[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791.] quelques milliers d’hommes qu’il promène dans ses Etats, donne des convulsions à nos profonds politiques? Mais des millions de Français peu-vent-iis redouter un prince auquel une poignée d’écülieis a donné dernièrement la loi daus sa propre capitale? De ces tableaux, que résulte-t-il? Que toutes les puissances étrangères ont à craindre les effets de la Révolution; que la Fiance n’a rien à craindre d’elles. 11 en résulte que ces puissances se borneront à chercher à nous effrayer par des épouvantails, mais ne réaliseront jamais leurs menaces. Et, dussent-elles les réaliser, il n’est pas d’un Français de les craindre ; il serait digne d ; nous de les prévenir. Ah 1 ces craintes seraient depuis longtemps éteintes, si notre ministère avait été composé de patriotes, ou si l’Àss mb é o nationale avait voulu prendre une attitude imposante vi'-à-vis de toutes les puissance-de l’Europe. Le Statlmuder de Hollande eut l’audace de menacer le long Parlement d’Angleterre, et ce Parl< ment lui déclaraaussitôt la guerre. Louis XIV et Mazarin donner-ni une retraite au fils de Charles 1er : le Parlement fait signifier à l’orgueilleux monarque de chasser Charles de ses E'ats, et le souple Mazarin obéit. Observez que ce Parlement, qui bravait ainsi les puissances étrangère-, avait à soumettre dans son sein, et l’Ecosse et l’Irlande rebelles; qu’il n’avait que 40 à 50,000 soMats à ses ordres : et nous avons 3 m 1- 1 ion r de citoyens soldats. L’étranger le craignait, il n us craindra, si la France ve-,t enfin prendre le ton qui convient à des homme-justes et 1 bres vis-à-vis d -s tyrans que noir ■ silence enhardit : alors n s fugitifs disparaîtront de leurs Etats, et l’on n’agitera plus les esprits avec de fausses craintes. Nus vrais ennemis, Messieurs, ne sont pas les étrangers, mais bien ceux qui se servent de leur nom pour effrayer les esprits; nos ennemis sont ceux qui, quoique se détestant, se coalisent pour déshonorer et désunir la nation en rétablissant un gouvernement sans confiance, et qu’ils espèrent maîtriser; nos ennemis sont ceux qui, après avoir fastueusement élabli la déclaration des droits, effacent successivement tous ces droits par des lois de détail ; nos ennemis sont ceux qui, après avoir fait déclarer la souveraineté de la nation, établissent au-dessus d’elle un autre souverain, sous le titre d’inviolable; nos ennemis sont ceux qui veulent conserver au chef du pouvoir exécutif une liste civile effroyable, et qui regardent la corruption comme un élément nécessaire de notre gouvernement; nos ennemis enfin sont ceux qui nous disent : oubliez la trahison, ou craignez les étrangers. Un Français se décider par la crainte d’étrangers! Il n’y a plus de liberté quand on écoute ces crain es, et il faut être ou lâche ou mauvais citoyen pour les invoquer. Je fais donc la motion expresse que tout individu qui opposerait au cri unanime de la justice et de la liberté la crainte des puissances étrangères, soit déclaré indigne du nom français, indigne de celt ; société ; que cette résolution, inscrite dans vos registres, soit envoyée à toutes les sociétés affiliées. J’ajoute encore la motion que le système de l’inviolabilité absolue du roi, et surtout eu matière de crimes contre la nation, soit regardée comme attentatoire à la souveraineté de la nation et de la loi, et subversif de la Constitution, et qu’en conséquence, on déclare que le roi peut et doit être jugé. 345 La société a arrêté l'impression de ce discours et l'envoi aux sociétés affiliées. Signé : Bouche, président; Billecocq, Choderlos, Régnier, neveu, Dufourny, Salle et Anthoine, secrétaires. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU VENDREDI 15 JUILLET 1791. Opinion de M. Idelandinc, député à l'Assemblée nationale , sur la situation présente du roi (1). « Dejectus rex usque in suorum quod grave est, vel quod gravius maledicerc semei publiée non timeret. » (Salyien, lib. II.) Messieurs, pour décider la question soumise aujourd’hui à votre délibération, peu de mots me paraisse it suffire à des Français. La Constitution, en établissant le pouvoir du monarque, l’a dénommé le chef suprême de la force exé utrice. Cette force a pu perdre de son activité dansles premiers instants d’une Révolution, toujours inséparable de qu 1 jues troubles ; mais elle devait la reprendre fmu à peu, par l 'influence des lois nouvelles sur l’ordre social, par l’utilité reconnue d’un centre d’exécution, par la nécessité d’avoir, dans un vaste Empire, une homogénéité de vu-s politiques et un mouvement uniforme. Ce que cette puissance devait obtenir d’énergie, elle duit l’acquérir encore. Le roi se croyant peu libre dans l’enceinte de cette capitale, 'a cherché à s’en éloigner. Sans doute il y était libre, du moins U devait l’être; mais s’il croyait n’y pouvoir jouir d’une liberté entière, est-ce un délit d’avoir cherché à se la procurer? Revenons maintenant aux idées simples qui sont les idées vraies. Le roi peut-il être jugé? Cette question peut se décider par celle-ci : La nation en corps, le peuple dans sa généralité, peuvent-ils l’être. En effet, la nation assemblée est le souverain ; mais lorsqu’elle n’est pas assemblée, c’est le roi qui est la nation. D’après notre Constitution, le gouvernement est divisé en trois pouvoirs : la puissance législative réside dans le peuple, la puissan e exécu-(ive réside dans le roi, le pouvoir judiciaire dérive de l’un et de l’autre. Le roi n’est plus dans l’Etat un simple individu; il offre dans lui seul une puissance constitutionnelle. L’attaquer à la fois comme individu et le dépouiller de son inviolabilité comme roi, c’est donc attaquer notre Constitution et se dépouiller soi-mê ne de l’obli-(1) M. Delandine a été inscrit pendant deux jours sur la liste de ceux qui ont demandé la parole sur la grande question traitée à l’Assemblée nationale les 14 et 13 juillet. La discussion ayant été fermée avant qu’il eût prononcé ce discours, il Je publie sans avoir la présomption de croire ajouter aux sages et profondes observations de MM. Prugnon, Salle et Barnave. Il est, selon lui, du devoir de tout citoyen, honoré d'un caractère public, de dire ce qu’il croit utile et vrai, et de soutenir la loi daus un temps de crise. (Note de l’opinant.) 346 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1791,] gation sacrée et du serment solennel qui nous y attachent. Loin de nous cette image effrayante, et cependant présentée sans cesse, cette image d’un roi profitant de son inviolabilité pour se faire un jeu féroce de tous Jes crimes, distribuant à la fois la mort et les assassinats. Ne sortons pas hors des limites delà nature, et soyons aussi grands que ces premiers Romains qui n’édictèrent point une peine pour le plus grand des attentats, parcequ’ils ne purent soupçonner le parricide... Pourquoi, d’ailleurs, nous offrir cette hypothè.-e barbare qui outrage nos mœurs, le monarque et nous-mêmes? Si dans les transports effrénés de la fureur, un roi attentait à la vie des citoyens, alors sa démence avérée, sa maladie incurable, le priveraient, sans doute, des fonctions de la royauté. Alors la nation, d’où découlent tous les pouvoirs, délibérerait sur un événement extraordinaire, sur une monstruosité | olitique qu’une Constitution sage et régulière ne peut et ne doit jamais présumer. Comme partie intégrante de cette Constitution, comme nécessaire à son ensemble, le roi ne peut donc être juré, et si la maxime des républiques anciennes fût qu’il était quelquefois utile qu’un seul périt pour le salut de tous, la maxime de la monarchie, au contraire, est qu’il est utile à tous qu’un seul ne puisse périr. Mais le roi fût-il susceptible d’encourir un jugement, la question ne serait-elle pas oiseuse encore? Et dans la circonstance présente, le monarque pourrait-il être jugé ? Nos décrets n'ont-ils pas établi que lors même que le monarque aurait quitté ses Etats, il conserverait toujours le droit d’y rentrer, sur l’invitation spéciale dn Corps législatif, avant d’être déclaré déchu ? N’ont-ils pas établi que, dans un délai fixé, il aurait encore le droit de regretter son peuple et le pouvoir de se repentir? Décrets véritablement constitutionnels, et puisés dans L’essence même de la monarchie! Car si le gouvernement monarchique est la noble et touchante image du gouvernement paternel, des enfants ne doivent-ils pas s’empresser d’oublier l’imprudence ou la faute même d’un père? Mais ne nous arrêtons point sur une supposition démentie, et par les preuves, et par la déclaration faite par le roi. Il était allé à Mont-médy; il ne quittait pas son royaume, il n’abandonnait point son peuple qu’il aime, un peuple que l’on peut rendre plus malheureux par de fausses idées de bonheur, que l’on peut troubler davantage en lui promettant un gouvernement plus tranquille, un peuple enfin facile à être ému, mais qui plus pi ès de la nature revient aussi plus promptement aux sentiments de paix, d’harmonie et de douceur qu’elle inspire, qui ne peut être heureux enfin qu’en ayant un Dieu et un roi. Oui, Messieurs, n’en doutez-pas, celui qui, presque oublié nans la société, n’en supporte que les peines, mérite qu’ou lui conserve un espoir consolateur. Courbé dans cette vie, il espère se relever dans une autre plus heureuse, et il a besoin d’un Dieu. Trop souvent tourmenté par des injustices partielles et obscures, fatigué de son néant et d ■ sa misère, son cœur se soulage en songeant à la bonté de celui qui fait exécuter la loi. Ses regards ne peuvent alors se distraire sur plusieurs membres du conseil, sur une foule d’hommes jouissant du pouvoir. Il a besoin de les concentrer sur un seul être bienfaisant; il a donc besoin d’aimer son roi. Pour se convaincre de plus en plus du danger de ces deux propositions, « le roi peut-il, le roi doit-il être jugé », considérons rapidement où nous entraîneraient leurs conséquences. Je ne vous montrerai pas, Messieurs, l’Europe attentive sur ce que vous allez faire, et prête à intervenir dans cette grande cause. Ce ne serait aucune crainte qui pourrait vous déterminer. Les représentants d’un peuple libre ne doivent pas en connaître. C’est à la nation de vous défendre; et fussiez-vous seuls contre ses ennemis, il vous resterait à savoir mourir pour son bonheur et la conservation de votre ouvrage. Mais si son bonheur, si la conservation de cet ouvrage vous sont chers, voyez, du moins, dans l’intérieur du royaume la suite des événements. Je le suppose : qu’il soit décidé que le roi peut être jugé. Je le suppose : qu’il soit décidé que le roi doit être jugé. Je le suppose enfin : qu’il soit décidé, au gré des ennemis de la monarchie, que le roi est jugé et déclaré déchu. Dès lors, trois partis restent à prendre; mais ils sont tous aussi impolitiques que dangereux. 1° On peut, a-t-on dit, établir une République. Sans discuter si le génie des peuples, si l’esprit public, si nos mœurs, si Détendue de cet Empire s’accorderaient avec cette sorte de gouvernement, déchirons alors nos décrets constitutionnels, et retournons dans nos foyers, car nous n’avons reçu, nous n’avons même accepté de pouvoir que pour constituer une monarchie, que pour organiser les droits du peuple et les unir à ceux d’un roi. Si nous tenons au vœu légalement exprimé par la nation, aux mandats dont nous sommes chargés, tous ces écrits offrant des projets de République, tous ces discours prêchant la sission de l’Empire et la rupture du point d’unité, doivent disparaître de cette Assemblée. Nous n’avons reçu, nous n’avons accepté, je le répète, ni le droit de les examiner ni celui de les entendre, encore moins celui de le-" admettre. 2° On peut nommer un régent. Pour toute réponse à ce second parti, il n’est besoin que de ces deux questions : Qui oserions-nous a peler à cette place? Quel est celui, surtout, qui consentirait à la remplir? 3° Enfin, on peut donner au roi un conseil dont les membres sont électifs. C’est ici, Messieurs,. qu’il faut vous demander si vous pouvez, si vous-devez décomposer votre système politique, et changer la Constitution que” vous venez d’établir en France, contre le gouvernement de Venise? Là, un conseil de trois cents; ici une Assemblée nationale pour faire les lois. Là, un conseil des Dix; ici un conseil royal chargé de leur exécution. Là, des inquisiteurs d’Etat, occu és à rechercher tout ce qui peut porter at t in te à la forme du gouvernement; ici, le maintien nlus que jamais nécessaire alors des comités de recherches.. Là, enfin, un doge sans fonctions, et ne pouvant jamais sortir de ia ville où il est prisonnier d’Etat; ici un monarque qui n’en conserverait plus que le nom; et il faut se borner dans l’application du parallèle. Voudriez-vous appliquer des formes étroites, inquisi t ion ne les et mesquines, des formes supportables dans une République circonscrite, dans un territoire peu considérable, au gouvernement d’un vaste Empire, fort de son patriotisme, du nombre de ses habitants et de l’étendue de sa puissance? D'ailleurs, un c.onse 1 de régence à nommer ne serait-il pas une porte ouverte aux ambitieux désirant prolonger, dans une nouvelle carrière, les jouissances de l’autorité? un conseil [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 115 juillet im.] 347 de régence à renouveler ensuite ne deviendrait-il pas une voie de corruption pour les autres législatures? Ge conseil, formé de députés, ou de ceux qui cesseraient de l’être, serait donc très dangereux; il ne le serait pas moins, formé de membres élus par les déparlements. Ou leur nombre serait restreint, ou chaque département envoyant le sien, leur nombre serait considérable*. Dans le premier cas, facilité pour l'influencer soit par le roi, soit par l’Assemblée législatrice, et dès lors nullité absolue et dépendance servile des fonctions du pouvoir exécutif. Dans ie second cas, facilité de diviser les membres du conseil, d’y créer des débats, des oppositions ; et dès lors, que deviendraient la célérité des opérations politiques et la prompte exécution des lois? Dans les deux cas, j’aperçois une lutte continuelle, un froissement presque inévitable et funeste entre la législature et le conseil, entre les délégués du môme peuple. Des ministres, au contraire, choisis par le monarque, mais responsables à la nation, ne forment-ils pas ce véritable conseil, d'après la forme simple et sage de la Constitution que nous avons juré de maintenir? Ainsi, ma raison a cédé ici à l’impulsion même de mon cœur. Alors, malgré les discours, les menaces qui nous entourent, malgré ces placards incendiaires, ces pétitions insensées, ces listes infâmes où la haine particulière ne cherche qu’à désigner ses victimes, je vous dois, Messieurs, et à l’exercice de ma liberté, de vous déclarer mon sentiment sans réserve. Je le dois, ce sentiment, à ceux que je représente, et ne m’ont-ils pas investi de leur honorable confiance, du droit de ne rien craindre, ou de savoir tout braver? Mon vœu est donc et sera toujours en faveur du pouvoir exécutif, sans entraves, en faveur de la royauté, sans nuages, en faveur d’un monarque constitutionnel. Pourrais-je, d’ailleurs, tourner contre ce monarque, privé de sa puissance, celle qui m’a fait remettre et que je lui dois? appelé près de sa personne pour être utile au peuple et à lui, non je ne trahirai point leur confiance réciproque, et je ne séparerai jamais l’amour de ma patrie de celui de mon roi... Naguère, les Français s’enorgueillissaient de ces sentiments; je les conserve. Et, quel est donc le prince assez coupable pour encourir une déchéance et mériter ce sort outrageant? Citoyens, ne suivez pas des impulsions ennemies, ne servez pa-, sans le savoir, des sentiments pervers! Citoyens fidèles, arrêtez-vous dans le chemin de l’honneur, et laissez courir au delà, dis factieux aveuglés par d’obscurs et de vils conspirateurs! Serait-ce un autre monarque qui, dès son avènement au trône, s’empressa d’exempter la nation de droits onéreux, qui, lorsqu’il y fut parvenu, rappela aussitôt ces magistrats exilés dont on vantait alors le patriotisme, dont on désirait avec ardeur ie rétablissement? Le roi craignit-il, à celte époque même, de donner des bornes à son autorité, que l’organisation établie rendait absolue? En s’environnant de ceux que rappelait la confiance publique, ne désirait-il pas alors le bonheur de la nation, comme il l’a désirée en nous convoquant, et comme il la désire encore? A qui doit-on la continuation de tant de canaux qui distribuent à chaque citoyen toutes les productions et les richesses de l’Empire? Qui ordonna ce voyage utile aux progrès des connaissances humaines, dont les hardis et infortunés navigateurs viennent d’être honorés par nous? qui abolit, et les asser-vissants travaux de la corvée, et les tourments ’ affreux de la torture? Pasteurs des campagnes, votre sort fut amélioré, et vous eûtes 1 s movens de semer votre utile carrière de bienfaits! Qui fut enfin le pacificateur de l’Europe et seconda le généreux élan de la liberté vers l’autre hémisphère? Quoi! tant de gloire a frappé l’univers et serait ici obscurcie! Quel monarque offrit plus d’exemples de la piété liliale, de la tendresse paternelle, de la pureté des mœurs domestiques? Bon fils, bon époux et bon père, il ne peut cesser d’être un bon roi. Quel tableau pour l’histoire. O t i, qui cédas trop aisément à un conseil imprudent, mais qui fus à la fois citoyen et monarque, non, elle n’oubliera pas si rapidement tes vertus; elle te saura gré de tes sacrifices et de tes peines ! Elle dira : « A la raison d’Etat, tout doit donc céder, puisqu’elle osa, pendant quelque temps, rendie h' roi des Francs captif, et le petit-fils d’Henri IV malheureux. Le temps était venu où tous curent, en France, le droit de jug-r des opérations politiques, et d’écrire; mais Je monarque, seul, qui voulut en user, compromit sou autorité. Son opinion parut un crime; son voyage, hors de l’enceinte de la capitale, uri attentât. Alors, l’ambition aiguisa des poignards, elle séduisit des hommes ardents, elle corrompit des hommes vicieux ; elle épouvanta des hommes timides. On l’entendit s’écrier : Je vais régner à la place du monarque et de la loi; mais les fidèles représentants du peuple se firent seuls entendre. Ils sauvèrent la patrie de ce danger, le roi de cet affront, la Constitution de son anéantissement et l’Assemblée nationale de son déshonneur. » Si telle doit être, Messieurs, notre auguste tâche, hâtons-nous de la remplir. Que le roi puisse donc exercer librement ce droit de sanction qui n’est pas un avantage pour lui, mais qui en est un véritable pour la nation, puisque c’est un appel légitime à son jugement. Dès lors, en adoptant tous les principes développés dans la première partie du rapport de vos comités, je me suis étonné que le projet de décret n’en présentât pas les justes conséquences. Je me suis étonné de n’y voir que des dispositions relatives à diverses personnes, mais aucune à la situation présente du roi. Gei le situation est trop pénible pour ne pas alarmer, par un trop profond silence, une grande partie de la nation; elle est Irop forcée pour pouvoir durer. C’est à l’Assemblée nationale de se montrer grande, courageuse et fidèle à ses principes constitutionnels, à ses vues de modération et de justice. Qu’elle dédaigne avec fermeté ces cris du moment, et qu’elle tourne ses regards vers l’avenir. Ce n’est pas à quelques écrits exagérés, mais au burin du temps qu’elle doit consacrer ses pas. Qu’ils soient dignes d’elle et du souvenir de nos neveux. Dans un temps, il y eut du courage à braver les rois; dans celui-ci, il y en aura à les détendre. Puisque les comités ne veulent que la monarchie, it faut la rasseoir sur une hase inébranlable. Puisque les comités ont sagement pensé que le monarque était hors de jugement, ne pourrait-on pas l’exprimer par un article positif? Le roi a déclaré qu’a portée de juuer du vœu des départements pour le maintien de la Constitution, il se plairait à y accéder. Il a demandé lui-même que les droits constitutifs lui fussent présentés en masse, pour pouvoir embrasser d’un coup d’œil toute l’organisation de l’ensemble. En distinguant dès lors, dans nos décrets, ceux 348 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 115 juillet 1791] qui tiennent au pouvoir constituant, de ceux qui ne sont que du ressort de la puissance législatrice, je demanderais qu’en suspendant la présentation des premiers, pour ne les offrir qu’en une seule et même Charte à l’acceptation, nous ne suspendissions [dus l’exercice de la sanction pour les simples décrets lég slatifs. Nous ne pouvons réunir en nos mains une puissance illimitée ; et les divers pouvoirs doivent reprendre peu à peu leur pla e; autrement ce serait priver la nation de son droit, et la dépouiller de l'appel qui lui appartient et qui lui arrive par la médiation du monarque. Si la sûre'é personnelle du roi et celle de sa famille exigent que sa liberté ne soit pleine et entière qu’après la présentation de la Charte constitutionnelle, hâtons-nous donc de la former. Si des précautions inséparables d'une crise violente et extraordinaire sont nécessaires au maintien de l’ordre, à la paix intérieure et au bonheur même du roi, je me tais alors, forcé de donner des limites à mes propres vœux; mais, du moins, que le Corps législatif, considérant le sort de celui qui l’a réuni, qui lui a donné son existence politique, ose le conso'er par sa confiance, et honorer véritablement la nation française, en soutenant avec courage les droits du peuple intimement unis à ceux du trô ie. Oui, Messieurs, vous avez rendu la nation libre, et ce n’est pas sans danger. 11 vous reste maintenant à rendre libre le monarque; et lorsqu’il n’y aura que des périls pour vous, vous saurez également les attendre et sans doute les surmonter. J’ai adopté tous les principes du rapport présenté par vos comités. QUATRIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE OU VENDREDI 15 JUILLET 1791. Opinion de M. de Curt, député de la Guadeloupe à V Assemblée nationale, sur l’inviolabilité de la personne du roi et l'indivisibilité du trône (l). Pro patrià et rege. Messieurs, La personne du roi est-elle inviolable et sacrée? La personne du roi doit-elle être inviolable et sacrée ? C’est autour de ces deux questions qu’il convient de se ranger. Le devoir et le sentiment y retiennent tout Fi ançais qui veut la monarchie, et qui ne sait pas composer avec ce serment qu’il a prêté à la nation , à la loi et au roi. 11 fut un temps où le peuple français n’eut pas agité de pareilles questions. Egaré aujourd’hui par dis intérêts qui lui sont étrangers, il croit sa liberté menacée par la prérogative royale. Cette erreur ne peut durer qu’un moment. L’inviolabilité de la personne du roi était un principe gravé dans tous les cœurs, avant que le décret du 17 septembre 1789 en eût fait une loi (1) Ce discours était destiné à être prononcé à la tribune; l’Assemblée, impatiente de consacrer ses principes, ferma la discussion avant que l’orateur ne pût obtenir la parole. ( Note de l'opinant .) politique. Ce décret à jamais mémorable ne fut point le fruit de la cabale et de l’intrigue; il ne fut point rendu par une faible majorité,’ il fut l’expression de la volonté générale. Car, Messieurs, l’avis unanime de l’Assemblée ne fut point la volonté présumée de la nation, mais l’exécution littérale de la volonté absolue de la nation, manifestée clairement dans chaque mandat. Il n’est pas inutile de remettre sous vos yeux ce décret important, qui a répondu d’avance à tous les sophismes inventés pour en altérer la lettre et l’esprit. L' Assemblée nationale a reconnu, par acclama' tion,et déclare comme points fondamentaux de la monarchie française , que la personne du roi est inviolable et sacrée, et que le trône est indivisible. Que servirait, Messieurs, de commenter ce décret? Le sentiment et le besoin de la monarchie en posent les bases fondamentales ; le respect pour nos rois légitimes y est commandé par l’intérêt commun, et l’indivisibilité du trône avertit les ambitieux que le peuple français n’eu souffrira jamais la moindre dégradation. Ainsi donc, la personne du roi est inviolable et sacrée ; par la loi constitutionnelle de l’Etat, loi ordonnée par la nation ; loi solennellement jurée le 14 juillet 1790; loi qui prouve que l’Assemblée nationale a été calomniée lorsqu’on lui a prêté l’intention de détruire l’autorité légitime des rois. Mais, dira-t-on, qu’importe que l’inviolabilité existe, si elle ne dût pas exister? C’est ici, Messieurs, que l’intérêt du peuple commence, et je dois prouver que l’inviolabilité absolue d’un seul n’est inventée que pour le bonheur de tous. Ceux que Uon accuse de chercher la liberté politique et individuelle hors de notre Constitution, se défendent pourtant du projet de détruire ia monarchie. Ils avouent que le gouvernement monarchique convient seul à un Etat composé de 25 millions d'âmes, qui est puissance de terre et de mer, qui entretient 150,000 hommes de troupes réglées pour défendre les frontières, qui a besoin de 100,000 hommes de mer et de 80 vaisseaux de ligne pour protéger ses côtej, son commerce et ses possessions éloignées ; ilsdisenten-liu qu’un tel gouvernement, pour êt e libre, doit être composé de deux pouvoirs, l’un législatif, l’aulre exécutif; que l’un et l’autre doivent être inviolables dans leurs fonctions, mais qu’indivi-duellement chaque membre de ses pouvoirs doit être soumis à la loi pour ses actiou'! personnelles. Si cette mesure d’inviolabilité était jamais établie, il n’y aurait bientôt plus de balance entre les pouvoirs, et les plus grands malheurs en seraient la conséquence. Je m’explique. Le roi est un pouvoir établi pour l’exécution de la loi; mais il l’est aussi pour s’opposer, au nom du peuple, aux entreprises du pouvoir législatif. Si sa personne n’est point sacrée, s’il peut jamais être mis en cause, il rentre sous la dépendance du corps qu’il doit surveiller; et dès lors sa puissance n’est plus qu’une chimère ; car, entouré sans cesse de craintes, il doit plus s’occuper de sa sûreté personnelle que de celle du peuple. Ce n’est plus par la justice, la prudence et la fermeté qu’il peut régner, c’est par la politique, l’adresse et la séduction. Ainsi, trop faible pour résister longtemps à la puissance législative, il sera anéanti par elle s’il ne trouve pas bientôt les moyens de la détruire. Alors, Messieurs, l’anarchie ouvre la barrière à tous les factieux. Le peuple, agité en sens contraire, trompé et trahi tour à tour par les pou-