474 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [44 février 4791.] qui ressemble moins au privilège accordé, ou plutôt à la propriété conservée aux inventeurs de découvertes, que le droit qu’on nous propose généralement; je crois, comme le comité, qu’il est possible de tirer quelque faible revenu des droits de licence sur la vente et la fabrication de certaines marchandises. En général, ces droits sont très mauvais, car c’est un droit sur l’industrie, et les droits sur le travail sont à éviter, autant qu’il est possible; cependant, si notre Trésor a besoin d’un pareille précaution qui ne produira jamais beaucoup, je demande au moins que l’article soit ajourné au moment où on nous présentera le code qui établira le droit de licence et les moyens doDt on se servira. M. de lia Rochefoucauld. Le comité adopte l’ajournement et fera, quand vous voudrez, son rapport sur les patentes. (L’Assemblée ajourne l’art. 5). M. Rœderer, rapporteur. Nous passons à l’article 6 qui est ainsi conçu : « Une régie nationale fera fabriquer et vendre du labac au profit du Trésor public, et les tabacs en feuilles qu’elle jugera à propos de tirer de l’étranger, seront exempts de droits. » M. Populus. Je demande aussi l’ajournement de cet article. M. Rœderer, rapporteur. Plusieurs objections ont été faites sur cet article; on a demandé s’il était de la dignité de la nation de se conserver le privilège exclusif de la vente du tabac. Nous avons en France plusieurs exemples de cette espèce de dérogeance, et nous l’avons dans les décrets que vous avez rendus vous-mêmes récemment. L’Etat est marchand de poudre à canon, l’Etat est marchand de papier timbré, donc l’Etat peut être marchand de tabac, si parle tabac il retire un revenu profitable au Trésor public, et si par là il dispense d’une imposition plus onéreuse. Rien ne ce qui est utile ne doit être dérogeant, pas plus pour l’Etat que pour des particuliers. Une autre objection s’est élevée contre cet article : on trouve qu’il est injuste d’accorder à cette régie nationale la faculté exclusive de tirer, en franchise des droits établis par l’article 3, les tabacs en feuilles qui seront nécessaires pour la fabrication. Messieurs, ici l’intention du comité n’est pas de dissimuler que l’on veut donner, non pas un privilège exclusif à la régie nationale, mais une faveur qui rende le produit profitable au Trésor public. Cette fabrique nationale n’aurait aucun avantage, ne serait que d’un produit imperceptible, si l’on ne lui donnait pas le moyen de vendre en concurrence avec le commerce, et au même prix, des tabacs qui lui coûteraient moins. Les fabricants de tabac ou les personnes qui se destinent à en fabriquer dans le royaume, pensent que l’on détruirait leur fabrication ou qu’on l’empêchera de naître, parce que la ferme ou la régie nationale ayant la matière première, c’est-à-dire le tabac en feuilles à plus bas prix que lu commerce, pourra par cette raison vendre du tabac à beaucoup meilleur prix, et par conséquent éloigner les consommateurs des fabriques du commerce libre. C’est là qu’est toute l’erreur du raisonnement. Car ce n’est pas pour vendre à meilleur marché que nous demandons pour la régie nationale le privilège exclusif de la traite, en franchise des droits, de tout le tabac étranger, c’est seulement pour qu’elle puisse vendre avec plus de profit au même prix. C’est un moyeu très innocent de faire valoir les fabriques que nous avons maintenant dans le royaume : elles sont au nombre de 7, elles emploient à peu près 3,000 hommes ; et, quand on devrait un jour faire à la libre fabrication du tabac le sacrifice de ces fabriques, il ne conviendrait pas de le faire aujourd'hui, parce qu’il ne serait ni sage ni prudent de disperser 3 milliers d’hommes qui actuellement n’existent que par le moyen de la fabrication. Tels sont, Messieurs, les motifs qui nous ont déterminés à vous proposer cet article. M. Rewbell. Le préopinant a oublié de vous dire, ou bien il vous a caché que l’exécution de l’article 6 détruisait véritablement le bénéfice des droits de perception établis par les articles précédents. Lorsque nous avons demandé la suppression du privilège exclusif pour la vente du tabac, nous ne consultions que l’intérêt général, et j’en vais donner une preuve. L’article que propose le comité est très avantageux pour la ci-devant province d’Alsace; car nos fabriques sont toutes établies, et il est presque sûr que nous et la régie serions les seuls qui vendrions du tabac. Je ne sais pas si vous avez voulu fonder un commerce entre les mains de régisseurs qui ne sont rien autre chose que les fermiers généraux ; mais, si c’est là votre intention, vous atteindrez parfaitement ce but en décrétant l’article du comilé. M. Le Chapelier. Messieurs, l’article 6 doit être divisé en deux parties: la première, je l’adopte; la seconde, je la rejette. Je crois, comme ie comité, qu’il est nécessaire que nous ayons une régie pour nos fabriques nationales ; mais la dernière partie de l’article est destructive de notre commerce. On veut donner à notre régie nationale un avantage immense sur le commerce ; on veut qu’elle soit exemple de droits sur les tabacs qu’elle achètera : cette mesure fera le plus grand tort à notre commerce, parce que l’exemption de droits place la régie dans une concurrence beaucoup trop avantageuse avec nos négociants, qui ne pourront plus au même prix, au même bénéfice, s’occuper de ce commerce. Voici maintenant la ruine de notre commerce sous une autre espèce. Le commerce ne consiste qu’en objets d’échange et la régie faisant toujours le sien par les moyens les plus expéditifs, achètera des tabacs avec de l’argent, sans s’occuper de donner des marchandises en échange. De là une perte considérable pour nos manufactures. Jedemandedonc, par amendement, que la régie soit conservée pour nos fabriques nationales; mais que cette régie ne puisse acheter de tabacs que dans les ports de France, en payant les droits établis pour le commerce, et qu’il lui soit interdit de contracter des marchés à l’avance avec les maisons étrangères. M. d’André. Je ne vois pas comment la nation peut trouver quelque avantage en exemptant la régie des droits d’entrée. Si nous pouvons fabriquer 100,000 quintaux de tabac et que la régie en achète 50,000, nous perdons 50,000 fois 25 livres. Ce calcul me paraît assez juste et prouve que rien ne nuit plus à l’industrie que les privilèges exclusifs. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |14 février 1791.] 175 En mettant au contraire 25 livres par quintal sur tous les tabacs importés en France, vous aurez un bénéfice net qui, je crois, surpassera le bénéfice que vous feriez sur les régies. Aujourd’hui que vous avez déi rété la liberté du tabac, c’est le meilleur principe que vous puissiez adopter. Je conclus donc, Monsieur le Président, à ce que, laissant une régie pour la vente du tabac au profit du Trésor public, la seconde partie de l’article soit totalement retranchée. ( Applaudissement s.) M. Dupont (de Nemours). Le préopinant a très bien motivé les raisons qui doivent nous déterminer à établir une régie nationale. Quant à la seconde disposition de l’article du comité, je la trouve très sage; je propose seulement d’y ajouter que l’exemption des droits ne s’appliquera qu’aux tabacs importés dans nos ports par des vaisseaux français, américains et espagnols et que la régie sera tenue de se pourvoir dans les entrepôts. M. d’Estourmel appuie l’opinion de M. Dupont. M. Rœderer, rapporteur. Je propose de modifier, comme suit, la rédaction de l’article 6 : « Une régie nationale fera fabriquer et vendre du tabac au profit du Trésor public : les tabacs étrangers en feuilles, qu’elle jugera à propos d’employer, seront exempts de droits, elle sera tenue de s’en pourvoir dans les entrepôts qui auront lieu en vertu de l’article 4. » M. Rewbell. Il est évident que vous avez voulu favoriser la navigation, et il est évident que vous la détruiriez aujourd’hui, ainsi que le commerce, si vous adoptiez la mesure qu’on vous propose. On vous alarme sur le défaut de travail ; vos ouvriers seront recherchés par tous ceux qui voudront élever de nouvelles manufactures; bien loin de diminuer leur salaire, vous aurez augmenté leur bien-être, en leur procurant plus d’occasions de travailler. Je persiste dans mon opinion, et je demande la question préalable sur l’article même. M. Pierre de Delley ( ci-devant Delley d’Agier). Vous prendrez les mesures nécessaires pour faire disparaître les abus, mais vous voudrez conserver dans toute l’Europe la vente de vos tabacs supérieurement fabriqués, et tellement recherchés en Russie qu’ils s’y vendent jusqu’à 2 roubles et demi, c’est-à-dire 10 livres la livre ; mais pour ce, il faut une régie et traiter comme le propose le comité. M. d’André. On sait assez que je ne suis ni flamand ni alsacien; je défends l’intérêt du commerce français contre l’intérêt des traitants et des gens du fisc. ( Applaudissements .) L’intérêt du commerce français est qu’il n’y ait pas une compagnie qui ait le privilège exclusif d’enlever les tabacs. Or, une compagnie qui ne payera point de de droit aura un privilège exclusif : l’Assemblée, qui a détruit tous les privilèges, voudrait-elle en établir un sous le frivole avantage que c’est un bénéfice pour la nation? je prétends, moi, que c’est un grand préjudice pour la nation. ( Interruptions .) Il n’y a rien qui nuise plus à la fabrication et à l’industrie que les privilèges exclusifs, même au profit de la nation. Il faut donc en revenir au principe qui est de retirer le plus de profit possible de la fabrication du tabac ; et le moyen, c’est de faire payer tout le monde à Feutrée. Je conclus à mon amendement. (La discussion est fermée.) M. le Président met aux voix la première partie de l’article, portant établissement d’une régie nationale. (L’Assemblée décrète l’établissement d’une régie nationale.) M. le Président met aux voix la deuxième partie de l’article, relative à l’exemption des droits. (L’Assemblée décrète que la régie ne sera pas exempte des droits établis sur l’importation des tabacs étrangers.) Un membre propose, par amendement, que la régie ne soit assujettie qu’aux trois qurrts des droits décrétés pour les particuliers. (Cet amendement est rejeté par la question préalable.) M. de Folleville. Pour favoriser nos fabriques, je demande qu’il soit fait à la régie restitution de la totalité des droits payés par elle pour des tabacs importés, qu’elle aurait fabriqués et qu’elle réexporterait. (Cet amendement est rejeté par la question préalable.) M. le Président consulte l'Assemblée sur la troisième partie de l’article, ponant obligation pour la régie de faire ses approvisionnements dans les entrepôts. (Cette disposition est rejetée par la question préalable.) L’article 6 (devenu article 5) est décrété en ces termes : « Art. 5. Une régie nationale fera fabriquer et vendre du tabac au profit du Trésor public, et sera assujettie aux mêmes droits que les particuliers. » L’ordre du jour est un rapport des comités ecclésiastique , des rapports et des recherches sur les troubles du Morbihan. M. Vieillard, rapporteur. Messieurs, quelques mouvements dernièrement excités par les ennemis du bien public, dans le département du Morbihan, ont été dénoncés à vos comités ecclésiastique, des rapports et des recherches, par le directoire du département du Morbihan. Les pièces, qui ont été envoyées à vos comités, ne laissent aucun doute sur la vérité des faits que je vais avoir l’honneur de vous rapporter. Il y avait déjà longtemps qu’on cherchait à exciter le peuple dans cette partie de l’Empire. Vers les derniers jours de décembre, il y eut une espèce de soulèvement dans le bourg de Sarzeau. Les habitants de la ville de Lorient y avaient envoyé plui-ieurs citoyens pour l’approvisionnement des grains. Les habitants de la paroisse de Meuve voulurent s’opposer au transport de ce grain destiné à subvenir à la consommation et à la nourriture du peuple de Lorient. La tentative risquée fut inutile; les marchands