474 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars lTSÛ.j accessible à tous les citoyens. Tous ont droit de la réclamer; c’est par elle que les lois sont maintenues; son influence doit se répandre également partout. Mais, pour que cette influence douce et salutaire ne dégénère pas en impression de crainte et de servitude, plus le pouvoir des juges est grand, plus il faut qu’ils demeurent subordonnés dans leurs fonctions. Ce n’est pas par-devant un autre tribunal distinct et séparé qu’ils doivent être responsables, parce que ce tribunal indépendant, exerçant les mêmes fonctions, attribuées dans l’origine au Parlement rendu sédentaire, et les exerçant arbitrairement, acquerrait bientôt une force irrésistible. Le passé nous présage l’avenir. Concluons que tous les tribunaux sans exception, doivent être subordonnés directement au roi, comme au juge suprême, ainsi que l’étaient, avant Philippe le Bel, les baillifs et sénéchaux jugeant en dernier ressort. TROISIÈME ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 30 mars 1790. Nota. M.Necker présenta, sur le rapport du comité des finances, du 12 mars 1790, des observations qui furent distribuées à tous les députés. — Le comité des finances, par l’organe de M. le marquis de Montesquiou, son rapporteur, réfuta à son tour les observations du ministre. Ces deux pièces faisant partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale, doivent trouver place dans les Archives , et nous les insérons ci-dessous. Observations de M. Hecker, premier ministre des finances, sur le rapport fait au nom du comité des finances, à la séance de V Assemblée nationale du 12 mars 1790 (1). Le rapport dit que « c’est tout au plus à trente millions qu’on peut évaluer le déficit qui existera cette année sur la perception des droits. Le déficit sur Je recouvrement de la gabelle, à en juger par le produit des trois derniers mois dont on a le compte, devait se monter à plus de quatre millions par mois, ce qui fait pour dix mois ............................. 40,000,000 La perte sur le produit des ventes de tabac, huit cent mille livres par mois, environ ..................... 8,000,000 La perte sur les entrées de Pans, sept cent mille livres par mois ...... 7,000,000 La perte sur Je produit des aides, pour dix mois ..................... 6,000,000 Perte du droit de franc-fief, dépérissement presque total des revenus casuels et des droits de marc d’or et autres .différents droits perçus par l’administration des domaines, le tout pour dix mois ..................... 5,000,000 Perte du revenu provenant de fa iégie des poudres, pour dix mois... 600,000 A reporter ..... 66,600,000 [1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur1. Report ..... 66,600,000 Perte du revenu provenant des monnaies. ........................ 400,000 Perte sur le produit de la loterie royale, dont les mises sont diminuées d’un tiers, comparativement à l’année 1788 .............................. 4,000,000 Total .......... 71,000,000 Indépendamment d’une petite diminution sur le produit des traites, que je ne puis citer avec précision, parce que cette comptabilité dure beaucoup plus de temps que les autres. J’en appelle sur l’exactitude de tous ces résultats, aux fermiers et régisseurs des différents droits que j’ai indiqués. Cependant le rapporteur du mémoire, ne se livrant uniquement aux espérances qu’on peut concevoir de l’établissement des assemblées de départements, réduit à trente millions ce même déficit. Je l’avais évalué dans mon mémoire à soixante millions, mais avec une grande crainte, ajoutais-je, qu’il ne s’élevât plus haut. Je désire trop que des dispositions nouvelles améliorent la situation des choses; je désire trop qu’on y ait confiance, pour combattre aucune espérance ; mais tout remplacement exige du temps pour son exécution réelle, et l’on doit observer que le calcul dont il est ici question, concerne uniquement les dix derniers mois de l’année. Je ferai remarquer, par exemple, que les quarante millions de nouvel impôt sur les grandes gabelles, ne diminueront guère le déficit de l’année, puisqu’ils seront payables en grande partie au marc la livre des impositions directes de 1790, dont il n’y aura que sept douzièmes de payés dans cette année. Ainsi, à partir de ce calcul,’ et en supposant que l’imposition additionnelle en remplacement de la gabelle, n’essuie aucun retard particulier, on ne recevrait dans le cours de cette année, que deux ou trois millions au-dessus des vingt millions qu’aurait produits la gabelle, dans son état de dépérissement actuel. A la vérité, le débit que fera la ferme générale de ses sels en magasin produira pendant neuf mois, à commencer du premier avril prochain, peut-être six à sept millions, déduction faite de tous les frais actuels, qui ne pourront être diminués que par degrés ; mais, d’un autre côté, l’augmentation sur les impôts directs ne permettra pas de rapprocher facilement le terme de leur paiement, en sorte que la ressource de quinze millions que j’avais indiqué pouvoir résulter de cette disposition, et qui a été approuvée dans le rapport du comité des finances, devient très problématique. Le rapporteur du comité des finances a dit « qu’il s’en faut de dix millions que l’emprunt de quatre-vingts millions ne soit rempli, et il ne doute pas qu’il ne le soit dans le courant de l’année ». Il s’en faut de trente-trois millions que cet emprunt ne soit rempli, et depuis quelque temps on n’y porte presque plus rien. Il est donc impossible de s’en rapporter à la simple conjecture dont je viens de faire mention, conjecture qui n 'est appuyée d’aucune raison propre à nous éclairer. Le rapporteur, en parlant de cet emprunt, dit « qu’il était pour l’emprunteur de 6 1/2 0/0 ». Uet emprunt n’était qu’à 5 0/0 pour l’emprun-tvut-f ou recevait bien moitié en effets suspendus* 475 f Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [30 mars 1790 ] mais l’intérêt affecté à ces effets devait être aussi de 5 0/0. C’était pour le prêteur que l’emprunt valait davantage, à cause du bénéfice qu’il pouvait se procurer, en achetant au-dessous du pair les effets admis en paiement pour moitié� Pour former le tableau des finances relatif à l’année 1790, j’avais fait d’abord l’énumération des besoins, et immédiatement ensuite j’avais placé en contre-position, et les ressources certaines, et celles sur lesquelles l’Assemblée nationale avait à délibérer. Le résultat de la première énumération de deux cent quatre-vingt-quatorze millions, et la seconde était de deux cent quatre-vingt-douze. Le rapporteur déduit de la première énumération de deux cent quatre-vingt-quatorze millions, tout ce qu’il adopte de la seconde, et le reliquat, qui se trouve alors de cent trente-deux millions (sauf les erreurs que j’indiquerai), il le met, dans le cours de son rapport, en opposition continuelle avec la somme de deux cent quatre-vingt-quatorze millions; en sorte que plusieurs personnes ont cru et ont pu croire qu’il y avait dans mes calculs une exagération de besoi ns proportionnée à la différence existante entre ces deux sommes ; mais par cette manière de présenter les choses, il n’est aucun compte en actif et en passif qui ne parût fautif. Un tel compte, en effet, est composé de deux colonnes, l’une vis-à-vis de l’autre, ou l’une sous l’autre. La colonne de passif présente, je suppose, cent mille francs de dettes; la colonne de l’actif présente cent mille francs de moyens. Cependant on peut faire le même compte d’une autre manière, et déduire des cent mille francs composant le passif, cinquante mille francs pris entre les ressources non contestables qui composent l'actif, et alors le passif ne serait plus que de cinquante mille francs. C’est à peu près ce qu’a fait le rapporteur du mémoire; et les personnes qui examinent les affaires superficiellement, ont pu facilement être induites en erreur. Il suffit souvent, d’un simple déplacement, en fait de calculs de finances, pour dérouter absolument l'attention. Au reste, je dois faire observer que lorsque le rapport réduit à cent trente-deux millions les besoins de l’armée, c’est en supposant que le déficit sur les impôts, dans le cours des dix derniers mois de 1790, n’excèdera pas trente millions; ce qui ne sera point, ainsi que je l’ai montré; c’est en supposant que, dans le même intervalle, l’emprunt de quatre-vingts millions se remplira, ce qui n’est aucunement vraisemblable; c’est en supposant un rapprochement de quinze millions dans le paiement des impôts directs, rapprochement devenu dans ce moment extrêmement difficile. Le rapporteur dit que « pour procurer cinquante millions de soulagement au Trésor public sur le paiement des rentes à l’Hôtel-de-Ville, par les moyens que j’ai indiqués, il faudrait créer cent cinquante millions de contrats ». On n'a pas fait attention que ce soulagement de cinquante millions ne devait pas être le résultat de ce mode de paiement, c’est-à-dire de la faculté de laisser au Trésor public de payer à l’amiable deux semestres au lieu d’un, 3/4 en effet portant 5 0/0 d’intérêt, et 1/4 en argent; j’invitais seulement à destiner pour cette opération le reste de l’emprunt de quatre-vingts millions, objet de trente-trois millions, et le reste de l’emprunt du Languedoc* objet de dix millions. Le soulagement pour le Trésor public devait provenir encore du bénéfice que procure la mesure fixée depuis longtemps pour les fonds destinés au paiement des rentes; et, en effet, l’article était exprimé en ces termes : « En différant encore d’ acroitre le fonds destiné aux rentes, et en payant à l’amiable deux semestres à la fois sur divers objets, ainsi qu’on l’a indiqué ...................... 50 millions. » J’avais dit que l’administration des finances, en prolongeant jusqu’à Tannée prochaine, ou en pavant en effets, à cette échéance, toute la partie des dépenses ordinaires et extraordinaires qui seraient susceptibles de cette facilité, se procurerait un soulagement de trente millions. Le rapporteur du comité des finances interdit ce moyen comme une anticipation ; mais on n’a jamais donné le nom d’anticipation à de telles dispositions. C’est simplement éloigner, à la charge d’un intérêt de 5 0/0, et quelquefois sans intérêt, l’époque des paiements susceptibles d’un tel délai. Et quelle administration ne chercherait à le faire, quand on se trouve dans un temps de pénurie, et qu’on espère avec fondement plus de crédit et de facilités Tannée suivante? J’avais évalué à trente millions pour le cours de cette année, le secours extraordinaire qui pourrait résulter de la souscription patriotique, y compris ce qui a été porté en dons de ce genre à l’Assemblée nationale, objet que je croyais être d’environ un million en effectif. Le rapporteur du comité, évaluant beaucoup plus haut cet article, ne fait pas attention que trente millions en secours réels pour cette année, supposent un paiement beaucoup plus considérable, à cause de la facilité qu’on a de payer le premier tiers de sa contribution en arrérages de rentes, d’intérêts, de gages et de pensions, qui tous cependant n’auraient pas fait partie des paiements de cette année, en sorte que la décharge pour le Trésor public ne devient applicable qu’à Tannée prochaine. Le même rapporteur dit que « le quart des revenus étant égal à deux dixièmes et demi, et devant être payable en deux ans et demi, on doit recevoir un dixième par an, et il en conclut que cette année on recevra l’équivalent de cette quotité pour la contribution patriotique ». Ce calcul manque d’exactitude; on ne doit recevoir cette armée que le tiers de deux dixièmes et demi, puisqu’on a jusqu’au 1er avril 1791 pour payer le second terme, et que si plusieurs contribuables paient par anticipation, plusieurs aussi sont en retard. Le rapporteur fait une seconde erreur, en mettant sur la même ligne, et comme égaux en proportion, la valeur du premier terme de la contribution patriotique, et le produit de ce qu’il appelle le dixième sur les territoires. L’impôt sur le territoire, proportionné aux revenus, est composé de deux vingtièmes et de quatre sous pour livre en sus du] premier, ce qui fait un neuvième. Le premier terme de la contribution patriotique n’est que le tiers du quart du revenu, c’est-à-dire un douzième. Je suis sans choix les notes marginales que j’ai écrites en lisant le rapport du comité. Je vois qu’en cherchant à préjugerle produit du premier terme de la contribution patriotique, on prend le montant du dixième sur le territoire, pour premier point de comparaison. On n’a pas fait attention que tous les propriétaires de quatre cents livres de rentes net, ne 476 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] pont tenus à aucune contribution proportionnelle, et ces sortes de propriétés, dans quelques provinces, forment la grande partie du territoire. Au reste, nul doute que la contribution patriotique ne dût produire beaucoup plus que trois fois 30 millions; mais comme je l’ai déjà dit, mon évaluation était relative au secours réel et effectif applicable au reste de cette année. Le rapporteur présente, comme une addition de ma part à l’énumération des besoins, le crédit de trente à quarante millions que j’ai indiqués, comme nécessaires, pour faire jouer ensemble toutes les parties, c’est-à-dire pour suppléer à la disparité des époques entre les recettes et les dépenses ; cette manière de compter est visiblement inexacte. Le rapport fait au nom du comité prescrit toute espèce d’emprunt, et il prévoit, avec raison, que cet emprunt serait impraticable aux conditions du précédent, conditions peu onéreuses pour l’Etat ; ainsi que je l’ai montré : mais je n’hésite pas à penser que, dans l’état actuel des affaires, un intérêt beaucoup plus cher vaudrait mieux que l’accroissement des billets circulant comme monnaie. Le rapporteur, pour défendre son projet d’accroissement des billets-monnaie, et pour me mettre en opposition avec moi-même dans les craintes que je-montre sur cet accroissement, rappelle que, dans mon mémoire du 14 novembre, j’ai proposé de porter à 240 millions les billets de la caisse d’escompte. Mais pourquoi passe-t-il sous silence que cette proposition était liée à une création de 50 millions d’actions nouvelles, dont le produit payable uniquement en numéraire effectif, et réuni au capital de 30 millions mis par la caisse d’escompte dans son commerce, devait lui fournir le moyen de payer les billets circulant à bureau ouvert? Les temps ont bien changé depuis l’époque de cette proposition ; mais elle n’indiquait pas moins que, bien loin de regarder avec indifférence une émission de 240 millions de billets, je la réunissais aux moyens qui pouvaient donner l’espérance de les payer à bureau ouvert. Le comité des finances ne veut pas, est-il dit, qu’aucune anticipation soit renouvelée , lors même que le crédit le permettrait, et l’on désigne ces anticipations comme le plus coûteux de tous les emprunts. C’est au contraire, en ce moment, le moins cher de tous, car ces anticipations sont aujourd’hui essentiellement composées de 60 millions de billets des fermes, qu’on renouvelle en grande partie chaque mois, au simple intérêt de 5 0/0 par an, sans aucuns frais de courtage ni de commission pour personne. Les rescriptions qu’on renouvelle à un an de terme coûtent l 0/0 de plus par an. Comment est-il possible que le comité préfère à la ressource de ce genre d’emprunt, entièrement libre de la part des prêteurs, un accroissement équivalent de billets-monnaie forcés, lesquels seront eux-mêmes un emprunt, au moyen de l’intérêt qu’on se propose d’y attacher ? Une telle question ne peut pas, à mes yeux, présenter de doute, mais elle deviendra bientôt oiseuse, tant la simple conclusion du comité des finances, tendant à proscrire ce qu’il appelle des anticipations, éloigne déjà les capitalistes de prêter leur argent de cette manière ; et c’est ainsi que rien n’est indifférent dans l’administration des finances. On peut mettre obstacle à tel crédit connu, au paiement de tels impôts en recouvrement, par des rapports faits à l’Assemblée au nom de ses comités, et l’expérience ne l’a que trop montré. 11 n’est aucune des objections du comité contre le bureau de trésorerie, à laquelle je n’aie déjà répondu par les observations présentées à deux reprises à l’Assemblée nationale. Le premier argument du rapporteur porte sur la responsabilité ministérielle, qu’il craint de voir affaiblir par la conversion d'une garantie individuelle en une garantie collective; mais j’ai tout dit sur ce sujet dans mon dernier mémoire. Le second argument, est ce prétendu lien indissoluble qui doit dériver du décret anciennement rendu, sur une question à peu près semblable : mais que deviendraient les véritables intérêts de la nation, si ses députés s’interdisaient à eux-mêmes la faculté de modifier un de leurs décrets, lorsque de justes motifs les y engageraient? Il faudrait, avant de prendre une pareille détermination, se reconnaître infaillibles, et s’assurer un pouvoir au-dessus des facultés humaines, celui de bien juger de tout à longue distance, et d’apercevoir tout en un seul moment. Je crois que si l’on adopte l’opinion présentée dans le rapport du comité des finances, on regrettera, trop tard, de n’avoir voulu donner aucun secours à l’administration ; on regrettera, trop tard, d’avoir craint de partager ses périls ; on regrettera, trop tard, de l’avoir affaiblie continuellement, en la laissant néanmoins combattre seule contre les obstacles les plus difficiles; on regrettera, trop tard enfin, de l’avoir séparée de la confection journalière des lois qui doivent déterminer son action et ses moyens. J’aurai du moins rempli mon devoir en revenant si obstinément sur la même idée , et j’avoue que je trouverais toujours extraordinaire l’association de deux volontés, dont l’une conduirait l’Assemblée nationale à refuser toute espèce de part à l’administration du Trésor public, même par la seule médiation de quelques-uns de ses députés, et l’autre l’engagerait à déterminer, sans concert avec cette administration, les dispositions qui l’intéressent; c’est s’interdire de toucher au gouvernail, et se réserver la direction des voiles sans consulter le pilote. Je ne dois pas finir ce mémoire sans faire connaître que le rapport donné au nom du comité des finances, n’a été connu de ce comité que la veille au soir du jour où il a été présenté à l’Assemblée nationale; et, malgré l’attention qu’exigeait une grande diversité de calculs, il n’a été fait qu’une seule lecture du mémoire, et les membres du comité des finances, au nombre de douze ou quinze seulement, au lieu de soixante-quatre dont il est composé, n’ont pas été réunis d’opinion. Le désagréable travail auquel je viens de me livrer, pour répondre aux assertions contenues dans le rapport fait au nom d’un comité, me fait sentir encore davantage l’amertume de la position où se trouve aujourd’hui l’administration des finances. Pourquoi, me dira-t-on, pourquoi vous détourner de tant d’affaires, de tant d’inquiétudes instantes, pour vous livrer à ces discussions ? Mais n’est-ce pas assez de laisser le champ libre à toutes les calomnies, à toutes les critiques desjournalistes et des écrivains particuliers, en ne relevant jamais leurs discours? N’est-ce pas assez de garder le silence sur tout ce qui est avancé de temps à autre, à l’Assemblée nationale, par divers de ses députés ? Puis-je montrer la 477 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] même indifférence sur un rapport fait à cette Assemblée, au nom d’un comité aussi respectable que celui des finances? Sans doute, ces contrariétés et tant d’autres me rendent insensiblement ma place bien pénible ; mais par une circonstance aussi bizarre que malheureuse , ces traverses elles-mêmes, en augm entant le péril de la chose publique, fortifient le seul lien qui m’attache encore au. poste que j’occupe. QUATRIÈME ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 30 mars 1790. Réponse de M. de Montesqnion aux observa tions de M. ieckcr, sur le rapport fait au nom du comité des finances, à la séance de l’Assemblée nationale du 12 mars 1790 (1). Le premier ministre des finances a relevé des erreurs qu’il a cru apercevoir dans le rapport que j’ai fait à l’Assemblée nationale, le 12 de ce mois, du mémoire qu’il lui avait adressé le 6. Il serait possible en effet qu’il me fût échappé quelques fautes dans un rapport que j’ai été obligé de terminer avec la plusgrande précipitation ; le comitélui-même, pressé par les ordres de l’Assemblée, s’est peut-être fié trop légèrement à celui qu’il avait chargé de parler en son nom; mais peut-être aussi n’est-il pas impossible que le premier ministre des finances ait jugé avec trop de sévérité une opinion qui différait quelquefois de la sienne. Je ne viens point ici prendre la défense du comité des finances; il n’a pas besoin de mon secours. C’est à la seule Assemblée nationale qu’il doit compte d’un ouvrage qu’il n’a adopté que pour le lui soumettre. Mais le rapporteur du comité est responsable envers lui de l’usage qu’il a fait de sa confiance. A ce titre, je lui dois l’aveu de mes erreurs, si j’en reconnais dans le rapport qu’il avait honoré de son suffrage. Je lui dois de même la justification de mes calculs, s’ils sont exacts. Je dois plus encore à la nation dont le sort est si intimement lié aux questions qui nous divisent, et qui ne dira pas aujourd’hui... Que nous font tous ces débats ? Quels rapports ont-ils avec nos intérêts présents ? Le passé est passé, et rien n’est plus indifférent que de déterminer lequel des deux adversaires a eu tort ou raison; la question ne vaut pas la peine que nous dévorions l’ennui d’une semblable controverse (2). La nation le dévorera cet ennui non pour juger le mérite de tel ou tel ouvrage; peu lui importent les petits intérêts de l’amour-propre d’un particulier; mais il lui importe essentiellement de connaître l’ètatde ses affaires, d’asseoir enfin, sur une base solide, les espérances que l’on veut lui faire concevoir, et de s’assurer que ses représentants, du moins par leurs soins et par leur vigilance, sont dignes des importantes fonctions dont ils sont revêtus. Au milieu de cette discussion qui m’afflige, je sens combien le nom de M. Necker est important pour moi. Je sens surtout combien il est triste de (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Réponse de M. Necker àM. de Calonne, avril 1787, in-8° p. 20. combattre un homme auquel on n’a jamais désiré que des succès. Chargé malgré moi du rapport de son mémoire, forcé d’être quelquefois d’un avis opposé au sien, cédant eu cela à un devoir rigoureux, je croyais du moins n’avoir offensé ni la vérité ni les convenances. Je reprends à regret aujourd’hui l’aride, mais intéressante dissertation à laquelle je suis condamné. Je ne demande qu’une grâce à mes lecteurs, et cette grâce est une justice; c’est d’oublier les noms des combattants et de ne rien juger qu’après avoir tout entendu. Évaluation de la perte sur les impôts indirects. Le premier ministre des finances pense que pendant les dix derniers mois de cette année, les droits et les revenus affermés ou régis éprouveront une perte de 71 millions. Il n’en avait porté l’évaluation qu’à 60, et il persiste à croire qu’il l’avait estimée trop bas; il reproche au comité des finances, ou plutôt à son rapporteur, de n’avoir évalué cette perte qu’à 30 millions. Je céderais sans hésiter à l’opinion de M. Necker, si les leçons de l'expérience étaient applicables à cette circonstance ; mais à l’appui de son opinion, M. Necker ne cite que l’exemple des trois derniers mois : il faut examiner si cet exemple doit s’adapter au reste de l’année, ou s’il ne le doit pas. L’état d’anarchie où nous avons vécu sera-t-il le même après l’organisation des assemblées de département et de district, et après l’établissement affermi des municipalités? Le remplacement de la gabelle sera-t-il payé ou ne le sera-t-il pas? Voilà les questions dont la solution importe au jugement de cet article. Mon opinion à cet égard ne peut être incertaine. Je pense que l’ordre est au moment de renaître, et je vois l’organisation du royaume essentiellement liée à celle des nouveaux corps administratifs. Dans deux mois, je n’en saurais douter, le brigandage aura un frein, la perception des contributions un appui, et d’une extrémité de la France à l’autre, il existera une patrie, des citoyens et une force publique. Ainsi, à partir du 1er avril, je ne vois plus de perte à craindre sur la gabelle, parce que le remplacement commence de ce jour-là et qu’il sera payé non seulement avec facilité, mais avec plaisir. Suivant le décret même, ce remplacement aura lieu dans tous les endroits où, avant cette époque, la perception aurait été interrompue. Ainsi, je ne puis adopter, même pour un mois, la perte présumée sur la gabelle. Je vois plus loin; je pense que du décret et de son exécution, sur laquelle je ne me permets pas le moindre doute, après l’avoir vu désiré et demandé avec instance dans tout le royaume, il résultera des recouvrements pour le Trésor public sur le déficit des mois précédents. Je retranche donc entièrement le premier article des pertes évaluées par M. Necker. Cet article de la gabelle est de 40 millions. Tous les autres, au nombre de 7, montent suivant son calcul, à 31 millions. C’est sur ce calcul de 31 millions que je vais étendre mes observations. Par les mêmes raisons que je viens de développer, je pense que la perte sur le produit des ventes du tabac, effet du brigandage et du défaut de police, est prête à cesser. Mais il faut du temps pour rétablir les barrières, et pour épuiser les approvisionnements de la contrebande; ainsi je