[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Novembre 1793" ' 547 « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport de ses comités de marine et des finances [Boissier, rapporteur (1)], sur la péti¬ tion du citoyen Kessel, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Le conseil exécutif provisoire est autorisé à remplacer par un brevet d’invention revêtu des formes républicaines, celui que le citoyen Kessel et ses associés ont obtenu le 30 juillet 1792, rela¬ tivement à des procédés découverts pour extraire du goudron, dubrai gras, etc., des vieilles souches, des bois résineux. Art. 2. « La trésorerie nationale tiendra à la disposi¬ tion du ministre de la marine une somme de 1,200 livres pour être remise par celui-ci au ci¬ toyen Kessel, à titre d’avances, moyennant bonne et valable caution acceptée par le ministre; la¬ quelle somme sera employée aux dépenses d’éta¬ blissement des ateliers que le citoyen Kessel se propose de former pour l’exploitation des vieilles souches. Art. 3. « Ces fonds ne seront remis au citoyen Kessel qu’au fur et à mesure de ses demandes; ils seront employés sous la surveillance des corps adminis¬ tratifs des lieux où seront formés ces établisse¬ ments. Art. 4. « Avant de recevoir aucuns fonds, le citoyen Kessel fera sa déclaration des lieux où il entend former ses établissements, et il souscrira, entre les mains du ministre de la marine, sa soumission de délivrer la totalité ou la portion qui lui sera demandée pour le service de la République, des goudrons, brai gras, etc., provenant de ses fabri¬ cations, lesquels lui seront payés, suivant ses offres, à un prix moindre de 10 0/0 que ceux ordinaires établis par le commerce. Art. 5. « Les 1,200 livres avancées, conformément aux articles ci-dessus, seront remboursées par une retenue d’un dixième, que le ministre de la ma¬ rine exercera sur le produit des livraisons faites par le citoyen Kessel, suivant les dispositions de l’article 4 (2). » 1 ; ,, � Le rapporteur du comité ""de sûreté générale [Amar (3)], après avoir obtenu de la Convention que personne ne pût sortir de la salle, a fait lec¬ ture-d’une lettre anonyme adressée de Rouen à Lecointe-Puyraveau, représentant du peuple, (1) D’après le Journal des Débats el des Décrets (brumaire an II, n° 415, p. 232). (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 45 et 46. (3) D’après les divers journaux de l’époque, portant entre autres choses : « Tout va bien à Rouen; on y remue les esprits, les rebelles mar¬ chent sur cette ville. Il a demandé l’arrestation de Lecointre. » Ce dernier a déclaré n’avoir jamais connu per¬ sonne à Rouen, que cette lettre lui était étran¬ gère. Un membre [Basire (1)] a observé que, si on arrêtait un député sur une simple lettre anonyme, nos ennemis en fabriqueraient bientôt de pa¬ reilles, à la faveur desquelles tous les députés seraient incarcérés, moyen sûr d’opérer la contre-révolution. Il a invoqué la question préalable, qui a été adoptée (2). Compte rendu du Moniteur universel (3). Le Président. Amar demande la parole pour une mesure de sûreté générale. Amar, au nom du comité du sûreté générale. Je vous propose pour première mesure de dé¬ créter à l’instant que personne ne pourra sortir de la salle ni des tribunes. Cette proposition est décrétée. Amar. Je viens vous demander au nom du comité de sûreté générale un décret d’arresta¬ tion contre Lecointe-Puyraveau. Un procès-verbal de la section de la Halle-aux-Blés nous a dénoncé une lettre originale, écrite de Rouen, b 16 brumaire, et adressée à Lecointe-Puyra¬ veau. L’original de cette lettre est resté au co¬ mité de la section de la Halle-aux-Blés. Si la Convention le veut, je lui en lirai la copia Plusieurs voix : Oui ! oui ! Amar lit cette lettre. Elle est écrite dans un style énigmatique. L’auteur y parle avec joie des mouvements que font les brigands qui ont fui de la Vendée. On s’aperçoit qu’il attend avec plaisir des troubles dans la ville de Rouen. Le peu de mots dont on peut saisir le sens fait soupçonner qu’il prend grand intérêt aux nou¬ velles qu’il donne. Lecointe-Puyraveau. La certitude que j’ai de mon innocence me fera parler avec fermeté. Je ne connais personne à Rouen, je n’y ai jamais écrit. Je déclare au reste que j’ai souvent reçu des lettres qui n’étaient pas pour moi, et qui cependant étaient à mon adresse. J’en ai reçu qui étaient pour mon collègue Lecointre de Ver¬ sailles, et je dois déclarer que dans celles que j’ai ouvertes, je n’ai trouvé aucun indice de projet contre-révolutionnaire. Si l’on veut aller chez moi, on trouvera encore plusieurs de ces lettres qui sont pour Lecointre de Versailles. Je ne crois donc pas que vous puissiez, d’après une pareille lettre, me priver de ma liberté; je suis d’ailleurs soumis à tout ce que vous or¬ donnerez. Je demande qu’on apporte ici l’ori¬ ginal de la lettre. Je suis sûr que mon innocence sera bientôt reconnue. (1) D’après les divers journaux de l’époque. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 47. (3) Moniteur universel [n° 49 du 19 brumaire an II (samedi 9 novembre 1793), p. 199, col. 2]. Voy. d’autre part, ci-après, annexe n° 2, p. 566, le compte rendu de la même discussion, d’après) divers journaux. 548 [Convention nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. f « brumaire an] H 1 J (7 novembre 1793 Amar. C’est au nom du ermite que je tous ai proposé le décret d’arrestation contre Le-eointe-Puyraveau. Basire. Je m’oppose à cette mesure. Je ne connais point Lecointe-Puyraveau, je ne lui ai peut-être pas parlé dix fois dans ma vie ; mais si aujourd’hui tous décrétez d’arrestation un de tos collègues sur un pareil titre, il n’y a pas un de tous ici présents, qui soit libre, pas un de tous contre lequel on ne puisse provoquer une semblable mesure. Atcc un déeret tel que celui S’on vous propose, la contre-révolution serait te demain. La lettre dont on vous parie est certainement anonyme, et je ne sais pas pour¬ quoi nous nous écarterions aujourd’hui de ce grand principe que vous avez consacré, de ne point délibérer sur des lettres anonymes. Où T accusé trouve-t-il son dénonciateur pour le confondre? Un chiffon de papier suffirait donc pour conduire Lecointe-Puyraveau au tribunal révolutionnaire, à ce tribunal nécessaire, mais redoutable, auquel vous ne devez traduire que les traîtres bien reconnus. Je demande la ques¬ tion préalable sur la proposition du comité de sûreté générale. La Convention décrète qu’il n’y a pas lieu à débbérer. Amar. C’est une section qui a envoyé le pro¬ cès-verbal. Le comité pouvait-il se dispenser... Lecointe-Puyraveau. Il a fait son devoir. Amar-Nous sommes détestés par les aristo¬ crates et les mauvais citoyens, parce que nous remplissons avez zèle les fonctions que la Con¬ vention nous a confiées. Vous faites votre devoir, s’écrie-t-on de toutes parts, continuez. (On applaudit.) Amar. Je demande que la consigne soit levée. (Décrété.) Amar descend de la tribune au milieu des applaudissements. i Un citoyen de Rouen s’est présenté à la barre, et a dit que la paix régnait dans cette commune, quoique les subsistances y fussent très rares (1). Compte rendu du Moniteur universel (2). Un citoyen de Bouen se présente à la barre. J’étais, dit-il, dans le sein de la Convention, lorsqu’on a fait lecture d’une lettre de Rouen à U) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 47. (2) Moniteur universel [n° 49 du 19 brumaire an II [samedi 9 novembre 1793), p. 200, col. 1}. ETautre part, le Journal des Débats et des Décrets (brumaire an II, n° 415, p. 244) et le Journal de la Montagne [n° 159 du 18e jour du 2e mois de l’an II (vendredi 8 novembre 1793), p. 1172, col. 1} rendent compte «le l’admission à la barre de ce citoyen de Rouen dans les termes suivants t I. Compte rendu du Journal des Débats el des Décrets. Cto annonce un citoyen de Rouen,) membre du comité de surveillance' de cette commune. Il se présente à la barre» « J’étais, dit-il, à la, tribune lorsqu’on a donné lecture d’une lettre de Rouen, dont l’adresse était l’ adresse de Lecointe-Puyraveau. J’ai vu aven peine qu’on semblait annoncer dans cette lettre que la ville de Rouen était en. insurrec¬ tion. J’en suis parti il y a trois jours, et elle ne m’a pas paru disposée à s’insurger. Je dirai plus, les sans-culottes y sont réduits à un quarteron de pain; les riches trouvent du soulagement dans leurs moyens ; mais les sans-culottes n’en sont pas moins soumis aux lois; ils escortent eux-mêmes les subsistances des¬ tinées pour Paris. (On applaudit.) J’ai reçu aujourd’hui une lettre de mon épouse, elle ne m’annonce aucun trouble; elle me dit qu’une partie de la garde nationale est partie pour se réunir à l’armée qui doit exterminer les restes des brigands de la Vendée. On fait lecture d’une lettre du citoyen Parent, curé de B oissise-Ia-Bertrand, à la Convention nationale, datée de Boissise-la-Bertrand, chef-lieu de canton, district de Melun, département de Seine-et-Marne, le 14 brumaire, l’an H de la, République française une et indivisible, dont la teneur suit : « Citoyens représentants, « Je suis prêtre, je suis curé, c’est-à-dire char - latan. Jusqu’ici, charlatan de bonne foi, je n’ai trompé, que parce que moi-même j’avais été trompé; maintenant que je suis décrassé, je vous avoue que je ne voudrais pas être charlatan de mauvaise foi; cependant la misère pourrait m’y contraindre; car je n’ai absolument que les 1,200 livres de ma cure pour vivre; d’ailleurs je ne fais guère que ce qu’on m’a forcé d’apprendre, des oremus. « Je vous fais donc cette lettre pour vous prier d’assurer une pension suffisante aux évêques, curés et vicaires sans fortune et sans moyen de subsister, et cependant assez honnêtes pour ne vouloir plus tromper le peuple, auquel il est temps enfin d’apprendre qu’il n’y a de religion vraie que la religion naturelle;, et que tous ces rêves, toutes ces mômeries, toutes ces pratiques à Lecointe-Puyraveau. J’ai vu avec peine qu’on y voulait faire croire que la commune de Rouen était en insurrection. J’en suis parti il y a trois jours; je n’y ai vu aucun mouvement. Je dirai plus; les sans-culottes n’ont par jour qu’un quarteron de pain chacun; les riches y sont abandonnés à leurs propres moyens, et cependant les sans-culottes de Rouen, qu’on a voulu calomnier, exportent eux-mêmes les subsistances de Paris. Il semblerait que l’on eût voulu déprécier ici cet acte vraiment civique qu’fis font avec générosité. (Applaudissements O Le citoyen qui est à la barre lit une lettre qu’il a reçue aujourd’hui de sa femme. Elle n’annonce au¬ cun trouble. IL Compte rendu du Journal de la Montagne . Un membre du comité de surveillance de Rouen , sorti de cette ville depuis trois jours, dément les insinuations de la lettre communiquée par Amar. Loin de songer à se révolter, les sans-culottes de Rouen, qui n’ont qu’un quarteron de pain par jour, escortent les subsistances pour Paris, et s’en pro¬ cure qui peut, car la municipalité n’en fait pas déli¬ vrer davantage.