[Assemblée nationale.] ANNEXES A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 5 JUILLET 1790. lre ANNEXE. Nouvelles pièces justificatives relatives à Vinsur - rection des soldats du régiment de Touraine , contre les ordres du roi et de leur chef (i). J’ignore le moment où mon affaire sera rapportée: j’ai cru qu’un membre de l’Assemblée nationale n’avait pas besoin de solliciter auprès de ses comités une affaire qui l’intéresse; je ne réclame que justice, et je ne doute nullement qu’elle me soit rendue. Je présente au public plusieurs pièces justificatives nouvelles, on verra que la lettre signée du lieuteuant-colonel, qu’on avait regardée comme une pièce infiniment contraire à mes intérêts, a été l’ouvrage de la contrainte; on verra aussi, avec peine, sans doute, quelles sont les victimes de l’insurrection du régiment de Touraine, leur innocence et leur courage se peint dans leurs lettres, auxquelles je n’ajouterai aucunes réflexions : je ne pourrais qu’en diminuer l’effet sur les âmes sensibles. L’hommage des lieutenants et sous-lieutenants du corps, la démarche qu’a faite le plus ancien d’entre eux en venant, muni de leurs pouvoirs, combattre la calomnie, satisfait mon cœur, le décharge d’un poids énorme, et fait encore plus pour mon bonheur que pour ma justification. Lettre écrite de Perpignan , par M. le chevalier d'iversay , lieutenant - colonel du régiment de Touraine, à M. le vicomte de Mirabeau, colonel dudit régiment, en date du 1 er juillet 1790. Monsieur, j’ai l’honneur de vous envoyer l’état de situation de votre régiment et de vous rendre compte que depuis votre départ le 11, M. de la Porte a comparu à la municipalité devant Vernay, fourrier des grenadiers, son accusateur, qui lui imputait d’avoir dit que si les bas-ofliciers voulaient s’assembler, ils auraient bientôt raison de cette canaille, en parlant du régiment. Cet officier a été mis sous la sauvegarde de la municipalité, et conduit au castillet ; j’ai été l'en faire sortir, et l’ai conduit dans une chambre du quartier. Le 15, MM. Reinaud et la de Landelleontété mis dans une chambre de la citadelle, le premier pour avoir dit qu’il avait passé la nuit avec M. le vicomte lors de son départ et qu’il lui avait parlé des drapeaux ; le second pour avoir mis l’épée à la main le jeudi 10, jour de l’insurrection, étant le matin chez M. le vicomte, lorsque les soldats vinrent lui demander de ne plus voir le sieur Maréchal, adjudant; le 16, MM. de la Porte et de la Landelle sont sortis ainsi que M. le marquis d’Aguilar, maire de cette ville, qui était détenu à la citadelle et gardé à vue. La garnison sous les armes, en grande tenue, avec la municipalité et la garde nahonale, il a été conduit chez lui; MM. des Innccens et d’iversay lui donnant le bras au bruit de la mousqueteriê et du canon. Le 17, on nous a apporté nos drapeaux cachetés, escortés par des détachements 707 de la garde nationale de Gastelnaudary, Carcassonne, Narbonne, Syean, Lezignan et un détachement de Touraine qui avait été jusqu’à Narbonne, ainsi que celui de la garde nationale de Perpignan. La division et la garde nationale sous les armes en grande tenue, la municipalité a été hors la ville recevoir les drapeaux ; ils ont été apportés chez M. le marquis d’Aguilar et remis à lui; il a décacheté le paquet, les a lui-même attachés aux bâtons, et les a accompagnés avec la municipalité, au bruit des canons, chez M. d’iversay. MM. les officiers ont reconduit M. le maire et la municipalité; le 18, M. Revnaud est sorti, et on a demandé aussi la sortie de M. Rossouche, détenu en prison, dont, Monsieur le vicomte, j’avais eu l’honneur de vous rendre compte ; on avait cassé, le jour d’avant, le sergent-major, un sergent et troi.s caporaux des grenadiers. Le même jour 18, les officiers du régiment de Touraine ont donné un grand dîner aux officiers des détachements qui avaient accompagné les drapeaux, avec une partie des volontaires de cette ville et autres corps. Le soir, il y eut un grand souper donné à l’hôtel de ville par MM. les volontaires citoyens, où il y avait au moins deux cents personnes; le 19, les grenadiers de Touraine ont donné un dÎDer à l’intendance où étaient M. de Chollet, qui n’y a pas resté, toute la maison d’Aguilar, Mme la comtesse, les chefs et officiers des grenadiers et toute cette compagnie de Vermandois ; les officiers des détachements et partie des volontaires de la ville. Le régiment, c’est-à-dire le prétendu comité, a donné au commandant du détachement de Gastelnaudary, en reconnaissance d’avoir apporté nos drapeaux, un drapeau de, la couleur des nôtres, une épée, habit et équipement d’officier; ces détachements ont été accompagnés en grande pompe hors de la ville; le matin, à leur sollicitation, on a fait sortir tous les bas-officiers qui étaient détenus pour avoir signé la lettre et des congés absolus, excepté Vernay, le fourrier; les bas-officiers ont été réintégrés, parce que je n’avais pas voulu consentir qu’on les remplaçât, malgré les instances réitérées qu’ils m’ont faites pour cela en me désignant des sujets ; les places une fois prises, ils ne les auraient pas remises. Après dîner, on s’est promené dans les rues pour aller aux deux quartiers avec Mmo la comtesse d’Aguilar; on a porté des santés ; ils ont même continué à se promener la nuit. Sur l’ordre du ministre de se rendre à la fédération à Paris, MM. Garrot, Gondran, Raye, Petit, Guiraud et Morand sont partis mardi 22; une autre députation demandée par les soldats, le 13, MM. de Thorenc, Martin, Sauveton et Aboux dont on aurait bien pu se passer. Il est arrivé des congés pour MM. de Marcy et d’Arberatz; le premier n’en a pas profité. J’ai aussi l’honneur de vous rendre compte, Monsieur le vicomte, que MM. de Vidampierre, la Croix et Mathey demandent des congés pour rétablir leur santé. 11 est parti un détachement de cent vingt hommes de votre régiment pour le Mont-Louis, commandé par MM. de Gampan, Gorsac et Pis. Dans tout ce qui s’est passé, Monsieur le vicomte, quoique très désagréable, il n’y a aucune plainte, et le service s’est fait exactement ; les compagnies correspondantes de Vermandois ont régalé les nôtres, et celles de Touraine le leur ont rendu ; ce qui coûte des sommes considérables. J'ai aussi l’honneur de vous assurer, Monsieur ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [o juillet 1790.] (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. 708 [Assemblée nationale.] ■ ARCHIVES le vicomte, que j’ai été très surpris, et ai marqué mon mécontentement aux bas-officiers de ce qu’ils ont fait imprimer un exposé sans m’en parler ni à ces messieurs, et ma surprise fut extrême lorsqu’on me remit cet exposé, et surtout d’y voir que leur prétendu comité avait disposé de moi sans m’en parler, disant que la médaille qu’ils font faire au sieur Gilis, devait être présentée incessamment par moi à la tète du régiment qui serait en grande tenue. Je leur ai signifié que je n’en ferais rien, et vous supplie instamment, Monsieur le vicomte, d’en assurer le ministre, ne pouvant faire prendre les armes à votre régiment sans un ordre de M. de Chollet que je ne solliciterai sûrement pas pour cela, ne voulant pas manquer à la subordination, et que cela devrait leur servir d'exemple : ils ont paru très mécontents. Pour l’autre article, Monsieur le vicomte, voici aussi le fait : C’était au moment de l’effervescence, et pour éviter une nouvelle insurrection à l’arrivée de l’officier des volontaires de Gastelnaudary, qui apportaient nos drapeaux, qui ont causé tant de troubles, ce prétendu comité des bas-of liciers et soldats, qui ont fait partir M. de Thorenc, me dirent qu’en reconnaissance ils lui donneraient un drapeau aux couleurs des nôtres, et l’équipement d’officier et une épée que je lui présenterais : mais ne pouvant ni ne devant reconnaître ce prétendu comité, et sur la résistance que je fis, ils dirent : « Tout le monde nous trahit. » voyant que l’impatience augmentait, pour ramener le calme, forcé par la circonstance, je me décidai à leur promettre que je le lui remettrais à dîner, et l’uniforme a été renvoyé à cet officier après son départ. Je duis, Monsieur le vicomte, en parlant d’une affaire aussi malheureuse, rendre aux officiers la justice qui est due à leur zèle : ils se sont bien conduits et ont fait tout ce qu’ils ont pu pour calmer les têtes des soldats, et pour arrêter le désordre qui aurait cependant continué, si je n’eusse parlé avec force. Ils voulaient recommencer leurs farandoles et leurs repas avec les compagnies correspondantes du régiment de Vermandois. Les officiers et bas-officiers ne pouvaient rien gagner sur eux; j’ai été aux compagnies, et iis se sont rendus à mes sollicitations. Tout est fini et rentré dans l’ordre. J’ai été à quatre heures du matin faire partir le détachement de Mont-Louis ; je l’ai trouvé fort en règle. Il y a actuellement l’article de la dépense : celle de Vermandois passe 11,000 francs; celle du vôtre, Monsieur le vicomte, ira au moins à cela : les dépenses qu’ils ont faites avec Vermandois sont énormes. J’en ai rendu compte à l’inspecteur, il ne m’a pas fait l’honneur de me répondre. Savoir quel moyen prendre, si l’on vient me demander le payement que je ne ferai pas sans ordre, et je ne peux savoir au juste à quoi cela se monte. Les soldats ni les aubergistes ne m’en ont pas encore parlé; il y a quelques capitaines qui ont signé des bons. Ayant refusé de donner cette médaille au sieur Gilis, ce comité a eu le projet de demander à l’Assemblée nationale qu’il fût nommé porte-drapeau à la suite du régiment, comme étant le fourrier qui a fait arrêter tes drapeaux : ils prétendent que c’est à lui qu’ils ont leplus d’obligation : je crois cependant que ce projet n’aura par lieu, et je sais quel parti ils prendront à ce sujet. J’ai l’honneur de vous rendre compte que ce prétendu comité a chassé Bande de Prechateau, mauvais sujet, qui avait tenu des propos affreux PARLEMENTAIRES. [5 juillet 1790.] contre ses bas-officiers; deux soldats sont rentrés par retour volontaire. Le conseil du régiment les a condamnés à un an de service. M. Dubelloy est allé en Espagne, sur quelques menaces de sa compagnie. Des soldats ont été le chercher. MM. de la Lande, Vaubercey, la Croix, Vidampierre, de Bressolle, Mathey, le* Coq, la Bothelière, Saint-Martin, chevalier du Moulin et Mûries ne sont pas encore rentrés. MM. Patel et Garrot ont reçu leur croix de Saint-Louis. Je suis désespéré de tout ce qui est arrivé à votre régiment, Monsieur le vicomte, et je vous supplie de me rendre la justice de croire que j’aurais voulu pouvoir remédier aux désagréments et chagrins que tout ceci vous a causés : j’en ai le cœur navré de douleur, et vous demande toujours la continuation de vos bontés et l'honneur de votre protection. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour me conserver un bien si précieux et pour vous prouver le respectueux attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, Monsieur le vicomte, Votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : le chevalier d’Iversay. Lettre écrite de Toulouse, par M. d'Espenan, capitaine des grenadiers du régiment de Touraine , à M. le vicomte de Mirabeau, colonel dudit régiment, en date du 2 juillet 1790. Monsieur et cher colonel, Je ne puis vous exprimer que bien faiblement la joie que m’a fait éprouver votre départ de Castel-naudary : je fais des vœux bien ardents pour que votre retour à Paris soit heureux en n’éprouvant sur votre route aucuns désagréments pareils à ceux que vous avez essuyés et que vous méritez si peu ; vous devez être bien sûr de ma façon de penser à cet égard. Si j’avais eu des moyens, je n’aurais pas hésité un moment à aller vous joindre; mais je suis dans la position la plus cruelle qu’il soit possible de se figurer. Sans argent, forcé de me cacher, innocent comme l’enfant qui vient de naître, et pas un de mes camarades ne daigne m’instruire de l’espèce de calomnie dont on m’accuse 1 je vous avoue, Monsieur et cher colonel, que cette conduite de leur part m’afflige au delà de toute expression. Il ne me reste donc que vous; et je suis trop heureux ; oui, certainement, je suis trop heureux dès que vous voulez bien prendre ma défense et faire triompher mon innocence. Veuillez, je vous prie, Monsieur et cher colonel, me continuer l’attachement dont vous m’avez toujours honoré ; vous savez mieux que personne l’amour que je porte à mon roi et à ma patrie : mon sang leur appartient, et ils sont bien maîtres d’en disposer. Cependant, d’après l’affreuse manière dont j’ai été forcé de quitter le régiment, je suis bien éloigné d’y rentrer jamais ; mais je suis sans fortune, et je n’avais que mes appointements pour vivre. Vous savez depuis douze ans la manière dont je faisais mon métier, et si on peut me faire quelques reproches de négligence sur cet objet et sur tous ceux dont on tâche de me noircir. Ainsi, Monsieur et cher colonel, j’implore votre justice pour me faire obtenir un emploi. Je ne demande point de grade, mais je demande à pouvoir vivre, et s’il vous était possible de me faire employer, soit aux îles ou dansl'Inde, je vous devrais certainement plus qu’à mon père. Plus je pourrai m’éloigner de ma patrie, plus il me semble que je pourrai oublier l’injustice af- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 juillet 1790.] 709 freuse doDt on m’accable. Donnez-moi de vos nouvelles le plus tôt qu’il vous sera possible, ma rive reconnaissance égalera le respect, avec lequel, je suis, Monsieur et cher colonel, votre, etc, Signé : d’EsPENAN. P. -S. Je vous serai obligé de m’écrire sous l’enveloppe de M. de... Je suis si étonné de ne recevoir aucune lettre que je crains qu’on ne les enlève. Copie de la lettre de M. le chevalier de La Peyrouse, officier au régiment de Touraine, écrite de Se-reau , près Lavaux en Languedoc , à M. le vicomte de Mirabeau , colonel dudit régiment , en date du du 5 juillet 1790. Monsieur le vicomte, j’apprends à l’instant la nouvelle de votre élargissement et votre départ pour Paris ; permettez-moi de vous en témoigner ma joie et de vous rappeler les faits qui nous ont empêchés de rentrer à Perpignan. A peine eûmes-nous reçu la lettre que vous nous fîtes l’honneur de ûous écrire, que notre empressement nous fit partir à pied malgré la pluie qui tombait par torrents. Notre exprès nous avait dit que nous aurions des chevaux à Villefranche. Notre surprise fut extrême de ne pas en trouver: en vain offrîmes-nous tout l’argent qu’on nous demanderait, il ne s’en trouvait pas. Doublement affligés de ce contre-temps quinous empêchaitde nous rendre le jour-même, ainsi que nous vous l’avions annoncé, nous nous mîmes en marche, résolus d’aller aussi loin que nos forces nous le permettraient. La chaleur était excessive, et nous ne pûmes faire que neuf lieues ce jour-là. Nous Ëartîmes le lendemain et trouvâmes à Corbères . de la Porte qui nous attendait avec des chevaux de poste. Nous montâmes à cheval sur-le-champ et ne fîmes qu’une légère attention aux avis qu’on nous donnait en route. On nous annonçait les plus grands dangers, on nous suppliait de rétrograder; mais nous marchions toujours. Arrivés au Solet, village où nous devions attendre vos ordres, nous nous arrêtâmes. Plusieurs personnes nous entourèrent et nous pénétrèrent d’horreur en nous disant que les soldats avaient poussé l’égarement jusqu’à tourner leurs armes contre leur colonel. Ils nous ajoutèrent que sans doute il était déjà massacré, que toute la ville était en combustion, et qu’un détachement de rebelles venait pour nous faire subir le môme sort. Ils nous supplièrent de nous éloigner au plus vite. La nouvelle du meurtre qu’on nous annonçait nous paraissait si terrible et si affligeante que nous nous obstinions à ne pas la croire ; mais les avis qui se succédaient sans cesse et qui s’accordaient tous, augmentèrent nos alarmes ; sur ces entrefaites arrivèrent deux soldats de la garde nationale courant à toute bride; ils étaient porteurs d’un billet sans signature qu’ils nous remirent. On nous écrivait de nous éloigner au plus vite et d’éviter les soldats qui venaient nous chercher. La multiplicité des avis nous lit prendre à regret le parti de rétrograder; il fallut s’y résoudre, et nous arrivâmes au Mont-Louis le lendemain. La fatigue d’un voyage aussi pénible (nous avions toujours été à pied excepté une lieue et demie que nous fîmes à cheval), l’épuisement de nos forces, la pluie qui nous avait mouillés jusqu’aux os et, plus que tout cela, l’imagination frappée de la perte irréparable que nous avions faite ; tout contribua à faire en moi une révolution des plus violentes. Je fus atteint, en arrivant, d’un choiera morbus , dont les effets se firent ressentir dix heures de suite ; jamais je n’ai vu la mort de si près. L’habileté du médecin de l’hôpital et la bonté de mon tempérament me tirèrent d’affaire; il me restait encore une fièvre et une faiblesse extrême, lorsque nous reçûmes un nouvel exprès pour nous rendre à Perpignan. Je n’ai de ma vie senti aussi vivement la privation de mes forces ; j’étais au lit et ne pouvais voler vers vous. Il fallut demeurer. Montalembert partit sur-le-champ; il resta un jour et demi au Solet à attendre. Impatient de ne recevoir aucun ordre, il envoya un homme à Perpignan qui lui dit, à son retour, que le colonel était parti en emportant les drapeaux, que M. d’Aguilar avait été mis en prison, etc. Il attendit encore jusqu’au soir, et , ne recevant pas d’autres nouvelles, il revint au Mont-Louis. Je ne puis vous exprimer la joie dont je fus pénétré au récit de votre héroïque démarche; je jugeai de l’impression qu’elle devait faire sur tous les bons Français par celle qu’elle faisait sur moi. Le génie malfaisant qui gouverne aujourd’hui nos soldats prévalut. Je fus accablé à la nouvelle de votre détention et craignis que la rage d’un peuple qu’on égare tous les jours ne vous devînt funeste. Mes craintes cessèrent bientôt, et j’appris seulement qu’on vous gardait avec soin. Dès lors, je jugeai qu’on vous rendrait bientôt votre liberté, et mes espérances se sont réalisées. Nous restâmes encore quelques jours au Mont-Louis; ma santé était rétablie, mais les forces me manquaient. La fatalité de notre étoile nous poursuivait encore. Le régiment de Yermandois, qui s’était jusque-là bien conduit, fit une coalition avec nos factieux. Le détachement qui était au Mont-Louis commençait déjà à donner des signes de révolte. Il fallut partir ( nous avons appris, depuis, que le projet était de nous livrer); l’argent nous manquait. Ma maladie et les différentes courses que nous avions faites avaient épuisé nos moyens; en vain avions-nous demandé quelques secours au conseil d’administration, on nous les avait toujours refusés. Nous fûmes donc obligés de traverser les Pyrénées à pied, malgré la neige, et nous nous sommes rendus chacun chez nous. Dans ce pénible voyage, nous ne nous arrêtions que la nuit, de crainte qu'on ne nous demandât des passeports, que nous n’avions pas. Souvent nous rencontrions des voyageurs qui, n’ayant garde de nous reconnaître, nous racontaient avec emphase les hauts faits du régiment de Touraine. Jugez de notre situation : la prudence nous prescrivait de nous taire... et nous ne disions rien. M. de Chollet nous avait écrit, peu de jours avant notre départ, pour nous permettre d’aller où bon nous semblerait : nous en avons profité. Montalembert est parti pour Saintes et moi pour Lavaur : il m’a chargé de vous présenter ses respects et de vous demander pour nous deux congés avec appointements jusqu’au mois d’octobre. J’ose attendre de vos bontés de m’honorer d’une réponse et de ne rien négliger auprès du ministre de la guerre. J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, Monsieur Je vicomte, votre très humble, très obéissant et très dévoué serviteur. Signé : le chevalier de La Peyrouse. 710 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 juillet 1790.) Lettre de MM. les lieutenants et sous-lieutenants du régiment de Touraine à M. de la Tour-du-Pin , ministre de la guerre , en date du 4 juillet. Monsieur le comte, nous avons lu dans le courrier extraordinaire, ou le premier arrivé du 24 juin, une lettre de MM. les officiers du régiment de Touraine , qui demandent à l'Assemblée nationale prompte justice du vicomte de Mirabeau; quelques officiers du régiment ont signé la lettre dont parle ce journal; ceux qui l’ont fait ne s’y sont déterminés que dans l’espoir de suspendre par là la fureur à laquelle s’étaient abandonnés les soldats de leurs corps, fureur qu’ils avaient déjà manifestée en emprisonnant le maire de la ville qu’ils menaçaient d’assassiner. Si les officiers du régiment de Touraine, qui ont signé au milieu des baïonnettes, n’avaient eu à craindre que pour leurs jours, jamais on n’aurait pu les contraindre à la demande de la punition d’un colonel dont les talents militaires lui ont acquis tant de droits à l’estime de l’armée française. Comment les officiers de son corps , pénétrés des vrais principes de la discipline militaire et des devoirs qui les obligent envers leurs chefs, auraient-ils écrit contre M. le vicomte de Mirabeau, si les jours de M. le marquis d’Aguilar n’eussent été dans le plus grand danger, et si les dispositions les plus hostiles n’eussent répandu parmi les bons citoyens une consternation qui a fait aux officiers une loi forcée d’une démarche qui répugnait si fort à leur façon de penser? Malgré ces excellentes raisons, qui ne peuvent échapper à la sagesse du ministre du roi, les officiers semestriers arrivés depuis ce fâcheux événement, ainsi que ceux qui n’ont signé cette lettre que par les raisons ci-dessus énoncées, s’empressent de vous adresser, Monsieur, l’expression de la douleur que leur occasionne la conduite insubordonnée de leurs soldats, qui ont exigé d’eux une demande de sévérité contre un chef qui a si bien mérité d’eux par ses vertus, ses talents et son amour connu et manifesté tant de fois pour sa patrie, son roi et son régiment. Nous désavouons, en outre, comme illégale, la députation composée de MM. de Thorene, capitaine ; Martin, sous-lieutenant ; Sauveton, fourrier et Babou, fusilier; déclarant que ces messieurs sont seulement porteurs des volontés des bas-officiers, caporaux et soldats et non des nôtres. Nous sommes avec respect, Monsieur le comte, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Pour les lieutenants et sous-lieu tenants du régiment de Touraine. Le chevalier de la Porte, premier lieutenant, muni des pouvoirs. Le comte de Chamclos, capitaine adhérant. DEUXIÈME ANNEXE. Exposé sommaire des travaux du comité de judi-cature, par M. Tellier , député de Melun , membre de ce comité (1). L’invention purement fiscale de la vénalité des (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. offices avait érigé, pour ainsi dire, en patrimoine individuel la fonction redoutable de juger les hommes. L’Assemblée nationale n’a pas dû balancer un moment à détruire ce régime oppresseur, né de la détresse des finances de l’Etat. Sans être effrayée de la masse des remboursements que nécessite la suppression prononcée par les décrets des 4 et 11 août 1789, elle s’est élevée à des considérations fort au-dessus de celle d’un embarras dans le Trésor public, dont elle avait d’avance envisagé le remède. Elle a senti que le grand but de la Constitution était manqué, si l’organisation actuelle du pouvoir judiciaire échappait à la destruction des abus de l’autorité. Elle a regardé sa régénération comme une des bases essentielles de la liberté publique. Avant de poser cette base, il fallait d’abord renverser tout ce qui pouvait nuire à la stabilité du nouvel édifice qu’elle allait élever. Il fallait ensuite, en recréant l’ordre judiciaire, l’attacher fortement à la Constitution, l’identifier tellement avec elle, qu’il n’existât plus désormais que pour la soutenir et la défendre. C’est ce que l’Assemblée nationale exécute aujourd’hui. Quand il serait vrai que cette opération, aussi grande que hardie, dût coûter à l’Etat des sacrifices ; quand il serait vrai qu’elle dût imposer quelque charge extraordinaire et du moment sur les citoyens de l’Empire français, doit-on douter qu’ils ne la supportent avec joie, puisqu’à ce prix ils sont assurés de recouvrer l’avantage inestimable de choisir eux-mêmes les arbitres de leur fortune, de leur honneur et de leur vie ? Le comité de judicature, pénétré des principes de l’Assemblée nationale, n’a rien négligé pour seconder ses vues; il s’est livré avec zèle aux travaux qui lui ont été confiés. Chargé par le décret, duquel il tient son existence, « de s’occuper des règlements à faire sur la liquidation des offices de judicature, » il a tâché d’embrasser dans son examen toutes les questions auxquelles elle peut donner lieu. Sans perdre le temps à se faire un mérite d’avoir surmonté tous les dégoûts inséparables des détails longs et arides dans lesquels il a été obligé d’entrer, il se contentera d’exposer sommairement la marche qu’il a tenue dans ses travaux, pour se conformer à l’ordre que l’Assemblée en a donné à tous les comités. D’abord, en arrêtant son attention sur les termes des décrets des 4 et 11 août, il a été quelque temps incertain sur la plus ou moins grande latitude que l’Assemblée nationale avait voulu leur donner. Le premier porte : « Déclaration de l’établisse-« ment prochain d’une justice gratuite, et de la « suppression de la vénalité des offices. » Le second est ainsi conçu : « La vénalité des « offices de judicature et* de municipalité est « supprimée dès cet instant. La justice sera « rendue gratuitement, et néanmoins les officiers « pourvus de ces offices continueront d’exercer « leurs fonctions et d’en percevoir les émoluments « jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assem-« hlée aux moyens de leur procurer leur rem-« boursement. » D’après le texte de ces deux décrets, les opérations relatives à la liquidation doivent-elles se borner aux offices de ceux qui remplissent les fonctions de juges dans les différentes espèces de tribunaux, ou doivent-elles s’étendre à tous les offices qui dépendent de l’ordre judiciaire ? Le comité a cru devoir se renfermer dans la