un tout, et formant cette véritable et entière éducation publique, dont la jeunesse est, à la vérité, la partie la plus délicate, et qui doit être la plus soumise à un guide expressément destiné à cela. Le législateur doit donc veiller très particulièrement sur ces premières années. L’homme grandit comme' tous les êtres, sous les soins de son père et de sa mère;la société doit égalementélever l’homme qui doit être aussi pour elle. C’est un travail en commun de développer les forces et l’intelligence propres à son espèce, et dans le cas particulier ici d’un temps donné d’apprentissage, de fixer et de prolonger, par des institutions sociales, les institutions de la nature. Une telle question me parait digne d’être approfondie, et principalement, car nous n’avons pas oublié notre premier objet, sur ce qu'il s’agit d’extirper la mendicité. Arrivons aux conséquences Toutes les propriétés sont distribuées ;que fera l’homme qui n’a rien? Le travail seul lui donne accès légitime au partage : chaque homme, en ce cas, doit donc avoir une proT ssion. Or, rien ne conduit plus sûrement à ce but qu’un apprentissage déterminé. Une fois l’exercice d’un métier contracté, il est rare qu’on devienne un vagabond. Il n’y a à craindre que de celui qui n’a fait que l’essayer et qui n’en possède pas l’habitude ; la nécessité commence par le rendre mi-érable et dépendant, puis vil et dangereux, car l’avilissement ne peut être qu’un état perpétuel et contracté de désespoir. Pourquoi les travaux publics ne servent-ils presque à rien, et sont-ils pernicieux la plupart du temps? Nous l’avons dit, parce qu’ils ne forment pas une profession. Or, c’est insulter les ouvriers que de dire qu’on leur a ouvert des travaux de charité, et c’est justement parce qu’ils ne sont pas des ouvriers, que les bandits qu’on y occupe ne peuvent être congédiés sans exciter des troubles. Bien au contraire de cela, la sécurité publique n’a pas de meilleur ga ant que cette intelligence d’un métier, cette activité générale où chacun est occupé. Tout ouvrier qui gagne 40 sols par jour, ( si un soldat enrôlé à 40 sols par jour pour le maintien de la tranquillité publique. De plus, l’ouvrier est, de tous les hommes, celui qui paraît le plus à découvert. Dans un métier, l’homme se trouve naturellement et toujours surveillé : ses rapports d’activité sont autant d’examens et de dénonciations perpétuelles et morales, qui empêcheraient un caractère corrompu ou pervers de se cacher nulle part, et de rester inconnu. Dans ce mouvement continuel, qui met à tous les moments les hommes en relation les uns avec les autres, il s’établit à chaque nœud tout plein de sentiments de bienfaisance et de probité, lois vivantes et précises, bien autres en 643 cela que les lois civiles et pénales, négatives uniquement, et destinées à fixer des conventions ou à réprimer des forfaitures accidentelles. Ce n’est que de ces lois premières et positives que vous obtiendrez une consistance forte, une prospérité universelle, unique but de touîe législation ; ce sont elles, enfin, qui constituent, non pas le gouvernement, mais la société. Ne craignez pas, Messieurs, de donner à cette analyse trop de développement, si vous voulez parvenir à une véritable perfection : ces premières lois doivent être douces, leur observation sévère : sans quoi il faut des lois atroces, et une observation relâchée. Chez les plus anciens peuples, celui qui n’avait pas de profession était digne de mort (1), parce que nécessairement il vivait aux dépens d’autrui, le trompait ou le volait, qu’il était forcément criminel ; le principe de la loi est profondément juste. Faisons passer cette sévérité dans nos institutions, mais suivant notre génie, nos mœurs, et les progrès que nous avons faits dans les connaissances sociales ainsi que dans toutes les autres. Certes, on usait d’une rigueur aussi cruelle envers les misérables, on les faisait également périr. Les incarcérer, les accabler de mauvais traitements, les marquer d’un fer rouge, les condamner aux galères, les envoyer au gibet : voilà ce qu’on a fait. En trois années, sous le dernier régime, sur 48,000 mendiants arrêtés, il en périt 31,000, dans les mêmes 3 années, de faim, de misère, et de la peste des prisons (2). Mais ce n’est plus la même chose, ce ne sont pas ici des hommes sans profession, mais des ouvriers sans ouvrage dont on se défaisait, Quoi qu’il en soit, tel est le principe; tout homme doit travailler, à moins qu'ayant un bien acquis, il ne puisse vivre et ne rien taire, comme uu infirme; s’il ne travaille pas, il tombe dans le cas forcé de la mendicité, et c’est ici la place de bien prononcer que la mendicité n’est presque jamais qu’un essai de vol, une école de brigandage. Ne fût-il pas criminel encore, tout mendiant se couvre volontairement d’une abjection infâme, et l’homme vil outrage l’humanité entière ; tout mendiant est esclave, et laisser un esclave parmi nous, c’est y laisser le germe de la tyrannie. Chez un peuple libre, l’exercice d'une profession devient donc plus obligée encore, Or, si nous voulons être conséquents, que résulte-t-il du principe qui obligerait chacun à avoir uDe profession, et de celui qui mettrait en pratique les règles d’un temps déterminé d’ap-prentis.-age? Ceci, très rigoureusement : que tout mendiant sans profession retombe sous la tutelle de l’autorité publique, et se trouve, ainsi que l’a été tout citoyen dans son temps d’apprentissage, soumis également à un temps déterminé de correction ; c’est-à-dire légalement remis dans l’acheminement d’un métier qu’il choisit lui-même : ce temps était obligé déjà par l’institution commune à tous métiers; et la force pubii-(1) Amasis fit cette loi che? les Egyptiens; et Solon la porta à Athènes. ( Hérodote , 1. Il, ji.) Une particuliarité qui frappa Adrien, lorsqu’il passa par Alexandrie, c’est que chacun, même les aveugles, avait un métier. (Yapisc. vit. sat.) (2i Sur un relevé de 22 années, on trouvera que la mortalité était au moins de 1/5* sur les mendiants emprisonnes, et que la dépense par individu montait au moins à 120 livres. 644 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791.] que n’use donc d’aucune rigueur illégitime, en y astreignant les hommes mendiants et sans aveu. Nous poserons ainsi à la suite des autres arti clés les suivants Art. 19. Tout homme doit avoir une profession. Art. 20. Un temps déterminé d’apprentissage est nécessaire en toutes professions, pour répon dre des mœurs et de la persévérance d’un chacun, et pour le confirmer dans son indépendance réelle, celle de ne tenir sa vie que de son travail. Art. 21. Tout homme qui ne peut trouver à vivre doit réclamer, car l’ordre public pêche quelque part; mais tout mendiant valide doit tomber sous la tutelle publique, qui le soumette au travail et à la règle ordonnée des maisons de correction, durant un temps déterminé. Art. 22. Les maisons de correction seront aussi des maisons de secours. Ces maisons doivent être moins lucratives pour les ouvriers, que le travail ordinaire dans la société, afin de ne les y point attirer, et d’avoir ce moyen d’être averti de la calamité d’une inoccupation accidentelle; car voilà le principe sur lequel est fondée la loi qui, dans ces maisons, n'attribue à l’ouvrier qu’une partie de son gain. Art. 23. Il doit y avoir dans ces maisons de correction des cas qui ordonnent un renfermement strict dans l’intérieur de la maison, d’au très qui permettent la liberté au dehors (1). C’est ainsi, Messieurs, que la sévérité ne doit être que la suite et un moyen de la bienfaisance elle-même. C’est ainsi que vous séparerez, dans tous les points, le crime d’avec le malheur, la mendicité d’avec la misère; que si vous êtes tenus à soulager l’indigence de l’homme, vous avez droit à vous opposer à sa dégradation. C’est croira témoigner, par là, une conception plus simple et plus hardie, n’attribuez, au contraire, une méthode si expéditive qu’au sentiment étroit d'une fausse énergie, qui s’arrête à ce qui lui est le plus facile à concevoir, son repos, et une cruauté qui abrège ses devoirs ; dans cette rigueur, l’homme montre ce qu’il est, et non pas ce qu’il faut. L’objet essentiel de ce mémoire semble devoir m'arrêter au premier article de l’éducation publique, V obligation du travail, et m’interdire d’y joindre aucun système particulier d’instruction, pour le développement des facultés intellectuelles; car je pense que tout système dépendra d’abord de l’état où se trouvent les hommes, et que tous les documents n’y feraient rien, si les hommes ne sont pas en état de les mettre en étude et en pratique. Le premier pas à faire vers la moralité, c’est de leur assurer cette première indépendance, cette liberté substantielle, une profession qui suffise à leur existence. Sans cela, nous n’avancerons pas. Malheureusement, qui n’a rien semble n’être rien ; et voilà, si vous l’avez bien observé, comment la pauvreté n’est jamais assez forte pour se défendre. Il semble que partout la nudité annonce la perte delà vertu. Pressé entre le besoin et l’oppresseur, le pauvre tombe sous le joug tout pesant de la nécessité, les sacrifices les plus honteux sont une partie des pénibles corvées qu’on lui impose; l’esclavage, le viol le plus outrageant, ont été érigés en lois. Le garant le plus sûr de l’éducation publique se trouve donc dans la propriété qu’un travail assuré rend accessible à tous les hommes. J’ajouterai particulièrement que tout ce qui peut rétablir la pudeur de l'homme fait partie de l’éducation publique : or, la pudeur tient à la amsi que l’homme* averti et levant sa tête, res-dignité. Aussi aurais-je fait dépendre la dignité pirera l’air pur de l’égalité et recouvrera ses de citoyen plus directement de l’occupation réelle. forces et son intelligence. Autrement, croiriez-vous avoir satisfait à la sagesse du législateur nar des règlements et des exécutions de police? Non, Messieurs ; et quand vous verrez l’homme public dédaigner cette analyse et ces grands détails; quand, dis-je, s’imaginant pouvoir extirper tous les inconvénients de la mendicité, par une peine effrayante, un seul fait de rigueur, il (1) En Portugal, les prisonniers sont détenus souvent plusieurs années avant d’être jugés, et quelquefois des années encore avant de subir la sentence, ce qui était cause, sans doute, qu’avant l’administration du marquis do Pombal, les geôliers laissaient sortir les prisonniers sur leur parole. L’un d’eux jouit sept ans de celte faveur, quoique condamné à mort. L’ordre de l’exécution arriva; sur la sommation du geôlier, le coupable, qui travaillait dans la province, revint sans balancer, se rendit dans sa prison. Ce respect pour sa promesse lui fit donner sa grâce. Y a-t-il on renfermement pire que l’esclavage des ncgres? Les voit-on s’y soustraire? Vous les avez accoutumés à la terreur, dites-vous ; mais seraient-ils donc moins susceptibles d’obéir au sentiment de la probité? Ce qui rend l’homme du peuple méprisable, c’est qu’on le méprise toujours; je lui donnerais plus de confiance; je poserais pour première peine de la mendicité, par exemple, que l’homme consigné dans une maison de correction pour trois mois le serait sur sa parole, et que celui qui en aurait enfreint l’obligation, serait puni, seulement pour ce parjure, de trois mois de plus de renfermement forcé. J’ai vu que le mensonge était puni chez quelques peuples, quo l’ingratitude l’a été chez d’autres. C’est en faisant servir de telles dispositions, plutôt simples que minutieusos, dans les circonstances les plus communes de la vie, q�e l’on peut conduire les peuples à une grande moralité. _ 'occupation réelle, que delà contribution, et je n’aurais consulté la contribution, que lorsqu’elle servirait à suppléer à la profession d’un métier (1). Je sais que la suite des décrets a conduit au même résultat à peu près; mais je voudrais que les lois tinssent de plus près aux principes, et qu’elles ne sortissent pas accidentellement de circonstances étrangères. J’ajouterai, de plus, que ce premier soin que vous prendrez des classes laborieuses, se lie, par ses conséquences, aux soins que vous devez à, l’éducation de tous les hommes en général, et, en particulier, à celles des classes opulentes. En honorant, non pas spéculativement, mais de fait, le travail et l’utilité, vous acquerrez un grand empire sur ces dernières. Geci tient de trop près à l’objet que nous traitons, pour être négligé ici ; car enfin, ces classes fastueuses n’ont-elles pas aussi leur populace, leurs vagabonds? N’en sort-il pas un aussi grand nombre de crimes contre les individus, contre la paix et tous les intérêts de la société? Leur impudeur, leurs outrages, leurs vols sont-ils moins multipliés, moins punissables ? et ne devez-vous pas comprendre, dans le vagabondage qu’il s’agit de châtier et de ré-(1) Dans le principe, la propriété industrielle est encore plus assurée, par sa nature, que la propriété acquise. Car si un accident peut casser uu bras à l’ouvrier, un incendie peut détruire la maison du possesseur ; et la chose publique n’est obligée à des secours d’invalidité qu’envers le premier. Par conséquent, le propriétaire en fonds voulant se donner pour lo représentant réel, pour lo citoyen en chef, l’ouvrier, c’est-à-dire le propriétaire industriel, n’a rien à lui céder en cela. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791. j 643 primer, tous ces hommes vils, qui ne sont pas comptés dans la mendicité, mais qui, par toutes sortes d’infamies, en aigrissent, en accroissent les vices et la fureur (car la dépravation est plus malfaisante que la nécessité) ; tous ces hommes d’autant plus dangereux que, renfermant autant d’astuce que de scélératesse, et se faisant un état de leurs crimes, ils acquièrent la science d’éviter les dénonciations et la poursuite des lois? La fortune établit son code moral à part, elle paye la tolérance, elle séduit les opinions, elle cimente sa ligue en toute occasion, au milieu de ses débauches : opposez-lui la chasteté et la décence du peuple; chez un peuple libre, tel est l’emblème et l’expression de sa souveraineté, tel est l'empire qu’il exerce sur tous les hommes : l’exemple de sa vertu est une loi, et des mœurs pures sont la part que chaque citoyen a dans l’autorité qui gouverne. En honorant donc l’utilité, en donnant ainsi une grande prééminence aux qualités morales, et réduisant autant que vous pourrez la fortune à ses seuls avantages de jouir avec plus de variété, vous aurez encore gagné cela, qu’ayant rendu les hommes plus sensibles à l’estime qu’aux applaudissements, qu’ayant plutôt réglé leur esprit qu’exalté leur imagination, ils n’éprouveront plus cette inquiétude qui les sort sans cesse ae place; que, mus par une saine ambition, ils n’auront pas besoin de quitter la profession de leurs pères pour arriver à un succès. Or, ce n’est pas un des moindres vices d’éducation que les hommes soient honteux de l’état d’où ils partent, que les plus intelligents, ayant plus de moyens pour s’en éloigner, inondent la société d’ambitieux qui, ne réunissant qu’en petit nombre, lui donnent sans cesse un air de ruine et de désordre; tandis que s’ils étaient restés dans leurs premières professions, ils en auraient accru l’intelligence et la dignité. Il est un autre élément de l’éducation publique, trop important, attaché trop intimement à la liberté et à la sûreté des peuples, pour être passé sous silence. Ce sont les lumières qui ont donné la liberté, ce sont elles qui la conserveront: prenons garde que l’ingratitude les éteigne jamais parmi nous; prenons garde que tout homme qui ne fait pas usage de la faculté de penser se range machinalement au nombre des brutes, et se courbe comme elles sous le joug de l’homme qui pense. La conscience de l’homme se fortifie donc par des préceptes sévères et hardis : ce qui le rendra juste le rendra indépendant. Il faut armer sa raison des vérités éternelles qui le défendent contre les tyrans et les imposteurs, comme vous avez armé ses bras d'un métier contre la nécessité. Cette instruction, commune à tous les citoyens, devient donc obligée, elle doit veiller et prévenir cet assoupissement, cette ignorance de tous les droits humains et sociaux. Une instruction aussi essentielle, Messieurs, avait sans doute une place marquée par la Providence môme dans la longue jeunesse du plus pauvre comme du plus riche : et, peut-être, la religion, dans tous les pays, n’a fait qu’usurper cette première occupation destinée de l’homme, et s’emparer de lui pour en faire un prosélyte, quand le génie de la société ordonnait d’en faire un citoyen. Jetons les yeux maintenant sur une des situations les plus affligeantes, sur un des écarts les plus inconcevables au sein des sociétés, l’exposition des enfants. Et déjà rendons hommage au plus bel établissement de l’humanité ; aucun de plus précisément bienfaisant que celui de la Charité maternelle : pourquoi? Parce que la vertu ne confie pas à un corps froid, à une administration cupide, la distribution attentive d’une charité qui ne peut se transmettre; que le secours est immédiat, que s’associant aux malheureux, par un colportage de sentiment et de destinée, les femmes, en venant à leur aide, éprouvent au fond de leur âme les mêmes agitations qui doivent tourmenter une misérable femme forcée à abandonner son enfant. Qu'arrive-t-il? Une malheureuse a son mari, pauvre et manœuvre; elle lui porte sa nourriture, et travaille aussi de son côté, autant qu’elle peut en trouver l’occasion. Quelquefois l’occupation leur a manqué à tous les deux; et le pauvre n’est jamais sans quelque dette qui le persécute. La malheureuse nourrit-elle son enfant, la nécessité redouble et la presse de toutes parts : souvent elle en a déjà eu plusieurs de morts de leur misère commune. Quel intérêt peut l’engager à nourrir un être qu’elle ne conservera pas, et pour qui elle ne prévoit que malheur, et presque une mort certaine? Son mari lui donne les raisons et le courage de le porter à la maison commune : dans cet état, la charité maternelle vole à son secours, lui paye les mois de nourrice qu’on payerait à une autre qu’à sa mère; et ce n’est pas ici l’espoir d’un gain, d’un bénéfice, ce n’est pas cela que la malheureuse reçoit de la bienfaisance, mais la possibilité inappréciable de conserver son enfant qu’elle recouvre et quelle eût payé de son sang. 45 livres par an, durant 8 ans, suffisent pour qu’une mère nourrisse elle-même et conserve son enfant ; au contraire, un enfant est-il abandonné, non seulement il a perdu sa famille et son existence morale, mai3 il faut payer pour lui cette même somme pendant 15 à 16 ans, au bout desquels c’est encore un misérable sans famille (1). C’est bien là la plus parfaite écono-(1) A la Société de la Charité maternelle de Paris, la dépense est, pour la premièro aimée, y compris tous les secours de la couche, layette, etc ........ 144 liv. Celle pour les 14 années suivantes ........ 560 704 liv. Ce qui la fait monter, année commune, à 47 livres. A Lyon, où il y a une Société maternelle plus anciennement établie, la dépense monte à 45 livres. Nous voyons que la pension des enfants trouvés est assez généralement de 40 livres par an dans les campagnes. Dans les hôpitaux, pour faire beaucoup moins de bien, la dépense monte de 70 à 80 livres par enfant. Dans la maison du Saint-Esprit, destinée à élever des orphelins à Paris, elle est de 800 livres annuellement par individu, pour arriver à faire des ouvriers médiocres, et la plupart du temps de mauvais sujets. Je crois que l’on ne devrait se charger de payer la ponsion d’un enfant que jusqu’à 18 ans ; à cet âge, il commence à travailler. Or, comme à 8 ans, il no reste que moitié des hommes venus au monde, mais qu’il y a d’ailleurs une autre dégradation dans la mortalité, qui diminue de beaucoup en avançant jusqu’à 16 aus, on peut regarder cette économie comme un quart ; et par conséquent on pourrait, avec la même dépense, au lieu de 3, se charger de 4 enfants. On ne trouve guère plus de maisons, pour les enfants exposés chez les anciens, que d’hôpitaux ; mais on en prenait généralement soin. On connaît la cruauté avec laquelle quelques peuples se défaisaient des enfants qu’ils trouvaient mal conformés, tel qu’à Sparte, où on les précipitait dans une fondrière, appelée les Apothètes; 646 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [31 janvier 1791.] mie comme le plus bel acte de bienfaisance. Aucune institution n’a mieux mérité, non pas des éloges, car je pleure la vertu quand je la vois célébrer comme une chose extraordinaire, mais l’imitation universe'le, mais de devenir un exercice empressé et habituel, un rapport de plus entre les citoyens; et toute femme qui se livrera à ces dignes fonctions doit être honorée, et couverte de gloire, comme une mère féconde qui a nourri tous ses enfants. Les secours à domicile ont, à cet égard, l’application la plus heureu«e. Cette première assistance s’étend sur le cours entier de la vie, et porte à tous les âges les mêmes principes. Deux causes bien différentes ont rendu coupables de l’exposition des enfants une affreuse indigence et le relâchement des mœurs. Pour contraindre des mères à renoncer au plus cher, au plus poignant des liens de la nature, il fallait une détresse épouvantable et comme cet état de misère frappa la multitude, l’exposition des enfants par les misérables fut donc tolérée. Mais la dépravation profita de cette tolérance, et l’excès de la corruption put paraître également un excès de misère. Si vous voulez donc interdire une coutume aussi barbare, faites d’abord que l’indigence ne soit plus réduite à cette extrémité, et il vous sera facile alors de mettre dans tout son jour l’infamie et l’atrocité d’un tel abandon, et alors les mères ne le commettront plus. Les malheureuses qui y sont forcées le pleurent avec des larmes de sang ; en cet état, elles sont bien près du désespoir, mais bien loin de la scélératesse. La séparation d’un prétexte à l’abandon des enfants, et de bonnes lois sur cet objet, doivent en rendre les exemples infiniment rares, et les mœurs publiques auraient beaucoup à y gagner. Les gens riches profitent bien vite des vices de la pauvreté, et les empirent encore. Mais, quelque succès que vous deviez attendre de l’application des secours à domicile, et de tous ceux qui auraient antérieurement allégé la misère, ne comptez pas réprimer complètement cet effroyable exemple : il y en aura sans doute il paraît aussi que l’on se chargeait des enfants exposés ; l’histoire la plus reculée en fourmille d’exemples : Moïse, Romulus et mille autres, qui, quand même il y aurait allégorie, prouvent toujours que c’était un acte de pitié assez commun. Chez les Romains, quelques empereurs permirent aux misérables d’exposer leurs enfants, pour les empêcher de les vendre; Constantin, pour empêcher cette exposition, permit aux pères qui ne pourraient nourrir leurs enfants de les vendre. Sous d’autres empereurs, pour les empêcher de les exposer et de les vendre, on permit aux pères de mendier publiquement. Dès l’an 1180, on avait ouvert à l’hôpital du Saint-Esprit, à Montpellier, des secours pour les enfants exposés. A Paris, ce fut bien plus lard, ce ne fut qu’en 1638 qu’une veuve qui demeurait près de Saint-Landri se chargea charitablement des enfants qu’on trouvait abandonnés ; sa maison se nomma la Maison de la Couche. Ses servantes, fatiguées des cris de ces malheureux enfants, les donnaient ou les vendaient à des mendiants qui s’en servaient et les estropiaient même, pour émouvoir la charité. Cet horrible trafic était commun, et le prix même de ces enfants était fixé à 20 sols. On rencontre encore de ces malheureuses, portant un ou deux enfants, dont elles ne sont pas mères, et irritant leurs cris. Et au milieu de la misère la plus affreuse, la misère est encore une importune ! Comment peut-on tolérer ces moyens abominables de la mendicité ? Aujourd’hui, que j’écris cela, j’en ai rencontré plusieurs, et une misérable, entreautres, ayanttrois enfants étendus Sur le pavé, et quêtant ainsi depuis le commencement de la journée. encore. Or ici, s’il faut de la sévérité, ce n’est pas sur l’enfant que l’on doit punir la mère. Un enfant abandonné, et sans parents, est dans la nature l’objet le plus touchant et le plus digne de pitié : il ne doit pas souffrir la peine due au crime dont il est déjà victime : il crie, vous devez courir à son secours. L’innocence, le premier âge, ont des droits sur tous les hommes : et quand un enfant est exposé, toutes les familles doivent frémir. Gomment donc, d’une part, accueillir l’enfant, et lui donner les secours les plus entiers, sans déterminer, par cet espoir, l’indigence à abandonner les siens? Gomment, dans tous les cas, punir les parents, sans sacrifier l’enfant? Punissez le coupable chez lui-même, et par la nature du fait même : que les enfants soient sa force, sa richesse, sa consolation. Je ne répéterai point ce qu’on a écrit sur celâ, ni ce qu’on a pu proposer sur l’état de célibataire, ni comment, punissant leurs mœurs, à coup sûr préjudiciables, on les priverait de représentation et de dignité, en leur disant, ainsi que d’anciens peuples : « Tu n’as pas mis, dans la République, « d’enfants qui me rendissent les mêmes égards « quand que serai vieux (1). » Il est certain au moins que celui qui a contracté les plus saints engagements de la nature a des rapports aussi plus multipliés avec la société. Tout homme qui a des enfants a donné des étages à la chose publique. Ge respect, ces égards pour les pères, les mères, les chefs de familles, sont encore mieux observés dans les classes laborieuses. Or, Messieurs, c’est dans cette existence, cette élévation paternelle, rendue de plus en plus sensible, que vous pourrez punir quiconque aurait la démence ou la barbarie d’y renoncer au moment où le devoir en est le plus sacré. Que jamais un père ni une mère qui aura abandonné son enfant ne puisse le réclamer. Sur cela je vais expliquer mes idées. Premièrement, j’ai toujours pensé qu’il ne fallait jamais donner aux enfants abandonnés d’éducation particulière, et ne point les rassembler en corps. Je n’ai pas besoin de vous rappeler les innombrables inconvénients qui résuhent des fondations en ce genre, où ils soient alimentés, vêtus, gouvernés en toutes choses, introduits à métiers, etc. Un métier seul leur convient, celui de laboureur; c’est la profession des enfants que la patrie a sauvés de la mort, et à qui elle a servi (1) Les Massagètes avaient coutume d’immoler leurs pères et leurs vieillards; on les tuait dès qu’ils tombaient malades, et ils servaient d’aliments à leur famille ; c’était une honte de mourir vieux de sa mort, et une humiliation de n’avoir point de parents qui leur rendissent ces devoirs, et voulussent se charger de cet étrange ensevelissement. Est-il moins cruel dé laisser périr de faim, d’angoisses, un misérable vieillard? Oïl ne porte pas la main sur lui, mais on l’abandonne, mais on le livre à des souffrances plus longues et plus affreuses. Ce n’est pas à lui, c’est à soi seul qu’on travaille à épargner de l’ennui ; et la pitié se borne là. Un édit de l’empereur Claude défendait de tuer aucun esclave pour cause de maladie ou de vieillesse. Caton avait pour maxime de vendre ses esclaves surannés, à quelque prix que ce fût, comme un fardeau inutile. Je ne conçois pas quelle idée les anciens peuples avaient de la liberté, en ayant des esclaves, et de la justice, en ayant si peu d’humanité. Une coutume plus cruelle existait à Rome ; on exposait les esclaves inutiles dans une des îles du Tibre, pour y mourir de faim ; quiconque en réchappait, après avoir été exposé, était déclaré libre. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3i janvier 1791.] 647 de mère. Il faut qu’ils soient tous appliqués au premier, au plus libre, au plus honorable de tous les étais, et le seul qu’elle pouvait choisir pour eux ; Tagricullure. L’expérience prouve que les enfants donnés à des nourrices, et traités par ces paysans comme leurs propres enfants tournent à bien, etdevien-nent de bons habitants des campagnes; tant il est vrai que l’issue lapins convenable, à tous égards, c’est de les placer dans l’état le moins dépravé et le plus fortifiant; d’éviter même, par principes, de leur ouvrir des états de fortune, et de donner à la misère un appât et un motif même raisonnable pourcomim ttre ce crime d’abandon. D’ailleurs il est sage de séparer d’une manière forte les enfants de l’éducation que leur réserveraient un jour des parents livrés à la débauche; éducation qui, la pire de toutes, ne consiste souvent qu’à faire de leur corruption, l’espérance de leur fortune. Il vaut mieux que ces enfants soient voués à l’agriculture et purifiés par elle. Attachés à ses travaux, aux défrichements, si l’on veut, mais suivant une méthode raisonnée, ces enfants ouvriraient une terre ingrate et qui ne produisait point encore; ils trouveraient là l’image de Rur naissance; inconnus, sans parents, ils ouvriraient, dans une terre abandonnée, une veine de productions, ils en accroîtraient leur patrie, et s’acquitteraient ainsi de son adoption (1). En second lieu, je ne vois qu’une manière de réparer l’abandon des enfants : ce n’est pas un métier, c’est une mère qu’il leur faut d'abord; s’ils ne la retrouvent, vous ne leur avez rien rendu. Si vous ne les faites rentrer dans l’espèce morale; si vous ne faites naître dans leur âme ces sentiments créateurs de l’homme, la tendresse et la reconnaissance, déjà trop humiliés de l’abandon, de l’ignorance, du crime de leurs parents, par des parents d’adoption; vous n’avez pas fait ce que devait le père commun qui leur reste: le législateur. Au milieu de ces milliers de fautes et d’abus insensés ou atroces de m>s établissements hospitaliers, c’est une observation remarquable, que le seul intervalle où l’on fasse usage de ces principes est le seul où l’on sauve complètement cette malheureuse partie de l’humanité, et que les enfants adoptés et élevés dans les champs réussissent, s’attachent, deviennent les enfants du pays. Vous savez même que des paysans demandent volontiers qu’on leur en confie et se (1) En Angleterre, ainsi qu’à Bordeaux, une partie des enfants trouvés sont appliqués à la marine ; cette institution satisfait également aux vues morales exposées ici. ÎJ’ailleUrs, comme cette profession exige elle-même, de très bonne heure, l’abandon des parents, elle rentre là dans une circonstance, dont il est bon de profiter, de faire au moins servir un abandon déjà commis à en épargner un qui peut coûter des larmes. Les enfants trouvés sont, en Espagne, réputés nobles, et peuvent entrer dans l’ordre d’Habsito. Mais c’est à Moscou que Catherine II a tiré des enfants abandonnés le parti le plus rempli d’humanité et de politique qu’on puisse imaginer. Il n’y avait en Russie que deux classes, les nobles et les serfs; elle voulait créer une classe d’hommes libres et égaux; les étrangers ne pouvcàieiit remplir ces grandes vues; les enfants abandonnés lui offrirent cette portion d’hommes qui appartenaient entièrement à leur patrie, et sur qui les nobles n’avaient aucun droit. Ils sont élevés sous l’œil du gouvernement, avec ordre, douceur, et l’instruciioti la plus entière; il en est sorti déjà une foulé de citoyens distingués (*). (*) Recueil des établissements de bienfaisance de Catherine //, en 2 volumes . chargent de les élever gratuitement. Ainsi ce sera un tribut de plus que la campagne payera encore à la société ; c’est elle qui donnera des mères aux enfants abandonnés et trahis. Et vous, vous reporterez cette source de population à sa pri-rnitive origine ; obligés de remplacer la nature, vous les rappellerez à l’état le plus simple et le plus rempli de force ; vous les y replacerez, tandis que l'effervescence des rivalités et des vices en font sortir un si grand nombre d’individus. Votre comité vous a bien rappelé, en touchant cette matière, l’ancienne coutume des adoptions, et sur et la il vous a proposé une loi; mais je crains qu’il ne l’ait pas considérée comme il convient, et qu’il ue se soit encore trop occupé des classes riches. Pour moi, je ne parle que de l’homme, c’est-à-dire de la multitude. Je ne considère l’adoption en rien, autant qu’en ce qui concerne les enfants abandonnés : car à ceux-ci, c’est pour leur donner des parents, à ceux qui ont des parents, c’est pour leur donner des richesses : ce dernier motif est d’un bien faible intérêt après le premier. Le projet d’une loi d’adoption aura donc pour motif de donner aux enfants abandonnés une mère dans la campagne. Cette adoption doit être infiniment sacrée, et la loi doit faire autant que la Providence. Ne croyez pas, cependant, que ce soit le législateur qui ait créé l’adoption ; elle existe dans la nature avant toutes nos conventions. Vous ne pouvez et ne devez que des lois d’ordre, relatives et lices à celles qui règlent les familles, et vous ne pouvez les composer, ni les refuser arbitrairement. Votre loi sur l’adoption propose deux articles très dangereux. L’un fixe à un certain âge un droit à l’entant de souscrire ou de rompre l’adoption, et présente cette époque comme une fête de la reconnaissance, ou comme l’exercice de la liberté. Rien de plus faux : je me hâte de le dire. Et peut-on rompre à son gré les liens de la reconnaissance? Quoi! un incident, un faible mécontentement, l’effervescence de la jeunesse, suffira donc pour acquitter, dans un seul jour, la dette de la vie, et les soins paternels qu’elle a reçus 1 Un moment d’humeur et de dépit peut jeter* un enfant dans une profonde erreur, et la loi en fera naître l’idée 1 Quand il ne le ferait pas, il en conçoit le droit. Une famille adoptive serait dans une dépendance singulière, et sou ouvrage, libre de lui échapper d’un moment à l’autre, et d’effacer à son gré tous les titres à sou affection, son ouvrage, dis-je, ne lui serait plus si chéri Ce n’est donc pas à l’âge de 18 ans, mais bien auparavant, que vous auriez rompu les nœuds les plus sacrés, Non que je propose une loi d’esclavage pour l’enfant. La loi lui conserve le magistrat pour tuteur. Il peut, eu certains cas, être émancipé, et jouir de toute la liberté que la loi maintient avec sagesse dans toutes les familles ; mais le respect, les devoirs, l’obéissance filiale ne peuvent s’anéantir par aucune sentence, et le caprice, ni de l’nn ni de l’autre, ne peuvent rompre des obligations contractées par 18 années de veilles et de soins, Assimilez donc, en tout, l’adoptiou aux liens de la nature, conservez-lui-en le caractère Inviolable et l’incorruptibilité. Eh! qu’esUce donc que le sentiment et les droits paternels? Rien de plus que ces soins tendres, volontaires, 648 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [31 janvier 1791.] continuels, cette patience et cette protection à toute heure, durant le quart de la vie. Mais, dites-vous, l’enfant peut retrouver ses premiers parents : et quelle femme viendra réclamer un enfant à celle qui l’a nourri et préservé jusque-là? Celle-ci est véritablement sa mère, depuis qu’il est au monde : tous les droits qu’elle a acquis manquent à celle qui l’a mis au jour. L’une et l’autre ont rempli les fonctions de la nature, et la seconde des deux a le plus de vertu. Or, un autre article, dans le projet du comité, roule sur la réclamation des enfants. Et je pense u’un père, qu’une mère ne peuvent se ressaisir, e droit et dans toute son étendue, de leur puissance originelle sur un enfant qu’ils ont abandonné, et rompre l’adoption qui a été si nécessaire à sa conservation. Je voudrais donc que la mère adoptive fût toujours censée la première mère, son premier parent ; que rien ne pût lui arracher ce titre ; seulement, pour le bien de l'enfant, que le père qui reviendrait à lui pût le faire jouir des avantages que sa fortune lui permet, la transmission de son bien et de son nom. Quand votre loi sur l’adoption se sera étendue sur la grande partie des peuples, quand elle aura réparé les fautes de l’homme corrompu, et les malheurs de l’homme misérable, soyez tranquilles sur les autres applications de cette loi, dans le reste de la société, dans cette partie opulente et heureuse, chez qui l’adoption se réduit à n’être guère qu’une affaire de testamentetune spéculation d’héritage. Voici donc quelques articles principaux propres à la rédaction d’une loi sur les enfants abandonnés, et que je place à la suite des autres proposés dans ce mémoire : Art. 22. Les femmes en couches sont dans un état d'infirmité, et les secours hospitaliers leur doivent être administrés. Il s'agit de soulager la femme, d'obvier à la mendicité, et de conserver l'enfant , trois objets des secours publics. Art. 25. Il sera décidé , par trois administrateurs de ces distributions , et autant de personnes de la classe ouvrière , si le secours doit être accordé. Art. 26. Tout enfant abandonné ne sera appliqué qu’aux travaux de la campagne, et on lui donnera une mère d'adoption. Art. 27. Il faudra à une femme une attestation de probité et de mœurs irréprochables pour être jugée digne d’adopter un enfant. Une femme n’en pourra adopter plus de deux. Art. 28. Rien ne pourra rompre l'adoption, et ce lien est à l'égal de celui de la nature, quand elle aura commencé avec la vie de l'enfant, et qu'elle lui tiendra lieu des parents qui l’ont abandonné. Mais les départements seront tuteurs de tous les enfants ainsi adoptés. Art. 29. Un père qui voudrait reprendre son enfant ne le pourra que du consentement libre de la mère adoptive, qui elle-même ne pourrait le rendre au père qui l'a abandonné, que comme elle le confierait aux soins d’un instituteur ; et elle conserverait toujours ses rapports de mère adoptive. Si vous prenez toutes ces précautions, Messieurs, si la fécondité n’est plus chez les indigents la cause éternelle d’une affliction excessive, vous aurez beaucoup fait pour délivrer les peuples des circonstances les plus cruelles qui les traînent de la misère à la mendicité, de la mendicité au crime. Il reste à prendre, à l’égard de la misère avenue, et des calamités accidentelles qui peuvent s’appesantir sur les peuples, certaines mesures particulières propres à ranimer l’activité. Nous avons déjà parlé un peu plus haut des maisons de correction et de secours, et des travaux de charité, sur lesquels il me reste à vous soumettre quelques observations. Je le répète, les travaux de charité ne sont pas une profession; ça donc été de tout temps une grande erreur de croire que les travaux publics puissent jamais être une ressource proportionnée à l’inoccupation générale; une crise violente, une conséquence forcée, répand-elle une grande pauvreté, les travaux de charité occuperont bien, durant quelque temps, cette partie vagabonde, cette émanation malfaisante de la mendicité ; mais ils ne réparent point la calamité générale, et le fléau d’une misère excessive n’eu détruit pas moins la plus saine partie du peuple. Or, c’est ici particulièrement que, d’après nos principes, il ne faut pas traiter séparément la mendicité, mais la considérer comme le symptôme d’une misère profonde et générale, sans quoi vous n’userez jamais que de palliatifs. Je dirai plus : on a été conséquent jusqu’ici, mais à des principes tout à fait disconvenables. Par exemple, il fallait entretenir le plus de pauvres possible, et pour y parvenir on a donné le moins possible de salaire, ce qui a d’abord produit cela, que le salaire étant trop modique, on ne pouvait exiger un travail assidu et profitable ; qu’occupés lâchement et à des travaux sans objet, ces rassemblements de pauvres prenaient nécessairement l’air du désœuvrement et la tentation perpétuelle du désordre; que dans la distribution même, les gens chargés de les conduire profitent de cette inapplication pour partager avec eux le payement total d’un temps dont le quart n’a pas été donné. Mais ce qu’il y a de plus funeste, le prix des travaux publics fait baisser le prix accoutumé des salaires de tous travaux, et vous affligez souvent ainsi, d’un préjudice considérable, toutes les classes laborieuses sur lesquelles s’étend un avilissement de main-d’œuvre par le prix comparatif et concurrent des travaux publics. Pour le rendre sensible, prenons le grand hôpital de Lyon, le plus commode et le plus humain que la charité ait établi en France. Chaque pauvre a son lit; le cardinal de Tensin, qui le fonda, cherchait à ouvrir un asile à toutes soites de misérables et d’infirmes; il eut particulièrement la bienfaisance de les rendre utiles. de leur conserver une consolante activité, seul antidote contre le désespoir, et la privation des membres et des facultés. L’homme le plus impotent servait toujours un peu. Comme cet établissement richement doté avait pourvu aux besoins de ce grand nombre de malheureux, il ne parut pas nécessaire de discuter le prix des ouvrages fabriqués dans cet hôpital; par là on dépréciait le prix de la main-d’œuvre, et cette perte allait se porter sur les ouvriers du dehors, livrés aux mêmes travaux ; tandis qu’on soulageait une certaine quantité de malheureux, on en appauvrissait une multitude bien plus considérable et inaperçue. Cette laborieuse partie du peuple représenta le préjudice qu’elle en souffrait, ce qui engagea, mais trop tard, et sans même en avoir bien enteudu la raison, à employer les pauvres à d’autres travaux. Considérez donc comme une de vos institutions les plus essentielles, que jamais le salaire dans les travaux publics et les maisons de [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier î'79l.J 649 correction ne fasse baisser le prix ordinaire de toute espèce de main-d’œuvre : car, pour soulager plus aisément un certain nombre de pauvres, si, baissant d’un dixième le prix des travaux auxquels vous les employez, vous faites tomber également d’un dixième' le prix de main-d’œuvre accoutumée dans les travaux de la société, c’est positivement comme si vous imposiez sur la classe laborieuse une contribution d’un dixième de son salaire, vous dépensez 30,000 francs pour ceux-ci, et vous faites perdre un million à ceux-là. Or, je rappellerai ici, Messieurs, la base de tout principe sur l’activité générale, ce vœu, cet argument éternel que je ne me lasserai jamais de vous présenter : il n'y aurait ni désœuvrement , ni misère , si les classes laborieuses étaient aussi consommatrices, et devenaient en môme temps les artisans , et les objets de leur activité. Il faut, pour que tous les hommes travaillent, que tous jouissent. En effet, tant que peu jouiront, il y aura nécessairement une foule de circonstances qui suspendront les travaux ; une simple modification de fantaisie, les changements de goût, l’économie elle-même qui est une mode, condamneront des villes entières au désœuvrement, et il y aura toujours des crises de misère. Il faut donc multiplier et fixer la somme des besoins par les besoins de tous. Il faut donc que tous les hommes jouissent. Sans cela, il y aura, par le fait même, misère et mendicité. Pour que les classes laborieuses deviennent consommatrices, il est un prix auquel doit monter leur main-d’œuvre ; et il importe de maintenir ce premier échange du salaire avec les productions. La cause violente de l’appauvrissement, des inégalités excessives, de toutes les misères publiques enfin, n’est que l’infraction inique de ces premières conditions dans le traité fondamental qui a déterminé le prix du salaire. Ce prix peut être fondé sur des bases exactes et naturelles, ce que je me suis appliqué à développer dans un ouvrage que j’espère pouvoir bientôt publier. Ainsi donc, bien loin de coopérer à cet appauvrissement général, par l’avilissement du salaire dans les travaux publics, je me servirai au contraire de ces travaux publics pour instituer et fixer le prix du salaire dans sa véritable valeur, et, par là, la véritable activité, c’est ce que le peuple ne peut jamais rétablir lui-même; car par une antériorité d’action quand la misère existe déjà, on lui impose plus aisément une condition forcée, un prix avili de son travail, ce qui la rend de plus en plus accablante, et met l’ouvrier dans l’impuissance d’y jamais remédier. Les ateliers publics, comprenant les coupes et l’entretien des chemins, le transport des terre-, les chaussées, et beaucoup d’autres objets d’utilité publique, ne seraient ouverts qu’une partie de l’année, deux mois d’hiver à peu près, intervalle suffisant, parce que, ne faisant pas le métier unique et continuel de ceux qui s’y rassembleraient, ils deviendraient, dans ce court espace, la ressource de tous, et une balance, en quelque sorte, des prix comparatifs de la main-d’œuvre dans toutes les professions. Mais si vous n’ouvrez les ateliers publics que pour servir de refuge au désœuvrement des peuples, vous rétrograderez le chemin que vous comptiez parcounr.Objectera-t-onqueles grandes villes regorgent d’une populace incommode •? il faut la faire rentrer de toutes parts dans les travaux de la société, et non la recueillir et l’éterniser dans les ateliers publics. A la campagne, il y a bien; des temps morts pour les travaux’, et ce ne sont pas des temps de mendicité; cela me donne l’espérance qu’on peut également porter une telle disposition d’activité, qu’une suspension accidentelle dans quelques villes n’y cause point de misère et de mendicité; c’est pour n’avoir pas conçu toutes ces grandes dépenses publiques dans leur vrai sens; c’est pour les avoir considérées, moins dans leurs effets rarement heureux, que dans leurs motifs toujours bienfaisants, qu’on a vu en tous temps la mendicité croître en raison des hôpitaux, et l’inoccupation générale, en raison des travaux de charité. Mais ces travaux publics vont devenir d’une bien autre utilité, Messieurs, et un objet de législation du plus grand intérêt, si vous voulez y joindre un point de prévoyance non moins essentiel à la force et a la richesse des peuples ; il s’agirait de maintenir le bon prix des grains , c'est-à-dire V accroissement de l’agriculture et son abondance. Je n’entrerai dans aucune discussion sur cette matière assez connue, et je passe au principe que j’avais à vous présenter. Le comité propose de prendre la plus haute paye du lieu pour base du salaire des ateliers publics; cette paye doit être mesurée sur un élément plus certain; et sur cela je vous propose les deux articles suivants, à la suite de tous les autres : Art. 30. D'ouvrir des travaux publics depuis le 15 décembre jusqu'au 25 février. Art. 31. D'y payer pour journée commune la valeur de trois fois trois livres de pain blanc, prenant le prix moyen du pain sur les trois années précédentes. Ce mode dans les travaux publics, qui ne paraît pas avec toutes ses conséquences au premier coup d’œil, remplirait trois grands objets d’économie : de procurer une occupation générale et supplémentaire dans les mois les plus difficiles, de régler le prix réel de la main-d’œuvre, et enfin de ranimer l’agriculture : car le peuple, le plus simple manœuvre, aurait alors un intérêt direct et bieu évident à ce que le prix du pain fût soutenu dans sa véritable valeur, le prix du pain étant le tarif constant de son salaire. Vous considérerez, sans doute, ainsi que moi, cette institution, comme infiniment précieuse, si vous voulez en suivre toutes les conséquences (1). Quoique ce ne soit pas précisément la place de arler d’agriculture, cependant elle vient trop ien à l’appui d’une doctrine mieux entendue sur les travaux publics; tout ce qui sert à la prospérité générale et à son maintien sert bien directement à la répression de la mendicité, mieux encore, l’empêche d’arriver; et quoiqu’on s’aperçoive moins de l’effet, en ce qui prévient, que dans ce qui répare, ces moyens de prévoyance sont bien plus efficaces et bien plus complets. Ainsi, Messieurs, dans tout mon tra-(1) Quelle grossière injustice, par exemple, quand à Paris le pain vaut 2 sols, et que le prix du salaire y est le double au moins qu’il ne l’est en des provinces pauvres, que dans ces provinces le prix y soit constamment à 3 s. 6 d. ! Il en devait résulter, ce qui est arrivé, que le journalier n’y pouvait manger du pain; que l’agriculture n’avait plus alors cette mesure commune avec les travaux, et tombait elle-même dans l’abandon ; et Ton trouvera dans cette seule déraison d’économie publique la cause des plus grandes calamités ! [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (31 janvier 1791.] 650 vail sur la mendicité, j’ai vu que tous ces rapports de morale, d’éronomie, de politique, se communiquent, se fortifient mutuellement; que chacun d’eux n’a pas pour unique imporiance l’aspect sous lequel il se présente d’abord ; qu’ils ont des conséquences plus éloignées; et soyez certains que, s’il manque ici un principe, il en manquera dans vingt points différents, et qu’un système complet pour la prospérité publique tient à l’action constante de tous ces éléments. Par rapport à cela, et pour démontrer l’union et la rencontre des principes exposés jusqu’ici, reportons-nous encore sur ce que nous avons dit du temps d’apprentissage, prouvé déjà si nécessaire dans l’éducation publique pour la moralité et la sûreté communes; et rappelons-nous que nous nous sommes réservé de démontrer que ce temps d’apprentissage n’est pas moins essentiel à l'intérêt général de l’ouvrier. Non encore achevé, sans prévoyance, impatient, le jeune homme, qui ne sait encore ni travailler, ni comparer, ni discuter, qui n’a encore pu connaître ni acquérir de confiance, sera toujours porté à entreprendre au rabais, et dépréciera continuellement les prix qu’il trouvera établis. Or, le temps d’apprentissage ne fera encore autre chose en cela que de mettre l’ouvrier avec une instruction faite, des connaissances, une prévoyance et des occasions assurées de travail, au nombre de tous les ouvriers et à même de protiter de toute l’étendue de ce prix, et de la stabilité de cet état. A 15 ou 16 ans, il commence; soit 6 ans même le temps d’apprentissage, c’est-à-dire de pratique chez des maîtres ouvriers, avant qu’il puisse travailler directement pour son compte, à 21 ou 22 ans il peut s’établir; est-il trop tard? Et préférez-vous devoir de jeunes vagabonds sans demeure, sans principes, trompant partout, et avilissant le prix du travail en général? N est-il pas un temps et des règles pour devenir majeur dans sa famille, et disposer de son bien? Ne doit-il pas être également un temps et des règles pour que l’ouvrier devienne majeur dans sa dépendance respective avec l’ordre public, et lui remeltre la disposition de sa propriété, de son patriotisme? Or, quelle est sa propriété ? Un métier, le prix et la stabilité de scs travaux. Toutefois, à ce temps d’apprentissage, ne joignez pas un prix de maîtrise, ni l’assujettissement à un seul maître: car voilà, encore un coup, où seraient l’abus et la tyrannie. Rassemblez toutes ces causes, et voyez que, s’il exisie, comme à coup sûr cela doit êt e, s’il exi.-te, clis-je, un rapport tel, entre les prix du salade et des déduciions, qu'il soit la condition formelle de la meilleure distribution en toutes choses, tout ce qui rompt ce rapport est certainement funeste, et porte préjudice et misère quelque part. Si donc vous négligiez aucune de ces diven-es causes, et principalement ce qui regarde cette loi, qui, d’une seule expression, maintiendrait dans toute sa valeur le prix des grains et celui du salaire, premiers élémenis de loutes richesses : voyez, Messieurs, comment de faux aperçus a’écouomie et de charité, provoquant leur avilissement l’un par l’autre, ne serviraient qu’à préparer, à grands frais, l’existence d’une pauvreté sans n ssourees, et une disette toujours prochaine ; voyez, dis-je, comment une simple négligence de votre part sur ces combinaisons premières, nous livrant en tous sens à l’erreur la plus active, jetterait le plan d’une mendicité inextirpable. Tout vous prouve enfin combien vous devez prendre garde à ce que vos mesures concertées contre l’amisèrement des classes laborieuses ne tournent, au contraire, à l’aggraver ; que vous ne fassiez de grandes dépenses pour précipiter et ensevelir plus cruellement les malheureux dans une misère inaperçue, et plus pesante, par ces ressources mêmes qui en sont les témoins et non pas toujours le soulagement ; et croyez qu’il est encore plus aisé de se tromper en cette matière, qu’on ne devait le craindre dans les hôpitaux, dont les fonctions étaient si simples, et cependant dont l’inefficacité a si cruellement trompé le vœu de l’humanité. Je n’ui pas craint de m’étendre sur cette analyse, et de faire tenir à cette amélioration dans les prix des travaux et du pain l’accroissement et la prospérité de nos manufactu es, puisque l’ouvrier, après avoir travaillé avantageusement pour le consommateur, devient lui-même consommateur, et accroît ainsi la somme des travaux en général. Voilà le grand secret du commerce. Ne cherchons pas à découvrir de nouveaux éléments, mais à combiner ceux que nous avons là à noire disposition. Aussi quand il a été question, il y a quelques mois, par rapport à la mendicité même, de l’émigration d’une foule d’opulents, et de l’inoccupation alarmante qui devait momentanément en être la suite, ce n’était pas ainsi que je m’arrêtais;'! la considérer : ce n’est pus du retour de ces fugitifs dont il me semblait qu’on dût se servir : ce ne sont point eux qui nous manquent, et loin de vous alarmer de leur perte, je la regardais comme une circonstance favoiable, si nous savions en profiter, afin de pouvoir, sans erreur, ramener une activité soutenue et indépendante, et pour laquelle nous n’avons besoin que des hommes qui y sont actuellement, si nous savions, en les remettant en présence et en action mutuelle l’un pour l’autre, rallier par des combinaisons fortement conçues et bien développées cette multitude immense, qu’une année d’inoccupation a ruinée entièrement il est vrai, mais n’a dépouillée de sa veste d’esclavage que pour la revêtir de son habit de citoyen. Je viens à parler du commerce; mais je parle toujours sur la mendicité. Dans ce plan, Messieurs, plus les consommateurs seront multipliés, plus alors il y aura de contact entre tous les hommes, et plus les pauvres se trouveront près de ceux qui ont une trop grande disproportion de fortune. Un très grand état d’opulence, au contraire, est toujours formé d’une très grande somme de privations pourla multitude : et quand il s’élève au faîte des gens riches une nouvelle classe de magnificence, toujours il se creuse en bas un nouveau degré de misère. Que la question s’étendrait cependant, si j’entre irenais de développer tous les rapports sous lesquels le commerce touche de près à celle de la mendicité! Mais il faut que je me restreigne : des mémoires particuliers vous parviendront en assez grand nombre, qui traitent de l’importance et de l’accroissement du commerce dans toutes ses parties. Mais je crains que des vues grandes et justes, des moyens faciles et généraux, les conceptions les plus heureuses, proposées et tout aussitôt abandonnées, n’aillent s’étemdre dans la mult tude des adresses, et c’est un désavantage d’autant plus funeste, qu’une fois présentées, il semble superflu d’en reparler, à l’avenir. Je crains, j’ose le dire, les inconvénients de l’ancien régime encore, l’oubli, la faveur et l'ignorance, une administration inexpé- [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 131 j anvier 1191. J ditive et inabordable. Cependant les travaux de commerce sont toujours prêts à s’étendre; il lui fallait la liberté, il lui faut des lois encore, des combinaisons générales, des plans d’exécution, des secours même. L’Assemblée nationale a, dans toutes les occasions, il est vrai, s gnalé son impatience d’accélérer le retour de l’activité, et l’a 'croisseinent du commerce, elle en a saisi toutes les vérités ; mais, encore un coup, je crains que nous ne fassions une grande dépense de principes, et une trop faible de moyens d’exécution et d’applications particulières; qu’il n’v ait dans les efforts et les dispositions générales, à tous ces égards, de grands vides, et que faute d’un ensemble mieux approfondi, plus nourri d'action, nous ne nous arrêtions à des contemplations vaines. 11 en est du commerce et de l’agriculture, pour bien des gens, ainsi que de certains dogmes dont on parle très religieusement, mais sans y rien entendre et sans y croire. Quoi qu’il en soit, je n’entrerai dans aucun développement sur cette immense partie. J’observerai seulement que, pour séparer la misère et soulager le peuple, une manufacture de plus vaut cent fois davantage qu’un hospice de plus. Vous vous apercevez peut-être, Messieurs, que je traite de la mendicité sans presque parler d’elle ; mais aussi la considérai-je comme un résultat d’opérations où quelqu’un est lésé. Dans cette conciliation d’intérêts entre le riche et le pauvre, je crois que ce serait aller contre le vœu même qu’on se propose, que d’agir autrement, et d’humilier cette partie souffrante, en la secourant. Malheureusement, en soulageant, on veut toujours avoir l’air de donner, et de cette manière il arrive souvent que les expédients se trouvent aux dépens du misérable. Parmi beaucoup d’exemples, je vais examiner celui de la diminution des jours de fête , proposée comme un des plus grands moyens d’enrichissement pour les classes laborieuses, qui, dans ces jours rendus à leurs travaux, gagnant et ne dépensant pas, y trouveraient, di'-on, une double économie dont le produit, au bout de l’année, serait considérable. Dans cette spéculation, le 7® jour de repos paraît déjà de trop, puisqu’une assez grande quantité d’ouvriers l’occupent même au travail; une loi générale, qui réduirait le nombre des fêtes au minimum possible, produirait donc d’immenses richesses à la pairie, et une grande aisance aux ouvriers, et chaque jour rendu à leurs travaux semble ainsi autant de bienfaits du législateur. Je trouve celte assertion absolument fausse; et tout en accordant que le nombre des fêtes doit être modérément multiplié, parce qu’en toutes choses, enfin, il y a une mesure conveuable, il est également vrai qu’un certain nombre de fêtes, sagement distribuées, a bien ses avantages : 1° parce que ces jours de célébration, tant de ia religion que de la joie, confondent les individus, les rapprochent plus également des jouissances, nécessitent davantage les marques et les vêtements de l’aisance, et servent à rendre expressément l’ouvrier consommateur; 2° il ne se trouverait pas, dans la stricte et trop grande suppression des fêtes, le gain qu’on s’imagine; peut-être s’ensuivrait-il au contraire pour lui une perte réelle ; car le prix du salaire est déterminé sur Une estimation moyenne qui fasse vivre l’artisan toute l’année, composée de tant de jours ouvriers et de tant de jours de fêtes; la discussion du prix de son salaire eût été discutée en conséquence, et de sorte qu’il n’eût reçu, dans tout le cours de j 651 l’année que la même somme, et eût douné tous les jours de travail, d’autant plus que ces fêtes, n’ayant pas eu lieu, n’auraient pas nécessité une sorte de dépense que l’ouvrier regardant comme nécessaire a fait entrer dans les éléments sur lesquels est jugé le prix du salaire en général. 3° enfin, quant à la somme des richesses, jointes à la somme totale des productions du royaume, il y a encore là une forte erreur d’analyse. Vous ne voyez donc pas de quelle manière les jouissances étant l’emploi, l’explication des richesses, pl is vous ôtez du partage bien entendu des jours de relâche et de fêles communes à tous les hommes, plus vous faites sentir la nécessité à celui qui travaille, plus Vous lui imposez une misère sensible, plus, comme nous l’avons observé, la discussion de son sa-laire empiétera sur lui; et alors que devient cette masse prétendue de productions industrielles, quand la jouissance en est devenue plus rare pour lui? Tout ce qui arrivera de cette spécieuse économie, ce sera de faire monter plus de travail et d’occupation de l’ouvrier aux choses de recherches et de luxe des classes opulentes, pour qui tous les jours sont fêtes, c’est-à-dire de multiplier plus qu’il ne faut les choses de consomma ion non commune à tous. Vous voyez donc, Messieurs, par ce simple exposé, que la suppression des fêtes, présentée comme un don à l’ouvrier, comme une belle conception d’économie en faveur du commerce, ne mène point à ce but, et qu’au contraire une sage distribution de fêtes doit paraître une des conditions et des moyens les plus naturels de fixer la consommation en partie dans les classes laborieuses, et de déterminer une distribution plus égale entre les hommes. La terre qui produit la moitié de nos richesses ne demande pas a être perpétuellement tourmentée; il en est de même pour les métiers. Si donc vous vouliez ajouter cet article, vous voy< z que la détermination du nombre des fêtes ne doit pas être si vaguement arrêtée. Le seul raisonnement sur cette matière se borne eri-core à dire que plus les pays demandent de travaux, moins on doit y établir de fêtes; et en conséquence les pays chauds auront toujours plus de fêtes que les pays froids, d’autant plus encore qu’un tempérament plus ardent et plus voluptueux y multiplie ses superstitions, et que l’ar-ri ur du plaisir institue des solennités qui souvent même y rendent religieux ce qui ne serait que scandale. Effectivement, dans la plus grande partie de l’Asie, la célébration de certaines fêtes y dure des semaines entières; il en est encore de plus longues, où le travail est interdit pendant une (1) vingtaine de jours. Nous avons reçu des juifs la coutume du septième jour de rep s; nous avons adopté leurs fêtes solennelles, en diminuant cependant les jours de célébration; chez les juifs, celle de Pâques durait 8 jours, celle des Azymes égale-(1) Tel qu’à la Chine, au commencement de l’année, durant 3 semaines, les tribunaux et les bureaux sont fermés, les afiaires suspendues, tes postes même, etc. Il n’est pas étonnant que les Egyptiens eussent des fêtes nombreuses; le Nil fertilisait leurs terres, ils n’avaient pas la peine de les labourer. La chaleur y rend les vêtements peu nécessaires, et il n’y pleut presque jamais. Toute l’action des peuples devait se dépenser on célébrations, à moins qu’elle ne le fàS en travaux de servitude. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 janvier 1791. J ment, et ainsi de beaucoup d’autres. Nos plus grandes fêtes ne se prolongent pas au delà de 3 jours. Quoi qu’il en soit, je regarde un certain nombre de jours de fêtes comme essentiellement nécessaire, et je crois qu’il peut être déterminé, sur un principe exact, à un quart du nombre total des jours de l’année (1). Cependant je ne le proposerais pas si considérable, mais seulement de 52 dimanches et de 15 fêtes, ce qui ferait en total 67 jours de célébration (2) dans l’année, avec les deux lois suivantes : Art. 32. Les fêtes seront placées de manière que jamais elles n'arrivent 2 jours de suite, et qu’il y aura entre 2 fêtes toujours au moins 2 jours ouvriers d'intervalle. Art. 33. V ouvrier pourra employer une partie du jour de fête à travailler à des choses usuelles pour lui-même, ses enfants ou son père ; mais en aucun cas, et par aucune interprétation , il ne pourra travailler à la solde d’un autre, ni à la journée, ni à la pièce, car il commencerait à blesser ainsi la combinaison des lois distributives , et l'intérêt général des peuples. Encore un autre article. La maladie des établissements et des projets va jusqu’à proposer une caisse d’épargne aux pauvres qui peuvent y mettre 1, 2 sols, jusqu’à 10 sols par jour, etc. Mais outre que pour cela il faut une régie, des inspections, des placements, s’engager dans une multitude d’opérations minutieuses et disconvenables, je ne conçois pas cette passion de vouloir toujours se charger, pour l'homme, de tous les soins, qu’il doit prendre lui-même, de son intelligence, de ses combinaisons, de son économie; vous voulez toujours ôter de sa vie et de sa conduite les éléments qui la règlent et la modifient; et vous reproduisez ce même esprit de compagnie, d’entreprises, qui sur les moindres choses veulent former des spéculations en grand, et ont causé si souvent des calamités générales. Le comité a proposé encore des défrichements, un partage et un abandon de terre eu friche aux misérables. Ce dessein consolant et plein d’humanité, qui présente au premier coup d’œil une opération doublement salutaire, et propose de réparer un mal par la guérison d’un autre mal, n’est cependant rien moins que sage; je ne pense pas que vous puissiez à la fois opérer, l’une par l’autre, ces deux choses difficiles : l’extirpation de la mendicité et le succès des défrichements. On vous tromperait de vous faire croire qu’on emploierait le travail de ces hommes qui n’ont rien, quelque peu de valeur qu’on leur attribuât, à tirer de l’ abandon et de friche des terres qu’on rendrait ainsi à la société : car il faut aux défrichements du travail, des avances, des combinaisons, tous les moyens coercitifs de l’expérience, de l’aisance et du courage ; or, en manquant un seul point, vous manquez le tout. La misère de ces malheureux pourrait donc en devenir plus aggravée ; d’une autre part, les défrichements mal essayés, n’ayant point de succès, resteraient comme témoignages de l’inutilité des tentatives etune épreuve manquée marquerait de nouveau, pour des siècles encore, ces terres d’abandon et de stérilité. Quoique ce ne soit pas ici le lieu de traiter (1) Je suis obligé, sur cela, de renvoyer encore à l’ouvrage que j’espère pouvoir bientôt publier sur le commerce. (“2) Il y a aujourd’hui environ 80 jours de fête chômés dans l’année. particulièrement de l’agriculture, quand on fait une proposition qui y est relative, on se trouve cependant obligé d’en rappeler les premières notions, qui toutes nous avertissent qu’il ne suffit pas de tourmenter un sol ingrat, et qu’il faut pour cela une étude, des connaissances locales, et une persévérance qui n’est pas commune. Il en est principalement sur cette matière une que je voudrais voir écrite partout, jusqu’à ce que les cultivateurs en soient pénétrés tous : Les défrichements véritables ne se font que par le mélange des terres différentes. Les fumiers et autres engrais entretiennent la fertilité, mais ne défrichent pas la terre. Vous voyez donc, si vous voulez défricher, que vous devez vous adresser aux hommes laborieux, que c’est l’entreprise difficile de ceux qui, déjà exercés dans l’agriculture, en ont l’habitude et l’intelligence, et ce n’est pas par ce point déjà malaisé que vous devez entreprendre de ramener à l’application et à la règle des hommes relâchés et gâtés par une longue oisiveté. Les meudiants ne sont jamais de bons ouvriers, et dans leur inaction il y a presque toujours une part de leur propre tort ; la paresse est une infirmité, une débilité particulière, dont il faut avoir pitié, mais qui suit l’homme dans ses travaux ; il manquera toujours de ce nerf et de cette prévoyance dans les choses même les moins pénibles : et vous voudriez les rassembler, et les donner les uns aux autres pour compagnons et pour exemples ? Il faut plutôt les faire rentrer de toutes parts, et à chaque point où ils se trouvent, dans les travaux aisés, les entourer, les échauffer, les fortifier par l’activité toujours présente, et l’excitation des bons ouvriers. Un mendiant est un infirme ; il ne faut donc pas laisser se toucher et se gâter mutuellement ces hommes que vous voulez guérir ; vous ne voulez pas que 4, 3, 2 malades soient jetés dans le même lit; ne souffrez pas non plus que 2 mendiants soient à côté l’un de l’autre, ils se gangrèneraient, et reproduiraient de nouveau les horreurs de la mendicité. Voilà bien des objets, Messieurs, qu’appelle eD même temps la discussion que vous avez ouverte. Ne croyez donc pas que ce soit une si faible question, une si faible tâche à remplir dans la constitution d’un bon système social, que ce qui regarde la mendicité, ou plutôt la misère publique. Si les lois, si la police, si tous les éléments d'une force publique sont prévus avec tant de soins pour les cas fortuits et accidentels, et pour protéger les propriétés acquises, que ne devez-vous pas faire pour ce cas constant de tous les lieux, de toutes les familles, ce grand événement de la misère, qui pèse toujours et partout ? Je parviens à la fin de cette proposition générale, où il faut user d’une dernière sévérité envers la mendicité, qui, malgré toutes les précautions et mesures bien employées, échapperait encore, et qui ne pourrait plus être qu’un délit. Il est alors des lois de rigueur pour purger la société de ces êtres tout dépravés, de ce levain de corruption. Mais je ne m’étendrai point sur des mesures dont nos lois assez connues ont porté la dureté à l’excès, je n’effacerai point l’impression qu’ont pu faire sur vous les moyens doux, équitables, paternels, par des détails de cruauté et de tortures : je retracerais plutôt une seconde fois toute l’étendue d’humanité dont je viens de vous entretenir; et les derniers mots que j’ai à vous dire ne vous laisseront pas un souvenir de [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [tcr février 179 1.J barbarie : j’observerai seulement qu’il serait rare de rencontrer le délit de la mendicité sans un autre délit plus grave, et qui livrerait alors le coupable à un juge plus austère, et spécialement chargé de poursuivre et de punir les forfaitures; mais tout ce qui formerait, tout ce qui serait renfermé dans al législation de la mendicité ne serait que bienfaisant et consolateur. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE MIRABEAU-Séance du mardi 1er février 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté. M. Duquesnoy. Messieurs, vous vous rappelez que le sieur Trouard, de Pont-à-Mousson, a été conduit dans les prisons de l’Abbaye pour être jugé par le Châtelet. Depuis que vous avez ôléau Châtelet l’attribution des crimes de lèse-nation, son affaire a été renvoyée au tribunal des Dix. Aujourd’hui ce tribunal n’existe plus ; il a été destitué au moment où l’affaire allait être jugée. M. Trouard, par une adresse déposée sur votre bureau, demande des juges; je demande qu’il soit renvoyé devant un des tribunaux de Paris, auquel on donnera toutes les pièces. M. Fréteau. Je m’oppose à ce renvoi; les tribunaux de Paris sont déjà surchargés. M. Foidel. L’Assemblée a chargé son comité de Constitution de lui présenter un projet d’organisation du tribunal provisoire pour juger les prévenus des crimes de lèse-nation qui sont actuellement arrêtés. Je demande que le comité de Constitution soit saisi de la pétition du sieur Trouard et qu’il nous présente au premier jour son travail. M. Fréteau. J’appuie la motion et je demande que l’on statue sur le sort des prisonniers qui sont en grand nombre à la Conciergerie. Je demande donc que le comité de Constitution soit tenu de présenter un projet à cet égard sous huitaine. M. Daquesnoy. J’adopte de tout mon cœur la proposition du comité. (L’Assemblée décrète que son comité de Constitution lui présentera lundi son travail sur l’établissement d’un tribunal provisoire.) Un de MM. les secrétaires fait lecture de3 adresses suivantes : Adresse du district de Libourne, département de la Gironde, qui annonce que tous les ecclésiastiques fonctionnaires publics, et autres sans exception, de ladite ville, même les religieux, se sont empressés de faire, le 23 du mois dernier, le serment prescrit par le décret du 27 novembre. 053 Adresse de la municipalité deSaint-Preuil, district de Cognac, département de la Charente, qui annonce à l’Assemblée qao son digne pasteur a fait son serment, après avoir exposé ses motifs avec autant de religion et d’énergie que de civisme. M. Carnns. Les administrateurs du département de la Côte-d’Or m’ont chargé de remettre sur le bureau une adresse qu’ils ont envoyée aux municipalités de leur arrondissement, pour i nviter tous leurs concitoyens à n’ajouter aucune foi à un écrit qui a été répandu, avec autant de profusion que de perfidie, dans leur département; cet écrit a pour titre ; « Extrait d’un bref adressé « par le Pape au roi très chrétien, relativement à « la constitution civile du clergé. » Je suis aussi chargé par les commissaires de l’extraordinaire de vous annoncer qu’il a été fait hier à la caisse de l’extraordinaire un brûlement d’assignats pour la somme de 1,500,000 livres. Il y a dans la caisse à trois clefs pour 60 millions d’assignats. Leur émission éprouve des retards par la lenteur de quelques liquidations d’offices de judicature. Plusieurs compagnies refusent de se faire liquider; d’autres n’envoient pas l’état de leurs dettes; d’un autre côté, il y a dans l’arriéré des départements, dans les états du roi, des objets qui sont susceptibles de contestation, et qui retardent la liquidation de ceux dont les numéros ne viennent qu’après. Je demande que le comité de liquidation soit tenu de vérifier incessamment tout ce qui est liquidé dans les états du roi. Enfin, les amis de la Constitution de Gommercy, département de la Meuse, me chargent de vous annoncer que tous les prêtres fonctionnaires publics de Commercy, et plusieurs ci-devant chanoines et moines, ont prêté le serment civique au bruit de la musique et du canon, au son des cloches, et aux acclamations les plus vives de la part des assistants. M. Tuaut de la Bouverie. Messieurs, il y a sept ou huit ans qu’en vertu d’un édit du roi les propriétaires des offices de président aux enquêtes du Parlement de Rennes produisirent leurs titres, sur lesquels on leur donna une quittance de finances dont le remboursement devait être fait en 1784, et dont l’intérêt leur est payé depuis. On a présenté cette quittance de finances à M. le liquidateur général pour en obtenir le remboursement; et il s’est élevé sur cela la difficulté de savoir si c’était une rente constituée, attendu qu’on eu payait la rente, ou bien si c’était un arriéré. 11 paraît clair que c’est un arriéré et qu’il doit être remboursé; cependant il n’y a pas de décret là-dessus. L’Assemblée peut décréter que les quittances de finances accordées en payement d’offices de judicature seront remboursables. M. Fréteau. J’avais hier chez moi un magistrat de ce parlement, qui a présenté le 31 octobre ses titres en originaux pour être liquidés et qui se plaignait avec beaucoup de tranquillité qu’il était bien extraordinaire qu’il D’eût pas pu encore obtenir un certificat de cette présentation. Il y en a beaucoup d’autres qui sont dans le même cas; je demande qu’on en fasse le rapport. M. le Président. Je vous observe que ce rapport est à l’ordre du jour, et que M. Audicr-Mas-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.