SÉANCE DU 11 FRUCTIDOR AN II (28 AOÛT 1794) - N° 44 59 prendre à son compte une partie des crimes de Robespierre, en s’en déclarant continuatrice; d’appeler sur elle une animadversion qu’elle ne doit point partager avec le scélérat qu’elle a puni; de provoquer une réaction à laquelle le supplice du coupable n’a plus laissé d’objet ni de prétexte; ceux-là seuls en ont besoin, qui redoutent la justice outragée; ceux-là seuls ont intérêt d’entraîner la Convention dans la fange, qui y sont plongés. Je viens à l’espèce de crainte qu’il est nécessaire d’employer pour consommer et consolider la révolution, c’est la crainte des lois pour les actions contraires aux lois. 1°. L’on peut rendre plus vive la crainte des lois en établissant une police qui veille sur leur observation. 2°. On peut diriger cette crainte vers l’intérêt de la révolution, en faisant des lois particulières en sa faveur; il peut donc, il doit donc exister un gouvernement révolutionnaire; mais ce gouvernement, au lieu d’être arbitraire, doit être, pour ainsi dire, le complément de l’ordre essentiel de la société politique; ce doit être une institution sévère, mais pourtant assez juste pour préparer au bienfait d’une constitution libre. C’a été une grande licence que de distinguer à la tribune de la Convention deux sortes de justice; il n’y a qu’une justice, citoyens, c’est celle qui ne connoît point les hommes, mais qui pèse les actions; il n’y a que celle-là qui juge; toute autre assassine. La Convention doit rejeter l’idée de cette justice royale, qui n’a de sévérité qu’aux dépens de l’équité; elle ne convient pas mieux pour les temps de révolution que pour les temps ordinaires; c’est la justice des Cannibales, ce ne sera jamais celle du peuple français. La Convention nationale déclare au peuple français et aux ennemis de la république: 1°. Qu’elle est résolue de maintenir jusqu’à la paix le gouvernement révolutionnaire qu’elle a décrété. 2°. Elle déclare incompatible avec le gouvernement révolutionnaire, et contraire aux intérêts du peuple, la réunion actuelle des assemblées primaires : en conséquence elle invite tous les citoyens à se tenir en garde contre ceux qui en feroient la proposition. 3°. Elle déclare que la terreur qui pèse sur tous est l’arme la plus puissante de la tyrannie; que la justice, au contraire, est la terreur des méchans, et qu’elle seule doit être à l’ordre du jour. 4°. Les poursuites dirigées contre les écrivains qui auront librement émis leurs opinions, sont des moyens de terreur propres à ramener la tyrannie et à anéantir la liberté publique (91). (91) Débats, n° 708; Moniteur, XXI, 612-615; M.U., XLIII, p. 190-191; Ann. R.F., n° 270, 271; Gazette Fr., n° 971, 973; C. Eg., n° 740; mention dans J. Perlet, n° 705; Ann. Patr., n° 605; F. de la Républ., n° 421; J. Univ., n° 1739; J. Paris., n° 606; J. Mont., n° 121; J. Fr., n° 703; Mess. Soir, n° 741. On demande l’impression de son discours. L’impression est décrétée. D’une part on réclame l’ordre du jour sur le projet de décret, de l’autre l’ajournement. L’ordre du jour a prévalu (92). On demande l’impression du discours et l’ajournement du projet de décret. LEFIOT : Il faut bénir la philosophie dont l’étude rend les hommes meilleurs et justes; mais j’observe que tel qui, dans ce moment, déclame à cette tribune contre le système de terreur, vantoit jadis à cette tribune l’utilité de ce système... (Plusieurs membres : point de personnalités). On demande l’ordre du jour (93). LEFIOT : Il est remarquable que, depuis quelques jours, tous les écrits débités à cette tribune ont répété qu’il fallait enfin établir le règne de la justice. La justice ! citoyens, nous la voulons tous; elle est dans tous nos cœurs; elle est dans celui de tous les citoyens français. La justice, nous dit-on, n’est autre chose que la manière de juger les actions. Cette définition n’est-elle pas la critique d’une mesure de sûreté prise contre des hommes évidemment suspects ? On demande l’ordre du jour. LEFIOT : Citoyens, dans les républiques anciennes, on aimait aussi la justice, et là cependant, pour ne point exposer la liberté, on bannissait les hommes vertueux. Pourquoi dans la république française, entourée de méchants et de conspirateurs, n’oserait-on prendre une mesure contre des prêtres insidieux qui se mettent à la place de la Divinité ? (Bruit.) Citoyens, de toutes les passions humaines, la plus active et la plus dangereuse pour la société est l’orgueil; et pour moi, je regarde comme justement suspects, dans le régime dont l’égalité est la base, ces hommes nourris et élevés au milieu de tous les prestiges de la richesse et de la vanité, et il m’est permis de croire que la mesure de sûreté générale prise contre eux n’est point injuste. Cependant, d’après ce qui vient d’étre dit à la tribune, il semblerait que l’on ne dût prendre de pareilles mesures que contre des hommes positivement coupables (Murmures.) Citoyens, dans une république, non seulement ceux qui ont desservi la révolution, mais tous ceux qui ne l’ont pas servie de tous leurs moyens, doivent être placés sous la surveillance nationale. Ce sont de tels hommes contre lesquels des mesures de sûreté publique ne peuvent être blâmables. Telle est au moins mon opinion. Il est aisé à celui qui a médité longtemps de vous présenter ses réflexions d’une manière séduisante; les miennes me sont venues pendant le discours de l’opinant. J’en demande donc l’impression, afin de donner à ceux de mes collègues qui auraient des idées à ce sujet le temps et les moyens de les réfuter. (92) P.-V., XLTV, 205. Décret qui ordonne l’impression : n° 10 597. Rapporteur : Goupilleau (de Fontenay), d’après C* II 20, P-270. (93) Débats, n° 708, 191.