[29 janvier 1791.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 571 DEUXIÈME ANNEXE dent serait supporté par tous les citoyens proportionnellement à leurs facultés ; il convenait A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 29 JANVIER 1791. Opinion de M. d’AlIarde sur l’impôt du tabac. Messieurs, votre comité de l’imposition m’a chargé, conjointement avec M. Rœderer, d’examiner les moyens de conserver à l’Etat le revenu de l’impôt du tabac, soit par un remplacement commun à tous les départements, soit par l’uniformité de la perception ; uniformité qui devient indispensable dans un moment où les anciennes divisions fiscales sont incompatibles avec la formation des départements, dans un moment où l’anéantissement des barrières locales de la gabelle, des droits de circulation, des huiles, des fers, de divers droits sur les poissons, dans les communications respectives des pays d’aides, et de ceux qui sont exempts de cette imposition, ne permet plus les exceptions actuellement existantes quant à l’impôt du tabac. Mon collègue et moi, également pénétrés du respect dû aux propriétés, et des principes de justice qui dirigent toutes les opérations de l’Assemblée nationale, avons reconnu combien il était difficile de les appliquer à l’impôt du tabac. Si l’équité ne permet pas de consentir la culture du tabac en faveur de quelques départements, et de la refuser aux autres, la prohibition de la culture attaque évidemment les droits sacrés de la propriété. J’ai donc pensé, Messieurs, qu’avant de se déterminer, soit au maintien de cet impôt, en le rendant commun à tous les départements, soit à son remplacement par un mode d’impositions qui décroîtrait annuellement avec les charges actuelles, qui ne serait supporté par les propriétés que jusqu’à concurrence des avantages évidents qu’elles retireront d’une branche de culture intéressante et nouvelle (1) et dont l’excé-(1) L’impôt du tabac donne un produit de 34 millions , y compris 4 millions, pour lesquels il contribue aux frais de gardes des côtes et de la frontière ; ccs frais sont indispensables pour l’intérêt de nos pêches, de nos fabriques et manufactures; les droits de traites en supportent la moitié : si l’impôt du tabac n’existait pas, ces frais seraient en entier à la charge des traites, dont le moindre produit serait conséquemment de 4 millions. Au nombre des maux dont cet impôt afflige la nation, on peut en compter deux capitaux, et qui demandent impérieusement sa proscription: 1* Les frais de sa régie supérieure, qui exigent une dépense de 40 0/0; 2° Le préjudice qu’il cause aux propriétés, au commerce, à l’industrie, qui ne peuvent être évalués au-dessous de 36 à 37 0/0. PREUVES. Art. lof. — Frais de régie intérieure. Déduction de la valeur des tabacs et des frais de leur fabrication, estimés ensemble à 16 sous la livre, ci ....... 12,400,000 Objet effectif de l’impôt du tabac Produit de la ferme du tabac pour le Trésor public ....... 30,000,000 Produit de la ferme du tabac pour les frais de gardes des côtes et do la frontière ........ 4,000,000 Objet effectif des frais de régie intérieure .............................. 13,800,000 liv. Ainsi ces frais, pour un produit de 34 millions, excèdent 40 0/0. 47,800,000 34,000,000 Art. 2. Pertes pour V agriculture, le commerce et l'industrie. La culture du tabac produit en Alsace 120,000 quintaux ; celle des provinces belges et de la Franche-Comté est, année commune, de 30,000 quintaux. Si la culture dans le royaume était générale, si l’impôt n’existait pas, la consommation ordinaire du tabac augmenterait considérablement : peut-être doublerait-elle ; l’usage du tabac à fumer (jouissance, pour ainsi dire, unique des habitants de la campagne, universelle dans l’Alsace, la Franche-Comté et les provinces belges, et dont il serait cruel de priver l’indigent, tandis que les plaisirs du riche seraient affranchis de tout impôt), deviendra général ; on peut donc évaluer que la culture du tabac donnera une récolte annuelle de 500,000 quintaux au moins. Cette culture sera propre à tous les terrains, au moins pour le tabac à fumer ; elle n’a point lieu au préjudice de celle des grains, des chanvres, des lins et des colzas, puisqu’on n’y emploie que les terres qui n’ont point été ensemencées pour cause de l’intempérie des saisons, ou celles dont les semences ont péri par la gelée ; ainsi la prohibition de la culture prive les propriétés d’un produit annuel, indépendant de ceux des grains, de 500,000 quintaux, qui, au prix commun de 20 livres le quintal, donneraient un revenu de, ci. 10,000,000 liv. Si l'impôt du tabac n’existait pas, la consommation du tabac fabriqué augmenterait au moins du tiers ; dès lors, la main d’œuvre de la fabrication, évaluée à 15 livres le quintal, sur une plus grande consommation d’environ 6,000,000 de livres de tabac, procurerait à l’industrie un bénéfice de ...... 900,000 Si cet impôt n’existait pas, la France ferait au dehors un commerce de tabac fabriqué, au moins de 30,000 quintaux, dont le bénéfice évalué à 40 livres le quintal, y compris les frais de la fabrication, serait de .................... 1,200,000 Si cet impôt n’existait pas, la contrebande en tabac serait anéantie, les saisies de plantations et domiciliaires n’auraient plus lieu; 2,000 citoyens conduits annuellement dans les prisons pour la contrebande en tabac, seraient rendus à la société ; les citoyens ne seraient plus rançonnés par les saisies, amendes et confiscations : on peut estimer ces avantages au moins à.... 400,000 Ou peut évaluer le débit de la ferme du tabac à.. ............................... 15,500,000 liv. Un million se vend aux particuliers en carotte, à 3 1. 4 s., ci ............ 3,200,000 2,500,000 à idem, en tabac râpé, à 3 1. 12 s., ci ....................... 9,000,000 12,000,000 aux débitants qui le vendent aux consommateurs à 4 livres, ........... . ...................... 48,000,000 Produit brut de la vente des tabacs. 60,200,000 Ainsi, les préjudices qu’éprouvent l’agriculture, l’industrie, le commerce et la société, à raison de l’existence du tabac, ne peuvent être estimés au-dessous de ............................ 12,500,000 liv. Ce qui, comparé aux 34 millions, revient à 37 0/0. Il est donc évident que pour donner à l’Etat un revenu de 34 millions, les peuples supportent soit en frais de régie, soit en privations de richesses et de revenus, un impôt effectif de 60,300,000 livres, 572 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 janvier 1791 .] de remonter à l’origine de cet impôt, d’en examiner la nature, les effets, de rechercher les motifs des exceptions dont jouissent les provinces belges, l’Alsace et la Franche-Comté; et persuadé que cet impôt était contraire aux principes de l’ordre social, à la disposition naturelle des propriétés, que les approvisionnements uniquement réservés à la ferme générale privaient le commerce maritime de moyens d’échange qui seraient utiles aux débouchés de nos productions et de notre industrie; que ces achats étaient désavantageux à la balance de notre commerce ; que les surhaussements de prix, en temps de guerre , diminuaient considérablement le produit de cet impôt ; j’ai eu l’honneur de proposer les moyens de concilier la culture avec l’exercice du privilège de la vente exclusive. Le comité de l’imposition a pensé, Messieurs, qu’une pareille régie était incompatible avec la liberté; qu’elle provoquerait des vexations, des inquisitions dans l’universalité du royaume; que la justice ne permettrait pas d’accorder un genre de culture à quelques territoires et de le refuser aux autres. Il s’est déterminé au système d’uniformité, en rendant l’impôt général, en étendant la prohibition de la culture à toutes les provinces, sans exception, dans le cas où, d’après l’examen de la masse des besoins, il paraîtrait indispensable de ne point se priver de cet objet de revenu; mais l’impôt du tabac me paraît tellement immoral sous tous les rapports, que je ne puis me dispenser de vous présenter un moyen très simple de rendre ce commerce libre, de réintégrer la nation dans la jouissance d’une culture utile et très intéressante, sans priver l’Etat des ressources que la masse de nos besoins exige dans le moment actuel. Avant de vous développer mes vues et les moyens que je dois vous proposer, il est nécessaire que j’établisse quelques bases qui me paraissent incontestables et positives. Cet exposé n’est pas moins effrayant que réel. Si l’impôt est supprimé, la nation y gagne 26,300,000 livres. Le remplacement sera suffisant à 30 millions, parce qu’un droit d’entrée sur les tabacs étrangers, nécessaires pour la fabrication de ceux qui seront récoltés en France, suffira pour subvenir aux frais de gardes des côtes et de la frontière. Ce remplacement ne doit être que momentané et décroître avec les charges de l’Etat; il sera juste d’y appliquer les extinctions d’une partie des rentes viagères ; on peut donc le diminuer d’un million par année, et l’impôt ne subsistera plus dans 30 ans. Il ne serait pas juste d’asseoir l’impôt de remplacement sur les propriétés ; elles ne doivent le supporter que proportionnellement aux avantages qu’elles retireront de la culture du tabac : il suffira donc de ne les imposer qu’au quart du remplacement, c’est-à-dire par une subvention de 7,500,000 francs, qui seront répartis au marc la livre de l’impôt de propriété. Les autres trois quarts du remplacement seront ajoutés aux taxes et contributions personnelle ,aux droits qui seront perçus à l’entrée des villes, aux impositions sur les maisons des villes. L’extinction d’un million par année peut être appliqué d’abord au soulagement de l’impôt de propriété, et profiter ensuite aux autres remplacements. Cette proposition est juste : les consommateurs ne supporteront l’impôt de remplacement que dans la proportion du bénéfice que leur procurera la suppression de l’impôt, et des avantages d’une nouvelle branche de commerce et d’industrie. L’accroissement momentané d’une taxe de 7,500,000 livres sur les propriétés, sera compensé par les profits d’une culture incompatible avec l’existence de l’impôt cruel et désastreux du tabac. Première base. — La vente exclusive du tabac a été établie par une déclaration de 1674, pour avoir lieu dans tous les pays et terres de l’obéissance de Sa Majesté; à cette époque, les provinces présentement exceptées faisaient partie du royaume; il est donc incontestable que le titre primordial les a soumises à l’impôt. Deuxième base. — L’ordonnance de 1681 a prohibé ia culture du tabac dans Funiversalité du royaume; elle n’a fait d’exception qu’en faveur de quelques territoires circonscrits du Languedoc, de la Guyenne et du Limousin, qui ont paru propres à ce genre de culture. Une déclaration de 1703 a confirmé cette prohibition, ainsi que les exceptions autorisées par l’ordonnance de 1681. Les choses ont subsisté sur ce pied jusqu’en 1719 ; ainsi les provinces belges, l’Alsace et la Franche-Comté n’avaient aucun droit de préférence à la culture du tabac; ce n’est donc que par la négligence du fermier qu’elles ont joui de cette culture depuis 1681 jusqu’en 1719. Troisième base. — En 1719, la vente exclusive a été supprimée; l’impôt a été converti en un droit d’entrée sur les tabacs étrangers, ainsi que sur ceux de nos colonies, dans lesquelles on se flattait d’exciter ce genre de culture ; alors les plantations ont été défendues dans l’universalité du royaume, même dans les territoires où elle était autorisée par l’ordonnance de 1681, et par la déclaration de 1703. Cet arrêt, confirmé par une déclaration de 1720, ne fait aucune exception en faveur des provinces qui jouissent aujourd’hui de cette culture; elles n’avaient donc à celte époque aucun titre à la culture. Quatrième base. — En 1721, la vente exclusive a été rétablie; les prohibitions de la culture ont été renouvelées ; les provinces belges, l’Alsace et la Franche-Comté ont sollicité une exception en leur faveur : l’impôt du tabac était alors d’un produit peu important (le prix de ferme n’était que de 3 millions de livres); ces provinces étaient séparées les unes des autres par des lignes d’employés établies sur leurs limites pour l’intérêt de la gabelle et des droits de circulation : l’exception sollicitée n’exigeait aucune augmentation de frais de régie; elle a été consentie. Ainsi la déclaration de 1721 est un titre légal, qui a conféré à ces provinces l’exemption de l’impôt, la faculté des plantations dont elles ne jouissaient que par une tolérance contraire au titre primordial de l’impôt, à l’ordonnance de 1681, à la déclaration de 1720 (1). Cinquième base. — En 1749, les progrès de la consommation du tabac en ont fait une branche de revenu assez importante pour fixer plus particulièrement l’attention du gouvernement. L’affranchissement du tabac n’avait été consenti en faveur des provinces exceptées, que dans la vue de leur conserver une culture à laquelle elles atiachaient le plus grand intérêt. Le ministre pen.-a que cette exemption devrait être limitée aux tabacs du cru de ces provinces, mais qu’il n’était aucun motif pour l’étendre aux tabacs que ces mêmes provinces tiraient de l’étranger, pour améliorer la fabrication de ceux de leur cru ; en conséquence, l’importation des tabacs étrangers a été assujettie à un droit de 30 sous par livre pesant; droit pour lors équivalent à (i) Les provinces exceptées du privilège exclusif, forment à pou près le dixième du royaume en population ; aussi l’exemption n’était que de 300,000 livres sur un produit de 3.000.000. 373 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 janvier 1791. | l’impôt exclusif, puisque la fabrication exige à peu près une livre un tiers de tabac en feuilles pour une livre de tibac fabriqué; ainsi, à compter de cette époque, l’impôt du tabac a été nommément établi sur les tabacs étrangers importés dans les provinces exceptées du privilège de la rente exclusive (1). Sixième base. — L’impôt de 30 sous par livre de tabac, ou de 150 livres le quintal sur une valeur commune de 12 à 15 livres le quintal (2), exigeait une forte garde sur le Rhin et dans l’intérieur de l’Alsace. On a reconnu que cette dépense était énorme, qu’elle était en pure perte, parce que le bénéfice de la contrebande offrait de trop grands avantages pour qu’elle pût être réprimée : on y a renoncé. Ainsi des vues d’économie bien entendue ont rendu à l’Alsace l’affranchissement de l’impôt sur les tabacs étrangers qui entrent dans la fabrication de ceux du cru de cette province. Ces bases, Messieurs, sont incontestables; elles prouvent irrésistiblement que l'affranchissement de l’impôt et la culture du tabac, dont jouissent les provinces belges, l’Alsace, la Franche-Comté, Bayonne et le pays de Labour, ne sont point un privilège émané de capitulations; elles prouvent que les exceptions à la loi commune sont une pure grâce, une faveur consentie en 1721, parce que ces provinces étant séparées du royaume par des barrières locales, inhérentes à l’existence de la gabelle, et à celle des droits de circulation, l’exemption de l’impôt n’exigeait point d’augmentation de frais de régie, parce que le produit de l’impôt n'étant pas important, le sacrifice était au plus de 300,000 livres, et qu’un accroissement de produit aussi faible, n’a pas été d’une considération assez puissante pour anéantir dans plusieurs grandes provinces une culture intéressante et précieuse, existant depuis 40 ans, nonobstant les lois qui l’avaient prohibée. Aujourd’hui, Messieurs, l’impôt du tabac ligure pour 30 millions dans la masse des revenus de l’Etat; les barrières de la gabelle, des huiles et des fers, sont anéanties; celles des droits de circulation, et de divers droits d’aides perçus concurremment avec ceux de circulation, ne peuvent subsister; il est donc évident que la faveur consentie en 1721, diminue de 3 millions le produit naturel de l’impôt; il n’est pas moins sensible que les frais de barrières locales sur leurs limites intérieures, et leurs versements sur l’étendue du privilège exclusif, coûteraient 2 millions à l’Etat. Ainsi, le sacrifice de 100,000 livres à l’époque de 1721, serait de 5,000,000 au moins dans le nouvel ordre de choses, et l’exception aurait encore le désavantage de perpétuer la guerre civile au sein de la paix la plus profonde, de troubler l’ordre social, et de s’opposer à la liberté absolue des communications. Ge n’est donc point, Messieurs, sous le pointée vue de l’intérêt des provinces exceptées du privilège de la vente exclusive du tabac, que vous devez considérer cet impôt : si son existence est nécessaire, si elle est impérieusement commandée par la masse de nos besoins, les faveurs particulières doivent être abolies; vous ne pouvez, vous ne devez point maintenir dans quelques provinces (1) Le droit de la déclaration de 1749, est présentement de 2 1. 5 s. par livre, au moyen do l’accroissement des 10 sols pour livre. (2) La prise commune du tabac en feuilles, dans la province d’Alsace, et dans les pays étrangers limitrophes, n’excède pas 12 à 15 livres le quintal. une culture prohibée pour l’intérêt de l’Etat. Il ne peut subsister d’exception, lorsqu’elle est refusée aux provinces pour lesquelles elle serait la plus précieuse, qui pourraient en tirer les plus grands avantages. Ce principe posé , je crois, Messieurs, qu’il est indispensable de considérer l’impôt du tabac sous le rapport de l’intérêt général de l’Etat. Le privilège de la vente exclusive, et,la prohibition de ia culture du tabac, doivent-ils être maintenus avec extension dans les provinces belges, en Alsace, dans la Franche-Comté, et dans le pays de Labour? Première question. St on admet la nécessité de conserver l’impôt du tabac, ne serait-il pas utile {en maintenant la prohibition de la culture) de convertir la vente exclusive en un droit d’entrée et de fabrication, au moyen duquel le commerce de tabac serait libre, tant pour les achats que pour le débit? Seconde question. Telles sont, Messieurs, les deux questions que je dois soumettre à la sagesse de vos délibérations, avant de vous présenter un moyen qui ne compromettrait point les revenus de l’Etat, rendrait à l’agriculture une branche très précieuse, faciliterait avec les Etats-Unis un commerce d’échange incompatible avec le monopole de la vente exclusive. PREMIÈRE PROPOSITION. Convient-il de maintenir la vente exclusive du tabac, de prohiber sa culture dans toute l'étendue du royaume? C'est ici, Messieurs, le triomphe du génie lis-cal. L’impôt du tabac, dit-on, est un impôt purement volontaire; il dépend du caprice, il ne trouble point l’ordre social. Lorsqu’il n’existera plus d’exception, la contrebande n’aura lieu que par les introductions de l’étranger; la garde des côtes et de la frontière est indispensable pour garantir la concurrence des productions étrangères, au préjudice de celles de notre sol et de notre industrie; ainsi le produit de l’impôt du tabac ne sera point altéré par les frais d’une garde dispendieuse. Ce produit est de 30 millions, il est susceptible d’accroissement : l’Assemblée nationale ne doit pas priver l’Etat d’une ressource aussi précieuse. Je suis bien éloigné, Messieurs, d’un pareil sentiment : l’impôt du tabac (puisque la culture ne peut se concilier avec l’exercice de la vente exclusive) me paraît un impôt immoral, barbare, injuste, désastreux, et dont la prescription n’est pas moins indispensable que celle de la gabelle. J’appuierai, Messieurs, cette assertion de vérités si frappantes, que je ne craindrai pas les contradictions. 1° Un impôt dont les frais de régie s’élèvent à 40 0/0 du produit effectif, un impôt qui prive la culture, le commerce et l’industrie d’un produit intéressant, est un impôt révoltant. Tel est l’impôt du tabac; son produit est de 34 millions, y compris la portion qu’il supporte dans les frais de gardes des côtes et de la frontière. La perception est de 47,800,000 livres, déduction faite delà valeur des tabacs en achats et frais de fabrication : ainsi les frais de régie intérieure reviennent à 13,800,000 livres, ou 40 0/0 du produit effectif de l’impôt. Il prive la culture, l’industrie, le commerce d’un revenu annuel de 12,500,000 livres, somme qui, comparée au pro- 574 lAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.) duit de l’impôt, revient à 37 0/0 de ce produit; ainsi la nation perd 26,300,000 livres chaque année, ou 77 0/0, pour alimenter de 34 millions le Trésor public (Yoy. la note page 571, 2e col.). Sous ce point de vue l’impôt est cruel et ne peut être maintenu. 2° L’impôt est la contribution que les citoyens de toutes les classes doivent à l’Etat, pour raison de la protection que la société reçoit du gouvernement, et des dépenses que cette protection exige. Cette contribution doit être proportionnelle aux facultés, aux richesses mobilières et immobilières ; et tout impôt qui s’éloigne de ces principes est un impôt vicieux. Tel est celui du tabac. Le pauvre, séduit par ses agréments, en contracte de l’habitude; elle charme ses ennuis; sa contribution, volontaire dans le principe, devient d’une nécessité absolue ; elle est, pour l’indigent, plus coûteuse que pour le riche; les facultés de l’indigent ne lui permettent de s’approvisionner qu’en détail; il paye l’impôt et le salaire du débitant; l’homme aisé ne paye que l’impôt. Ainsi tel journalier (que le défaut de facultés ne permet pas même d’imposer à la taxe de citoyen actif) supporte, à raison de la funeste habitude qu’il a contractée, surtout pour la pipe, un impôt de 18 à 20 livres par an, déduction faite de la valeur intrinsèque, pour 6 livres de tabac qu’il consume annuellement. Le sel ne lui était pas d’une nécessité plus absolue; il ne lui coûtait que 3 livres par an ; vous l’avez affranchi de ce tribut, parce qu’il était injuste : il resterait sujet à une contribution dix fois plus onéreuse; cette contribution n’est comptée pour rien, lorsqu’il est question de participer aux fonctions de la société : celle seule considération, Messieurs, marque l’impôt du tabac du sceau de la réprobation. 3° Tout propriétaire doit avoir la faculté de tirer de sa propriété tous les avantages qu’elle comporte; un impôt qui le prive d’une partie de ces avantages est injuste et barbare. Tel est celui du tabac. Le monopole de la vente exclusive prohibe la culture; ainsi le propriétaire est frustré des bénéfices certains qu’elle lui procurerait. Le tabac se sème sur couches ; ou le plante au mois d’avril; la récolte se fait au mois d’août; sa culture, les apprêts, après la récolte, emploient beaucoup de bras; des vieillards, des infirmes, des femmes, des enfants, y trouvent une occupation utile. La culture du tabac n’est point faite aux dépens de celle des grains nécessaires à la subsistance, des lins, des chauvres, des colzas; on n’y emploie que les terres dont l’intempérie des saisons n’a pas permis l’exploitatiou dans les temps convenables ; elle est une ressource contre les irréussites des semences que la gelée fait périr; les avantages de cette culture sont inuombrables ; l’impôt qui la proscrit doit conséquemment être anéanti. 4° Tout impôt qui établit une différence sensible entre la valeur originaire de la production et le prix additionnel de l’impôt, provoque la contrebande, excite à la transgression des lois, livre des citoyens à la sévérité des châtiments, nécessite des visites et des perquisitions domiciliaires, et ne peut être maimenu par les sages représentants d’une nation libie. Tel est, Messieurs, l’impôt du tabac. Le prix de la vente en détail est de 4 francs la livre; la valeur réelle n’est pas de 20 sols (1) : la contrebande a (1) Le prix du tabac eu carottes n’excède pas 15 sols donc un bénéfice de 3 livres ; elle le partage avec le consommateur, elle est assurée de son débit : inutilement on se flattera de réprimer une contrebande aussi puissamment excitée; le Bugev, le Dauphiné ont une frontière bien gardée : ïa contrebande en tabac s’y fait ouvertement. Les frais de cette garde extérieure, dira-t-on, ne doivent être d’aucune considération, puisqu’ils sont nécessaires pour les droits de traités : soit, mais il faut dans l’intérieur un nombre prodigieux d’employés pour s’opposer aux plantations. Au surplus, le nombre d’individus de tout sexe et de tout âge, arrêtés, année commune, pour la contrebande du tabac, est d’environ 2,000; les saisies domiciliaires, celle des plantations, excèdent 1,300, année commune. Combien ces sortes de saisies ne se multiplieront-t-elles pas, lorsque L’impôt sera établi dans les provinces qui n’y sont pas accoutumées? Je ne veux pas, Messieurs, vous retracer aussi vivement que je le ressens, les malheurs que le système d’uniformité étendrait à toutes les provinces; ils seraient tels que vous regretteriez de n’avoir pas délivré l’Empire d’un pareil fléau, que vos successeurs ne tarderaient pas à réparer une faute aussi capitale. 5° Tout impôt qui ne peut exister qu’à l’ombre du monopole, est effrayant, et doit être anéanti. Tel est l’impôt du tabac. Le fermier ou régisseur est le seul acheteur; il contracte avec des agents qui fout des opérations certaines, qui s’arrogent, par le fait, le privilège exclusif des achats aux lieux de la production : dès lors le commerce libre ne peut étendre ses spéculations sur l’achat des tabacs ; les négociants qui les ont tentées en ont été bientôt dégoûtés par les difficultés que la ferme leur a fait éprouver, par le refus d’un prix raisonnable, et par les contrariétés apportées à la réexportation, pour déterminer les armateurs à des sacrifices (1). Ainsi le défaut de concurrence des acheteurs s’oupose à l’établissement d’un commerce d’échanges qui serait très précieux au débouché de nos productions et de notre industrie : la politique doit conséquemment anéantir le monopole et rétablir la concurrence des acheteurs. 6° Tout impôt qui s’oppose aux progrès de la navigation, qui fait bénéficier celle de l'étranger d’une partie de la valeur d’une production de première nécessité, qui même augmente cette valeur, est impolitique et mérite l’indignation. Tel est, Messieurs, l’impôt du tabac. Le monopole des achats, conséquence du monopole de la vente exclusive, emploie la navigation étrangère pour le transport des tabacs qu’il livre au fermier : le fret forme le quart environ du prix des tabacs en temps de paix; ainsi les approvisionnements de tabac contribuent à l’accroissement de la navigation d’une puissance étrangère ; ils lui fournissent un bénéfice de 2 millions au la livre ; il est même inférieur : celui du tabac râpé revient au plus à 17 sous. Le fermier profite deSsous pour l’augmentation du râpage, qui ne lui coûte que 2 sous au plus; cependant il entre un sixième d’eau dans la fourniture du tabac râpé, c’est-à-dire 16 livres par quintal, tandis que le tabac en carottes ne contient qu’un vingtième d’eau salée; on voit combien le fermier a d’intérêt à vendre le tabac râpé, par préférence au tabac en carottes. (1) C’est un fait positif : plusieurs négociants ont fait venir des cargaisons de tabacs. Ils n’ont pu convenir de prix avec le fermier, ils ont éprouvé les plus grandes difficultés pour la réexportation, à l’expiration des délais d’entrepôt. [29 janvier 1191.] 575 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. moins, pour le prix d’un fret qu’il serait très utile de ménager à la navigation nationale. Tout doit conséquemment déterminer la suppression d’un pareil monopole : l’importation des tabacs des Etats-Unis doit être réservée à la navigation américaine ou française. C’est le seul moyen d’étendre nos relations avec les Etats-Unis. 7° Un impôt dont l’existence n’est tolérée qu’à raison de la masse des besoins, dont le produit est incertain et dépend de la variation du prix des matières premières; un impôt dont les produits éprouvent des réductions sensibles par le surhaussement des achats dans les circonstances où les besoins sont les plus urgents, les ressources plus incertaines, les contributions plus pénibles, est un mauvais impôt. Tel est, Messieurs, celui du tabac. Le monopole de la vente exclusive traite avec un autre monopole qui se charge des achats ; ce dernier emploie au transport la navigation étrangère. En temps de guerre , le cultivateur des Etats-Unis n’elève pas sensiblement le prix de ses tabacs ; mais le fret double et triple ; les assurances sont plus chères. Ces causes augmentent de 7 à 8 millions le prix des approvisionnements ; elles réduisent dans la même proportion le produit de l’impôt; cette perte sur les produits exige de nouvelles contributions. Si la culture du tabac est généralement prohibée, il est sensible que le régisseur de l’impôt n’aura plus la ressource de faire partie de ses achats eu Flandre et en Alsace, moyen qu’il a employé dans la guerre dernière, pour diminuer le prix excessif des approvisionnements; il est évident que ces approvisionnements seront en entier pris chez fetrangeer; sa navigation, ses assurances prohteront des accroissements de prix, et les propriétés seront forcées de subir un excédent de contributions de lü à 12 millions, dont bénéficieront la navigation et les assurances de l’étranger (1). Tels sont en substance, Messieurs, les vrais rapports sous lesquels vous devez considérer le régime actuel de l’impôt du tabac. Vous en conclurez, sans doute, que la vente exclusive ne peut être maintenue, et que si cet impôt doit exister, il convient au moins d’anéantir le double monopole de la vente et des achats. SECONDE PROPOSITION. En conservant l'impôt du tabac , en sacrifiant une culture intéressante à la considération des produits de cet impôt, quels sont les moyens de rendre au commerce national le soin des approvisionnements et les bénéfices du débit, sans altérer ses produits actuels ? Je vous ai démontré, Messieurs, l’injustice d’un impôt qui n’est point proportionnel avec les facultés; je vous ai présenté le tableau des pertes que la prohibition des plantations de tabac cause à l’agriculture; je vous ai fait connaître l’impossibilité d’anéantir une contrebande excitée par un bénéfice de 300 0/0 ; je vous en ai retracé les funestes effets: ces maux sont grands; ils sont inséparables de l’impôt du tabac. Vous les pèserez dans votre sagesse, mais au (1) Dans la dernière guerre, le prix excessif du fret et des assurances, a porté la valeur des tabacs de la Virginie et du Maryland à 110 et 120 livres le quintal, le fermier a fait partie de ses approvisionnements en Flandre et en Alsace; le prix des tabacs du cru de ces provinces s’est élevé jusqu’à 80 livres le quintal. moins, si après de mûres réflexions, vous persistez dans le dessein de maintenir un impôt aussi cruel, aussi révoltant, vous ne refuserez pas les moyens qui peuvent adoucir les funestes influences du double monopole de la vente et des achats exclusifs. Vous y parviendrez, Messieurs, sans aucune difficulté, en commuant la vente exclusive en un droit d’entrée et de fabrication : permettez-moi de vous développer ces moyens : 1° Les importations des tabacs ne devront être effectuées que par les ports de Marseille, Cette, Bayonne, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Morlaix, le Havre, Saiut-Valery, Dunkerque, et par le bureau qui sera établi à la sortie de Strasbourg. Cette précaution est indispensable pour empêcher les introductions frauduleuses; 2° A la réception des tabacs, ils seront expédiés par le fermier ou régisseur de 1 impôt pour la destination de la manufacture la plus voisine, aux frais de l’armateur ou de son cédant. Cette condition est essentielle pour empêcher les versements de tabacs en feuilles. 3° Les manufactures seront dirigées par ie3 préposés du fermier ou régisseur ; mais elles seront inspectées par un contrôleur nommé par les assemblées de département, et qui veillera à ce que la fabrication des tabacs de chaque propriétaire soit effectuée avec les tabacs qui auraient été conduits, pour son compte , à la manufacture ; 4° Les proprietaires de tabacs recevront un quintal de tabac fabriqué, soit en rôles et carottes, soit râpé, pour 150 livres de tabac en feuilles : cette disposition est juste : les déchets au transport, à la garde, à la fabrication, peuvent être estimés au tiers; 5° Les propriétaires auront la faculté de retirer les tabacs de la manufacture, à mesure de leurs besoins ; ils acquitteront le droit d’entrée et de fabrication, à raison de 40 sols par livre de tabac, soit en rôles et carottes, soit râpé, et chaque propriétaire aura son compte ouvert, afin de constater les livraisons de tabac fabriqué dans la proportion des tabacs en feuilles, qui auront été conduites pour son compte à la manufacture : cette condition est juste; elle évite au propriétaire l’avance du droit sur les tabacs, dont il n’aura pas le prompt débit : elle proportionne le payement de l’impôt au débit. Le droit de 40 sols par livre paraît suffisant, pour conserver le produit actuel de 30 millions : on peut évaluer la consommation du royaume à 20 millions de tabac fabriqué, lorsque l’impôt sera général, la police intérieure, les frais de gardes des côies et de la frontière, ceux de fabrication n’excéderont pas 10 millions ; 6° Les propriétaires, qui le désireront, auront la faculté de vendre leurs tabacs rendus à la manufacture aux prix doiu ils conviendront avec le régisseur de l’impôt. Cette facilité ne présente aucune difficulté, elle est très favorable au commerce, le régisseur de l’impôt pourra vendre le tabac en concurrence avec ceux qui retireront, pour leur compte, les tabacs fabriqués ; 7° Le commerce et la fabrication des tabacs continueront d’être libres dans la haute ville de Dunkerque et dans celle de Strasbourg : cette faveur est juste, et ne peut souffrir difficulté, Dunkerque et Strasbourg devant rester ports francs ; le commerce du tabac à Dunkerque, donne un bénéfice aunuel de plus de 1,200,000 livres; il ne sera pas moins important à Strasbourg; 8° La prohibition de la culture du tabac en France, sera maintenue et sera commune à tous 576 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.] les départements, sans aucune exception ni réserve : sans cette clause le produit de l’impôt serait nul ; elle doit être de rigueur, puisque la régie d’une culture paraît inconciliable avec l’existence de l’impôt; 9° Les visites et perquisitions domiciliaires se-runt abolies, mais elles continueront à l’égard des plantations ; le régisseur doit porter toute son attention à prévenir l’introduction ; les visites domiciliaires ne présentent que de très faibles moyens de parer à la contrebande ; elles sont contraires à la liberté des citoyens. Quant aux plantations, il est indispensable de les empêcher; mais les visites se bornent à l’inspection du terrain, il est donc juste de les autoriser, sans cela l’impôt serait nul; et les tabacs étrangers, grevés du droit, ne pourraient soutenir la concurrence avec ceux qui seraient cultivés par contravention à la loi; 10° L’entrée du tabac fabriqué continuera d’être prohibée, ainsi que toute fabrique dans l’intérieur du royaume. Cet article ne peut souffrir difficulté ; au surplus, en tenant la main aux prohibitions de la culture, en prenant les précautions pour empêcher les introductions autres que celles permises, les fabriques intérieures ne pourront s’élever, à défaut de tabacs en feuilles ; 11° Les règlements sur le fait du tabac, relativement à la contrebande des introductions, seront exécutés. Tels sont, Messieurs, les moyens d’anéantir les funestes effets du monopole et des achats, si vous vous déterminez à la conservation de l’impôt désastreux du tabac. En rendant ce commerce libre, vous appropriez à la navigation nationale les avantages du fret, les bénéfices des assurances ; vous diminuez de plus de 2 millions l’extraction du numéraire pour prix des tabacs que l’etranger nous fournit (1) ; vous évitez le désavantage de la balance de votre commerce par l’effet du surhaussement du fret et des assurances en temps de guerre (2); et si, dans ces circonstances pénibles, l’impôt diminue proportionnellement à la plus grande valeur des tabacs en feuilles, cette perte ne tournera point au profit delà navigation d’une puissance rivale; la navigation nationale et vos chambres d’assurances en profiteront, vous rendrez à la nation les bénéfices du commerce intérieur; le prix du tabac grevé d’un droit de 40 sols par livre y compris les frais de fabrication, ne s’élèvera pas à 3 livres la livre, et dès lors la contrebande | . erdru un avantage de plus de 20 sols par livre, puisque le prix actuel du tabac eu détail est à raison de 4 francs la livre pesant. Ces motifs, Messieurs, me paraissent concluants en faveur de la conversion de la vente exclusive en un droit d’entrée et de fabrication, si vous persistez à maintenir l’impôt du tabac. Peut-être, objectera-t-on contre ce système la crainte d’une fraude trop considérable; cette ob-jectiou ne serait pas fondée ; 1° Les frontières et les côtes doivent être sévèrement gardées; ainsi les introductions du tabac ne pourront êtie effectuées que par les ports désignés; 2° les ta-(1) Le prix des approvisionnements peut être évalué à 8 millons ; il sera de 9 millions au moins, lorsque l’impôt sera général ; le fret et les assurances forment à peu près le quart du prix des tabacs, il sera très utile d’en faire profiler notre commerce et notre navigation. (2) L’augmentation du fret et des assurances, en temps de guerre, a triplé la valeur des tabacs. bacs, à leur arrivée dans les ports permis, seront retenus par les préposés du régisseur, et de suite envoyés à la manufacture. Il ne peut conséquemment se faire aucune soustraction, et cette régie sera conforme à celle que le régisseur pratique pour sou compte; 3° le propriétaire ne recevra les tabacs fabriqués, qu’après avoir payé le droit de fabrication; il sera conséquemment impossible qu’il puisse le frauder. Il est donc certain que la conversion de la vente exclusive en un droit de fabrication, ne peut donner ouverture à une fraude plus étendue que celle qui exisie; qu’elle sera moins vive, puisque les profits de la contrebande seront diminués; ainsi ce nouveau système serait beaucoup moins funeste que celui de la vente exclusive. Mais cet impôt ne peut-il pas être anéanti, dès le moment présent, sans compromettre les revenus de l’Etat? Cette question est importante; et je dois vous présenter les moyens qui me paraissent de nature à procurer cet avantage inappréciable à la nation. TROISIÈME PROPOSITION. Quels sont les moyens de supprimer, dès à présent, f impôt du tabac , sans compromettre les revenus de l’Etat? Le produit actuel de l’impôt du tabac est de 30 millions ; je conviens, Messieurs, qu’il sera susceptible d’accroissement, si vous décrétez qu’il sera général et que les exceptions seront supprimées ; mais je pense que vous bornez vos vues à la compensation du produit actuel, que vous ne fondez aucune espérance sur la bonification de cette partie des revenus de l’Etat. D’ailleurs, je vous observerai qu’en temps de guerre, le surbaussement du fret et des assurances double le prix des tabacs ; qu’aiusi le produit de l’impôt éprouve, en temps de guerre, une diminution de 10 à 12 millions ; d’où je conclus qu’une compensation de 30 millions doit être suffisante. Si nos besoins étaient moins grands, si vous pouviez renoncer à un produit de 30 millions, vous n’hésiteriez pas à rendre aux propriétés une culture précieuse, à proscrire un mii ôt injuste, en ce qu’il excède les facultés du pauvre, et qu’il est insensible pour le riche ; barbare, à raison du nombre d’individus qu’il commit annuellement dans les prisons: je ne vous parle pas des autres inconvénients de cet impôt ; je viens de vous présenter les moyens de les faire cesser. Lorsque la masse de nos besoins diminuera, l impôt du tabac doit donc être anéanti ; et c’est une condition que votre sagesse imposera vraisemblablement à son existence, si vous prenez le parti de le conserver. Je vous propose de l’anéantir; mais sous la condition d’un remplacement auquel tous les départements concourront (1), et dont l’extinction sera toujours proportionnelle à la diminution des charges présentes, en sorte que l’Etat ne perdra rien sur les revenus qui sont affectés à l’acquit de ces charges. (1) J’ai prouvé que les provinces, présentement exceptées du privilège exclusif, ne jouissent de cette faveur qu’à titre de grâce particulière, que si l’impôt est conservé, elles doivent y être assujetties; ainsi ces provinces doivent contribuer au remplacement, si l’impôt est anéanti. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 janvier 1791.] 577 Cette proposition est simple, et porte sur des bases qui ne peuvent être contestées : 1» Les frais de la garde des côtes et de la frontière sont supportées jusqu’à concurrence d'environ 4 millions par l’impôt du tabac : cette dépense est une charge permanente commandée par l’intérêt de nos pêches, de nos fabriques et manufactures. Je vous propose d’v subvenir par un droit de 25 livres le quintal, sûr les tabacs en feuilles qui seront importés dans les ports de Marseille, Cette, Bayonne, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Morlaix, le Havre, Saint-Valéry, Dunkerque et Strasbourg, de prohiber l’introduction du tabac fabriqué et l’importation des tabacs en feuilles, par tous autres ports et bureaux, autres que ceux que je viens de vous indiquer. En prenant ce parti, vous ménagerez aux tabacs de France les avantages delà concurrence; mais, comme ceux de l’étranger paraissent utiles pour le mélange, à la fabrication, le droit ne s’opposera point à leur importation ; et, si l’on suppose que l’introduction de ces tabacs soit équivalente à la moitié de la consommation, le produit du droit sera de 4 millions sur une importation d’environ 160,000 quintaux (1); 2° La culture, la fabrication et le commerce du tabac seront libres dans toute l’étendue de l’Empire français; mais, à titre de compensation du produit de 30 millions, que l’Etat retire actuellement de l’impôt du tabac ; il sera fait répartition entre les 83 départements qui divisent le royaume de 30 millions de rentes viagères choisies dans le nombre de celles qui sont les plus onéreuses à l'Etat, et dont les intérêts seront à la charge desdits départements, jusqu’à leur extinction absolue (2); 3° La répartition de 30 millions de rentes viagères entre les 83 départements , à titre de compensation du produit actuel de l’impôt du tabac, sera faite en 83 lots proportionnels à la population de chaque département (3); 4° Pour subvenir au payement des rentes viagères qui composeront le produit de l’impôt du tabac, les assemblées de département établiront une contribution, au marc la livre, des impositions qui seront arbitrées pour chaque département, et cette contribution sera perçue par addition à la totalité des impositions directes, ou indirectes, sur les propriétés, sur les personnes ou à l’entrée des villes (4) ; (1) Dans l’hypothèse où l'impôt du tabac n’existerait plus, la consommation et l’exportation à l’étranger s’élèveront peut-être à 25 millions de livres, qu’emploieront au moins 36 millions pesant de tabacs en feuilles. (2) L’impôt du tabac ne pouvant être maintenu que par la nécessité de ne point altérer les ressources destinées aux charges de l’État, il est juste de faire tourner la diminution des charges au soulagement des contributions les plus onéreuses, et l’impôt du tabac tient incontestablement le premier rang dans le nombre des impôts les plus désastreux. (3) La consommation étant proportionnelle à la population, il paraît juste et naturel de prendre pour base de la répartition de l’impôt de remplacement, la population des départements ; ce sera se conformer aux principes de l’équité. (4) L’impôt territorial, la capitation et les droits à l’entrée des villes monteront au moins à 30 millions ; le remplacement de 30 millions ne s’élèvera qu’à 2 sols pour livre, il formera un accroissement d’impôt d’autant moins sensible, qu’il diminuera chaque année dans la proportion des extinctions; il est juste que tous les citoyens y contribuent, puisque tous profiteront de la suppression de l’impôt, soit par la consommation, s’ils ftrennent du tabac, soit par la plus-value qu’acquerront es propriétés, le commerce et l’industrie. i" SÉRIE. T. XXII. 5° La contribution additionnelle, au marc la livre des impositions directes ou indirectes, diminuera chaque année dans la proportion de l’extinction des rentes viagères de l’acquit desquelles chaque département sera tenu, et sera totalement éteinte au décès du dernier des rentiers viagers; 6° Les assemblées de département consentiront de nouveaux contrats au profit des rentiers viagers, dont les intérêts seront à leur charge par l’événement du sort, et s’engageront à leur payer exactement les intérêts de leurs rentes, soit à Paris, soit dans les provinces, à leur choix. 7° Les assemblées de département auront la faculté de rembourser les rentiers viagers, sur le taux du denier 10 du capital; à l’effet de quoi elles seront autorisées à l’ouverture d’emprunts annuitaires, jusqu’à concurrence du capital, au denier 10, desdites rentes, remboursables dans le cours de 20 années, en principaux et intérêts. En adoptant, Messieurs, un projet aussi simple, vous reconnaîtrez que vous ne compromettrez point les ressources de l’Etat, puisque vous déchargez, dès à présent, le Trésor public du poids accablant de 30 millions de rentes viagères, puisque l’impôt de remplacement ne diminuera que dans ia proportion des extinctions successives : cette diminution est juste, puisqu’il est naturel de délivrer les contribuables des impôts les plus accablants dans la proportion des moindres dépenses que nécessitent les besoins de l’Etat, et que l’impôt du tabac est, sous tous les rapports, une des plus désastreuses inventions du génie fiscal. Je n’ai pas besoin , Messieurs, de réflexions plus étendues pour vous convaincre de la justice de cette proposition. Je ne puis cependant me refuser à quelques réflexions qui vous en développeront tous les avantages: 1° L’impôt en remplacement au marc la livre de toutes les impositions directes ou indirectes, fera contribuer tous les citoyens proportionnellement à leurs facultés; il n’aura pas conséquemment les inconvénients de l’impôt actuel plus lourd et plus fatigant pour le pauvre, qui s’approvisionne en détail, que pour le riche qui évite le salaire du débitant; 2° L’usage du tabac à fumer, repoussé dans l’état présent, par le taux de l’impôt, procurera au peuple, aux habitants de la campagne, un genre de consommation qui leur plaît , qui même est une habitude contractée dans les provinces exceptées aujourd’hui du privilège exclusif ; 3° La contrebande en tabac n’existera plus; la culture libre rendra aux propriétés un produit intéressant de 8 à 10 millions au moins, et cet accroissement de richesses territoriales ne sera point aux dépens de la culture des grains, des chanvres et des colzas; 4° La répartition de l’impôt de remplacement par l’acquit de rentes viagères, fixé proportionnellement à la population, rend une justice complète à tous les départements; 5° L’assiette de l’impôt de remplacement au marc la livre de toutes les impositions directes ou indirectes, diminue la charge de ce remplacement, et la rend presque insensible; 6° Il n’est pas douteux que tous les départements prendront le parti du remboursement des rentes viagères, et qu’ils trouveront, dans leur crédit personnel, le moyen d’effectuer ces remboursements par des emprunts annuitaires remboursables dans le cours de 20 années; dès lors l’impôt de remplacement ne sera, dans le principe, que de 24 millions, et se réduira chaque 37 [29 janvier 1791 .J K7g lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. année de 1,200,000 livres. Il n’existera plus dans 20 ans (1). Je désire, Messieurs, que ces considérations soient de nature à fixer votre attention; elles me paraissent concilier tous les intérêts, et si vous les adoptez, vous procurerez à l’Empire les plus grands avantages, sans altérer les ressources momentanées que ses besoins exigent. OBJECTIONS contre les deux •propositions relatives à l'impôt du tabac. RÉPONSES OU SOLUTIONS A CES OBJECTIONS. J’ai montré les funestes effets de l’impôt du tabac. Ils sont tels que l’Assemblée nationale ne peut se dispenser de prononcer la proscription de cet impôt, ou si elle se détermine à le maintenir, de rendre au moias la liberté aux spéculations des achats, à la vente des tabacs fabriqués. Le comité de l’imposition a présenté diverses objections contre ces deux systèmes ; je dois y donner une solution. Objections contre la proposition de remplacement de l'impôt du tabac par une addition aux contributions sur les propriétés, sur les personnes et sur les droits qui seront perçus à l'entrée des villes. Je commence par discuter les objections faites contre cette proposition, puisque ce D’est qu’au défaut de son adoption qu’il sera question d’examiner s’il convient de substituer à la vente exclusive un droit d’entrée et de fabrication. L’impôt du tabac nécessite une régie, dont les frais intérieurs reviennent à 40 0/0 du produit de cet impôt. Il prive l’agriculture, le commerce et l’industrie d’un revenu annuel de 12,500,000 ii vres. Tels sont les motifs déterminants pour sa proscription (2). Les contributions doivent être proportionnées à la masse des besoins; lorsqu’ils seront moindres, l’impôt doit diminuer : ce principe est incontestable. Les modérations d’impôt, proportionnelles à la décroissance des charges publiques, doivent naturellement venir au soulagement des contributions les plus onéreuses. L’impôt du tabac tient le premier rang au nombre de ces contributions; ainsi, dans le cas où cet impôt serait conservé, il aurait droit aux premiers adoucissements. (1) Un emprunt annuitaire, remboursable en 20 ans, exige 8 O/O du capital, tant pour les intérêts que pour le payement du capital emprunté : la délégation de 30 millions de rentes viagères, représentera un capital de 300,000 millions qui sera remboursé en 20 ans, à raison d’un payement de 24 millions par annéé, applicable d’abord aux intérêts , et subsidiairement aux remboursements des capitaux; ainsi, dans le principe, l’impôt de remplacement n’augmentera les contributions ordinaires que de 20 deniers par livre, et cessera totalement à la révolution de 20 ans ; les circonstances de cette opération sont si palpables, qu’il n’est pas douteux que tous les départements s’empresseront à rem-lacer les rentes viagères dont ils seront chargés par es emprunts annuitaires, remboursables en 20 années. (2) Voyez plus haut l’obscrvatiou qui justifie cet exposé. Dans cette hypothèse, les frais de régie, les pertes de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, n’éprouvent aucune réduction, à raison du moindre produit de l’impôt, en sorte qu’il ne tarderait pas à coûter 100 0/0; que bientôt ces frais seraient dans la proportion de 200 0/0, et beaucoup au delà (1). Cette perspective serait effrayante; l’impôt ne peut donc exister, il doit nécessairement être proscrit. En le supprimant, il faut pourvoir à son remplacement, et le régler proportionnellement aux charges actuelles, avec l’assurance d’une extinction graduelle et combinée sur la diminution des charges qui nécessitent le remplacement. D’après ces bases et ces principes, j’ai proposé : 1° d’assujettir les tabacs étrangers à un droit de 25 livres le quintal, dont le produit sera affecté aux frais de gardes des côtes et de la frontière; 2° de rendre aux propriétés la faculté de la culture; à l’industrie, la fabrication; au commerce, le débit de tabac, tant pour la consommation nationale que pour l’exportation à l'étranger; 3° de fixer l'impôt de remplacement à 30 millions, et de le répartir entre les 83 départements proportionnellement à leur population; 4° de décréter que cet impôt de remplacement diminuera chaque année, clans les mêmes proportions que les charges actuelles, et pour y parvenir, de charger les 83 départements de l’acquit et du payement des rentes viagères proportionnellement à la somme dont chacun sera grevé pour l’impôt de remplacement, avec faculté de remplacer ces rentes viagères au denier 10 du capital, à l’effet de quoi les départements seraient autorisés à des emprunts annuitaires, jusqu’à concurrence des capitaux nécessaires pour Je remboursement des rentes viagères, de l'acquittement desquels ils seraient chargés. Première objection. — Le produit du droit d’entrée de 25 livres le quintal sur les tabacs étrangers sera nul, puisque la culture du tabac sera plus que suffisante pour la consommation du royaume; ainsi le remplacement de l’impôt doit être fixé à 34 millions, si on ne veut pas compromettre les revenus actuels. Réponse. — Il n’est pas douteux que les quantités de tabacs récoltés en France excéderont la consommation nationale; mais leur fabrication, pour être de bonne qualité, exigera le mélange de tabacs étrangers; le commerce aura le plus grand intérêt à satisfaire le consommateur, soit regnicole, soit étranger ; il est très probable que nous recevrons au moins 16 millions de tabacs en feuilles de la Virginie et du Maryland, conséquemment que le droit d’entrée sur les tabacs étrangers suffira pour subvenir aux frais de gardes des côtes et de la frontière, qui sont présentement à la charge du tabac. Deuxième objection. — 1° Ii est contre les principes de la Constitution de charger les départements de l’acquit d’une partie des rentes viagères, parce qu’on ne peut diviser une portion de la dette, dont la masse générale de l’Etat est garantie caution; 2° il y aurait beaucoup d’inconvé-(1) L’iropôt du tabac donne un produit de 34 millions; il coûte à la nation plus de 60 millions ; il exige conséquemment une perte de 77 0/0; lorsque par les modérations successives le produit sera réduit à 20 millions, l’impôt sera de 55,600,000 livres, et coûtera 130 0/0; la différence sera bien plus sensible, à mesure des modérations, lorsque le produit de l’impôt sera réduit à 15 et 10 millions, et au-dessous. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.) nients à autoriser les divers départements à des emprunts destinés au remboursement des rentes viagères, de l’acquit desquels ils seront tenus eu remplacement de l’impôt au tabac, parce que, tous n’adoptant pas le même mode, l’impôt ne s’étendrait pas dans les mêmes proportions; 3° les charges publiques devant s’éteindre au prolit de tous les citoyens, il est juste que les départements profitent également de l’extinction des rentes viagères ; cette proportion n’existerait pas en divisant entre les 83 départements les rentes via-ères dont l’acquit, jusqu’à concurrence de 0 millions, opérerait la compensation de l’impôt du tabac. Réponse. — La division des rentes viagères entre les 83 départements n’avait d’autre but que de simplifier l’opération; on évitera les difficultés en adoptant les bases suivantes : 1° répartir entre les 83 départements l’impôt de remplacement, proportionnellement à leur population ; 2° assurer son extinction graduelle à raison d’un trentième ou d’un million par année, attendu qu’il est constant que les extinctions de rentes viagères excèdent un million par an. En adoptant ce parti, l’Assemblée nationale rendra une justice complète à tous les départements ; chacun sera certain d’un trentième par an, et l’impôt de remplacement sera totalement éteint à la révolution de 30 ans. Troisième objection. — Le mode proposé n’est u’une modération de l’impôt, en raison de la écroissance des charges actuelles: il est facile d’accorder cet avantage à la nation, sans anéantir l’impôt, mais en le diminuant annuellement dans la proportion de l’extinction des rentes viagères. Réponse. — L’impôt coûte 77 0/0 au delà de son produit pour le Trésor public : à mesure de sa réduction, la disproportion entre le produit et l’impôt serait plus sensible (1). Quatrième objection. — Le remboursement de l’impôt du tabac, par une addition au marc la livre des impôts directs, surchargera les propriétés. Il excitera les réclamations les plus vives de la part des citoyens qui ne font pas usage de tabac, et des départemeuts ou districts qui ne profiteront pas de ce genre de culture. Réponse. — On a déjà prévu cette objection, ui serait fondée, si l’impôt de remplacement evait être entièrement à la charge des propriétés il suffit d’observer: 1° Que la culture du tabac procurera aux propriétés un accroissement de produits au moins de 10,00(1,000 de livres, qu’elles ne contribueront à l’impôt de remplacement que jusqu’à concurrence du quart, c’est-à-dire de 7,500 livres: 2° que l’impôt devant diminuer d’un million par année, l’extinction peut s’appliquer d’abord en faveur des propriétés qui ne supporteront le remplacement que pendant 7 ans et demi; 3° que toutes les propriétés, sans exception, profiteront de cette nouvelle branche de culture, puisqu’elle n’a pas lieu aux dépens de celle des grains, chanvres, lins et colzas, et que tous les territoires sont propres à la production du tabac à fumer, genre de consommation qui sera bientôt supérieure à l’usage ordinaire; 4° que les trois quarts de l’impôt de remplacement, par addition à la capitation aux droits de consommation, à l’entrée des villes, aux impôts sur les maisons des villes, (1) Voyez l’observation, à cot égard, dans le développement du système proposé. 579 seront une surcharge peu sensible qui ne sera que momentanée, décroîtra dans 8 ans, et cessera totalement à la révolution de 30 années; 5° que cette partie de l’impôt de remplacement sera d’autant plus juste qu’elle sera proportionnelle aux facultés effectives de tous les citoyens, au lieu que l’impôt actuel est plus lourd pour i’ÎDdigent qui s’approvisionne en détail, que pour le riche qui s'affranchit du salaire du débitant. Ces solutions me paraissent décisives en faveur du système que j’ai proposé pour la suppression de l’impôt du tabac. Dans le cas néanmoins où l’Assemblée nationale estimerait qu’il doit être maintenu, il serait essentiel de changer le mode actuel de sa perception, et de convertir la vente exclusive en un droit d’entrée et de fabrication. J’ai présenté les bases de ce changement; le comité de l’imposition a proposé plusieurs objections auxquelles il convient de donner une solution complète. objections contre la proposition de convertir le privilège en un droit de fabrication exclusive. Dans cette hypothèse, l’Assemblée nationale se proposerait de maintenir un impôt indirect du produit actuel de 30 millions pour le Trésor public. Je ne pense pas que son intention fût de faire bénéficier le lise des améliorations que procurerait l’extension de l’impôt dans les provinces qui en sont présentement exceptées: je me persuade, au contraire, que l’Assemblée fixerait la durée de cet impôt au terme où la diminution des charges actuelles en permettrait l’abolition. C’est d’après cette opinion qu’en supposant la continuité momentanée de l’impôt, j’ai proposé le moyen d’anéaniir le frais de régie intérieure qui coùteut à l’Etat 40 0/0 du produit que procure l’impôt du tabac (1). Ce moyen est simple et facile; il se borne à supprimer la vente exclusive, à permettre le commerce du tabac, tant en feuilles que fabriqué, mais sous la condition expresse que la fabrication n’aura lieu qu’au profit de l’Etat. En prenant ce parti, le monopole des achats n’existera plus : ce monopole est inséparable d’une vente exclusive, qui n’admet d’autres spéculations que la vente au régisseur de l’impôt, ou ia réexportation. Le commerce libre du tabac fabriqué anéanti; les bénéfices du monopole dans le débit, les frais ries bureaux généraux et des entreposeurs: dès lors la dépense relative à l’impôt se borne à celle d’un petit nombre d’employés dans l’intérieur, chargés de veiller au maintien de la prohibition des plantations. Alors le droit de fabrication, fixé à 40 sols la livre, sera suffisant pour assurer incontestablement un produit net au moins de 30 millions (1) Le produit de l’impôt du tabac est de 34 millions y compris 4 millions à la charge du tabac, pour les frais de gardes dos côtes et de la frontière ; la perception, déduction faite de la valeur des tabacs et des frais de fabrication, est de 47,800,000 livres ; excédent, 13,800,000 livres; co qui revient à 400/0 sur le produit de 34 millions. 580 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 janvier 1791.] (Assemblée nationale.] alors les profits exclusifs du débitant, les dépenses des directeurs, receveurs généraux, contrôleurs, entreposeurs, celles de la correspondance de Paris, et les bénéfices du régisseur, seront supprimés: les frais de régie qui s’élèvent, dans l’état présent, à prés de 14 millions, ne seront que de 3 0/0 puisqu’ils n’excéderont pas un million pour un produit net de 34,000,000 (1). Cependant l’impôt sera diminué d’environ un tiers, puisque le prix du tabac râpé de la meilleure qualité, ne coûtera pas au consommateur plus de 3 livres la livre, au lieu de 4 livres, taux fixé pour la vente par le débitant (2). Cette sage combinaison privera la contrebande du tiers de ses bénéfices; elle sera conséquemment moins vive, et sa diminution tournera au profit de l’impôt et de ses accroissements. Ces avantages sont tellement évidents que l’Assemblée nationale ne refusera certainement pas la conversion de la vente exclusive en un droit exclusif de fabrication , si ce nouveau mode, en adoucissant l’impôt, ne présente point des inconvénients tels qu’il nepuisse être adopté. Il est donc indispensable de donner la solution aux objections du comité de l’imposition. Première objection. — Le monopole des achats n’existe pas ; le fermier ne traite point avec une compagnie exclusive; tous les négociants peuvent établir des spéculations sur le tabac, ils sont assurés de la vente, soit pour le régisseur, soit pour la réexportation : la suppression du privilège de la vente exclusive ne leur procurera pas de plus grands avantages. Réponse. — Lorsqu’il n’existe qu’un acheteur, il est maître des conditions, le régisseur ou le fermier est. dans l'état présent, le seul acheteur : les armateurs n’ont pour ressource que la vente au fermier, ou la réexportation : si le commerce est libre, les armateurs auronbà satisfaire à tous les spéculateurs de l’intérieur, ils conserveront les avantages de la réexportation, alors il n’est pas douteux que les relations de la France avec les Etats-Unis s’étendront considérablement. Deuxième objection. — En admettant la vente libre dans l’intérieur, la contrebande sera très vive; les introductions de tabacs en feuilles faciliteront les fabrications particulières, au préjudice du droit de fabrication. Réponse. — Dans l’état actuel, la culture est prohibée ; elle le sera dans le système proposé, qui même exclut toute exception; ainsi on ne peut pas supposer que des fabriques particulières seront alimentées par les tabacs cultivés en France. Dans l’état présent, le commerce a la faculté de faire venir des tabacs en feuilles dans (1) On peut supposer que l’impôt étant général, et la contrebande moins vive, à raison de la réduction de ses profits, la consommation s’élèvera à 20 millions de tabac fabriqué ; on peut estimer à 5 sols par livre, y compris le râpage, les frais de fabrication, ce qui fera uno dépense de 5 millions ; les brigades pour veiller les plantations coûteront 1 million; total 6 millions; il restera 35 millions, tant pour le Trésor public, que pour la portion de gardes des côtes et de la frontière, à la charge du tabac. (2) Le prix du tabac en feuilles, lorsque l’anéantissement du monopole permettra les spéculations, n’excédera pas 30 livres par quintal. 11 faut une livre un tiers de tabac en feuilles, pour une livre de tabac fabriqué; ainsi, le négociant aura déboursé 48 sols par livre de tabac qui lui sera livré à la manufacture. Je suppose que le prix s’élève pour le consommateur à 3 livres, il y aura pour les bénéfices de la vente, revente, etc., 12 sols par livre; ce qui est un profit honnête. tous les ports, à la charge d’être mis en entrepôt effectif jusqu’à la réexportation ou jusqu’à la livraison au régisseur de l’impôt. Dans le système proposé le nombre de ports pour l’introduction sera limité aux 10 principaux ports où la régie est très surveillée; les tabacs à leur arrivée seront mis en entrepôt jusqu’à la réexportation dans le cas de vente à l'étraoger, ou jusqu’à l’expédition pour la manufacture la plus voisine, si les propriétaires les destinent à la consommation. Il est donc évident que la contrebande des tabacs en feuilles sera plus difficile, puisqu’il y aura moins de ports où celte introduction sera permise, d'où l’on doit conclure que la crainte de fabriques particulières ne serait pas fondée, puisque la prohibition delà culture, et l’entrepôt réel des tabacs importés seront maintenus, ce qui ne laissera aux fabriques particulières aucun moyen d’approvisionnement. Troisième objection. — Les tabacs en feuilles qui seront destinés pour la consommation seront expédiés pour la destinatiou de la manufacture la plus voisine, par le régisseur, aux frais du négociant; les versements pourront être effectués dans le transport; et l’expédition, par les préposés du régisseur, sera très embarrassante. Réponse. — Le régisseur aura la fabrication exclusive. Dans l’état présent il fait voiturer pour son compte les tabacs aux manufactures : dans le système proposé, il sera chargé de les faire voiturer pour le compte du propriétaire et à ses frais; ainsi même régie, mêmes sûretés, pour prévenir les versements dans le transport : la seule différence est que les frais de voitures seront au compte du propriétaire des tabacs, au lieu d’être à la charge du fermier ou régisseur. Au surplus, on observe qu’il n’y a que deux manufactures dans l’intérieur : Paris et Tonneins; en général des vues d’économie bien entendues les ont fait établir dans le3 ports. Quatrième objection. — Le régisseur sera tenu de remettre à chaque propriétaire les tabacs fabriqués provenant de ceux qu’il aura livrés; cette reconnaissance présente beaucoup d’embarras et de grandes difficultés; le propriétaire du tabac se plaindra du changement de ses tabacs, et les réclamations seront fréquentes. Réponse. — J’ai proposé d'établir dans chaque manufacture un contrôleur nommé par les assemblées administratives de chaque département, et qui suivra toutes les opérations de la manufacture à laquelle il sera attaché. A la réception des tabacs, ils seront déposés dans un magasin d’entrepôt divisé par cases, et numérotés : le directeur de la manufacture et le contrôleur pour le commerce tiendront chacun un registre de réception, sur lequel seront ouverts des comptes pour chaque propriétaire de tabacs. Au crédit de ce compte seront portées les quantités de tabacs reçues, avec le nom de la case du magasin ou de l’entrepôt général dans lequel ils auront été déposés. Les fabrications pour le compte de chaque particulier seront faites à tour de rôle et sans aucune préférence, suivant l’ordre de leur réception, et de leur arrivée à la manufacture. Après la fabrication, les tabacs seront transportés dans le magasin de distribution qui sera également par cases. Ils seront enregistrés au compte ouvert de chaque propriétaire, avec le numéro indicatif de la case dans laquelle seront placés les tabacs fabriqués provenant de ceux qui auront été livrés en feuilles. A mesure que les propriétaires retireront leurs [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 j aimer 1191.) ftâl tabacs, ils en donneront leurs décharges sur le registre, et ils arrêteront leurs comptes lorsqu’ils auront retiré la totalité des tabacs fabriqués provenant de chaque livraison. Ces précautions sont simples et faciles, ainsi l’objection la plus spécieuse contre la liberté du commerce intérieur, sous la condition de la fabrication exclusive, ne peut et ne doit point former obstacle. D’après ces observations, je pense que, dans le cas où l'Assemblée nationale estimerait qu il est de sa prudence de maintenir momentanément l’impôt du tabac, tout doit engager à le réduire au système de la fabrication exclusive, à rendre au commerce maritime la faculté d’exercer ses spéculations sur les achats, au commerce intérieur celle de les exercer sur la vente du tabac fabriqué, tant aux consommateurs nationaux, que pour la réexportation à l’étranger. Observation importante. -—L'impôt du tabac ne peut être maintenu que par la considération de nos besoins, qui paraissent trop grands pour que l’Assemblée nationale renonce à un produit de 30 millions. J’ai proposé de l’anéantir : 1° Parce que la prohibition de la culture serait une perte irréparable pour les provinces belges et pour l’Alsace : 2° parce que l’assujettissement de ces provinces à l’impôt du tabac serait pour elles une surcharge de contributions effrayantes, à raison de leur grande consommation, surtout pour la pipe, à laquelle les Flamands et les Alsaciens ne pourraient renoncer; 3° parce qu’il serait à craindre que l'assujettissement de l’impôt du tabac et la prohibition de la culture n’excitassent en Alsace et dans les provinces belges la plus grande fermentation, et qu’il est essentiel de prévenir les impressions que pourraient donner les mauvais patriotes aux habitants de ces provinces, où sont situés, en grande partie, les biens nationaux ci-devant ecclésiastiques, et les efforts qu’ils feraient pour les tromper sur les intentions bienfaisantes de l’Assemblée nationale. J’ai proposé de les remplacer par une contribution momentanée de 30 millions, décroissante annuellement dans la proportion de l’extinction des rentes viagères, et qui ne porterait que pour un quart sur les propriétés : on objecte qu'il ne serait pas juste de leur faire supporter cette nouvelle charge. Il me parait facile de les en affranchir, en n’opérant le remplacement de l’impôt que par une taxe additionnelle à la capitation et aux droits qui seront perçus à l’entrée des villes. Cette contribution ne sera pas très onéreuse : elle diminuera annuellement, et cessera totalement à la révolution de 30 années. Au surplus, le comité de l’impositiou pense que l’impôt du tabac doit être anéanti sans remplacement, si nos besoins ne l’exigent pas impérieusement. J’observe qu’il est plus que probable, et j'espère démontrer que nos ressources sont assez grandes pour faire le sacrifice d’un impôt aussi cruel, aussi immoral que l’impôt du tabac, et je suis convaincu qu’il peut être supprimé sans remplacement: il n’y aura donc aucune objection raisonnable contre le décret qui rétablira dans leurs droits légitimes les propriétés, le commerce et i’iudustrie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE MIRABEAU Séance du dimanche 30 janvier 1791 (1). La séance est ouverte A onze heures et demie du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir. M. Bouche. Messieurs, pour faire le tableau de M. Desilles, je crois qu’il serait à propos de décréter qu’il sera donné à M. Le Barbier la somme que le gouvernement donnait autrefois pour encourager les arts. M. Camus. Messieurs, le roi faisait faire, tous les 2 ans, 2 tableaux aux frais du gouvernement. Le motif principal était d’encourager les arts ; je crois que l’Assemblée n’a pas moins cet objet en vue, ainsi que d’immortaliser le trait héroïque que vous voulez faire passer à la postérité, mais je demande le renvoi au comité de Constitution pour savoir la somme à laquelle ce tableau ainsi que ceux du même genre que l’Assemblée pourrait ordonner se montera. Un membre du comité de Constitution. Le comité de Constitution présentera incessamment un travail à cet égard. (L’Assemblée nationale charge son comité de Constitution de lui présenter, dans le plus court délai possible, un projet de loi qui établisse des récompenses etencouragementsannuels en faveur des artistes qui se distingueront par leurs talents, et de lui rapporter incessamment son travail sur les académies des arts.) (Le procès-verbal est adopté.) M. l'abbé Grégoire, président. Messieurs vous savez que la majorité des voix a élevé M-de Mirabeau l’aîné à la présidence. Je l’invite à occuper le fauteuil. M. de Mirabeau prend place au fauteuil. M. le Président annonce que Messieurs de la Société nationale des Neuf-Soeurs, ci-devant présidée parM. Rangeard, membre de cette Assemblée, et depuis quelque temps par M. Jussieu, de l’Académie des sciences, font hommage à l’Assemblée nationale des 6 premiers recueils périodique, de leurs ouvrages, lus dans des séances publiques. Il en est plusieurs relatifs à la Révolution présente; et les membres qui composent cette société, se sont fait un devoir d’y manifester leur attachement à la Constitution nouvelle de l’Empire, et aux sages décrets qui l’établissent. Un membre du comité dy aliénation présente un projet de décret de vente de biens nationaux au profit de la municipalité de Châtillon, pour la somme de ............... 1,027,986 1. 2 s. A celle de l’Ebergement-Fo-gney, département de la Côte-d'Or, pour ........... 69,831 1. 18 s. �1) Cette séauce est incomplète au Moniteur.